L’Ours est un écrivain comme les autres (Kokor)

En 2016, les éditions Cambourakis font entrer dans leur catalogue la traduction de « L’Ours est un écrivain comme les autres » de l’auteur américain William Kotzwinkle. Me voilà plongée dans sa lecture. L’ouvrage m’interpelle même si quelques longueurs chatouillent régulièrement mes humeurs en raison de quelques longueurs… Mais le mouvement des personnages me séduit. Ce qui leur arrive m’amuse et la lecture ainsi faite de notre société et de ses dérives est à la fois drôle, cynique, cinglante et pertinente. Cerise sur le gâteau, l’écriture descriptive de Kotzwinkle nous demande peu d’efforts pour imaginer les scènes et les décors. De quoi est-il question ? Voilà, voilà, je vous explique :

Kokor © Futuropolis – 2019

Arthur Bramhall est un américain en quête de reconnaissance. Ce professeur déprime dans sa chaire universitaire. Il a pris un congé sabbatique pour se consacrer pleinement à l’écriture. Il rêve de notoriété et nourrit beaucoup d’espoirs dans un écrit mais ceux-ci partent en fumée lors d’un violent incendie qui détruit sa maison.

« Cette nuit-là un incendie faisait rage dans un vieux chalet. Les flammes indifférentes se nourrissaient maintenant des feuilles d’un manuscrit tout juste achevé. »

Depuis, Arthur a fait reconstruire son chalet avec l’argent qu’il a touché de l’assurance et réécrit son manuscrit. Parvenu à ses fins et satisfait du résultat, il ressent l’envie de fêter l’aboutissement de son travail.

Avant de partir, il place le manuscrit dans une mallette qu’il cache dans la cavité creuse d’un tronc d’arbre. Non loin de là, un ours assiste à la scène. Piqué par la curiosité, et pensant que la mallette contient des pots de miel, l’ours attend le départ de l’écrivain pour s’enquérir du contenu de ce précieux butin. Surpris de tomber nez-à-nez avec le manuscrit d’un roman, le plantigrade réfléchit à toute vitesse ; si les humains aiment lire, c’est que les livres valent de l’argent. Et avec de l’argent, on peut acheter quantité de pots de miel ! Voilà qui est alléchant !! Ni une ni deux, il décide de se rendre à New-York avec son joli magot. En chemin, l’ours ambitieux se crée une identité et c’est sous le nom de Dan Flakes qu’il emprunte malgré lui le chemin qui le mène droit à la célébrité.

« PittoResque ! »

C’est donc un ours gourmand qui prend les rênes du récit. Alléché par l’idée d’accéder à quantité de pots de miel, il entre sans se méfier dans la communauté des hommes. Incapable d’en comprendre les codes, il se laisse porter comme un pantin. Mais il reste naturel et son caractère imprévisible provoque des situations totalement loufoques. Le plantigrade est placide et se montre bien décidé à répondre lui-même à ses envies les plus folles. Tant qu’à la clé, il ait de quoi manger… il a tout pour être heureux.

« Sa voix, on dirait la corne du ferry de Staten Island ! »

L’Ours est un écrivain comme les autres – Kokor © Futuropolis – 2019

Surprenante idée que celle de William Kotzwinkle d’utiliser un ours à la truffe humide, qui roule les « R » comme personne et s’amourache des humains, de leurs maux, de leurs mots… pour singer nos propres défauts et la passivité que l’on a à regarder dériver nos sociétés sous l’influence du capitalisme. Sans aucun complexe pour sa grosse bedaine et son excessive pilosité, cet ours débonnaire va susciter chez nous (lecteurs) de belles émotions, beaucoup de sympathie et l’image d’un personnage réellement rassurant. C’est totalement fou de constater à quel point on est bien à son contact. Pour équilibrer cet excès d’aménité… il y a tout ce qui compose l’environnement du plantigrade.

En toile de fond, l’ambiance opère. Le poids des mots joue un jeu aussi subtil que sournois. Il y a d’abord le fait que chaque personnage secondaire ne voit la vie que par le biais des intérêts qu’il peut en tirer. Puis il y a le reste… Les coups de pub savamment étudié, le jeu des non-dits et celui des journalistes, les soirées de promotion, les stratèges éditoriaux, le placement de produits par la voie des services de presse, des interviews et des plateaux télé… On assiste à la construction insensée d’une idole, d’un mythe, d’une mode. Et tout cela nait de quoi ? De la naïveté désarmante d’un individu. Sa candeur est prise pour du génie… et ce génie emballe les esprits.

« Il faut capitaliser là-dessus »

L’air de rien, Alain Kokor nous embarque sur le fond autant que sur la forme. Dans des tons ocres-sépia, on découvre le parcours de cet ours comme dans un rêve. Le coup de crayon à la fois tendre et espiègle d’Alain Kokor ravit les pupilles et le propos ravit l’esprit. C’est doux et piquant à la fois, à la fois irréel et pourtant bien ancré dans notre société. Alain Kokor a extrait l’essentiel du roman de Kotzwinkle, ce qui fait sens, ce qui rend drôle, ce qui nous tient en haleine et en alerte. Je n’ai rien retrouvé des lourdeurs de ma lecture du roman, j’ai savouré et me suis laissée surprendre une seconde fois par le dénouement. Il n’y a qu’un seul passage [du texte de Kotzwinkle] que je n’ai pas retrouvé mais le cahier graphique inséré en fin d’album vient lever le voile sur cette absence et reprend en substance l’extrait mis au silence.

Sous la plume de l’ami Kokor, je me suis surprise à aimer de nouveau cette Amérique-là, à la fois lobotomisée, formatée et pourtant si gourmande d’accueillir la nouveauté, l’originalité… si capable de nous faire croire qu’à l’impossible nul n’est tenu. Et tandis que le plantigrade flirte avec les étoiles, l’écrivain perdu [Arthur Bramhall] fait le mouvement inverse en revenant peu à peu à l’état de nature [cerise sur le gâteau, on reconnaît en lui les traits d’un personnage qui est familier des amateurs de l’auteur et que l’on côtoie dans « Kady » ou encore dans « Le commun des mortels » ]. La question est entière de savoir laquel de ces deux énergumènes est le plus clairvoyant ? De l’homme ou du plantigrade, qui se fourvoie et qui s’épanouit ?

« Rock and Roll boRdel !! »

 « L’Ours est un écrivain comme les autres » est une succulente fable urbaine et Alain Kokor l’illustre d’une douce folie qui nous enchante.

Le roman est chroniqué ici sur le blog.

Jolie lecture commune avec Sabine et Noukette

et puisque nous somme mercredi, je saute sur l’occasion pour rejoindre les « BD de la semaine » qui se rassemblent aujourd’hui chez Stephie.

L’Ours est un écrivain comme les autres (récit complet)

Editeur : Futuropolis

Dessinateur & Scénariste : Alain KOKOR

Dépôt légal : octobre 2019 / 128 pages / 21 euros

ISBN : 978-2-7548-2426-2

California Dreamin’ (Bagieu)

Bagieu © Galimmard – 2015
Bagieu © Gallimard – 2015

« Ellen Cohen rêve de devenir chanteuse. Sa voix est incroyable, sa personnalité aussi excentrique qu’attachante, son besoin d’amour inextinguible.

À l’aube des années 1960, elle quitte Baltimore pour échapper à son avenir de vendeuse de pastrami et tenter sa chance à New York.

Le portrait drôle et touchant d’une chanteuse hors normes » (synopsis éditeur).

Je serai la grosse la plus célèbre du monde

Ellen Cohen, plus connue sous le nom de « Mama » Cass Elliot était l’un des membres du groupe The Mamas & the Papas. Elle est morte en 1974 à l’âge de 33 ans. Cet ouvrage retrace sa vie, de sa plus tendre enfance jusqu’à la sortie de « California Dreamin’ », la chanson qui les a fait connaitre… leur plus grand succès.

Le périple artistique de Mama Cass commence au début des années 1960 lorsqu’elle quitte sa ville natale (Baltimore) pour rejoindre New York. Elle n’a alors qu’un rêve en tête : devenir une chanteuse célèbre. Avec son groupe de l’époque, elle fait la tournée des clubs new-yorkais. Ils parviennent à signer un label vers 1962 et enregistrent leur premier album. Mais c’est en 1963 qu’elle fait la connaissance de Denny Doherty ; cette rencontre influence la suite de sa carrière.

California Dreamin’ – Bagieu © Galimmard – 2015
California Dreamin’ – Bagieu © Gallimard – 2015

Pénélope Bagieu quitte donc (définitivement ?) le genre « girly » pour s’intéresser à un autre registre de publication. En réalisant la biographie d’Ellen Cohen, elle opte pour un choix narratif des plus pertinents. Découpé en plusieurs chapitres, l’ouvrage propose à chaque scission (du récit) un narrateur différent. Cela laisse ainsi aux lecteurs la possibilité de découvrir le personnage par le biais de plusieurs regards. Celui de sa sœur cadette pour commencer, puis de son amie de lycée, de sa prof de musique, de son père, de son premier associé (Tim, membre du premier groupe de Mama Cass), de Denny Doherty (qu’elle a rejoint pour former les Mamas & The Papas)… Tous montrent une femme généreuse, plantureuse, excentrique, tenace et dotée d’un fort tempérament mais surtout d’un talent impressionnant. Une voix (à écouter : Dream a little dream of me). On voit – et le style est romancé – Mama Cass se battre pour réaliser son rêve de fillette mais surtout, se heurter et se battre contre les préjugés. En effet, elle fait face à sa manière aux regards incrédules et écarte – à sa façon – les désidératas de médias réticents à mettre sur le devant de la scène une personne obèse.

Cette fille est super. D’ailleurs, sur scène, les gens ne veulent qu’elle. Et chaque spectateur a l’impression que Cass chante pour lui, et lui seulement.

L’album plonge dans l’état d’esprit « Peace & Love » de la société américaine des années 1960. Vivre en communauté se fait quasi naturellement et dans ce microcosme artistique (celui de Mama Cass), la consommation excessive d’alcool et de drogue vient épicer l’ambiance des soirées festives. La personnalité de Mama Cass et ses ambitions démesurées viennent donner au récit un rythme alerte.

Durant la lecture, on ressent à chaque instant l’admiration et la tendresse que l’auteur voue à son personnage. Loin de venir occulter le propos, ces deux sentiments viennent aider la narration à trouver son tempo. Et bien que l’identité du narrateur change à chaque chapitre, le scénario bénéficie d’une réelle harmonie ; il trouve son credo sans heurts et sans secousses et permet une lecture fluide. Quelques références artistiques sont faites à des groupes des Sixties (Les Beatles, Scott McKenzie, Les Beach Boys…), ce qui renforce la sensation d’être plongé dans un univers chaleureux et familier.

Les illustrations de Pénélope Bagieu sont sans fioritures. Les émotions du personnage principal sont parfaitement portées par l’ambiance graphique. Le trait faussement maladroit est en apparence assez naïf. Il offre finalement un rendu intéressant et porte naturellement les émotions d’un personnage principal entier et – contrairement aux apparences – foncièrement fragile. Les dessins sont réalisés tantôt au crayon de papier tantôt au feutre. Dans tous les cas, on en apprécie l’expressivité… en accord avec la personnalité un peu excentrique de Mama Cass. Parfois, le feutre vient appuyer le contour d’une forme, un sourire, une mèche de cheveu et – comme je le disais plus haut – nous permet de profiter constamment de cette spontanéité et de cette bonne humeur qui se dégage du personnage.

PictoOKCet album est une agréable découverte, je dois bien le reconnaître.

Avant lecture, j’étais à la fois intriguée et dubitative. Cela est lié à la perception que je peux avoir du travail de Pénélope Bagieu (qui s’attarde habituellement sur des sujets et des préoccupations dont je n’ai que faire…). C’est avec quelques réticences que j’ai ouvert cet ouvrage dans lequel je me suis plongée très facilement. J’espère maintenant avoir trouvé les mots pour vous donner envie de le découvrir à votre tour. A lire avec, en bruit de fond, les chansons du groupe… c’est encore meilleur.

Un petit tour en musique avec California Dreamin’ (1965) et/ou avec Monday Monday.

Les cinq premières pages à feuilleter sur le site de Gallimard.

A lire : les chroniques de Jean-Christophe Ogier (pour France Info), Nicolas Domenech (pour Planete BD).

California Dreamin’

One shot

Editeur : Gallimard

Dessinateur / Scénariste : Pénélope BAGIEU

Dépôt légal : septembre 2015

ISBN : 978-2-07-065758-2

Bulles bulles bulles…

Ce diaporama nécessite JavaScript.

California Dreamin’ – Bagieu © Gallimard – 2015