A crier dans les ruines (Koszelyk)

Aujourd’hui avec ma copine Noukette on vous raconte le premier roman d’Alexandra : « À crier dans les ruines »

Koszelyk © Aux Forges du Vulcain – 2019

« Quand Léna arrive à Kiev, elle ne s’attend à rien ou plutôt à tout. Des odeurs de son enfance, la musique de sa langue natale, les dernières images avant son exil. Mais de fines particules assombrissent les lumières de la ville, la grisaille embrume ses souvenirs. Des silhouettes la frôlent et semblent appartenir à un autre temps. »

C’est l’histoire de Léna et d’Ivan. De Léna surtout. Elle est née à Pripiat en Ukraine. Ses parents sont des scientifiques au service de la Centrale. Léna a grandi tout contre Ivan. Son ami, son amour. Son âme sœur. « C’était bien plus qu’une amitié : un univers entier leur tendait les bras. » Le 26 avril 1986, Léna et Ivan ont 13 ans. Cette nuit-là, c’est le chaos. « Une nouvelle Apocalypse sur terre. » Tchernobyl. Tous les habitants doivent quitter les lieux. « Tous ces gens en déroute, les yeux effrayés par ce mal invisible. Il leur fallait abandonner tout ce qui hier constituait leur vie. Aucune photo, aucun vêtement, aucun objet. Tout sera brûlé ou laissé en l’état. Pillé par la suite. Le mal devait restait sur ses terres meurtries. Chaque personne plongerait dans l’inacceptable à pas mesurés. Un déracinement forcé… » Pour Léna, comme pour Ivan, ce sera l’exil. Surtout, ce sera la séparation. La déchirure. Il faudra appendre à vivre avec l’absence. Pour Léna, ce sera en France. Avec ses parents. Et sa grand-mère formidable : Zenka (je l’ai adoré !). Vingt ans après, Lena fera le chemin inverse. Elle reviendra. Pour essayer de retrouver « les couleurs de son enfance, sa douceur aussi. » Ce sera le choc. « Sa terre est devenue une simple attraction touristique. Sa ville natale est un cimetière dont le sol subit chaque jour les semelles des touristes. Ils écrasent une terre irradiée, calcinée par le feu. »

Cette histoire est infiniment romanesque. L’écriture est travaillée. Belle souvent. C’est un roman qui a la fragilité et la force des premiers textes, et cela lui confère une grâce particulière, ou disons que ça le rend encore plus sensible et beau, sans aucun doute. Et je dois dire que je suis bien heureuse de ce rêve d’écriture accompli par Alexandra et qui laisse présager d’autres histoires (je croise je croise !)

 

Extraits 

« Zenka pleura silencieusement sa terre meurtrie qu’elle délaissait à l’heure où les corps ne voyagent plus. A jamais une étrangère de son pays qu’elle quitte. Sa vie bien entamée devait trouver une embarcation sur laquelle se fixer. Il ne lui restait alors que cette femme en devenir, sa fragile Léna, calée  tout contre elle : une ingénue aux bras encore blancs d’innocence. Elle, elle n’était plus qu’une Vénus de Milo aux bras arrachés. Sa petite-fille deviendrait sa proue, sa poupe et son ancre. »

« Là-bas, dans l’écrin de ce jardin, elle oubliait le silence de ses parents. Le jardin de terre ensevelissait la souffrance de son âme renversée par l’exil. Le frémissement des feuilles, le cache-cache avec le soleil, les troupes de fourmis en colonne, toute la nature entourait Léna de son terreau florissant. Le monde pouvait accueillir dans ses bras la jeune fille solitaire. Ici aussi se vivaient des drames, des cataclysmes, dans l’indifférence générale des visiteurs : des fourmilières écrasées, des essaims décimés, des vies fauchées par des toiles d’araignées. »

« Plus elle lisait, plus elle devenait française. Les ballades de Léna prirent une nouvelle saveur. Brique après brique, elle se construisit un refuge fait de légendes et de monstres pérennes. Ils étaient pour elle l’aiguille magnétisée de la boussole. »

 

« Carnet de bord d’Ivan, 29 juin 1992

« Il est des images qu’on garde à l’abri, dans le creux de nos cicatrices. Elles possèdent le goût de la glaise fraîchement retournée et le bruit de la pelle qui heurte des cailloux. Ce soir, avec mon père, nous sommes revenus chez nous, dans notre jardin. Aucun oiseau pour accompagner notre cortège, aucun chien pour nous suivre à la trace. »

Pour retrouver le billet de Noukette c’est par là : (hop lien sur son billet )

Merci chouchou pour le cadeau chéri ❤

Ce roman fait partie de la sélection des 68 premières fois (les premiers romans de la rentrée de septembre 2019, à retrouver ici : https://68premieresfois.wordpress.com/ )

À crier dans les ruines, Alexandra Koszelyk, Aux Forges du Vulcain, 2019

Chroniks Expresss #22

Je liquide quelques brouillons d’article qui ne verront jamais le jour. Souvent, j’ai pris trop de temps pour finaliser mon écrit et la lecture s’est déjà échappée… Je n’ai aucun regret si ce n’est pour l’ouvrage de Lola Lafon auquel j’aurai aimé rendre un meilleur hommage car il n’a pas sa place dans cette courte liste d’ouvrages.

Voici donc un petit bilan de quelques lectures faites çà et là :

BD : En descendant le fleuve et autres histoires (Gipi ; Ed. Futuropolis, 2015), Charly 9 (J. Teulé & R. Guérineau ; Ed. Delcourt, 2013), La Crise, quelle crise ? (Collectif ; Ed. de la Gouttière, 2013), Otto (F. de Decker ; Kramiek, 2014), Panthers in the Hole (D. Cénou ; La Boîte à bulles, 2014).

Romans : La petite Communiste qui ne souriait jamais (L. Lafon ; Ed. Actes Sud, 2014), Mama Black Widow (I. Slim ; Editions Points, 2012), Exploration sur le terrain du sexe ukrainien (O. Zaboujko ; Intervalles, 2015).

 

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Bandes dessinées

Gipi © Futuropolis – 2015
Gipi © Futuropolis – 2015

« Confrontés à la beauté sauvage de la nature comme de la ville, les personnages de Gipi, le plus souvent adolescents, sont en quête d’eux-mêmes. Publiés pour la première fois en volume, ces douze récits sont autant de fulgurances de la vie bien dessinée de l’auteur. Gipi accompagne le sillon de nos vies, travaille le motif de la mémoire et du passage d’un âge à l’autre, ses thèmes favoris que, de titres en titres il file, tissant ainsi le motif universel du temps qui passe… Chez Gipi, les hommes ont aussi le défi d’être heureux dans le présent mais le souvenir d’un drame est souvent plus fort. Trait simple et texte à l’os ; on se souvient longtemps de ses histoires de petits héros ordinaires… » (synopsis éditeur).

Un recueil de huit nouvelles.

La première nouvelle donne son nom à l’album. Deux hommes en canot, ils descendent la rivière jusqu’à la mer. Parcours difficile en raison des intempéries. La pénibilité de la tâche est compensée par le plaisir d’être ensemble et la beauté des paysages traversés. Beaucoup de silences et de respirations graphiques. D’une page à l’autre, le temps est laissé au temps, celui d’un voyage fluvial sans heurts et le travail d’illustration réalisé à l’aquarelle donne une impression de quiétude, une sorte d’harmonie entre l’homme et la nature, deux hommes parfaitement en accord d’ailleurs jusqu’à ce qu’ils décident de faire une halte dans une maison abandonnée. Au réveil, la tension accumulée par la nuit passée en ce lieu brise l’osmose entre eux, au point qu’ils ressentent le besoin de se séparer – le temps d’une journée – pour évacuer la tension accumulée durant la nuit. Solitude. Puis, les retrouvailles les conduisent dans un havre de paix que seules des sirènes fréquentent… métaphore. Voix-off, celle du journal intime, celle du témoignage, des mots que l’on couche sur le papier pour ne garder que pour soi. Aucun échange, seulement du narré sous le filtre de celui qui écrit. Un journal vivant, enrichit d’aquarelles réalisées lors du voyage. Un carnet de voyage.

Peu de récits se détachent du « lot » durant la lecture. Aucun fil rouge ne les relie excepté l’inspiration de l’auteur, ses errements silencieux, ses pensées… Des scénarios pas toujours construits, certains semblables à un premier jet qui mériterait d’être développé.

« C’était sûrement une idée pour une histoire. Un de ces trucs qui te rentrent dans la tête, tu sais pas pourquoi, mais qui ne partent plus »

Des notes sorties de carnets de croquis que l’auteur transporte sur lui en permanence. Des idées pour plus tard et puis des projets succèdent aux projets. Des histoires laissées en jachère que Gipi partage dans cet album patchwork. Croquis, aquarelles, pinceaux… tout y passe. Les souvenirs d’adolescence et de beuveries, les fictions à l’état pur, des sujets plus engagés comme celui des migrants, des univers oniriques. Le sexe, l’amitié, l’amour, le deuil… Autant de friches narratives que le lecteur peut ainsi découvrir. Un travail d’une rare sincérité que certains trouveront intéressants. Pour ma part, je n’ai pas accroché.

« Les dessins qui sont sur cette page ont été faits au stylo, ce même stylo avec lequel j’écris cette brève (inutile) note d’introduction. Ils ont été faits ces jours-ci. Mais l’histoire du boxeur, elle, est très vieille, elle date du siècle passé. Je me souviens bien de l’époque où je l’ai dessinée. C’était une sale période. J’étais dans la merde. Mon éditeur d’alors me téléphonait pour savoir comment avançait l’histoire et je répondais : “Bien.” La fin ? Énorme. Forte. Tout roule. »

 

Teulé – Guérineau © Guy Delcourt Productions - 2013
Teulé – Guérineau © Guy Delcourt Productions – 2013

« Charles IX fut de tous les rois de France l’un des plus calamiteux. À 22 ans, pour faire plaisir à sa mère, il ordonna le massacre de la Saint- Barthélemy qui épouvanta l’Europe entière. Abasourdi par l’énormité de son crime, il sombra dans la folie. Transpirant le sang par tous les pores de son pauvre corps décharné, Charles IX mourut à 23 ans, haï de tous… Pourtant, il avait un bon fond » (synopsis éditeur).

Adapté du roman éponyme de Jean Teulé, ce récit n’est pas une biographie de Charles IX mais une interprétation libre (dont la chronologie est cadrée par des faits réels) des deux dernières années de la vie du roi. Le récit commence à la veille du 24 août 1572, nuit funeste de la Saint-Barthélemy durant laquelle plus de deux mille protestants furent assassinés… La nouvelle du massacre se répand comme une trainée de poudre en France où d’autres meurtres seront commis (le nombre de protestants tués en Province est impressionnant). Le livre se referme sur les funérailles du roi.

Jean Teulé met en avant la personnalité de cet homme qui n’avait pas la carrure d’un roi. Un souverain plus disposé à promouvoir la culture qu’à parler de politique. Le scénario nous plonge dans les guerres de religions ; d’ailleurs, le ton est donné dès le début de l’album puisqu’il débute à la veille du massacre de la Saint-Barthélemy. On côtoie un monarque manipulé par sa mère (Catherine de Médicis), mis à mal par les prises de position de ses frères qui briguent son trône et insatisfait de son union avec Elisabeth d’Autriche.

Je ne sais pas si cette adaptation de Richard Guérineau est fidèle au roman éponyme de Jean Teulé. En revanche, je peux dire que j’ai trouvé le scénario laconique. Certes, il permet de suivre un fil narratif cohérent où l’on assiste à la lente descente aux enfers du personnage principal. Dès lors qu’il ordonne le massacre de la Saint-Barthélemy, il sera rongé par le remord et envahit par la folie (hallucinations visuelles, attitudes étranges, crises de colère…). Sa fascination pour la mort finit par le dévorer. L’auteur injecte régulièrement des anachronismes dans le récit ; celui qui m’a le plus marqué est certainement le passage dans lequel l’auteur montre que les conflits actuels (état islamique versus le reste du monde) ne sont en rien différents des guerres de religion de l’époque. La haine que se vouent les hommes en raisons de divergences de croyances religieuses est vieille comme le monde.

 

Collectif © La Gouttière – 2013
Collectif © La Gouttière – 2013

« Elle est là, parmi nous, depuis longtemps recyclée par toutes les idéologies, dans les éléments de langage des politiques, à la une des médias, omniprésente au café du coin. Mais c’est quoi cette crise ? La fin d’un système, le début d’un âge nouveau, un mal français, un spasme planétaire ?

Pour tenter de s’approcher d’elle, de la définir ou de s’en moquer, dix-huit auteurs de bande dessinée livrent leur regard, personnel et inévitablement impliqué, sur le monde qui nous entoure…

La Crise, quelle crise ?, ce sont dix histoires tournant autour de cette idée qu’il y aurait mille et une façons de vivre la crise, selon l’endroit où on se trouve, et donc mille et une façons d’en parler…

Dans chacune des histoires, l’un au moins des auteurs vit et travaille en Picardie. » (synopsis éditeur).

Dix nouvelles qui abordent sous différents angles un problème de société majeur et qui touche pêle-mêle à des sujets comme le chômage, la précarité, l’immigration, la spéculation, le capitalisme…

Tandis que les uns tentent difficilement de joindre les deux bouts, les autres jonglent avec les profits et cherchent à capitaliser davantage. Et si les plus précaires se débattent parfois vainement pour garder la tête hors de l’eau, les autres ont parfois conscience de leur chance et veillent à rester du bon côté de la « frontière » (et je ne parle pas là des privilégiés qui brassent l’argent comme on brasserait un tas de billes).

« La crise, quelle crise ? » permet de regarder les conséquences multiples de la crise. Ainsi, on va s’attendrir à la situation d’un père célibataire qui se laisse reconduire à la frontière avec son fils, laissant définitivement derrière lui ses illusions mais protégeant coûte que coûte les rêves d’enfant de son fils. On s’agace à la vue de ces jeunes traders qui ont décidément une vision tronquée du monde dans lequel ils vivent. Le matraquage médiatique continu qui passe sans transition des dégâts causés par un tsunami à la sortie du dernier Mario Bros, les images d’un enfant en train de mourir de faim ou celles du G20.

« Et au final, il ne restera rien d’autre que ma retraite de gérant de PME : plafonnée à 1200 euros net. Pas de stock option ou de parachute doré ici. On ne vit pas tous le même patronat »

L’ouvrage se referme sur un ultime récit, le plus remuant me concernant, qui imagine le déroulement d’un jeu télévisé des plus cyniques. Intitulée « Crisonomics », cette histoire réalisée par Philippe Thirault et Emem nous fait vivre une émission dans sa globalité. « Le jeu était un quiz sur la crise. Comme celles de la crise, les conséquences de Crazy Crisis n’étaient pas anodines. En cas d’échec, il y avait la sanction. Et elle était radicale. Mais même en cas de succès à une étape du jeu, il était impossible pour le candidat de s’arrêter. A chaque niveau réussi, une roue tournait et le hasard seul décidait ». Aussi malsain et aussi prenant que « Running man », des dérives médiatiques que l’on sait possible tant qu’il y aura des gens qui croiront encore à l’Eldorado providentiel… bien vu !

Auteurs : Alex-Imé, Noredine Allam, Emmanuel Baudry, Greg Blondin, Damien Cuvillier, Raoul Douglas, Emem, Fraco, Hardoc, Kris, Denis Lachaussée, Nicolas Lochon, Guillaume Magni, Luc Perdriset, Renard, Sylvain Savoïa, Philippe Thirault, Dominique Zay

De Decker © Kramiek – 2014
De Decker © Kramiek – 2014

J’ai remporté cet album l’année dernière via le Loto BD 2015 consacré aux albums muets (il était animé par Val). J’ai mis un temps certain à le lire et un peu hésité à en parler, ne voulant pas froisser la personne qui me l’a offert.

« Otto » est une série de Frodo De Decker qui a débuté en 2014 aux éditions Kramiek. C’est un recueil d’histoires courtes qui mettent en scène Otto – personnage principal relativement malchanceux. Le pauvre se retrouve dans des situations si incroyables qu’elles en perdent toute crédibilité et le degré d’humour employé est si lourds que les déboires d’Otto finissent par le rendre pathétique.

Quarante-huit pages durant nous assistons donc à une succession de gags. L’épopée ne souffre aucun temps mort de fait, nous manquons rapidement de souffle durant la lecture. Durant un bon tiers de l’album, de nouveaux personnages secondaires apparaissent, ce qui ajoute de la confusion à la confusion ambiante. Par la suite, on parvient à se familiariser avec chacun d’entre eux et l’on sera moins déstabilisé lorsqu’ils réapparaitront. L’état d’esprit de chaque protagoniste se résumerait à « chacun tente de tirer son épingle du jeu » car leur vie est souvent en jeu. En chemin, on rencontrera une baleine, un aigle, un pauvre singe, un capitaine d’arche (Noé ?), des extra-terrestres… et cette joyeuse clique va se croiser/se quitter/se tirer dans les pattes… en permanence. J’ai souffert…

Ça donne le tournis. Je ne comprends pas le but du jeu et je n’adhère pas à cet humour gras. De la découverte certes, mais je ne poursuivrais pas.

Cénou – Cénou © La Boîte à bulles – 2014
Cénou – Cénou © La Boîte à bulles – 2014

« Activistes et membres des Black Panthers, Robert Hillary King, Albert Woodfox et Herman Wallace se sont engagés pour la défense de leurs droits humains au sein même de leur centre de détention dit d’Angola, en Louisiane. Placés à l’isolement en 1972 après avoir été – a priori – injustement accusés du meurtre d’un gardien du pénitencier, le plus « chanceux » des trois, Robert King a été libéré en 2001. Herman Wallace aura, lui, peu profité de sa liberté puisqu’il est décédé le 4 octobre 2013, soit 3 jours à peine après sa remise en liberté. Quant à Albert Woodfox, il reste encore détenu…

Inspiré entre autres par le témoignage direct de Robert King (que les auteurs ont rencontré), Panthers in the hole reprend l’histoire de ces hommes pour en faire un récit poignant sur la ségrégation raciale aux États-Unis et sur l’inhumanité des conditions d’incarcération imposées à nombre de détenus, aux États-Unis… et ailleurs dans le monde » (synopsis éditeur).

Après avoir répondu à un appel à projet d’Amnesty International, David Cénou (Mirador – Tête de mort) se lance dans la réalisation graphique de cet album. Pour se faire, il collabore avec son frère, Bruno Cénou ; ce dernier se penche sur le scénario. Un premier tiers de l’album est dédié à la présentation des « trois d’Angola » : leur parcours jusqu’à leurs arrestations musclées et leur condamnation abusive. Chacun relate des conditions de détention extrême où l’on se demande par quel miracle ils n’ont pas sombré dans la folie. Le dessin charbonneux sert parfaitement le propos.

« Les trois d’Angola » se rencontrent en prison, lieu où ils se sensibiliseront au mouvement des Black Panthers… Les idéaux du mouvement vont être un fil rouge durant leur longue incarcération. Malgré les coups et les passages à tabac, ils n’hésiteront pas à militer pour dénoncer des règles carcérales abusives.

Un ouvrage didactique intéressant.

 

Romans

La petite communiste qui ne souriait jamais – Lafon © Actes Sud – 2014

Lafon © Actes Sud – 2014
Lafon © Actes Sud – 2014

« Retraçant le parcours d’une fée gymnaste qui, dans la Roumanie des années 1980 et sous les yeux émerveillés de la planète entière, mit à mal guerres froides, ordinateurs et records, ce roman dont la lecture politique n’épargne ni le bloc de l’Est ni la version falsifiée qu’en donnait à voir l’Occident délivre une passionnante méditation sur l’invention et l’impitoyable évaluation du corps féminin. » (synopsis éditeur)

Superbe ouvrage qui s’ouvre sur une note de l’auteure dans laquelle elle précise de façon explicite que le récit « ne prétend pas être une reconstitution historique précise de la vie de Nadia Comaneci. Lola Lafon réalise ici une libre interprétation de la vie de l’athlète, « l’échange entre la narratrice du roman et la gymnaste reste une fiction rêvée ». Une mise en garde nécessaire qui avertit donc le lecteur quant au contenu de ce qu’il va découvrir puis, la page se tourne, l’histoire commence et la magie opère. Le style de Lola Lafon est généreux en métaphores. Il emporte le lecteur dans le tourbillon des compétitions et brosse le portrait d’une fillette de 14 ans qui semble ne pas avoir conscience du danger. Il est enfin si proche du lecteur qu’il parvient à instaurer une forme de complicité entre le narrateur et le lecteur.

Elle jette la pesanteur par-dessus son épaule, son corps frêle se fait de la place dans l’atmosphère pour s’y lover

Le style de Lola Lafon transporte les sensations, l’émotion est à fleur de mots. Elle décrit l’évolution de l’héroïne et sa carrière de gymnaste qui a débuté en 1970 alors que l’enfant n’a que 8 ans. Les entrainements intensifs qui visent à repousser sans cesse les limites du corps au-delà de ce qui est entendable/réalisable. L’ouvrage revient régulièrement sur cette obsession à sculpter le corps féminin, nier les lois de la gravité sous prétexte d’atteindre la perfection (du geste, de la beauté…).

D’autres sujets sont traités comme le choc des cultures entre le bloc de l’Est et l’Ouest (les jeunes gymnastes roumaines sont confrontées à l’opulence capitaliste), les stratégies politiques (où Ceausescu utilise Nadia comme un symbole afin de servir sa propagande), le « marketing » psychologique pour impressionner l’adversaire, la modélisation du corps féminin permettant de répondre aux attentes esthétiques inhérentes à la compétition, l’idéologie politique, les méthodes de rationnement…

PictoOKPictoOKCoup de cœur pour ce roman passionnant. A lire si ce n’est pas déjà fait.

 

 

Slim © Editions Points – 2012
Slim © Editions Points – 2012

« Dans ce monde de Blancs haineux, un nègre vaut moins que rien. Otis, débarqué de son Mississippi natal dans un ghetto de Chicago, se débat entre une mère prête à tout pour quelques dollars, un prédicateur pédophile et des macs toxicos. Et Otis n’est pas seulement noir et pauvre, il est tiraillé entre son cœur qui le porte vers les jolies filles et sa chaire qui réclame de beaux mâles. » (synopsis éditeur).

Un roman écrit avec les tripes qui relate le parcours d’un jeune homme dont on ne sait, finalement, par quel miracle il est sorti vivant et entier de certaines situations qu’il a vécues… comme ce soir où, enivré d’alcool, il accepte de monter dans la voiture d’un beau noir viril qui est parvenu à le séduire… le prédateur profite de l’état semi-comateux de sa proie pour l’attirer dans un bouge, le violer et le passer à tabac. Iceberg Slim raconte un parcours de vie de façon chronologique, sans censure et sans tabou. Une découverte à l’état brut, un livre qui se dévore et dont on ressort un peu sonné. Une découverte faite grâce à Jérôme devant qui je m’incline car je suis bien incapable de parler de ce roman comme il le fait. Allez donc lire sa chronique.

 

Zaboujko © Intervalles – 2015
Zaboujko © Intervalles – 2015

« Tout commence par une histoire d’amour vouée à l’échec avant même ses prémices. La relation passionnelle que partagent un peintre ukrainien et la narratrice constitue une métaphore de l’Ukraine du XXIe siècle. L’héroïne d’ « Explorations sur le terrain du sexe ukrainien » nous raconte la chute de l’URSS et du modèle soviétique qui a donné naissance à l’Ukraine indépendante, mais qui a également laissé dans ce pays une fracture et un traumatisme encore béants. À travers ses tentatives d’émancipation, la narratrice cherche à comprendre la force d’une identité et l’importance de se détacher du passé. Ce travail de deuil ne renvoie pas seulement au fait d’être ukrainien, mais au fait de se retrouver à genoux sous le poids d’une culture allogène. Oksana Zaboujko, dans cette fiction partiellement autobiographique, fait vivre cette langue et cette culture qui flotte dans la « non-existence ». Le corps d’une femme devient ainsi la métaphore d’un pays, de sa culture et de ses racines. « Explorations sur le terrain du sexe ukrainien » nous donne de précieuses clés pour comprendre ce que signifie être humain, dans toute sa poésie et sa conscience.

« Explorations sur le terrain du sexe ukrainien » a été publié en 1996 : premier best-seller ukrainien, il a été traduit en onze langues et adapté au théâtre. » (synopsis éditeur).

J’étais pourtant partie enjouée dans la lecture de ce roman ukrainien. Tout d’abord parce que c’est un cadeau que l’on m’a fait et que la personne qui me l’a adressé a mis toute son attention dans la préparation de cet envoi. Ensuite, parce que j’ai découvert il n’y a pas si longtemps que ça les littératures des anciens pays de l’Est et que, jusqu’à présent, leur lecture fut toujours un régal.

Le titre du roman de Oksana Zaboujko doit son nom à une conférence que la narratrice doit donner aux Etats-Unis. La narratrice parle de son rapport aux hommes et par conséquent au sexe (mais ce n’est qu’un thème secondaire dans cet ouvrage). Le récit débute sur une réflexion quant à une relation affective désormais terminée. Une relation à double visage, la narratrice repense à son ancien amant, au mal qu’ils se sont faits, au bonheur qu’ils ont partagé, à la routine qui étouffe peu à peu les sentiments. Le lecteur se confrontera ponctuellement aux propos cyniques sur les effets corrosifs de l’abstinence sexuelle sur un couple. A plusieurs reprises, j’ai pensé que cette façon d’écrire était très masculine ; l’auteure va droit au but, sans détours, elle est crue… mais la façon de formuler les piques est assez inhabituelle chez une plume masculine.

Le plaisir de lecture fut de courte durée. Je me suis épuisée à force de côtoyer ces phrases à la longueur indécente, si indécente que l’on en arrive à un point où l’on ne sait plus qui est le sujet ni en quoi consiste l’action. Je me suis surprise plusieurs fois à souffler, attendant désespérément la fin d’un paragraphe et son retour à la ligne qui permet de refermer le livre avec la certitude que l’on retrouvera l’endroit exact où l’on a quitté la lecture. Je me suis aussi noyée dans certaines réflexions sur la société, sur la politique, sur l’amitié, sur les peurs intimes de la narratrice… On la sent amère et en colère (en colère après elle, en colère après lui, en colère contre l’humanité entière). Je me suis perdue dans les métaphores, je me suis perdue… et j’ai quitté cette lecture peu après la page 100, incapable de trouver la curiosité et l’envie de poursuivre.

Une déconvenue.

Du côté des challenges :

Tour du monde en 8 ans : Ukraine

 

Les Fleurs de Tchernobyl (Lepage & Chassebœuf)

Les fleurs de Tchernobyl [Carnet de voyage] en terre irradiée
Lepage – Chassebœuf © La Boîte à bulles – 2012

Une couverture nous accueille, souple et gaufrée, sur laquelle une tour apparait. En fond : un ciel bleu. On ne sait pas si ce ciel se dégage ou s’il s’assombrit, il est chargé sans l’être, on est dans un entre-deux… le temps de savoir qui de la pluie ou des éclaircies vont finalement l’emporter.

Au-dessus de cette aquarelle, un titre : Les fleurs de Tchernobyl – [Carnet de voyage] en terre irradiée. A son tour, il nous renvoie à l’incertitude. On hésite, on tangue entre nos représentations colorées et parfumées d’un bouquet de fleurs et celles, plus inquiétantes, d’une vision de chaos.

Irradiée… Mort ? Drame ? Malformations ? Zone désertique ? Fleur… Vie ? Printemps ? Poésie ? Rire ?

Où aller ??

Commençons par les prémices de ce projet que je vous avais décrit dans ma chronique sur Un Printemps à Tchernobyl. On est en 2007, l’Association Dessin’Acteurs se mobilise pour mettre en place, non loin de Tchernobyl, une résidence d’auteurs pour quatre artistes : Pascal Rueff (poète, photographe, ingénieur du son), Morgane Touzé (chanteuse et musicienne), Gildas Chassebœuf (aquarelliste et dessinateur) et Emmanuel Lepage (dessinateur et scénariste de bande dessinée). Le projet aboutit et en avril 2008, Emmanuel Lepage et Gildas Chassebœuf prennent le train pour leur premier voyage en Ukraine, un séjour de 15 jours à Volodarka (village situé à une trentaine de kilomètres de Tchernobyl). Là-bas, ils retrouveront Pascal Rueff et Morgan Touzé qui les ont précédé de quelques jours.

Le but de cette démarche est de rendre compte du quotidien des habitants qui sont restés vivre sur les lieux du sinistre survenu en 1986.

Ce carnet de voyage s’ouvre sur les propos de Pascal Rueff dans une préface intitulée « La lune est verte… ». On a l’impression qu’il couche ses mots sur papier avant que les sensations et les souvenirs ne se dissipent. Il décrit l’état d’esprit particulier dans lequel il est à chaque fois qu’il séjourne à Tchernobyl (en 2008, Pascal Rueff et Morgan Touzé effectuaient leur troisième voyage en terre irradiée). Il décrit cette étrange alchimie dans l’atmosphère, un mélange entre sérénité et tension. Une sensation difficilement descriptible, à la fois déstabilisante et apaisante…

Nous sommes sur la Lune et elle est verte. J’aime cette sorte de paix primitive. L’instant suivant, je panique. Ou d’un jour sur l’autre. D’une heure sur l’autre. Le ciel change. Les bruits changent. Je change. Je sue. Le masque m’agace. Le dosimètre me chauffe. J’entends des bruits. Il faut filer. Retraverser vingt kilomètres d’ombre. Et c’est la mienne.

Puis, la préface laisse place aux croquis réalisés par Emmanuel Lepage et Gildas Chassebœuf durant cette quinzaine d’avril 2008. Les croquis sont parfois annotés succinctement, l’image se suffisant à elle-même. D’autres croquis sont commentés plus longuement et contextualisent une rencontre ou rappellent que le temps se rappelle en permanence à leur souvenirs via les crépitement du dosimètre. Lorsque l’artiste est « sur site », le temps est compté et le force à croquer rapidement ce qu’il voit.

Le contexte historique et géographique tétanise le dessinateur puis, peu à peu, il prend confiance. Les couleurs apparaissent d’abord timidement dans les croquis et  s’imposent peu à peu. Leur présence finit par nous étourdir.

PictoOKCet ouvrage, édité pour la première fois en 2008, a été rapidement en rupture de stock. Cette nouvelle version parue en octobre dernier, est enrichie comparée à la version originale. Elle contient photos, ébauches, croquis et témoignages des auteurs.

Si vous avez prévu de lire Un printemps à Tchernobyl, je vous conseille cependant – si vous en avez l’occasion – de commencer par ce recueil avant de vous plonger dans le récit plus dense d’Emmanuel Lepage.

Les Fleurs de Tchernobyl

[Carnet de voyage] en terre irradiée

Challenge Petit Bac
Catégorie Végétal

Éditeur : La Boîte à bulles

Collection : Les carnets de la Boîte à bulles

Auteurs : Gildas CHASSEBŒUF & Emmanuel LEPAGE

Dépôt légal : octobre 2012

ISBN : 978-2-84953-156-3

Bulles bulles bulles…

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Les fleurs de Tchernobyl – Lepage – Chassebœuf © La Boîte à bulles – 2012

Un printemps à Tchernobyl (Lepage)

Un printemps à Tchernobyl
Lepage © Futuropolis – 2012

En 2007, Emmanuel Lepage répondait présent à l’appel des Dessin’Acteurs, une association militante qui mène des actions de soutiens grâce à la mobilisation d’auteurs. Dominique Legeard, Président des Dessin’Acteurs, propose à Emmanuel Lepage de partir deux semaines à Tchernobyl, à une vingtaine de kilomètres de la « Zone interdite ». Il fera ce voyage en compagnie de l’illustrateur Gildas Chassebœuf, de la chanteuse et musicienne Morgan Touzé et du photographe et poète Pascal Rueff.

Morgan et Pascal sont déjà allés à Tchernobyl. Suite à son dernier séjour, Pascal a écrit un spectacle intitulé Mort de rien qui a beaucoup tourné. Cette fois, ils ont l’intention de poursuivre ce qu’ils ont déjà engagé là-bas et notamment de reconstruire le site internet de Radio Tchernobyl.

Pour Emmanuel Lepage, c’est l’occasion de réaliser son premier reportage et témoigner, à l’aide de son dessin, de la situation actuelle de Tchernobyl et du quotidien des gens qui y vivent.

L’immersion dans cet album est rapide. Pourtant, les premières pages servent à retranscrire l’appropriation de la démarche par l’auteur. Durant ce passage, il est en route pour l’Ukraine et lit encore quelques témoignages de victimes. L’occasion pour lui de revenir sur l’événement en tant que tel et sur les conséquences de ce drame survenu en avril 1986. L’ambiance de ces planches oppresse, les couleurs sépia sont accompagnées de lavis de noir qui imprègnent la lecture d’une certaine angoisse. Cette dernière fait écho à l’appréhension que j’avais avant de débuter ma lecture. Je pensais le sujet délicat, lourd, macabre. Passé le rappel des faits historiques et un bref aperçu des prises de positions gouvernementales…

La République fédérale d’Allemagne, la Belgique, les Pays-Bas, l’Autriche, l’Italie interdisent la consommation des produits frais. Les vaches sont enfermées dans des étables. En France, rien…

Emmanuel Lepage consacre ensuite un cours passage à présenter l’origine du projet et les artistes avec lesquels il effectuera cette mission. Puis, en décembre 2007, il témoigne de l’opposition farouche de sa famille à ce projet ; ses proches nourrissent une peur viscérale à l’idée qu’il parte quinze jours à Tchernobyl. De décembre 2007 au départ en avril 2008, il est affecté par la « crampe de l’écrivain ». La douleur l’empêche de dessiner, il passe un trimestre en arrêt maladie, une situation qui provoque une remise en cause personnelle profonde et le fait hésiter sur l’utilité de sa présence à Tchernobyl :

Ecoutez, je ne peux plus rien faire ! Il y a des gens, des festivals qui ont donné de la nourriture, de l’argent pour que ce livre se fasse. Il y a des expos prévues, des Associations qui nous ont promis de prendre des livres. On s’est engagé, on compte sur nous… et moi je ne ramènerai rien, aucun dessin ? A quoi ça sert d’y aller alors ?

Dominique, Morgan, Gildas et Pascal ne sont pas de cet avis. On assiste finalement au départ en avril 2008… 22 ans après la catastrophe nucléaire.

La suite de l’album nous emmènera de surprise en surprise. La tension, très palpable en début de récit. La présence du dosimètre, de son crépitement, du masque de protection… et la vigilance dont font preuve les acteurs, leur conscience presque palpable du risque auquel ils s’exposent… sont autant d’éléments très présents dans le récit. Puis, à mesure que l’auteur retrouve sa dextérité, la tension devient ténue, comme si elle s’évaporait dans l’air ambiant. Le dessin est précis, minutieux, à tel point qu’on a du mal à imaginer que l’auteur sort à peine d’une impasse. Certaines illustrations sont si détaillées qu’on pourrait facilement conclure qu’il s’agit d’un travail de retouche de photos… mais ce n’est pas le cas. Tout comme Emmanuel Lepage, le lecteur est peu à peu submergé par la vie saisissante des lieux.

J’avais imaginé dessiner des forêts noires, des arbres tordus, décharnés, étranges ou monstrueux… J’avais mes craies noires, mes encres sombres, mes fusains… mais la couleur s’impose à moi.

Le message n’est pas oppressant, le témoignage est troublant. Je n’explique pas comment je suis parvenue à faire une pause durant ma lecture tant on a tôt fait de se laisser happer par le récit qui nous est livré. Emmanuel Lepage se laisse contaminer par la convivialité des habitants de Volodarka – petite commune où est implantée la résidence d’auteurs – et accepte de se rendre à l’évidence : les paysages qui s’étalent sous ses yeux ne lui inspirent rien de morbide, ses dessins ne peuvent aller à l’encontre de son ressenti. A l’instar de ses hôtes, il ressent également cet étrange attrait hypnotique à l’égard de la « Zone interdite » (périmètre de sécurité qui s’étend 30 km autour de la Centrale). Au cœur de cette Zone, la ville fantôme de Tchernobyl que Lepage croquera avec avidité. Cependant, les incursions dans la Zone n’envahissent pas tout l’espace graphique et narratif. Dans cet album, il est avant tout question de rencontres, de soirées passées entre amis, d’amitiés qui se lient et de « visites de bon voisinage ». Pour les uns, la démarche nait dans le besoin de comprendre pourquoi ces étrangers ont eu envie de s’intéresser à eux et dans ce curieux attrait opéré par la présence d’un « artiste » qui vit à deux pas de leur maison. Pour d’autres, c’est une furieuse envie d’aller rencontre l’Autre : retrouver des amis de longues date (c’est le cas pour Morgan et Pascal, le couple d’artistes) ou de s’assurer qu’ici, à Tchernobyl, le cœur des ukrainiens bat au même rythme que le nôtre.

Une lecture que je partage également avec Mango à l’occasion de ce mercredi BD

Et découvrez les albums présentés par les autres lecteurs !

PictoOKPictoOKSuperbe album à tous points de vue. La technicité dont fait preuve Emmanuel Lepage est bluffante, ses illustrations font preuve d’une maîtrise impressionnante. Le témoignage quant à lui retranscrit en tout simplicité la manière dont l’auteur a vécu cette expérience humaine. Un coup de cœur que je ne peux que vous encourager à découvrir à votre tour.

A l’occasion de la publication de cet ouvrage, Les fleurs de Tchernobyl (initialement publié en 2008) sont rééditées aux Editions La Boîte à bulles.

A lire : cet article de Telerama sur le voyage (photos de Pascal Rueff).

Les chroniques : Yvan, Plienard (sur Krinein), E. Guillaud (blog France 3), David Lerouge.

Extraits :

« En toute discrétion et silencieusement la table se garnit de toutes sortes de mets. Comme si nos hôtes, malgré le fossé de la langue, savaient qu’après l’expérience que nous venions de vivre, il fallait convoquer la vie… Comme les repas qui suivent les enterrements » (Un printemps à Tchernobyl).

« Si la région de Tchernobyl est la plus subventionnée d’Ukraine, pour certains, abandonnés à leur sort, l’alcool et la foi semblent être les seuls horizons » (Un printemps à Tchernobyl).

« Je croyais me frotter au danger, à la mort et la vie s’impose à moi » (Un printemps à Tchernobyl).

Un printemps à Tchernobyl

One shot

Éditeur : Futuropolis

Dessinateur / Scénariste : Emmanuel LEPAGE

Dépôt légal : octobre 2012

ISBN : 978-2-7548-0774-6

Bulles bulles bulles…

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Un printemps à Tchernobyl – Lepage © Futuropolis – 2012

Les cahiers ukrainiens (Igort)

Les cahiers ukrainiens, tome 1
Igort © Futuropolis – 2010

En 2008, Igort s’est rendu deux ans en Ukraine. Un voyage qui matérialise une quête personnelle, une forte envie de découvrir « ces noms exotiques que j’entendais chez moi depuis l’enfance, Kiev, Odessa, Poltava, Sébastopol, Leopoli, Yalta » pour reprendre les propos de l’auteur.

L’idée d’en faire un album semble être venue ensuite. Je le cite encore :

« Il suffit de gratter un peu pour entendre s’écouter, sous la discrétion soviétique, l’envie d’être écouté. Je me suis retrouvé là au moment où avait lieu le vingtième anniversaire de la chute du mur de Berlin. J’ai tendu l’oreille pour écouter les histoires et j’ai décidé de les dessiner. Je ne pouvais tout simplement pas les garder pour moi. Ce sont des histoires vraies de personnes rencontrées par hasard dans la rue à qui il a été donné de vivre à l’étroit dans l’étreinte du rideau de fer ».

A quelques dix planches du début de la lecture, nous avons déjà largement eu le temps de mesurer la portée de ce qui nous est donné de lire. On ne peut qu’être émus de la sincérité des propos de chacun des protagonistes et de la gravité des actes qu’ils ont souhaité relater. Des vies brisées, « d’un autre temps » peut-on dire, Nous, Européens de l’Ouest qui n’avons jamais connus tels événements (du moins, pas ceux de ma propre génération ni même de la génération de mes parents).

A l’aide d’enregistrements audio, de prises de notes, de croquis, Igort nous livre un témoignage poignant sur l’histoire des hommes et des femmes qu’il a croisés pendant son voyage.

Nous revisitons, par leur intermédiaire, une période sensible de l’histoire de l’Union Soviétique. De Lénine à la catastrophe nucléaire de Tchernobyl, nous (re)découvrons  une population ukrainienne livrée à la peur, à la famine (celle de 1932), au génocide, à l’asservissement, au cannibalisme, au capitalisme, aux goulag… Les gens se confient à Igort malgré la peur qui les tenaille encore. Une peur ancrée dans leur chair, un peuple prisonnier de ses démons et du régime politique en place. Les Cahiers ukrainiens est un objet rare qui traite avec prudence et respect de l’Histoire de l’Ukraine pendant le XXème siècle et des effets nocifs de l’étau soviétique imposant une chape de silence et terrorisant les populations sous leur emprise.

A l’aide de crayonnés et de jeux de hachures, Igort met en images les propos qu’il a recueillis. Quelques ambiances conservées en noir et blanc mais dans l’ensemble, c’est à l’aide sépias délavés qu’il campe une atmosphère lourde, intimiste qui met en exergue toute la souffrance qui émane de cette mémoire collective, toute cette souffrance à fleur de peau présente chez chacun de ces individus.

Une lecture conseillée par Cécile (dans cet article), cet avis intègre le Challenge PAL Sèches

PictoOKUne lecture douloureuse et bouleversante qu’il est difficile de soutenir. Je n’ai pu m’empêcher d’avoir pitié de ces pauvres gens, un sentiment souvent négatif pourtant c’est que je j’ai ressenti à la lecture de tous ces drames qui se succèdent ici.

L’avis de Catherine et celui de Cécile.

Extrait :

« District de Vyssokopolsk. Le 16 février, à Zagradovka, le jeune Nikolaï, 13 ans, est mort dans la famille d’un paysan pauvre. Sa mère F. et sa voisine Anna S. ont coupé le cadavre en morceaux et l’ont servi avec les plats qui avaient été préparés. Presque la totalité du corps a été consommée. Il ne restait que la tête, les pieds et une partie de l’épaule, une paume de la main, la colonne vertébrale t quelques côtes. Toutes les parties du corps ont été retrouvées dans le sous-sol de l’isba. F. a expliqué son geste par l’absence totale de nourriture. Il lui reste trois enfants, tous gonflés. Une aide a été apportée à cette famille » (Les cahiers ukrainiens, tome 1).

Les Cahiers Ukrainiens

Tome 1 : Mémoires du temps de l’URSS

Série en cours

Éditeur : Futuropolis

Dessinateur / Scénariste : IGORT

Dépôt légal : juin 2010

ISBN : 9782754802666

Bulles bulles bulles…

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Les Cahiers Ukrainiens – Igort © Futuropolis – 2010