Footballeur du dimanche (Tronchet)

« L’auteur tient à signaler qu’il ne joue pas très bien au football, au cas où des partenaires l’ayant connu sur un terrain tomberaient sur cet ouvrage. L’auteur en est bien conscient, ça va, merci. Mais aucun de ses coéquipiers ne pourra dire qu’il a vu l’auteur jouer autrement qu’avec tout son cœur et une grande exaltation. Qu’il neige ou qu’il vente, l’auteur est en short tous les dimanches, avec des étoiles dans les yeux à la simple vue d’un ballon. Il lui est arrivé, les dimanches pluvieux, d’aller chercher chez eux les joueurs défaillants, de les tirer du lit par les pieds pour les pousser sur le terrain. »

Tronchet © Guy Delcourt Productions – 2021

Voilà, le cadre est campé : on est face à un passionné de foot et tant pis si les résultats ne sont pas olympiques ! Seul le plaisir compte et, visiblement, il est au rendez-vous chaque fois que Tronchet a un ballon aux pieds… occasion qui se présente tous les dimanches.

« Au foot, on a le droit d’avoir 10 ans ! »

En reprenant le même concept que pour son « Petit traité de Vélosophie » sorti début 2020 (Delcourt), l’album se compose de scénettes thématiques d’une page qui brossent le portrait rapide des amateurs de foot. Hop ! Il n’en fallait pas plus pour baptiser une nouvelle « série » et ancrer le nom de ce nouvel univers créatif de l’auteur sous l’étiquette des « Petits traités dessinés » ! On y retrouve avec plaisir les gueules biscornues, les traits épatés et les corps un peu lourdauds qui font la patte graphique de Tronchet.

« Parce qu’il a compris que sans règles, le jeu n’est pas possible. Le football, c’est l’école primaire de la démocratie… »

On est là dans le partage d’une passion, loin des canons médiatiques. Le fil rouge qui relie chaque historiette est le plaisir de jouer. Plaisir qui se déplie en tout un tas de déclinaisons : plaisir de retrouver les potes, plaisir de l’esthète à savourer les effets de styles, plaisir de gagner, de participer, de se donner à fond… Ici, pas de sponsors, pas de pelouses tirées au cordeau, pas de tenues pour afficher l’appartenance à un club… [L’alter égo de] Tronchet vient avec ce qu’il est, sans apparats, sans prétention autre que celle de passer un bon moment. On est loin des représentations médiatiques liées à ce sport ! On profite ici de l’idée première de la pratique du foot : son côté populaire et le fait qu’elle soit accessible à tous. Sans oublier un des éléments qui la caractérise : la mauvaise foi de chaque protagoniste… ce dont l’auteur sait parfaitement se moquer.

Footballeur du dimanche – Tronchet © Guy Delcourt Productions – 2021

L’idée maîtresse ici est donc de parler de foot sans prétention. Ce sport met tout le monde d’accord sur le terrain. Petit ou gros, noir ou capitaliste… chaque homme est un joueur avant tout. Chacun a sa propre manière d’aborder le jeu et finalement, ce qui ressort durant une partie, ce sera en premier lieu le caractère individualiste ou collaboratif de chacun et, dans le feu de l’action, sa réactivité (sa capacité à anticiper ou à feinter). Le foot est un révélateur de personnalités et semble obliger inconsciemment ceux qui le pratique à regarder l’Autre au-delà des apparences. Tronchet nous montre avec humour l’Homme dans toutes ses contradictions… Sur un terrain, le plus raciste d’entre eux deviendra sans moufter le plus respectueux du jeu de son adversaire qui pourtant, en apparence, affichait des critères (apparence physique, appartenance ethnique et/ou religieuse voire d’une catégorie sociale) de son rejet viscéral. Redire des choses aussi simples est pour moi le principal intérêt de cet album. Permettre en un clin d’œil à des individus de fraterniser et de faire totale abstraction de tout ce qui est extérieur au terrain. En tout cas, voilà un message foncièrement optimiste qui fait un bien fou !

« Mais très vite, on oubliait où étaient les buts. On était comme des fous après le ballon. La seule limite, c’était la nuit… »

Cinquante-six pages à côtoyer un sympathique personnage qui vit foot, qui respire foot, pense et mange foot… foot foot foot !! Une passion dévorante. Malgré le caractère très convivial de l’album, je n’ai pas pris plus de plaisir que ça à le lire. Je suis totalement étanche à tout ce qui a trait au foot et cet album n’a pas suffisamment de panache pour me permettre d’embarquer dans le plaisir bon enfant qui est ici partagé.

Footballeur du dimanche (récit complet)

Editeur : Delcourt / Collection : Humour de rire

Dessinateur & Scénariste : Didier TRONCHET

Dépôt légal : janvier 2021 / 56 pages / 12,50 euros

ISBN : 9782413029847

Mes quatre Saisons (Nicoby)

Nicoby © Dupuis – 2020

Au printemps, Nicoby se rappelle les préoccupations qu’il avait à 20 ans. Il dessine à tout-va depuis l’enfance, a des idéaux à revendre, les pieds sur Terre et la tête dans les nuages. Il rêve de faire de la BD mais la réalité économique le force à trouver une autre orientation… une alternative.

C’est aussi à cette période que L’Association commence à se monter et propose une ligne éditoriale tout à fait nouvelle. Cet éditeur alternatif montre ainsi à tous que la BD sait faire autre chose que des albums « grand public » et apporte un vent nouveau à ce secteur éditorial. La « BD d’auteur » a désormais voix au chapitre et cela donne quelques perspectives à Nicoby.

« C’est peut-être ça l’aventure : raconter un truc chiant en essayant de le rendre intéressant. La BD en pleine mutation. »

Tout en poursuivant des études – qu’il perçoit pourtant comme une voie de garage -, Nicoby ne perd pas de vue son rêve de toujours : vivre de son dessin. Aujourd’hui, il a la quarantaine. Il vit de son art. Un artiste-auteur qui continue à nourrir à chaque occasion sa passion pour la BD.

« La vie d’auteur de bandes dessinées, c’est surtout un long face-à-face avec soi-même. Une vie d’ascète, de moine solitaire. »

S’enchaîne la vie au rythme des saisons. A l’été, des rencontres pour récupérer des planches pour les expositions de la prochaine édition de Quai des Bulles. L’automne et son lot d’idées géniales pour des albums à venir. L’hiver et l’aggravation de l’état de santé de sa mère ; elle souffre d’Alzheimer. La mémoire friable de sa mère lui donne l’envie de retracer l’histoire familiale… et la sienne peut-être aussi un peu.

On parcourt ainsi une année de la vie de Nicoby. Bilan en humour avec des anecdotes de son parcours personnel et professionnel.

J’aime foncièrement Nicoby depuis que j’ai lu « Les Ensembles contraires » … cela fait une dizaine d’années maintenant. Depuis, j’ai saisi chaque occasion de le lire, même quand il ne s’occupe « que » de réaliser les planches d’un album (dans « 20 ans ferme » par exemple). Son regard sur le monde, sur la vie, son parcours… il me touche et fait mouche.

Sa passion pour la BD ne fait que grandir depuis ses 10 ans sans prendre une place dévorante. Il la dompte comme il peut, souvent du fait de contraintes budgétaires. Il aménage finalement sa vie professionnelle autour de sa passion de gosse qu’il ne cherche pas à cacher. Je trouve ça chouette de le voir s’extasier devant l’original d’une planche de Sempé ou de Franquin. C’est aussi agréable que le fait de pouvoir profiter de l’euphorie et de la satisfaction qu’il ressent à travailler sur un nouvel album de « Tif et Tondu » … projet qu’il appréhende comme une petite madeleine de Proust, un moyen de retrouver le même plaisir qu’il avait – gamin – à dévorer les tomes de la série. Tout cela fait largement contre-poids avec le fait de bouffer du pain noir du fait de son activité professionnelle qui a son lot d’incertitudes…

Le dessin est d’une bonhommie chaleureuse. Le propos sonne comme une confidence. Nous voilà bien accueilli dans cette lecture par un artiste fort fort généreux !

Nicoby nous offre un témoignage d’une spontanéité folle. Le propos est bourré d’autodérision. Il ne cache rien du manque de confiance qui le taraude parfois. Il nous ouvre son quotidien entre sa vie de famille et enfants à récupérer à la sortie de l’école, ses journées de travail qui sont souvent un long tête-à-tête avec lui-même, ses rencontres avec d’autres auteurs pour préparer Quai des Bulles (il est l’un des trois directeurs artistiques du festival), des soirées organisées par les éditeurs qui sont autant d’occasions de rencontrer des amis et de lier de nouvelles connaissances. Cet album est autant d’occasion de revenir sur son parcours, ses albums, les affinités qu’il a tissées avec d’autres auteurs (Sylvain Ricard, Etienne Davodeau, Eric Aeschimann, Didier Tronchet…)

La chronique de Branchés culture.

Mes quatre Saisons – Première Partie

Editeur : Dupuis / Collection : Aire Libre

Dessinateur & Scénariste : NICOBY

Dépôt légal : octobre 2020 / 216 pages / 22 euros

ISBN : 979-1-0347-5031-3

Ada (Baldi)

Il y a quelques mois, j’avais découvert Barbara Baldi avec « La partition de Flintham » … Je n’ai pas accroché comme je l’avais espéré avec son premier graphique mais j’en ai savouré la force qui émane de son dessin et la profondeur de ses personnages. Il se dégage d’eux une fragilité qu’ils recouvrent d’un voile de pudeur et une nostalgie qu’ils bordent en cherchant à aller de l’avant. Il m’avait manqué très peu de choses – lors de cette lecture – pour entrer pleinement dans l’univers de Clara, la jeune pianiste. J’étais restée spectatrice de la vie de cette femme, attendant avidement le moment où je trouverai enfin une place à ses côtés et entendre les voix de chaque personnage, les frottements de tissus, les mélodies qu’elle joue sur le piano à queue… Ce moment n’est jamais arrivé.

Pourtant, l’intensité de son dessin m’a saisie. La manière dont elle crée les textures, la profondeur des regards, les contrastes entre les couleurs, la façon dont elle joue avec l’ombre et avec la lumière et l’impact des silences narratifs sur l’ambiance graphique sur l’ensemble. Tout autant de détails qui campent une atmosphère enveloppante et intrigante.

Baldi © Ici Même Editions – 2019

Et arrive « Ada » , le second roman graphique de l’autrice italienne. L’intrigue se déroule en Autriche durant la Première Guerre Mondiale. On est en été 1917, à Gablitz. Le soleil se couche, laissant la nuit envahir progressivement la campagne. Le brouillard avait patiemment attendu cette occasion pour gonfler le torse et prendre ses aises. Plongée dans l’obscurité, la forêt semble plus immense encore. Dans le noir, l’impression d’isolement entre la maison d’Ada et le reste de l’humanité est décuplée.

Ada rentre du bois pour pouvoir nourrir le feu, qu’il ne meurt pas pendant la nuit. « Adaaaa !!!! » . Son père beugle. Eternel insatisfait, il reproche à sa fille de mettre trop de temps pour faire ses corvées. Le Thénardier est attablé et attend qu’elle le serve. Elle a les yeux gonflés de fatigue tandis que les siens à lui sont déformés par la colère. Le male dominant règne sur sa maisonnée. Le visage fardé de couperose, il distribue directives et insultes, se bâfre et vomit son aigreur sur sa fille unique. Cela rend odieux ce tête-à-tête cruel.

« Mains lestes et tête basse, c’est tout ce dont tu as besoin. Alors dépêche-toi… »

Ada trouve pourtant la force de supporter cela. Elle se réfugie dans son jardin secret. Elle se dérobe au regard de son père dans un endroit qui n’appartient qu’à elle et dont il ne sait rien. Une échappatoire qu’elle trouve dans une petite cabane cachée dans la forêt où un petit vase accueille quelques fleurs de saison. Le cabanon est un lieu de quiétude. Ada s’y ressource pour quelques minutes ou quelques heures. Elle y a ses outils : pinceaux, peintures, carnets, toiles… Ada s’évade en couleurs pour mieux affronter la dure réalité.

Quelle triste vie que celle d’Ada. Par la force des choses, la jeune femme se retrouve prise au piège dans un quotidien où elle ne peut s’épanouir. Quelques notes d’espoir nous laissent présager que la vie d’Ada peut prendre un tournant radical mais l’espoir est ténu… il se devine dans les touches de couleurs déposées sur les toiles qu’elle peint. Ces instants suspendus susurrent la promesse que des jours meilleurs sont à venir. Chant des sirènes ?

Barbara Baldi pose tantôt le récit sur les scènes avec le père, tantôt sur les brefs instants de liberté qu’elle s’accorde. Un chaud-froid permanent. Deux facettes de sa solitude : l’une subie, l’autre désirée. Et le fragile équilibre ne tient à rien. C’est un château de carte qui peut se casser d’un simple battement de cils. La violence paternelle semble attendre le moindre faux pas pour éclater bruyamment, brutalement.

En ancrant son héroïne dans la toile historique tourmentée de la Première Guerre Mondiale, Barbara Baldi renforce le sentiment d’insécurité. La situation peut être bousculée d’un instant à l’autre… et empirer. L’atmosphère est électrique. Mais Ada reste paisible, sa présence rassure. Une force tranquille. Un personnage fictif qui offre à l’autrice italienne une opportunité de rendre hommage à Egon Schiele (contemporain et ami de Gustav Klimt). La référence à leurs œuvres surgit dans le récit de Barbara Baldi au moment opportun et donne une dynamique nouvelle à l’intrigue. La veine graphique de son récit s’accorde avec les œuvres des deux peintres expressionnistes – cités plus haut. Des teintes sable, bois, doré et rouge donnent l’échange avec des verts, des bleus et marrons soutenus. La manière d’utiliser les contrastes entre ombre et lumière guide l’œil dans les illustrations. Des photos retouchées d’un coup de peinture Photoshop, de grandes séquences muettes, des illustrations en pleines pages invitent le lecteur à modérer sa vitesse de lecture. On savoure, on prend le temps de contempler, on mesure la tension de chaque instant et l’importance de chaque geste.

Je vous invite réellement à lire cet ouvrage si ce n’est pas déjà fait !

Trois chroniques amies pour vous permettre d’aller plus loin : Noukette, Marilyne et Mes Echappées livresques. Sans compter celle de Capitaine Kosack sur le site Cases d’Histoire.

 Ada (récit complet)
Editeur : Ici Même
Dessinateur & Scénariste : Barbara BALDI
Traduction : Laurent LOMBARD
Dépôt légal : février 2019 / 120 pages / 24 euros
ISBN : 978-2-36912-051-3

Suiza (Belpois)

Belpois © Gallimard – 2019

« Ici, les gens vont raconter n’importe quoi sur mon compte, après un fait divers pareil. N’importe quoi. Que j’avais ça dans les gènes, la violence et l’ennui, que j’étais bien le fils de mon père et que ça devait arriver. Ils vont raconter ma vie, même à ceux qui ne demanderont rien, ceux qui seront juste de passage, ceux qui viendront au village pour voir une connaissance, ou visiter la région. Mais personne ne sait vraiment l’histoire, à part Ramón. Agustina aussi, si je réfléchis bien, mais elle, elle ne pouvait pas être tout à fait objective, j’étais comme son fils. C’était surtout Ramón qui aurait eu le droit de l’ouvrir, parce que lui, il vivait presque avec nous.

Il a su le premier que j’étais malade. Un truc vraiment grave, une saloperie. Oui, c’est comme ça que ça a commencé, cette histoire, avec une bonne maladie bien dégueulasse. »

 

C’est l’histoire de Tomàs. Sa confession. Immédiatement, dès les premiers mots, on pressent la douleur et le drame. Tomàs a bientôt 40 ans. Il est veuf. Seul. Il est doté d’une belle exploitation agricole. En Galice. Un morceau de campagne qui le remplit de puissance et de fierté. Son bout de pays. Sa terre. C’est tout ce qu’il a. Tomàs y travaille sans relâche, aidé par Ramón, le vieux. Son ouvrier agricole de toujours. Comme un substitut de père.

Tomàs a un cancer. Un cancer tout neuf qui vient d’être découvert. Un cancer de merde. Un cancer des poumons bien dégueulasse. Tomàs angoisse. Seul. Il va mourir, c’est sûr….

Tous les midis, parfois même le soir, Tomàs et Ramon mangent chez ce vieux débris d’Alvaro qui cuisine comme personne. Ce midi, derrière le bar, il y avait Suiza. Une femme. Belle à en coupé le souffle. Conne un peu non ?

Ce midi, la vie de Tomàs a basculé. Il est devenu comme fou. Fou de désir. Fou de vie. Fou, fou fou. Il veut Suiza. Il la veut de toutes ses forces. Tomàs est un prédateur.

« J’ai laissé faire tout à coup, je ne pouvais plus lutter, je m’épuisais à tenter de l’oublier. Je bandais gentiment, pépère, pas énervé.
J’ai pris ma décision, elle est tombée comme un couperet d’évidence. De toute façon je n’avais plus le temps devant moi pour les fioritures. Finalement, j’irais au bar, ce soir-là, pour sentir encore cette femme. Cette perspective m’a rassuré. J’irais ce soir. Mes lèvres étaient des babines qui découvraient mes dents blanches de bête sanguinaire, en un sourire que je voulais féroce. Pour un peu, j’aurais tendu le cou et j’aurais hurlé à la mort toute ma rage et mon envie.
J’ai programmé en toute conscience que, ce soi-là, j’irais chez Alvaro. J’avais un plan de tueur à gages, simple et précis, méthodique. Je la verrais, j’attendrais qu’elle sorte, je la coincerais et je la baiserais.
Peut-être même bien devant tout le monde. »

Et puis, l’histoire prend un autre chemin, plus doux, paradoxalement. C’est pas complètement le bonheur ni la douceur mais ça y ressemble un peu… Tomàs et Suiza vont s’approcher (c’est peu de le dire !), s’apprivoiser, se reconnaître, s’aimer peut-être…

« Les manques lui ont fait une fragilité d’œuf, alors qu’ils t’ont donné une carapace de tortue. Elle seule sait te l’enlever sans t’arracher la peau, toi seul sait la protéger comme elle le souhaite, sans la casser. Vos deux faiblesses mises ensemble, ça fait quelque chose de solide, une petite paire d’inséparables. C’est pas souvent, mais des fois, quand tu mélanges bien deux malheurs, ça monte en crème de bonheur. »

Et puis l’histoire continue et moi je ne dis plus rien si ce n’est vous encourager fort fort à lire ce livre. D’abord parce que l’écriture est remarquable, libre, crue. Pleine d’ironie. Mordante. Comme la vie. Un brin cruelle aussi. Absolument réjouissante. Et que le récit est implacable. Incroyablement maitrisé. Il est à tomber ! Et surtout, impossible à lâcher ….

J’ai tout aimé dans ce livre. Tout. Suiza est mon coup de cœur des 68 premières fois.

(Pour découvrir tous les romans de la sélection et les billets c’est par là : https://68premieresfois.wordpress.com/ )

Extraits

«Elle avait de grands yeux vides de chien un peu con, mais ce qui les sauvait c’est qu’ils étaient bleu azur, les jours d’été. Des lèvres légèrement entrouvertes sous l’effort, humides et d’un rose délicat, comme une nacre. À cause de sa petite taille ou de son excessive blancheur, elle avait l’air fragile. Il y avait en elle quelque chose d’exagérément féminin, de trop doux, de trop pâle, qui me donnait une furieuse envie de l’empoigner, de la secouer, de lui coller des baffes, et finalement, de la posséder. La posséder. De la baiser, quoi. Mais de taper dessus avant.»

 

« La vie était rude ici, nous étions loin de tout, nous vivions dans une autarcie presque complète. Nous avions l’habitude de nous priver de tout, d’économiser. Le moindre morceau de viande, le moindre poulpe prenaient une valeur inestimable. Des générations sous le joug de la pauvreté, et une crise qui nous avait impactés de plein fouet, rajoutant une couche de difficulté. La dureté était devenue plus vive, nous étions comme des pierres, surprises par une gelée d’hiver. Le plus frappant était qu’habitués à nous priver, et ne pouvant le faire davantage, nous étions devenus économes jusque dans nos sentiments, nos rapports aux autres. Nous parlions peu, juste pour dire l’essentiel, voire l’indispensable. Nous nous en tenions au strict minimum. Nous ne savions plus faire avec la douceur. Les valeurs étaient toujours les mêmes, l’amitié, l’honneur, l’amour, le respect, mais nous ne les exprimions plus qu’en actes, eux aussi réduits à l’extrême. La parole avait disparu. Le bonheur était fugace, presque un miracle et souvent culinaire. Un bon verre de vin, une bonne assiette de viande, un pain gris qui tenait au ventre nous ravissaient plus sûrement qu’un compliment. »

Bénédicte Belpois, Suiza, Gallimard, 2019.

Le Tour de Belgique de Monsieur Iou

Monsieur Iou © Rue de l’Echiquier – 2018

Nom : Monsieur Iou
Nationalité : Belge
Habite à Bruxelles
Métier : Dessinateur
Hobby : le vélo

Partant du constat qu’il connait finalement assez mal son pays, Monsieur Iou décide d’enfourcher son vélo pour découvrir la Belgique.

Il ne s’agit pas d’un voyage en itinérance. Après chaque voyage, je rentre tranquillou à la maison et je repars quand j’en ai envie… ou pas.

Il part à la rencontre d’une quinzaine de destinations. Autant de visites qui vont lui permettre de dépasser l’image d’Epinal qu’il a de ces grandes villes belges.

– Mais mon petit, c’est pas très grand la Belgique. Ça va vite être réglé ton histoire.
– Mais Phil, le but n’est pas d’aller vite. Le but c’est les paysages, les rencontres, l’humain… pas la performance. Je veux participer au folklore, me mélanger aux gens.
– Tu veux te bourrer la gueule en gros…
Complètement. Mais pas du tout ! Y’a plein de choses à voir ! La jungle ardennaise, les cocotiers flamands, le Manhattan de Bruxelles, les Woodstocks de Wallonie, le folklore du carnaval. Tu l’auras compris, il ne s’agit pas vraiment d’un parcours sportif mais plutôt d’un plan biture d’un agenda culturel…

Enfourchant son vélo dès que l’occasion s’en présente, Monsieur Iou nous invite à sillonner les routes de Belgique. Se perdre, retrouver son chemin, suivre les sentiers au bord de l’eau, dévorer les pistes cyclables ou suivre le trajet d’une étape du Tour des Flandres, oublier l’appareil photo et avancer le nez en l’air en profitant de l’instant présent… faire une grande balade, seul ou avec un ami… Avec beaucoup d’humour, Monsieur Iou est parti à l’assaut de sa curiosité et de son envie de mieux connaître son pays. Il s’est armé d’un carnet et de quelques crayons pour croquer ses périples et il a choisi d’utiliser les couleurs du drapeau belge pour colorer son récit.

Intarissable sur tout ce qui a trait au vélo, Monsieur Iou propose ce qui pourrait s’apparenter à des petites « fiches techniques » sur l’univers du cyclisme comme celle pour bien choisir un vélo ou celle dédiée à l’équipement adéquat pour partir en vadrouille. De temps à autre, Eddy Merckx est de la partie ; l’auteur l’admire et adore imaginer qu’il discute avec son idole.

Ce voyage graphique n’est pas un guide touristique mais un carnet de balades. Il nous sensibilise à l’histoire de certains lieux, au folklore local ou à certaines spécialités gastronomiques locales et donne fichtrement envie de partir (re)découvrir le plat pays. Entre anecdotes et témoignage illustré, Monsieur Iou partage son engouement pour le cyclisme et nul besoin d’être un amateur pour trouver du plaisir à lire cet album.

Une lecture que je partage avec les bulleurs du mercredi. Aujourd’hui, « La BD de la semaine » s’est posée chez Stephie.

Le Tour de Belgique de Monsieur Iou

One shot
Editeur : Rue de l’Echiquier & Grand Braquet
Collection : Domaine Bande dessinée
Dessinateur / Scénariste : Monsieur IOU
Dépôt légal : mars 2018
128 pages, 16.90 euros, ISBN : 978-2-37425-099-1
L’ouvrage sur Bookwitty.

Bulles bulles bulles…

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Le Tour de Belgique de Monsieur Iou – Monsieur Iou © Rue de l’Echiquier – 2018

 

La Fugue (Blanchet)

Blanchet © La Pastèque – 2005

Il fait froid. Il pleut dans son cœur. Il est seul, triste. Il rentre lentement chez lui. Il sait que son piano l’attend.

De tout temps, depuis qu’il est enfant, la musique a toujours accompagné sa vie. De ses premières leçons de piano, il se rappelle de l’ennui provoqué par cette rigueur et ce sérieux qu’on attendaient de lui. Il s’y est plié et, plus tard, c’est avec cette confiance assumée et son amour pour l’instrument et les airs qu’il sait lui faire jouer, qu’il va auditionner sitôt la majorité acquise. A peine après avoir quitté ses parents et balbutiant encore dans sa vie d’adulte, il avait déjà passé la porte du club de jazz de la ville, espérant pouvoir y jouer. La musique – le jazz – fait partie de sa vie. Elle était là lorsqu’il rencontra la femme de sa vie, la musique était là aussi quand il était au front pour défendre sa patrie, là encore quand il a fondé un foyer et que la maison était pleine d’enfants, là enfin pour l’épauler au moment de son divorce…

Avec elle, il s’échappe, s’envole, respire. Avec elle il trouve un sens à donner à son existence. Elle le fait vibrer, elle le fait rêver, elle le fait se sentir vivant.

Aujourd’hui, il est vieux et ne sait plus quoi faire de ses dix doigts… si ce n’est de leur faire parcourir encore et toujours les touches d’un piano pour créer des mélodies et s’échapper de sa triste condition.

La Fugue – Blanchet © La Pastèque – 2005

Très peu de texte si ce n’est pour marquer les différentes étapes de la vie de cet homme. Le lecteur à fort à faire, à commencer par la contemplation de ces sublimes planches en bichromie où s’étalent, sur des pages jaunies – comme si le temps avait délavé le blanc initial en le teintant de café et de fumées de tabac, des illustrations mettant en scène cet homme au corps élancé et usé par le temps. Et quel plaisir aussi de toucher ce papier épais, légèrement rugueux, d’en tourner les pages en se laissant chahuter par des airs de jazz. Peu à peu, on le voit qui se tasse sous le poids des années et des épreuves qu’il a eues à traverser.

J’avais déjà fort apprécié le travail de Pascal Blanchet dans « Le Noël de Marguerite » et je m’étais délectée de celle de « Rapide Blanc » .

N’attendez pas ici des actions sensationnelles vous marquant au fer rouge, juste un savoureux instant de lecture où vous n’aurez rien à faire d’autre que de contempler ces planches comme vous regarderiez un album photos. C’est fascinant de mettre le nez dans la vie d’un individu, d’autant plus quand ce dernier est un parfait inconnu et que vous êtes conviés à le faire.

Sur le blog du Petit Carré jaune : la chronique de Sabine.

La fugue

One Shot
Editeur : La Pastèque
Dessinateur / Scénariste : Pascal BLANCHET
Dépôt légal : octobre 2005
136 pages, 21.40 euros, ISBN : 978-2-922585-30-8

Bulles bulles bulles…

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La Fugue – Blanchet © La Pastèque – 2005