Mysterium Tremendum (Syrano)

Syrano © LddZ – 2016
Syrano © LddZ – 2016

« Mysterium Tremendum »… un tel titre amènera probablement certains qui, comme moi, penseront à la bière « Delirium Tremens » voire, moins drôle, à cet état de manque lié à un sevrage abrupt à l’alcool.

Le contenu de cet album est à la croisée de ces deux significations, entre humour et cynisme, entre onirisme et dure réalité. Des sujets d’actualités comme l’élevage industriel, l’individualisme, les magouilles politiques, les lobbying pharmaceutiques. L’album est un mélange des genres et reflète la cacophonie médiatique qui fait notre quotidien.

Syrano explique son titre dans la préface : « Mysterium Tremendum. Cela sonne comme une incantation de sorcier ou une formule magique utilisée dans un film d’animation. Mais il s’agit en fait du nom donné au vertige primaire de l’homme face à sa finitude. Le traumatisme mystique qui le plongea dans la crainte de la mort et de l’avenir, dans les questions qui donneront naissance aux croyances et aux religions ».

Il se présente comme un autodidacte. Touche à tout, il s’essaie aussi bien dans la musique, dans l’écriture que dans le dessin. Auteur, compositeur, interprète, dessinateur, il mélange les styles et crée des passerelles entre ces différentes expressions artistiques. Cela donne lieu à des albums, « Mysterium Tremendum » est son sixième coup d’essai. Il explore et expérimente les possibilités des différents mediums en créant cette fois des passerelles entre bande dessinée et musique.

Expérience de lecture sonore puisque la BD est complétée d’un CD à moins que ce ne soit l’inverse). Sur ce dernier, 14 titres au rythme entraînant. La BD est à lire (de préférence) pendant l’écoute, on la savoure mieux ainsi. Les textes des chansons sont repris dans les phylactères. Le résultat est inégal. Si le son de Syrano fait partie intégrante d’un courant musical que j’apprécie [on est là dans la même veine que des groupes comme Tryo, La rue Ketanou, Massilia Sound System, Java, les Ogres de Barback…], il y a des accros, l’œil n’a pas forcément le temps de se poser comme il le souhaiterait sur certaines cases. Le CD fait sa vie sans le livre et si mon oreille était timide dans les premières écoutes, elle a maintenant plaisir à réentendre bon nombre de chanson. Le livre en revanche a plus de mal à se passer de sa bande son.

Feutre, pastel gras, crayons de couleur, aquarelle… il y a largement de quoi se régaler seul grief : il n’y a pas de cohérence graphique, comme si chaque nouvelle histoire avait été réalisée par un auteur différent. C’est assez surprenant. Pourtant, la démarche est évidente : il s’agit de créer un univers qui colle au détail près à l’ambiance de chaque chanson. L’idée de partir dans tous les sens semble donc d’une logique imparable sauf qu’une fois sortie de la lecture, je serais bien en peine de vous dire dans quelle veine graphique s’inscrit cet album. C’est trop éclectique et contrasté, grief récurrent que l’on formule vis-à-vis des albums collectifs. On accroche par à-coups.

Quatre histoires m’ont particulièrement marqué : l’une d’elle propose une succession de croquis (dessins réalisés au crayon blanc sur fond noir) mettant en scène une ballerine (en référence au titre éponyme de la chanson de Syrano) ; le dessin y est d’une finesse et d’une sensibilité incroyables, le trait est aérien, le regard du lecteur est complètement capté par les différentes postures de la danseuse, par ses grands yeux tristes, la douceur de ses formes. Les paroles de la chanson se glissent librement entre les croquis. C’est magnifique. La seconde histoire (« Les Lucioles« ) nous fait partir dans un monde onirique avec, pour seule compagnie, un petit bonhomme (fantôme ou bonhomme de neige) équipé d’un baluchon. Blanc, violet et marron dominent sur un trait charbonneux. Le trait est rond, le visage du personnage très expressif. Ça mérite le coup d’œil (une planche de cet univers est dans le diaporama de fin d’article). Quant à l’histoire intitulée « Le Dernier des fils du bourreau de Sombreclair », elle nous installe dans un monde moyenâgeux où dominent les teintes sépias… et si quelques retouches Photoshop viennent de-ci de-là piquer l’oeil, on ressort assez satisfait du fond et de la forme. Pour ces trois réalisations, qu’on les écoute avec ou sans la bande son, la lecture est fluide. La dernière histoire (« Le Lycanthrope ») est réalisée au feutre noir sur un papier légèrement alvéolé. Là aussi on sent une profondeur et une chaleur dans l’univers graphique proposé, on sent que l’histoire a une âme.

Pour les autres réalisation de l’album (papier), je suis restée très extérieure, incapable d’entrer dans des travaux entièrement réalisés à la palette graphique… ou étouffant presque lorsque l’auteur s’ose à la gouache, à l’aquarelle ou aux crayons de couleurs ; les planches y sont généralement surchargées, l’œil du lecteur effleure la page et ne retient rien.

Si je suis rentrée facilement dans l’univers musical, prenant plaisir à le réécouter plusieurs fois, ce n’est pas le cas de l’album séquentiel. Il y a trop de styles différents qui cohabitent dans cet ouvrage et la présence de la musique comme fil conducteur ne m’a pas suffit pour l’apprécier.

Mysterium Tremendum

– Livre-disque –

Editeur : LddZ

Auteur : SYRANO

Dépôt légal : novembre 2016

140 pages, 25 euros, ISBN : 376-0-2317607-6-6

Bulles bulles bulles…

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Mysterium Tremendum – Syrano © LddZ – 2016

UnderGronde (Collectif)

Collectif d’auteurs © Hécatombe – 2015
Collectif d’auteurs © Hécatombe – 2015

« UnderGronde » est un objet double. Double, car il propose deux supports qui se répondent en écho. Le premier est un DVD proposant le documentaire de Francis Vadillo sur le fanzinat et la micro-édition. On part vadrouiller aux quatre coins de la France – mais aussi en Belgique et en Suisse – pour rencontrer les principaux acteurs de cette scène éditoriale underground. Le second est une compilation de sérigraphie réalisée dans le cadre de ce projet éditorial.

Francis Vadillo avait déjà réalisé un premier documentaire sur Mattt Konture ; David le présente dans cet article (à lire sur IDDBD).

Avec le documentaire, on va à la rencontre de Charles Pennequin, artiste engagé, qui défend à coup de cris et de poèmes la scène underground. D’ailleurs, le film commence par une déclamation de Charles Pennequin :

Nous sommes dans l’Art et nous dessinons, nous sommes dans l’Art et nous écrivons… nous peignons, nous gravons, nous sérigraphons et nous musiquons, et nous vidéosons, nous osons et nous déconnosons !

On rencontre également François de Jonge (auteur, éditeur de plusieurs ouvrages et Fanzine, notamment « Super-Structure ») et Mattt Konture (cet auteur est aussi l’un des membres fondateurs de L’Association). Un petit tour également du côté des éditeurs : Pakito Bolino (Le dernier Cri à Marseille), l’Atelier Arbitraire, Hors-Cadre

Undergronde – Collectif d’auteurs © Hécatombe – 2015
Undergronde – Collectif d’auteurs © Hécatombe – 2015

Découverte du travail de la Fanzinothèque de Poitiers qui archive les fanzines et garde ainsi une trace de ces publications éphémères. C’est l’occasion d’apprendre comment les fanzines se sont peu à peu ancrés dans le paysage éditorial ; l’habitude s’installe, dans les années 70, d’auto-éditer des magazines indépendants avec les moyens du bord : « Leitmotiv », « Burp », « Sortez la chienne », « Hôpital brut », « Turkey comics »… et des projets farfelus comme « Tête bêche » (un fanzine qui ne proposait que des couvertures… laissant la possibilité, pour chaque numéro, de fouiller dans le fouillis de couvertures proposées et de décider soi-même laquelle on met en premier pour un numéro donné).

Des rencontres enfin avec des auteurs : El Rotringo, Francesco Defourny, Sarah Fishole, de Yannis La Macchia (et son livre fou de 9 cm sur 9 cm, comprenant 900 pages et édité à 900 exemplaires… une vraie prise de tête à finaliser !)… Mais aussi des ateliers de création et de sérigraphie, des libraires (comme la librairie du Regard Moderne à Paris), des imprimeurs (l’imprimerie Trace dans le Lot)…

Au mot d’ordre « faites le vous-même », l’idée est de s’affranchir des règles éditoriales imposées par des éditeurs qui contrôlent le marché et imposent leurs règles (un format précis, un trait trop propre et calibré, des parutions planifiées à heure fixe…). Avec la micro-édition, on en revient aux fondamentaux : la priorité est de privilégier la mise en valeur du dessin (et donc de l’image). Le texte est secondaire. La caméra entre dans les ateliers de sérigraphie et on voit toutes ces fourmis de la micro-édition qui œuvrent presque 24 h/ 24.

La caméra se pose donc sur les acteurs incontournables de la micro-édition et du fanzinat. Le ton est amusé voire bon enfant, on sent des gens qui en connaissent un rayon sur le paysage éditorial underground et surtout, des gens bien décidés à prendre ce qu’il y a à prendre à commencer par le plaisir de participer à cette aventure. Des images récurrentes s’impriment sur notre rétine : des artistes en trait de sérigraphier rythment le documentaire. Des œuvres se créent sous nos yeux et les interviews se font crayon à la main. En bonus, un bon paquet de scènes qui ont été coupées au montage mais qui prolongent cet état d’esprit qui nous a accompagné durant tout le visionnage. Un petit aperçu ici du contenu du film de Francis Vadillo. Un documentaire intéressant, utile et qui permet aussi de se sensibiliser à une démarche artistique, à un état d’esprit.

Le livre prolonge ce documentaire avec des planches réalisées par plusieurs artistes. Clin d’œil à des propos tenus dans le documentaires, travaux complémentaires, planches brutes… Trois couleurs donnent le « la » : noir, rouge, blanc. Le bouquin, dont les pages en carton proposent soixante-huit sérigraphies ; dessins en pleines pages, quelques planches de BD, rien n’est signé à l’intérieur mais l’on devine aisément l’artiste… le coup de crayon est souvent reconnaissable… Et si ce n’est pas le cas, on se rappelle un passage du documentaire qui nous permet de raccrocher les wagons. Le carton utilisé est assez épais ce qui le rend difficile à manipuler. Son petit format (13,6 x 19 cm) nous oblige parfois à coller le nez sur l’ouvrage pour bien lire les textes insérés dans les phylactères. C’est franchement le seul grief que je ferais.

En fouillant la toile pour trouver des liens vers les différents acteurs de la micro-édition et du fanzinat, je suis tombée sur le blog du « Fanzinophile » qui recense pas mal de publications.

PictoOKSi vous avez l’occasion de vous procurer cette production, je vous conseille de sauter dessus (d’autant qu’il n’a été tiré qu’à 1000 exemplaires). C’est intéressant et cela permet de cerner un peu mieux la démarche de certains artistes.

UnderGronde

+ Commentaires sur carton brut

Editeur : Hécatombe

Dessinateurs / Scénaristes : Collectif d’auteurs

Dépôt légal : septembre 2015

64 pages, 20 euros, ISBN : 978-2-940432-16-5

Bulles bulles bulles…

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Undergronde – Collectif d’auteurs © Hécatombe – 2015