Fire Force, tome 17 (Ohkubo)

tome 17 – Ohkubo © Kana – 2021

Le combat entre la 8eme brigade, Hajima Industries et les hommes du grand prédicateur continuent. Une fille du nom de Ristu a créé une torche humaine géante (au début de cet affrontement) à partir de cadavres de personnes et d’autres torches humaines. Et elle a emprisonné le Sixième Pilier. Pour le sauver et le mettre hors de portée des hommes du grand prédicateur, Shinra doit faire alliance avec Kurono l’employé d’Hajima Industries. Dans le feu de l’action, Nataku – le Sixième Pilier – perd le contrôle de ses pouvoirs et les laisse se déchainer. Ses pouvoirs sont en lien avec la radioactivité. Petit à petit, le taux de radioactivité dans l’air augmente et les pouvoirs de Nataku se déchainent avec plus de puissance… jusqu’au moment où toute la ville est en danger.

Le tome 17 de « Fire Force » est intéressant. On y découvre les pouvoirs de Nataku. On voit aussi Shinra combattre et se démener comme à son habitude. On y apprend de nouvelles informations sur l’univers de ce manga. On voit aussi une nouvelle capacité des pouvoirs d’Arthur. il y aussi un moment du manga où Shinra passe du temps exclusivement avec Iris la bonne sœur de la 8ème Brigade, ce qui donner un passage assez étonnant car c’est la première fois que l’on suit réellement Iris dans la série. Ce personnage est-il amené à prendre encore plus d’importance ?

On voit les détails du dessin qui sont soit très présents ou par moment inexistants. Mais cet écart entre les passages où le dessin est parfois fouillé et parfois minimaliste ne dérange pas la lecture.

Ce manga est toujours aussi bien même après dix-sept tomes de parution. Les personnages sont toujours aussi intéressants. On voit des liens nouveaux qui se créent. Une nouvelle intrigue avec Hajima Industries commence… ce qui va changer tout l’univers de ce manga.

Présentation du tome précédent et de l’ensemble de la série dans cet article.

Scénariste/Dessinateur : Atsushi Ohkubo

Editeur : Kana

Genre : Science-fiction, humour, combat

Dépôt légal : janvier 2021

ISBN : 9782505086253

Prix : 6,85€

Ma vie dans les bois, tome 1 (Morimura)

Morimura © Akata – 2017

En 2005, saturé par la vie citadine, lassé de cette vie matérielle et consumériste, l’auteur décide de tout planter et d’aller vivre à la montagne avec sa femme.

Ne sommes-nous pas tous épuisés, à force de bosser jusqu’au ras-le-bol ? A-t-on vraiment besoin de toutes ces choses pour être heureux ? (…) Repartons de zéro, en nous installant dans une montagne inexplorée avec nos corps comme seules richesses.

Petit monsieur qui approche la soixantaine et à l’aspect bonhomme et avenant, Shin avant pourtant tout du japonais sédentaire, bedonnant et incapable de faire quoi que ce soi avec ses mains… excepté des mangas. Têtu comme une mule et malgré le scepticisme amusé de sa femme, il finit par trouver l’endroit idéal pour mener à bien son projet. Un endroit loin de tout et qui n’a de valeur aux yeux de personne.

L’aventure commence avec bien peu de chose et bien peu d’outils. En compagnie de Hime, son Terre-Neuve, Shin se met au travail. Il opte alors pour un mode de vie en autarcie, s’en remet aux caprices de la nature et au cycle des saisons. La nature a désormais peu de secrets pour lui. Fruits, légumes, insectes… il apprend peu à peu compléter ses propres connaissances en observant la nature et en faisant tout pour vivre en harmonie avec la faune et la flore.

Shin Morimura a réalisé un témoignage frais, intéressant et tout à fait original. Je me suis un moment posée la question de savoir si c’était une autofiction, une sorte de délire dans lequel l’auteur se projetait. Jusqu’à ce que j’arrête de me la poser en me disant, dans un premier temps, que la réponse n’apportait rien de plus comparée au plaisir de lire ce tome et puis… Peu à peu, les détails, les anecdotes, cet entêtement presque maladif de l’auteur à défricher et à déboiser une grande parcelle du terrain qu’il a acheté, à terrasser, à bâtir sa maison en bois, à aménager l’intérieur et ses alentours, à commencer à penser autrement son alimentation… on se dit que tout cela est vrai. Qu’on a là une matière autobiographique dans les mains et on ne peut qu’admirer – un peu époustouflés – ce que cet homme a entrepris.

C’est le genre de manga qui me réconcilierait presque avec les mangas ; cela fait quelques années déjà que je n’en lis presque plus car j’ai l’impression d’y lire un peu toujours la même chose (surtout pour les mangas de petit format). Côté graphique aussi, j’ai l’impression que les dessins des albums asiatiques pourraient presque être transposés d’un album à l’autre sans que j’y voie de différence.

Ce témoignage m’a plus, parce que l’optimisme et la bonne humeur qu’il contient sont contagieux. Parce que l’auteur repense totalement nos modes de vies qui sont calqués les uns sur les autres. Il bouscule ce métro-boulot-dodo qui n’épanouit finalement plus grand monde. Il jette par la fenêtre tout ce qui est lié à la société de consommation : profit, rentabilité, propriété, consommation, surconsommation…

Sur un coup de tête, il décide donc de donner vie à sa nouvelle vie. Ses mains de mangakas et son corps de citadin vont être mis à rude épreuve. Et la manière dont il réagit face aux imprévus m’a séduite autant que la joie presque enfantine qu’il ressent lors qu’il arrive à la force du poignet à faire sortir sa maison de terre… et tout le reste.

Habituellement, je ne lis pas de mangas (pour des raisons qui seraient bien trop longues à expliquer). Me voilà pourtant invitée par Jérôme à lire… l’idée étant de remuer un peu mes aprioris. Défi lancé, défi relevé, défi réussi. Je vous invite à lire la chronique de Jérôme.

Autre chronique en ligne : celle de Bidib.

Ma vie dans les bois

Tome 1 : Ecoconstruction
Série en cours
Editeur : Akata
Collection : Akata – Seinen
Dessinateur / Scénariste : Shin MORIMURA
Dépôt légal : août 2017
144 pages, 7.50 euros, ISBN : 978-2-36-974230-2

Bulles bulles bulles…

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Ma vie dans les bois, tome 1 – Morimura © Akata – 2017

Chroniks Expresss #33

Bandes dessinées : Cette ville te tuera (Y. Tatsumi ; Ed. Cornélius, 2015), Les Mutants, un peuple d’incompris (P. Aubry ; Ed. Les Arènes – XXI, 2016), Miss Peregrine et les enfants particuliers, volume 2 (R. Riggs & C. Jean ; Ed. Bayard, 2017).

Jeunesse : Trois aventures de Léo Cassebonbons (F. Duprat ; Ed. La Boîte à bulles, 2017).

Romans : Les Echoués (P. Manoukian ; Ed. Points, 2017), Rien ne s’oppose à la nuit (D. De Vigan ; Ed. Le Livre de Poche, 2013), Women (C. Bukowski ; Ed. Grasset, 1981), Temps glaciaires (F. Vargas ; Ed. Flammarion, 2015), Les Jours de mon abandon (E. Ferrante ; Ed. Gallimard-Folio, 2016).

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Bandes dessinées

 

Tatsumi © Cornélius – 2015

Tokyo. Plongée au cœur d’une société en plein mal-être.

Stéphane Beaujean a réalisé une très belle préface qui explique à la fois le contexte social de l’époque et réalise une fine analyse de la démarche de l’auteur. « Dans les nouvelles qui suivent, Yoshihiro Tatsumi s’attarde plus précisément sur les relations entre hommes et femmes. Il témoigne de la mort du désir sexuel, de son dévoiement par le capitalisme et la modernité dans une civilisation en proie à une urbanisation étouffante ».

Cet album est le premier volume de l’anthologie des œuvres du Yoshihiro Tatsumi (« Une vie dans les marges »), il contient 23 nouvelles crées dans les années 1960 et 1970. Les histoires sont dures, brutales mais comme elles sont toutes assez courtes, le lecteur n’a pas le temps de s’apitoyer réellement sur un personnage. On traverse une succession d’avortements, de fœtus dans les égouts, de suicides, d’adultères. On voit des individus qui s’abrutissent au travail pour ne pas penser. Une ville inhospitalière. Des hommes désabusés, des femmes aigries et autoritaires et entre les deux, la communication est souvent en panne. Une sexualité à la fois contrariée, étouffée et pour d’autres, totalement débridée et pulsionnelle. C’est à la fois malsain et totalement affligeant, au point qu’on plaint ces gens en souffrance.

On sort un peu sonné de la lecture de ce gekiga mais tout de même, n’hésitez pas à le lire si vous en avez l’occasion.

A lire aussi : la présentation de l’album sur le blog de l’éditeur.

 

Aubry © Les Arènes-XXI – 2016

Service de pédopsychiatrie de l’Hôpital Sainte Barbe à Paris. Le pavillon Charcot accueille des adolescents âgés de 12 à 14 ans. Crises d’angoisse, tentatives de suicide, décompensation, overdose… les motifs d’hospitalisations sont multiples mais ils ont tous un point commun : leurs parents sont totalement dépassés par la « crise d’adolescence » et incapables d’aider leurs enfants à y faire face. Psychiatre, éducateurs spécialisés, infirmiers… assurent la prise en charge durant des séjours qui durent de quelques jours à plusieurs mois.

Pauline Aubry quant à elle est graphiste ; elle a repris par la suite ses études au CESAN, une école de BD. En 2013, elle sollicite son amie Camille, pédopsychiatre à Sainte-Barbe, pour savoir s’il est possible de faire un reportage BD sur le service. La réponse est positive mais en échange, il lui est demandé d’animer un atelier BD à destination des jeunes patients du service.

Un album à mi-chemin entre l’autobiographie et le reportage, entre la découverte des problématiques propres à l’adolescence et la démarche cathartique. Car pour adapter son atelier au public qu’elle va côtoyer, Pauline Aubry se remémore sa propre adolescence (état d’esprit, relations familiales, hobbies…). Elle va animer au total 8 séances d’atelier (de novembre 2013 à mars 2014). L’album est ponctué par ces repères chronologiques. Pour le reste, l’auteure relate l’ambiance de chaque séance d’atelier, et montre comment le service de pédopsychiatrie s’organise (profil des ados, travail d’équipe, méthodes de travail, liens avec les familles…). Entre les séquences de reportages, l’auteure fait remonter les souvenirs et décortiquent les informations qu’elle a reçues en faisant le parallèle avec sa propre adolescence.

Pour être honnête, cette BD est parfaite pour se sensibiliser sur la prise en charge des adolescents fragiles (manifestant des troubles du comportement, ayant des conduites addictives et/ou qui se mettent en danger). Je vois bien ce medium être utilisé dans des groupes de parole d’adolescents. Par contre, pour les personnes qui connaissent déjà ces services hospitaliers en pédopsychiatrie, ça fait vraiment redite. Globalement, je baigne un peu trop dans ce milieu professionnel. Je suis au contact quotidien avec la clinique, les thérapeutes, les éducateurs, les publics… en permanence en train d’écouter des gens parler de leurs vies, de leurs échecs, de leurs angoisses… Bref, un livre pour réviser les bases…

Vu aussi chez : Sabariscon, Joëlle, Tamara.

 

Riggs – Jean © Bayard – 2017

Les enfants particuliers recueillis par Miss Peregrine sont en cavale. Ils fuient les Sépulcreux et les Estres qui tentent de les capturer afin de pouvoir pratiquer d’obscures et de traumatisantes expériences en laboratoire. Dotés de pouvoirs surnaturels, les Enfants Particuliers vivaient jusqu’à présent – pour les plus chanceux d’entre eux – sous la protection d’ombrunes bienveillantes, sortes de nurses qui leur assurait le gîte et le couvert mais aussi la possibilité de mieux connaître les pouvoirs de chacun et … d’accepter d’être différents des autres enfants.

Mais l’avenir des Particuliers et compromis. Miss Peregrine ayant été blessée lors du dernier affrontement avec les Estres, les Particuliers qu’elle avait pris sous son aile décident d’aller demander de l’aide à d’autres ombrunes afin que Peregrine soit sauvée. Ils prennent la direction de Londres avec toute l’appréhension de se jeter délibérément dans les griffes de leurs adversaires. Pire encore, Londres est plongée dans les affres de la Seconde Guerre Mondiale.

C’est suite à la sortie de l’adaptation cinématographie de « Miss Peregrine… » que nous avions découvert, mon fils et moi, cet univers fantastique. Sitôt sorti de la salle de cinéma, nous avons voulu découvrir l’adaptation BD de la série (avant de lire éventuellement les romans originels). Profitant de la réédition du premier volume (Editions Bayard – Collection BD Kids), nous avons pu découvrir des détails et des interprétations qui étaient différentes de la vision de Tim Burton voire qui étaient totalement absente du film.

Les personnages sont intéressants, élaborés et cohérents. L’univers fascine, les motivations questionnent et les desseins des « méchants » n’est pas sans rappeler les agissements des nazis (d’ailleurs certains ont brodé sur leur uniforme une croix gammée).

Une série agréable à lire et qui sait capter notre intérêt. Loin d’être un récit incontournable ou un coup de cœur, les albums permettent de passer un bon moment de lecture et j’ai très envie de découvrir le troisième et dernier tome de cette histoire.

 

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Jeunesse

 

Duprat © La Boîte à bulles – 2017

Léo Cassebonbons est un petit garçon comme les autres : espiègle à souhait, naïf et spontané, il est dans cet âge où chaque chose se questionne et à chaque question sa réponse. Souvent, les conclusions auxquelles il aboutit sont sans concession pour les adultes qui l’entoure.

Cet ouvrage est une intégrale de trois albums de « Léo Cassebonbons » précédemment édités aux Editions Petit à Petit : « Chou blanc pour les roses », « Demandez la permission aux enfants » et « Mon trésor ».

Le premier tome regroupe des petits gags de quelques pages. Anecdotes du quotidien, à l’école ou en famille. Les scénettes sont de qualité inégale et rares ont été celles qui m’ont arraché un sourire.

Le second emmène la famille en vacances et c’est, pour le lecteur, l’occasion de découvrir davantage les proches de Leo, à commencer par sa tante et sa cousine. Délaissant l’historiette pour proposer une histoire complète, François Duprat s’amuse à rebondir de personnage en personnage. J’ai préféré cette seconde partie à la première, l’humour fonctionne mieux et rare sont les épisodes où il retombe comme un soufflet.

Le dernier tome de cette intégrale est aussi le cinquième et dernier tome de la série (publié en 2006). Après, est-ce que l’arrivée de la série à La Boîte à bulles va donner lieu à de nouveaux albums (on l’a déjà vu pour « L’Ours Barnabé ») ?? Quoiqu’il en soit, cette troisième partie est pleine de tendresse et propose des situations réalistes. La majeure partie de l’histoire se passe à l’école et le scénario propose de réfléchir aux relations entre des filles et des garçons âgés d’environ 8 ans et aux rapports de force qui peuvent se tisser entre eux. La question de l’amitié est au cœur du récit et notamment celle qui concerne les enfants de sexes différents. Pas évident à cet âge !

J’ai bien failli ne pas parvenir au bout du premier tiers de l’album. Et puis finalement le personnage principal est un petit bonhomme bien sympathique. Pour autant, la série n’a jamais fait de vagues et je ne pense pas qu’elle me laissera un souvenir ému.

 

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Romans

 

Manoukian © Points – 2017

On est en 1991. Virgil est moldave, Assan et Iman – le père et la fille – sont somaliens, Chanchal est bengladais… tous sont des immigrés. Tous ont traversés des épreuves pour échouer en France, dans l’espoir d’une vie meilleure. Tous ont fui la misère, la guerre, la peur, les ruines, leurs morts, la famine… pour venir respirer l’air d’un eldorado européen. Mais arrivés à destination, ce sont d’autres épreuves qui les attendent. Les squats, la faim, les coups, les humiliations… pas tout à fait les mêmes que les maux de leurs pays mais au fond, pas si différentes. Et puis les hasards de la vie ont fait qu’ils se sont rencontrés, qu’ils se sont entraidés. Entre eux, des liens d’amitié forts se sont tissés. Envers et contre tous, unis, ils ont tenté de poursuivre leur chemin. A plusieurs, on a moins peur que tout seul. Ensembles, on retrouve une dignité, une identité, une raison de vivre.

Pascal Manoukian est journaliste grand reporter. Pendant 20 ans, il a couvert les conflits qui embrasaient la planète. Puis, non content de témoigner dans les médias, il publie « Le Diable au creux de la main » en 2013 avant de livrer « Les Echoués » son premier roman paru initialement en 2016 aux Editions Don Quichotte.

Un livre dur, sans concessions, qui témoigne en premier lieu de la violence de ces trajets de la peur qui transporte des hommes comme on transporte du bétail. Enfermés dans une cale, entassé dans une benne, recroquevillés dans une cabine… entassé par dizaines parfois par centaines, ils traversent des pays et des mers au risque de leur vie. Les coups pleuvent, les réprimandes, la soif, la faim et la peur alourdissent leurs maigres bagages. Un traumatisme.

Arrivés en France, le calvaire continue. Contraints à supporter la clandestinité, ils dorment dans des conditions effrayantes ; vieilles usines désaffectées où grouillent les rats, caravanes remplies d’odeurs de pisse et de détritus, trous creusés à même la terre et j’en passe. Alignés comme des sardines à l’aube, regroupés par nationalités, droits comme des « i », ils attendent dès l’aube le passage d’un employeur qui – ils le savent – va les payer au lance-pierre. Mais même sous exploités, c’est mieux que les conditions de vie dans lesquelles ils vivaient avant de faire le voyage. « C’est comme ça ici, les pauvres s’en prennent aux pauvres ».

Un roman coup de poing, superbe. Des notes d’espoir et des plongées dans l’enfer nous font faire les montagnes russes. Un cri révoltant qui donne l’impulsion pour se mobiliser et tendre la main à ces exilés. Mais par où commencer ?

Extraits :

« Avant, en Moldavie, il adorait les chiens et détestait les mulots. Mais, depuis son arrivée en France, beaucoup de choses s’étaient inversées. Ici, il construisait des maisons et habitait dehors. Se cassait le dos pour nourrir ses enfants sans pouvoir les serrer contre lui et se privait de médicaments pour offrir des parfums à une femme dont il avait oublié jusqu’à l’odeur » (Les Echoués).

« Depuis son arrivée en France, personne ne l’appelait plus jamais par son prénom, et il n’aurait jamais imaginé qu’avec le temps il puisse lui-même l’oublier. C’est ça aussi, l’exil, quelques lettres choisies avec amour pour vous accompagner tout au long d’une vie et qui brusquement s’effacent jusqu’à ne plus exister pour personne » (Les Echoués).

« Aujourd’hui, le premier analphabète venu prenait une arme et parlait au nom d’Allah. Ça donnait à l’islam une bien mauvaise haleine » (Les Echoués).

 

De Vigan © Le Livre de Poche – 2013

Fin janvier, Delphine De Vigan découvre le corps de sa mère. Un suicide. Sa mère avait 61 ans.

L’auteure décide alors de raconter sa mère. Un roman cathartique pour comprendre, s’approprier les choses, intégrer sa mort, donner du sens à sa douleur.

Ainsi, elle revient sur l’enfance de Lucile, sur ses 8 frères et sœurs et ses parents, George et Liane. Très tôt, Lucile se démarque par sa beauté tout d’abord. Liane lui fera d’ailleurs faire de nombreuses séances de photos ; enfant, Lucile deviendra l’égérie de plusieurs marques, son visage apparaît sur les grandes affiches dans les couloirs du métro, dans les rues de Paris… la ville où elle a grandi. Lucile se fera aussi remarquer pour son côté sombre et mystérieux. Très tôt, elle s’est repliée dans son silence, préférant observer les autres que de participer à leur conversation. Elle échappe aux autres, secrète. Elle se soustrait au tumulte de la vie familiale. A l’adolescence, déjà habituée depuis longtemps à l’effervescence de la vie, aux amis qui passent, aux cousins qui partagent leur vie de famille le temps d’un été, Lucile se désintéresse de sa scolarité, fume ses premières cigarettes, vit ses premières relations amoureuses. Elle tombe enceinte à 18 ans ; pour ses parents et ceux du père de son enfant, l’avortement est inenvisageable. Leur mariage est organisé. Lucile se réjouit d’être la première de la fratrie à quitter le cocon familial, elle se réjouit de pouvoir enfin créer son cocon à elle, elle s’éloigne de cette famille et de ses drames familiaux déjà si nombreux, si douloureux, si lourds à porter.

Huit ans après, elle quitte son mari et refait sa vie. Peu de temps après, les premières crises surviennent. Une alternance entre des phases maniaques et de profondes périodes de déprime. Il faudra près de 10 ans pour qu’elle reprenne le contrôle de sa vie. Entre temps, plusieurs séjours en psychiatrie, des tentatives de thérapie inefficaces, une camisole chimique qui la tasse avant qu’elle ne rencontre un médecin psychiatre en qui elle a confiance. Mais pendant ces 10 années, elle s’est laissée submergée, ballotée entre hystérie et aboulie, incapable de s’occuper d’elle et de ses deux filles. En racontant sa Lucile, Delphine De Vigan s’approprie à la fois l’histoire de sa famille, celle plus personnelle de sa mère et la sienne.

Delphine De Vigan enquête sur sa mère, sur la vie qu’elle a menée. Pendant longtemps, du fait qu’elle a grandi dans une grande fratrie puis, par la suite, du fait de ses choix de vie, sa mère a vécu entourée… en communauté. Jusqu’à ce que la maladie prenne le dessus. Delphine De Vigan plonge dans les écrits que sa mère a laissés mais elle replonge aussi dans ses propres journaux intimes qu’elle a tenu pendant toute son adolescence. Elle est allée questionner ses oncles et tantes, son père, ses grands-parents, les amis de sa mère, sa sœur, ses cousins… Elle croise tous ces témoignages et tente de rassembler les pièces du puzzle pour comprendre les raisons qui ont amené sa mère à se réfugier dans la maladie et l’incapacité de cette dernière à prendre le dessus.

Parentalisée très jeune, abusée, noyée dans la masse de la fratrie, séduite par l’alcool et la drogue… autant de morceaux d’une vie cassée. Jusqu’à la chute, la folie, la bipolarité, les lubies et les phobies. Une mère dépassée, déboussolée mais surtout une femme qui a vécu toute sa vie sur un fil, en proie au moindre coup de vent qui provoquera la rechute.

Un livre où l’intime est dévoilé, où la douleur tisse un fil rouge qui relie chaque période de la vie. Un livre écrit avec une chanson d’Higelin en tête et qui lui vaudra finalement son titre… rien ne s’oppose à la nuit… un livre pour pardonner, écrire pour s’approprier le deuil. Entre le passé de sa mère et sa propre histoire, Delphine de Vigan parle aussi de son rapport à l’écriture.

Magnifique. La suite (« D’après une histoire vraie« ) m’attend.

 

Bukowski © Grasset – 1981

Charles Bukowski a écrit « Women » à la fin des années 1970. Au rythme d’un roman par an (parfois deux), il se penche une nouvelle fois sur son rapport à l’écriture, son gout prononcé pour l’alcool, les femmes, la débauche… Son aversion pour les autres, les conventions, …

Il se met en abîme, se montre sous son meilleur jour par l’intermédiaire de son double de papier, le taciturne Henry Chinaski.

« Chinaski ne quitte son lit que pour faire une lecture de poésie – d’où il revient généralement avec un chèque (pour le loyer, l’alcool, le téléphone) et une femme (pour le lit) » (…). Ici, profitant honteusement de sa notoriété, de son charme et de sa grosse bedaine blanche de buveur de bière, Chinaski/Bukowski fait des ravages dans les rangs du sexe opposé. Ici, aussi, les femmes font craquer Bukowski » (extrait quatrième de couverture).

Quelques longueurs pour moi où l’on retrouve les thèmes de prédilection de l’auteur : l’alcool, sa relation chaotique aux femmes, les jeux (paris sur les courses hippiques), l’écriture de ses textes, les séances de lecture de ses poèmes dans des lieux publics. J’ai eu beaucoup de mal à terminer ce recueil.

 

Vargas © Flammarion – 2015

Le Commissaire Jean-Baptiste Adamsberg est appelé par un de ses confrères pour venir observer l’appartement d’une vieille dame qui se serait suicidée. L’activité de la brigade des homicides étant calme, Adamsberg demande à Danglard, son lieutenant, de l’accompagner. Le corps de la morte git dans la baignoire et l’absence de lettre d’adieu interroge les enquêteurs tout autant que l’étrange inscription qu’elle aurait dessinée sur le meuble de la salle-de-bain. Arrivés sur place, Adamsberg et Danglard observent, supposent et ouvrent déjà de nouvelles hypothèses.

Quelques jours plus tard, dans l’appartement d’un autre suicidé, Adamsberg et Danglard retrouvent le même signe inscrit à la hâte sur une plinthe de son salon. Peu à peu, des similitudes apparaissent entre ces deux enquêtes, des nouveaux cas de suicidés et d’autres dossiers plus anciens. Elles vont conduire Adamsberg et son co-équipier sur les bancs d’une association qui fait revivre Robespierre et les événements de la Révolution française ainsi qu’un mystérieux voyage en Islande, une expédition vieille de plusieurs décennies.

Pour cette huitième enquête du Commissaire Adamsberg (les sept précédentes sont également sur le blog), Fred Vargas reprend les mêmes ingrédients, les mêmes personnalités qu’elle continue de développer, le même goût prononcé pour le suspense, le même humour qui permet de décaler les tensions en douceur. Ma fascination et ma sympathie pour le personnage principal est bel et bien là et j’ai un réel plaisir à lire chaque nouvel opus de l’univers Adamsberg. J’ai beau être maintenant familiarisée avec l’écriture de Fred Vargas, je me laisse à chaque fois surprendre par les rebondissements narratifs et je suis toujours étonnée au moment du dénouement.

Cette année, le neuvième roman de cette saga est sorti. Intitulé « Quand sort la recluse », il est d’ores et déjà dans ma PAL et fera sans aucun doute partie de mes lectures de l’été prochain.

 

Ferrante © Gallimard – 2016

« Olga, trente-huit ans, un mari, deux enfants. Un bel appartement à Turin, une vie faite de certitudes conjugales et de petits rituels. Quinze ans de mariage. Un après-midi d’avril, une phrase met en pièces son existence. L’homme avec qui elle voulait vieillir est devenu l’homme qui ne veut plus d’elle. Le roman d’Elena Ferrante nous embarque pour un voyage aux frontières de la folie » (synopsis éditeur).

Olga m’a fait penser à Elena, l’héroïne de « L’Amie prodigieuse » (chroniques sur ce blog) qui fait l’actualité littéraire d’Elena Ferrante (vivement le quatrième et dernier tome qui devrait sortir en début d’année 2018).

Olga m’a fait penser à Elena… en plus agaçante, en plus pathétique, en plus déprimante… en pire.

Olga m’a rapidement été antipathique et j’en suis même venue à me dire que sa séparation conjugale est méritée. C’est même surprenant que ce genre de femme ait trouvé chaussure à son pied du côté affectif.

Olga n’est pas allé jusqu’à provoquer chez moi une crise d’urticaire mais j’ai rapidement soufflé, râlé d’être si têtue dans mon obstination à terminer ce roman. Et puis zou, il a volé alors que j’étais en plein milieu d’une page, même pas capable de terminer le chapitre en cours.

Le titre du roman était prémonitoire. J’ai abandonné Olga à ses angoisses, à ses manies, à ses lubies et je suis loin de regretter ce choix.

Chroniks Expresss #30

Petit debriefing des livres lus en janvier et non chroniqués.

Bandes dessinées & Albums : Le Mari de mon frère, tome 1 (G. Tagame ; Ed. Akata, 2016), Cruelle (F. Dupré La Tour ; Ed. Dargaud, 2016).

Jeunesse : Le Journal de Gurty, tomes 1 et 2 (B. Santini ; Ed. Sarbacane, 2015 et 2016).

Romans : La Patience des Buffles sous la pluie (D. Thomas ; Ed. Le Livre de poche, 2012), Bettý (A. Indridason ; Ed. Points, 2012), A l’origine notre père obscur (K. Harchi ; Ed. Actes sud, 2014), Le Rire du grand Blessé (C. Coulon ; Ed. Point, 2015).

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Bandes dessinées

 

Tagame © Akata - 2016
Tagame © Akata – 2016

Yaichi élève seul sa petite fille Kana. Père et fille ont pris leurs habitudes jusqu’au jour où Mike, le mari du frère jumeau de Yaichi, sonne à leur porte. Affecté par le décès de son compagnon, Mike souhaite découvrir le Japon. C’est donc tout naturellement que le canadien se présente à la porte de Yaichi. Ce dernier, mal à l’aise face à la question de l’homosexualité, va aller de surprise en surprise.

Gengoroh Tagame s’intéresse au sujet de l’homosexualité de façon à la fois ludique et constructive. Le trio de personnages fonctionne bien : le personnage principal se montre dans un premier temps assez peu enclin à accepter son beau-frère sous son toit ; il reconnaît vite qu’il n’a jamais pris le temps de réfléchir à la question de l’homosexualité et que ses représentations sur le sujet l’incitent à se méfier. La fillette en revanche n’a aucun apriori et la gentillesse du nouveau venu lui suffit. Enfin pour Mike, le conjoint canadien, c’est sans hésitation qu’il se présente chez le frère de son mari, sans même avoir projeté que sa présence puisse être source de gêne. L’ambiance de ce manga est agréable et si l’auteur s’appuie sur les idées préconçues pour déplier son récit, il sait rapidement montrer qu’elles n’ont pas lieu d’être. Il montre quelle a été la lente évolution des mentalités à l’égard des couples homosexuels et si nombreux pays reconnaissent aujourd’hui le mariage gay, rappelons que ce n’est pas encore le cas au Japon.

PictoOKJe suis certaine que si Jérôme ne m’avait pas offert ce tome, je ne m’y serais pas lancée. Merci pour la découverte Monsieur (… il faut effectivement que je me tourne davantage vers les mangas  ^^)

 

Dupré La Tour © Dargaud - 2016
Dupré La Tour © Dargaud – 2016

Elle a 26 ans. Alors qu’elle est à l’hôpital et qu’elle s’occupe en regardant un documentaire animalier, Florence Dupré La Tour reçoit un appel de sa mère. Les propos de cette dernière sur son rapport aux animaux la font réfléchir. Sa dernière journée à l’hôpital va être l’occasion de bien des réflexions.

Elle repense à la manière dont elle a traité ses animaux de compagnie quand elle était petite. Qu’ils soient cochon d’Inde, lapin, poule, oie… elle est fascinée par ces bêtes à poils et à plumes, surtout quand elles souffrent. Ses premiers animaux sont morts de manière brutale, avec ou sans l’aide de leur jeune propriétaire et, jusqu’à la fin de l’adolescence, elle ressent une étrange et excitante sensation lorsqu’elle observe des animaux morts ou en train d’agoniser. Sur son lit d’hôpital, la jeune adulte fait le point, scrute son rapport au monde, son rapport aux autres. Une question de personnalité, d’identité.

Etrange album qui propose un récit saccadé – et focalisé sur le rapport qu’elle entretient avec les animaux – de l’enfance de l’auteure. L’empilement d’éléments donne parfois la nausée d’autant qu’on a parfois l’impression que rien ne fait lien, rien ne fait trace de ce qu’elle a pu apprendre. Heureusement, l’humour pointe dans ce cynisme, soulage quelque peu la lourdeur narrative et donne un peu de profondeur. A mesure que l’on avance dans la lecture, on se demande ce que l’auteur souhaite tirer de ces anecdotes. J’ai plusieurs fois hésité à abandonner cet album, ce scénario m’a laissé dubitative jusqu’à la dernière minute. Et là, à la dernière page, le dénouement donne du sens à tout ce qu’on vient de lire, à ce questionnement de l’auteur. Mais c’est long pour trouver la satisfaction (pour info, l’ouvrage fait un peu plus de 200 pages).

PictomouiCurieuse d’avoir les retours de ceux qui se seront laissés tenter pour le reste, ce n’est pas un album que je vais avoir envie de faire découvrir.

La chronique de LaSardine.

 

Jeunesse

 

Santini © Sarbacane – 2015
Santini © Sarbacane – 2015

Santini © Sarbacane – 2016
Santini © Sarbacane – 2016

Gurty est une jeune chienne énergique, malicieuse, un brin naïve et débordante d’amouuur. Elle se raconte dans un journal et c’est l’occasion pour le lecteur (petit ou grand) de la suivre pendant ses vacances d’été (tome 1) et d’hiver (tome 2). Direction La Provence !

« En arrivant dans notre cabanon provençal, j’étais si excitée que je faisais des petits bonds, comme quand j’ai des vers. Le vestibule sentait toujours le fenouil, le salon toujours le thym, la cuisine toujours l’andouille et mon panier toujours le chien. »

Elle raconte son humain, Gaspard, maître fidèle, attentionné mais parfois un peu déroutant (surtout quand il refuse de céder à ses caprices). Elle raconte Fleur, sa copine bizarre qui fait « Ui ». Puis Tête-de-Fesse, le chat puant qu’elle adore détester. Il y a aussi l’écureuil qui fait « hi hi » et qu’elle rêve de croquer.

PictoOKC’est loufoque, déjanté. La vie vue par un chien. Des jeux de mots, de bons mots. Fous rires garantis et coup de cœur annoncé.

Je remercie m’dame Framboise pour ce fameux présent !!

 

Romans

 

Thomas © Le Livre de Poche - 2012
Thomas © Le Livre de Poche – 2012

Un petit peu de lui, un petit peu d’elle, « La Patience des buffles sous la pluie » est un recueil de 70 nouvelles qui donnent à la parole aux petits riens qui font le sel du quotidien. Sentiments, infidélité, désir, hésitation… les couples valsent pour nous, les couples se font et se défont, le petit grain de sable qui gripper la machine est sous nos yeux.

PictoOKC’est drôle, triste, pathétique. On passe un très bon moment avec ce roman.

A lire du même auteur : « On va pas se raconter d’histoire »

Les chroniques de Jérôme et de Noukette (merci pour la découverte !)

 

Indridason © Points - 2012
Indridason © Points – 2012

Cela fait déjà plusieurs jours que la détention provisoire se prolonge. La passivité crée de la tension. Une tension qui fait remonter les souvenirs en mémoire et permet de prendre du recul sur ce qui s’est réellement passé, cet enchaînement d’événements qui ont amené à l’inévitable situation. Le point de non-retour a été franchi. Mais quelle est sa part de responsabilité dans ce qui s’est produit ? Etait-il possible d’éviter tout cela ?

Après avoir suivi des études de Droit aux Etats-Unis, après une spécialisation, c’est le retour en Islande. Création d’un cabinet d’avocat indépendant, l’activité balbutie durant plusieurs mois. jusqu’à ce que Bettý fasse irruption dans sa vie et lui propose un contrat de travail alléchant, intéressant… enrichissant à plus d’un titre. Pourquoi ne pas avoir prêté attention aux bizarreries dans le discours de Bettý… et pourquoi ne s’être écarté du danger ? Pourquoi ? Cette question revient de façon lancinante. Quand les choses se sont-elles mises à déraper ? Les dés étaient-ils pipés d’avance ? Bettý avait-elle déjà ces desseins lugubres en tête lors de leur première rencontre ? Dans sa cellule, l’avocat repense à tout cela et tente de reconstituer le puzzle.

Je n’ai jamais aussi bien connu une femme et pourtant, aucune ne m’a été aussi étrangère. Elle a été pour moi comme un livre ouvert et en même temps une énigme absolument indéchiffrable.

Délicieuse introspection que nous livre Arnaldur Indridason. Tout repose sur le fait que le lecteur méconnaît les faits. En revanche, on comprend très vite quelle est l’issue tragique après quelques hésitations vite balayées quant à l’identité de la victime. Puis le récit s’installe, la mayonnaise prend vite (de celle à aiguiser la curiosité du lecteur), jusqu’à ce chapitre central où tout bascule, où il est nécessaire de se resituer par rapport au narrateur, de balayer certaines suppositions et d’en envisager de nouvelles. Et de reprendre quelques passages pour trouver ce que l’on aurait rater… et de sentir une furieuse envie de lire la suite pour savoir ce qui s’est réellement passé. « Pourquoi pourquoi pourquoi ? » se demande le lecteur… qui fait écho aux questionnements du narrateur.

L’intérêt de ce polar tient à la tension psychologique qui y règne et à tout un flot de non-dits. On se concentre davantage sur la relation adultère du narrateur et de cette attirante et mystérieuse Bettý. Les suppositions vont bon train, l’imagination carbure à plein, « ça sent le cadavre » comme dirait Kikine avec qui j’ai fait cette lecture commune. On a décortiqué l’ouvrage à mesure que l’on avançait dans la lecture.

PictoOKJ’ai aussi pensé à « De nos frères blessés » pendant la lecture. Le récit se construit de la même manière, sur deux chronologies différentes : celle d’une relation amoureuse et celle d’une détention.

Succulent !

La fiche de présentation de l’ouvrage sur le site de l’éditeur.

 

Harchi © Actes Sud - 2014
Harchi © Actes Sud – 2014

« Enfermée depuis toujours dans la “maison des femmes” – où maris, frères et pères mettent à l’isolement épouses, sœurs et filles coupables, ou soupçonnées, d’avoir failli à la loi patriarcale –, une enfant a grandi en témoin impuissant de l’aliénation de sa mère et en victime de son désamour. Le jour où elle parvient à s’échapper, la jeune fille aspire à rejoindre enfin son père dont elle a rêvé en secret sa vie durant. Mais dans la pénombre de la demeure paternelle la guette un nouveau cauchemar d’oppression et de folie.

Entre cris et chuchotements, de portes closes en périlleux silences, Kaoutar Harchi écrit à l’encre de la tragédie et de la compassion la fable cruelle de qui tente de s’inventer, loin des clôtures disciplinaires érigées par le groupe, un ailleurs de lumière. » (synopsis éditeur).

Une voix intérieure, celle d’une adolescente blessée qui aspire à recevoir des preuves d’amour de sa mère. Cette dernière erre, le regard hagard, dans les pièces d’une maison où vivent d’autres femmes qui, comme elles, ont été chassées de la maison de leur mari ou de leurs proches. Une punition dont la raison leur échappe. Victime du qu’en-dira-t-on. Kaoutar Harchi trouve son inspiration dans des coutumes d’un autre temps. Des femmes placées dans une maison de femmes. Libres de partir, les portes ne sont pas fermées à clé, elles font pourtant le choix de rester. Elles sont toutes geôlières. Elles sont toutes victimes. Et dans cet huis-clos aliénant, une adolescente tente de se construire, tente de trouver sa place, tente de comprendre les codes de cette société qu’elle ne connait pas et qui, elle le sait, rend les femmes tristes. Un combat qu’elle mène en se raccrochant à des chimères. Une lutte pour sa survie. Et ces hommes, ces pères, ce Père, pourquoi refuse-t-il son amour à sa femme ?

PictoOKOn sombre avec cette jeune narratrice. On peine à reprendre notre souffle. On veille à tourner les pages silencieusement pour ne pas la blesser davantage. Superbe.

Les chroniques : Noukette, Leiloona, Stephie, Jostein, Nadael.

 

Coulon © Points – 2015
Coulon © Points – 2015

Il est jeune et analphabète. Il vient de la campagne et a toujours travaillé à la ferme de ses parents. Il n’a pas d’avenir si ce n’est de reprendre l’exploitation parentale agonisante.

Un jour, il se rend à la ville. Il a un entretien avec un Tuteur chargé de lui faire passer des tests et de s’assurer, surtout, qu’il ne sait pas lire et qu’il ne sait pas écrire. Cet anonyme passe les premières épreuves de sélection haut la main. Il signe le contrat. Pour devenir Agent, il doit renoncer à tout, à commencer par le fait de ne pas revoir sa famille. Il doit aussi promettre de ne jamais apprendre à lire et à écrire.

Il devient 1075. Dès lors, il vit dans le luxe. Dès lors il a une place dans la société. On le respecte, on le craint. Il est brillant, il est déterminé, il est compétent. Il est un des maillons de cette société orchestrée par le Grand.

PictoOKUne dystopie fascinante que nous livre Cécile Coulon, auteure que je découvre par le biais de ce roman. J’ai été fascinée par l’univers, fascinée par cette écriture si fluide, par la facilité avec laquelle les éléments s’emboîtent pour former un tout cohérent, par ce ton détaché qui nous accompagne durant la lecture, ce ton si dur qui nous fait pourtant nous coller au personnage. J’étais avide de savoir la suite, de connaître son parcours, de m’installer toujours plus encore dans cette société régie et dirigée par le livre, par les mots, la manière dont ils sont employés pour diriger la pensée collective, soigner les maux, prévenir les déviances. Et ce dénouement sublime qui rend hommage au roman de Daniel Keyes !

Merci Noukette !! (ben oui encore… je sais 😛 )

Les chroniques : Noukette, Valérie, Noctenbule, Antigone.

Poissons en eaux troubles (Katsumata)

Katsumata © Le Lézard noir – 2013
Katsumata © Le Lézard noir – 2013

Une dizaine de nouvelles ont été choisies pour construire ce recueil. Réalisées à différentes périodes de la vie de Susumu Katsumata, elles s’organisent autour de trois grands thèmes récurrents dans la production artistique du mangaka.

Si la radioactivité avait des couleurs, je serais complètement variolé

« Les Invisibles du nucléaire » et « Devil Fish (La Pieuvre) » se déroulent dans une centrale nucléaire. Ces deux récits montrent le quotidien des ouvriers du nucléaire. Parmi eux, des travailleurs que l’on nomme « les gitans du nucléaire » ; ces hommes – corvéables à souhait – sont payés une misère. Ils interviennent en intérim de centrale nucléaire en centrale nucléaire afin d’effectuer les tâches de maintenance à haut risque (le nettoyage des cuves et le traitement des déchets toxiques font parties des tâches qui leur sont confiées). Pour tous ces ouvriers, la tension est permanente, la conscience du risque est omniprésente. Ils subissent des conditions de travail que l’on ne souhaite à personne : avoir la boule au ventre en arrivant au travail, supporter la chaleur suffocante de la combinaison de protection, avoir peur pour sa vie, épier avec inquiétude les informations transmises par le dosimètre… Lorsque ce dernier crépite, c’est pour signaler une exposition dangereuse aux radiations. L’ouvrier concerné doit alors faire vite sortir du périmètre d’intervention où il a été affecté, passer rapidement les différents sas, ôter rapidement son uniforme de travail (désormais contaminé) et enfin se laver et se frotter énergiquement afin d’éliminer toutes les particules radioactives collées à son corps. Son rythme cardiaque ne retrouve la normale que si le dernier contrôle lui confirme qu’il n’a plus de particules radioactives sur lui. Il s’agit de mettre à profit la soirée pour décompresser car le lendemain matin, l’ouvrier reprend son poste avec en tête la même angoisse que celle de la veille. Entre collègues, les discussions vont bon train. La mort revient dans chaque sujet de conversation (le cancer de l’un, l’eczéma de l’autre, la perte précoce des cheveux d’un troisième). Le cynisme et l’auto-dérision sont parfois les seuls moyens pour tenter de dompter sa peur.

Il y en a qui meurent du jour au lendemain. Ils ont de l’eczéma qui apparaît sur tout le corps, comme des pétales de fleurs de cerisiers

Viennent ensuite quatre nouvelles qui mettent en scène des créatures imaginaires. Elles sont nombreuses dans les superstitions japonaises (pour ceux qui l’ont lu, cela pourrait être comparé au récit que Shigeru Mizuki avait développé avec les yokai dans « NonNonBâ »). Susumu Katsumata fascine le lecteur avec des kappas (« créatures imaginaires issues des contes populaires japonais ») et un tanuki (« ou chien viverrin, est un animal très populaire dans le folklore japonais. On lui prête des pouvoirs magiques, comme celui de se transformer en être humain »). Les récits se déroulent dans un Japon des années 1950-1960, époque à laquelle les japonais se détachent lentement des traditions. Les légendes populaires et les superstitions laissent place au modernisme et à l’industrialisation. C’est une société en pleine transition culturelle qui est présentée ici.

Les dernières nouvelles sont plus personnelles. Dans les textes insérés en fin d’album, on en mesure tout le poids symbolique. L’auteur – qui n’a jamais connu son père et qui a perdu sa mère alors qu’il avait six ans – essaie d’imaginer ce que sont une mère et une famille alors qu’il n’en a que très peu de souvenirs. Cette partie de l’album est parfois complexe à comprendre car les récits se construisent à l’aide d’associations d’idées. De fait, on peut facilement perdre le fil durant la lecture.

PictoOKDans l’ensemble et quelque soit le thème abordé, on remarque vite que l’auteur donne une importance particulière au cadrage. La structure des planches est très harmonieuse. Sur chaque page, des cases très épurées côtoient des cases plus chargées. Susumu Katsumata trouve toujours le bon équilibre, ni trop de noir, ni trop de blanc. Un peu d’ombre, un peu de lumière, le lecteur n’est jamais oppressé et peut profiter pleinement des reflets de la lune sur une étendue d’eau, d’un arc-en-ciel qui se forme après une ondée. Des détails abondent dans chaque illustration, que ce soit sur les scènes en intérieur comme en extérieur. Le dessin très expressif, et d’une grande lisibilité, guide le lecteur dans l’exploration de cet univers d’auteur. Très bel album.

la-bd-de-la-semaine-150x150Un petit tour chez Stephie si vous souhaitez d’autres idées de lecture.

Poissons en eaux troubles

One shot

Editeur : Le Lézard Noir

Dessinateur / Scénariste : Susumu KATSUMATA

Traducteur : Miyako SLOCOMBE

Dépôt légal : avril 2013

224 pages, 22 euros, ISBN : 9782-35348-0487

Bulles bulles bulles…

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Poissons en eaux troubles – Katsumata © Le Lézard noir – 2013

Goggles (Toyoda)

Toyoda © Ki-oon – 2013
Toyoda © Ki-oon – 2013

Cet ouvrage est un recueil de six nouvelles pré-publiées entre 2003 et 2012 dans les hebdomadaires japonais Afternoon et Hôsho gekkan. Un jeune chômeur superstitieux qui rencontre le Dieu de la misère, un détective privé chargé de retrouver un être cher, un jeune économiste affectée à une enquête culinaire… les situations sont éclectiques.

L’auteur, Tetsuya Toyoda, est connu en France depuis la publication d’Undercurrent. Il n’y a pas d’orientation précise dans le choix des nouvelles qu’il a retenues pour Goggles. On y retrouve les protagonistes d’Undercurrent le temps d’une historiette de deux pages intitulée Nouvelles acquisitions à la bouquinerie Tsukinoya ; l’auteur devait répondre à un cahier des charges précis (un récit développant le thème des librairies d’occasion), il a donc imaginé ce que feraient les personnages d’Undercurrent s’ils étaient devenus disquaire et bouquiniste.

Cet ouvrage  d’un peu plus de 220 pages développe des personnages d’une grande sensibilité et d’un altruisme certains. Le lecteur s’y attache facilement, les intrigues sont si bien menées que l’on se prend rapidement au jeu de chaque histoire. La difficulté sera de gérer la frustration de ne pas voir les univers plus étoffés qu’ils ne le sont mais c’est là un reproche récurrent que je formule à l’égard des recueils de nouvelles (mon avis sera donc à modérer). Toutes ces histoires explorent une palette plus ou moins larges de sentiments et d’émotions mais, pour le lecteur, chaque récit est l’occasion du passer du rire aux larmes en quelques cases. On remarquera également l’attention systématique dont fait preuve Tetsuya Toyoda quant à la psychologie des personnages. Des personnalités agréables, cohérentes et que l’on se représente assez rapidement.

Toyoda © Ki-oon – 2013
Toyoda © Ki-oon – 2013

Parmi toutes ces histoires, Goggles est la plus conséquente. Initialement, c’était un récit que l’auteur souhaitait voir aboutir mais les autres projets éditoriaux l’ont peu à peu éloigné de cet objectif. On perçoit malgré tout qu’il a déjà investi les différents protagonistes de cet univers et qu’il en avait imaginé quelques ramifications. D’ailleurs, une autre nouvelle de ce recueil – Aller voir la mer – reprend la fillette de Goggles et nous permet de vivre avec elle une journée qu’elle passe en compagnie de son grand-père.

L’intérêt de cet ouvrage tient également à la présence d’une postface en fin d’album. Rédigée par l’auteur, il reprend point par point chaque récit présent dans Goggles. Ce texte, écrit à l’occasion de cette publication, lui permet de commenter avec recul les différents travaux qu’il a sélectionnés. Certains ayant été rédigés il y a plus de 10 ans, voire 20 ans, il est amusant d’apprendre que l’auteur est incapable de retrouver une explication logique à la présence de tel ou tel élément (un titre, un personnage…). La présence d’anecdotes autour de la réalisation de ces différents récits épice le propos : un passage trouve son origine dans un fait réel (vécu ou entendu), son refus de retirer une scène malgré la demande d’un éditeur. Tetsuya Toyoda est un critique acerbe et amusé à l’égard de ses travaux. Il se reproche notamment d’avoir donné la même apparence à deux personnages issus d’univers différent ou s’étonne : « en regardant ces planches pour la première fois depuis longtemps, j’ai été surpris de voir que le dessin était plus détaillé que dans mes souvenirs ».

Les genres se succèdent, on passe ainsi du polar à la classique tranche de vie, une pointe de fantastique sur la première histoire vient créer une atmosphère fantasque très appréciable. On ne pourra que s’attendrir pour la petite Hiroko, le personnage principal de Goggles, dont la posture stoïque surprend autant qu’elle n’intrigue le lecteur.

PictoOKEn somme, beaucoup de richesse dans cet ouvrage qui cumule les fins ouvertes, laissant le lecteur libre de faire toutes sortes de supposition aussi optimistes que tragiques. L’auteur y traite de différents sujets de société et notamment des conséquences de la bulle financière survenue au Japon à la fin des années 1980. On imagine aisément que cette question a animé les conversations des japonais pendant de nombreuses années et mis à mal bon nombre de ménage en faisant brutalement chuter leur train de vie. Il sera également question de superstitions, d’amitié, de maltraitance, d’idéaux.

Peu adepte de ce genre de recueils, il est clair que sans l’invitation de Choco et de L’Encreuse à faire lecture commune, je ne me serais pas lancée dans la rédaction d’un article aussi étoffé pour partager avec vous cette lecture.

Je vous invite à lire les chroniques de mes compagnes littéraires chez Choco et chez L’Encreuse.

Du côté des challenges :

Petit Bac 2013 / Objet : goggles

Petit Bac 2013
Petit Bac 2013

Goggles

One shot

Editeur : Ki-oon

Collection : Latitudes

Dessinateur / Scénariste : Tetsuya TOYODA

Dépôt légal : octobre 2013

ISBN : 978-2-35592-582-5

Bulles bulles bulles…

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Goggles – Toyoda © Ki-oon – 2013