Un léger Bruit dans le moteur (Gaët’s & Munoz)

Gaët’s – Munoz © Petit à Petit – 2021

Sorti en 2012, « Un léger bruit dans le moteur » n’intègre le catalogue Petit à Petit qu’en 2017… et c’est l’occasion d’une première réédition. Et voilà une nouvelle réédition comme une jolie petite mise en bouche pour nous préparer à la sortie du second tome – à paraître l’année prochaine – ! Cette seconde réédition est l’occasion d’intégrer un cahier graphique original qui nous permet de nous glisser dans les coulisses de l’album.

Le scénario de Gaët’s est une adaptation du roman éponyme de Jean-Luc Luciani. C’est un univers grinçant, un récit noir noir noir où il ne fait pas bon tomber en panne, de nuit et sous une pluie battante, dans cette bourgade isolée… Pas bon du tout ! On s’installe dans un petit hameau où vivent une poignée de familles. Dans l’une d’elle, un enfant teigneux et qui déteste sa vie va élaborer un projet machiavélique pour supprimer un à un les habitants de ce minuscule village.

« Parce qu’à force de tuer le temps, on finit par tuer vraiment. »

Il n’y a rien de beau dans le quotidien de cet enfant. Même pas le paysage où, malgré l’acharnement de quelques hommes à labourer leurs parcelles, la terre ne rejette rien d’autre que des patates rachitiques. Des colonies de lézards pullulent joyeusement et larvent sur les cailloux brulants de la route.

Ici, les adultes ont des ambitions limitées. Ils sont avares de bons mots, chiches d’affection à donner aux plus jeunes. Ils tournent en rond dans leur quotidien étriqué. Livrés à eux-mêmes, les enfants s’occupent comme ils peuvent. Ils ont le choix : jouer dans les flaques, courir dans les champs, se faire de vilaines farces. Ce milieu rural est des plus austères et on fantasme de voir ce qui vit au-delà. Gaët’s opte un mode de narration qui nous invite à nicher dans la tête du personnage principal ; la voix-off de l’enfant tueur est notre seul guide dans ce monde hostile… dans ce minuscule village en marge de toute vie sociale. Les intentions malsaines du « héros » nous grattent… pourtant, sa voix silencieuse nous attrape et il est difficile de s’extraire de cet univers. L’idée de faire une pause dans la lecture ne m’a pas titillée une seule seconde. On s’immisce dans son esprit malade, on comprend ses intentions, on anticipe avec lui le prochain assaut assassin qui décimera davantage encore la poignée d’hommes qui peuplent cette petite communauté rurale. Il déplie sa logique méthodiquement, se crée une forme de morale et une forme de priorité dans l’ordre des « exécutions » qu’il opère.

« Moi, je rêve souvent dans ma tête à moi que je tue mes parents avec une hache puis que je les regarde mourir. Bien sûr, ils sont toujours vivants. Mais c’est comme s’ils étaient déjà morts puisqu’ils ne font rien de la journée. »

Au crayon, Jonathan Munoz installe une ambiance macabre qui porte l’intrigue à merveille. L’enfant évolue comme un poisson dans l’eau dans son environnement… un quotidien où l’innocence et l’horreur se marient à merveille. Un frisson glaçant nous parcourt l’échine.

Cela faisait un bout que je voulais lire cet ouvrage et à moins que vous ne l’ayez déjà fait, je vous le conseille vivement !

Un léger bruit dans le moteur (récit complet)

Editeur : Petit à petit

Dessinateur : Jonathan MUNOZ / Scénariste : GAËT’S

Dépôt légal : janvier 2021 / 124 pages / 16,90 euros

ISBN : 9791095670230

La Cage aux cons (Angotti & Recht)

Angotti – Recht © Guy Delcourt Productions – 2020

Karine, c’est l’amour de sa vie.

Et Karine aime l’argent. Elle veut beaucoup d’argent.

« En vrai, il y a que la poésie pour changer la misère du monde. Du moins, quand on n’a pas le pognon. D’ailleurs, Karine dit qu’on peut pas être à la fois pauvre et heureux. Mais elle aime quand même la poésie. »

Aussi, lorsqu’elle le fout à la porte et lui intime de revenir avec les poches pleines de pognon s’il veut de nouveau envisager de pouvoir la sauter, il ne réfléchit pas trop longtemps. C’est au bar qu’il trouve la solution : celle de suivre un client qui se vante à qui veut l’entendre qu’il est plein aux as et qu’il possède un joli petit magot chez lui.

Alors ni une ni deux, il décide de suivre ce bourgeois et de le cambrioler. Profitant de la nuit, il pénètre dans la riche demeure et trouve la planque aux biftons. Plein de biftons ! Jusqu’à ce que la lumière s’allume et que le bourgeois se mette à mener la danse avec élégance… une arme à la main.

« On a beau dire, un pétard, ça augmente considérablement le potentiel d’autorité d’un homme. »

Rapidement, le rentier fait faire un tour du propriétaire à notre gaillard. Un mort par ci, un mort par là… il ne met pas longtemps à comprendre que le riche poulet qu’il voulait plumer est un vrai psychopathe. Notre bonhomme est tombé dans un vrai guêpier. Le voilà désormais prisonnier et soumis au bon vouloir de celui qui le retient en otage.

La dernière fois que j’avais lu un récit de Matthieu Angotti, c’était à l’occasion de la sortie de son premier album, « Désintégration – Journal d’un conseiller à Matignon ». Et je ne pensais pas relire le scénariste de sitôt car son récit ministériel m’avait agacée. Le revoilà pourtant avec un huis-clos d’un autre genre. Cette fois, on quitte le registre de l’expérience personnelle (et professionnelle) pour rentrer dans un thriller où un voyou minable – porté sur la bouteille, le sexe et la poésie – se retrouve pris dans la toile d’un étrange psychopathe. Ce dernier prend l’apparence d’un rentier solitaire, un homme aigri et calculateur. Rapidement, notre « héros » décide de faire contre mauvaise fortune bon cœur. Bien que la situation ne soit pas à son avantage, il choisit de profiter des bons côtés de la situation. Il observe son étrange preneur d’otage et se convainc qu’il parviendra à trouver le moment opportun pour prendre la fuite. Le scénariste travaille son ambiance de façon singulière et les rebondissements ne manquent pas de nous surprendre. Le résultat est réellement ludique. Matthieu Angotti se sert de l’humour dont son personnage principal fait preuve pour relativiser la situation et désamorcer la tension avant qu’elle ne devienne trop oppressante pour nous [lecteurs].

Le rythme narratif trouve son équilibre entre deux tons. D’un côté, on a la voix-off du pauvre bougre qui endosse le costume de personnage principal. Il choisit de rester positif face à sa situation de captif. Il constate vite que malgré les apparences, il vit aux frais de la princesse dans d’assez bonnes conditions. L’état d’esprit dans lequel il vit sa privation de liberté nous le rend, au demeurant, fort sympathique ! L’autre ton de la narration se trouve dans les échanges interactifs entre le « con » bourgeois et notre pauvre hère. Beaucoup d’autodérision, un poil de cynisme et une bonne rasade de perversité sont les éléments sur lesquels se construit l’intrigue. Sans compter que les deux hommes se trouvent un centre d’intérêt commun : la poésie ! Les voilà qui déclament avec parcimonie quelques alexandrins, ce qui est assez inattendu et renforce le comique de situation. Quelques explosions de violence par-ci par-là nous rappellent à l’ordre régulièrement et nous intiment de ne pas oublier que le con est imprévisible voire irascible… il faut se méfier de l’eau qui dort. Je n’ai pu m’empêcher de comparer cette atmosphère – fruit d’un judicieux dosage d’humour et de sérieux – à certains albums d’Aurélien Ducoudray.

Au dessin, on retrouve Robin Recht qui avait déjà collaboré sur le précédent album de Matthieu Angotti. Il construit un univers en noir et blanc qui se marie très bien au propos.  La lecture est fluide, on avance dans l’album un peu comme si on regardait un bon vieux policier. D’ailleurs, la trogne du commissaire en charge de l’enquête n’a pas été sans me rappeler Lino Ventura… je n’ai donc pu m’empêcher de donner la voix de l’acteur et sa gestuelle à ce personnage secondaire.

L’album m’attendait depuis un moment et j’en différais la lecture, accaparée par la conclusion trop rapide que j’avais tirée de ma lecture de « Désintégration » ; il me semblait que j’étais totalement étanche au travail d’écriture de Matthieu Angotti… voilà qui n’en est rien ! C’est donc une très belle surprise de lecture !

La chronique de Branchés culture.

La Cage aux Cons (récit complet)

Editeur : Delcourt / Collection : Machination

Dessinateur : Robin RECHT / Scénariste : Matthieu ANGOTTI

Dépôt légal : octobre 2020 / 152 pages / 18,95 euros

ISBN : 9782413018575

Homicide, tome 5 (Squarzoni)

tome 5 – Squarzoni © Guy Delcourt Productions – 2020

Retour à la Brigade des Homicides de Baltimore. Pellegrini n’en finit plus de déplier les recoins de l’affaire Wallace. Le meurtre de Latonya Kim Wallace n’est toujours pas élucidé alors que l’inspecteur en charge de l’enquête travaille d’arrache-pied.

Waltemeyer se démène pour percer à jour un suspect (une vieille dame) soupçonné de trois meurtres avec préméditation et de trois tentatives de meurtres. Et visiblement, ces six affaires-là ne sont que la partie émergée de l’iceberg. Waltemeyer fouille les archives des meurtres non élucidés, fait des croisements entre les modus-operandi et l’existence d’assurances-vie dont son suspect aurait été bénéficiaire. Un travail d’investigation de grande ampleur… rares sont les inspecteurs qui ont eu l’occasion de se faire remarquer avec de tels dossiers. Il chiade le dossier en vue de son passage devant le juge.

Garvey quant à lui hérite d’une nouvelle scène de crime et sa chance légendaire continue à lui coller aux semelles. Il semblerait qu’une nouvelle fois, les témoins en présence lui apportent le suspect sur un plateau d’argent. Une période bénie pour lui mais… jusque quand durera-t-elle ?

Et les autres… Tous les inspecteurs sont affectés à plusieurs dossiers. Landsman, Edgerton, Worden, McLarney… Tous enquêtent majoritairement sur des affaires de règlements de compte entre dealers ou de malfrats divers qui ont décidé de se faire eux-mêmes justice.

Un scénario d’une froideur méthodique et chirurgicale pour cette adaptation (de l’enquête de David Simon : voir mes précédentes chroniques qui contextualisent cet ancrage). En parallèle, un séquençage dynamique des planches apporte au lecteur l’entrain dont il a besoin pour continuer à avancer dans sa lecture. Les teintes poussiéreuses, mi-grises mi-brunes campent la lourdeur et la dureté de ce quotidien policier… et renforce l’impression que l’action des inspecteurs pour lutter contre la criminalité est vaine. Qu’ils auront beau résoudre un crime, dix nouveaux se produiront… inévitablement.

Philippe Squarzoni consacre également un temps conséquent à dresser le portrait d’une société délétère. Baltimore ville prospère et dynamique n’est plus que l’ombre d’elle-même. Depuis la grande Dépression de 1930, l’activité portuaire qui portait la ville s’est effondrée, laissant derrière elle une ville à l’agonie. Le chômage, la délinquance, l’économie parallèle, le marché de la drogue… toutes les conditions sont désormais réunies pour offrir un terreau fertile aux activités illicites. Les tribunaux engorgés d’affaires de crimes (grippant le système judiciaire), les prisons sont surpeuplées… Surenchère de la violence.

« Mais c’est une présence tacite qui accompagne les jurés dans toutes leurs délibérations. (…) plus encore que la couleur de la peau, ce qui a faussé le système judiciaire à Baltimore dépasse toutes les barrières raciales. Baltimore est une ville ouvrière, frappée par le chômage, ayant le niveau d’éducation parmi les plus faibles des Etats-Unis. Par conséquent, la plupart des jurés entrent dans le tribunal avec une vision du système judiciaire… héritée du petit écran. Et c’est la télévision – pas le Procureur, pas les preuves – qui va influencer le plus leur état d’esprit. Or la télévision a empli les jurys criminels d’attentes ridicules. »

Cinquième et dernier tome de cette série uppercut. Mon intérêt n’a pas molli depuis le premier tome.

Homicide – Une année dans les rues de Baltimore

Tome 5/5 : 22 juillet – 31 décembre 1988

Editeur : Delcourt / Collection : Encrages

Dessinateur & Scénariste : Philippe SQUARZONI

Dépôt légal : octobre 2020 / 152 pages / 18,95 euros

ISBN : 9782413017530

Mes premiers 68 – Deux romans à découvrir !

Aujourd’hui, avec mon lardon de 16 ans, on vous propose en partage deux romans découverts grâce aux 68 premières fois et qui nous ont bien plu. On espère qu’il en sera de même pour vous !

Mes 68 premières (jeunesse)

Le blog des 68 (avec toute la sélection des premiers romans à destination de la jeunesse comme des adultes d’ailleurs) est à retrouver ici : https://68premieresfois.wordpress.com/

Martins © Gallimard – 2019

Ceux qui ne peuvent pas mourir [1. La bête de Porte-vent] de Karine MARTINS (Billet de Pierre)

La bête de Porte-vent est le premier volet de la série Ceux qui ne peuvent pas mourir. Dans ce premier tome, on retrouve Gabriel, un immortel lié à une organisation qui a pour but de traquer les Egarés qui sont des « monstres » comme des vampires ou bien des loups-garous. Cette organisation se nomme la Sainte-Vehme. Dans ce tome, il est avec Rose, une fille qu’il a récupéré au cours d’une mission et qu’il ne veut plus laisser. Ils vont devoir élucider une série de meurtres étranges dans un petit village du Finistère et on peut dire que cette aventure sera autant surprenante que prenante !

J’ai bien aimé le roman. L’univers est nouveau et très bien imaginé, ce qui rend la lecture intéressante et pas répétitive contrairement à certains romans. Il n’est pas très long et se lit plutôt facilement. Une fois qu’on commence, on ne peut plus s’arrêter car on ne veut surtout pas perdre le fil de l’histoire. Et j’avais envie de savoir ce qui allait arriver à Gabriel et Rose !

Extraits

« Depuis qu’elle était au service de Gabriel Voltz, Rose avait appris une leçon essentielle : sortir seule la nuit dans Paris était la plus mauvaise idée qui soit. »

« Gabriel eut peur. Il avait beau être un vétéran de la chasse aux Egarés, c’était différent cette fois. Lors de ses précédentes chasses, il était mieux armé et avait toujours une faille à exploiter chez son ennemi. Mais là, rien. Il ne savait pas comment vaincre la bête. Et il n’était pas complètement présent : son esprit était obnubilé par la jeune femme retranchée dans le caveau, par la gamine qui resterait seule s’il venait à disparaître, par Grégoire à qui il laisserait un fardeau peut-être trop lourd à porter. »

Ceux qui ne peuvent pas mourir [1. La bête de Porte-vent] de Karine MARTINS, Gallimard Jeunesse, 2019

Bulle © L’Ecole des Loisirs – 2020

Les Fantômes d’Issa d’Estelle-Sarah Bulle (billet de la vieille mère)

« Les cauchemars sont encore revenus. Ça fait quatre ans maintenant que j’en ai presque toutes les nuits. Peut-être que ce journal va me soulager. Peut-être qu’écrire la grosse bêtise que j’ai faite la fera diminuer un peu dans ma tête. Maintenant que j’ai douze ans, je pense que je peux revenir en arrière, et tout écrire, je suis assez bonne en français. Mais c’est difficile de commencer. Par où débuter : au moment où j’ai commis cette erreur fatale, quand j’avais à peine huit ans ? Avant ? Avant, c’est mieux. Comme ça, ce sera clair. En écrivant, ce qui est arrivé deviendra juste une histoire, avec un sens et, je l’espère, une fin. »

Je ne sais pas bien pourquoi mais j’ai lu cette histoire le cœur un peu serré. J’ai eu peur, peur oui, du secret d’Issa, de ses fantômes, de son « erreur fatale ». J’ai été émue par Issa et sa lutte silencieuse.

Ce premier roman raconte donc l’histoire d’une jeune fille prénommée Issa. Elle est alors âgée de douze ans quand elle prend en charge le récit et qu’elle décide de revenir sur les évènements qui la hantent. Il faut vivre et pour cela il est temps pour elle de se libérer de ses secrets.

Ce roman dit la nécessité de la parole en partage pour grandir, pour dépasser sa culpabilité et affronter ses peurs. Il dit aussi la puissance de l’amitié comme de la lecture (ici des mangas) qui peut permettre des grandes choses ! C’est un beau roman, lumineux malgré mon cœur serré, à l’écriture légère et simple, alerte et très agréable. Un roman dévoré !

Merci aux 68 premières fois pour cette lecture bien émouvante…

Les Fantômes d’Issa d’Estelle-Sarah Bulle, L’école des loisirs, 2020

Joker (Adam)

« Joker » était épuisé depuis un moment jusqu’à ce que les éditions de La Pastèque le réimprime, profitant au passage pour apporter quelques modifications (format et finition). L’album fait partie de la sélection officielle du FIBD 2016 (cette année-là, c’est « Ici » de Richard McGuire qui a été récompensé du Fauve d’Or). Une bien bonne chose puisque cette fois, j’ai sauté sur l’occasion pour lire cet album.

Adam © Editions de La Pastèque – 2020

Joker Battie est un enfant de 7 ans qui se retrouve bien malgré lui au centre de cette histoire pour diverses raisons. L’une d’elles est dévoilée dans le dénouement, raison pour laquelle il vous faudra à votre tour lire l’album si vous voulez savoir de quoi il en retourne. La seconde est qu’il a tenté de fuguer ; il a appris par hasard que sa mère, Darlène, avait tué son père, Jed. Il a appris en même temps qu’il apprenait que sa tante, Charlène, avait tué son oncle, Herb. Les deux sœurs, Charlène et Darlène, ont tué leurs maris parce ceux-ci avaient tués leur cousin, Hawk. Hawk n’était autre que l’unique héritier de l’immense empire financier de leur famille. Mais ce n’est pas parce que Hawk a hérité de la prospère entreprise familiale que ses cousins l’ont tué… ou du moins, pas consciemment… Et puis il y a Sally, la mère d’Hawk, qui est décédée mais bien avant que les trois cousins ne passent de vie à trépas.

Joker est issu d’une fratrie de sept enfants. Sa tante, Charlène, a eu huit enfants avec son oncle Herb. Son oncle Hawk quant à lui n’avait pas d’enfants… du moins, il n’a pas eu d’enfants légitimement déclarés…

Prenant peur, les deux sœurs s’élancent dans une cavale désorganisée avec toute leur marmaille.

Tout cela, on le sait dès les premières pages de l’album…

Les détails de cet imbroglio, Benjamin Adam nous l’apprend au fil de son récit choral qui convoque une trentaine de personnages que l’on se surprend à identifier et reconnaître très vite. A tour de rôle, Joker, Charlène, Darlène, Jed, Herb, Hawk – ainsi que d’autres protagonistes importants – se relayent pour prendre la parole et nous donnent les pièces permettant de reconstruire le puzzle de l’intrigue. On saura tout des pourquoi et des comment, avec quelques redites puisque la majeure partie des personnages ne communiquent pas entre eux. Tous ont une vision parcellaire de la situation excepté… nous, lecteurs qui sommes aux premières loges pour les écouter. Arsène (l’oculiste) est le premier à nous inviter à recouper cela et c’est un peu grâce à son intervention que l’histoire prendre des allures d’enquête (quant aux flics, il en sera très peu question !!).

C’est par le prisme de ces drames funestes survenus dans une même famille que l’on découvre également le contexte dans lequel ils se sont produits. La famille Battie, du temps de l’arrière-grand-père de Joker, est passée en quelques années d’une petite entreprise d’artisanat local à une entreprise très prospère. Batimax a continué de s’étendre et de se diversifier avec les fils Battie (Walter, le grand-père de Joker, et son frère John) jusqu’à devenir l’empire industriel qu’elle est aujourd’hui. Non content d’être le principal employeur de toute une région, le groupe industriel injecte des fonds dans les petites entreprises locales pour leur éviter la faillite… et les tient ensuite sous sa botte.

Les principaux médias sont au service de l’empire Batimax (les autres ont fait faillite) ce qui permet à la société de contrôler l’information régionale ; les journalistes sont désormais des employés de l’empire Bati, ils alignent leur travail d’investigation sur les attentes de leur employeur et contribuent « de leur plein gré » à la diffusion de la culture Batimax ! Jusqu’à ce qu’Arsène (l’oculiste oui, encore lui) se questionne sur les enjeux de ces morts Battie successives et soit à l’initiative de la création du Diagno, un journal indépendant. Sur le fond, c’est l’occasion de parler du travail de la presse, de l’importance de préserver la liberté d’expression. Puis plus largement, avec un contexte socio-économique tel que celui que j’ai décrit supra… comment ne pas parler de corruption, de culture de masse…

… et j’en passe parce que c’est rudement succulent et qu’il m’est avis que vous devriez le lire, cet album ! Récit chorale et maxi bordel, assaisonné par un trait épais et noir qui donne l’impression qu’on est plongé dans ouvrage de la veine des comics underground. Succulent donc !

Joker (one shot)

Editeur : La Pastèque

Dessinateur & Scénariste : Benjamin ADAM

Dépôt légal : mai 2020 (réédition) / 128 pages / 18 euros

ISBN : 978-2-89777-081-5

Homicide – Une année dans les rues de Baltimore, tome 4 (Squarzoni)

La liste des noms des victimes s’allonge chaque jour.

Squarzoni © Guy Delcourt Productions – 2019

Les dossiers des affaires non résolues s’entassent sur les bureaux des enquêteurs.

Parfois, une enquête est résolue par hasard, grâce à un heureux concours de circonstances, conduisant des meurtriers derrière les barreaux. Mais ce type d’événements est rare.

Les règlements de compte, actes de violence gratuite, expéditions punitives, petits larcins… conduisent généralement à l’irréparable. La Brigade des Homicides de la ville de Baltimore travaille d’arrache-pied pour trouver les coupables. Parmi les meurtres toujours non élucidés, celui de Latonya Wallace, une fillette de 11 ans dont le corps a été retrouvé le 4 février 1988 (voir tome 1). Elle est morte étranglée, après avoir été violée, et deux mois plus tard, l’inspecteur Pellegrini en charge de l’enquête reprend tous les éléments du dossier. Il est obsédé par ce meurtre et déterminé à retrouver le meurtrier de l’enfant. Il est à l’affut du moindre élément qui aurait échappé à sa vigilance.

Laytona Wallace, John Scott, Dany Cage, Trevon Harris… la liste des noms inscrits en rouge sur le tableau des affaires confiées à la brigade. Quand un meurtre est découvert, le nom de la victime est aussitôt inscrit en rouge sur le tableau… dès que l’affaire est résolue, le nom est réécrit, à l’encre noire cette fois. Tableau de chasse de la Brigade, qui sert à la fois à mobiliser les troupes, à maintenir un esprit de compétition entre les inspecteurs et à comptabiliser le nombre de dossiers sur lesquels l’équipe s’est cassé les dents.

Avec ce quatrième tome, Philippe Squarzoni pose l’avant-dernière pierre d’ « Homicide » , adaptation fidèle de la série « The Wire (Sur Ecoute) » réalisée par David Simon. Travail de terrain, travail d’observation et de décryptage, rester objectif, neutre … et pointer les dysfonctionnements d’un système.

« Ses inspecteurs devaient se plier plus rigoureusement au règlement. Et se couvrir en rédigeant des mises à jour et des suivis de dossiers pour toutes les affaires. C’était de la pure foutaise bureaucratique. Et le boulot inepte consistant à remplir des notes de service pour protéger ses fesses gâchait un temps précieux. Mais c’était le jeu et il fallait le jouer. »

Rien n’est épargné au lecteur. Ni les détails de la mort, ni le déroulement de l’expertise du médecin légiste, ni les idées noires que broient les inspecteurs, ni les codes instaurés entre les bandes faisant la loi dans les banlieues. Violences, règlements de compte, crises de couples, jalousies, deal… Baltimore est une ville dont le taux de criminalité est excessivement élevé. Cette enquête explique aussi les raisons de cette réalité sociale.

Très bonne série. Pesante. Plombante. Crue. Il me tarde d’en connaître le dénouement et, consécutivement à cela, de voir aussi Philippe Squarzoni revenir à ses propres documentaires.

Autres albums de l’auteur que vous trouverez ici : Saison brune, Torture blanche, Garduno en temps de paix, Zapata en temps de guerre, Dol ainsi que les trois premiers tomes et le dernier tome de cette série.

Homicide – Une année dans les rues de Baltimore

Tome 4/5 : 2 avril – 22 juillet 1988

Pentalogie terminée

Editeur : Delcourt / Collection : Encrages

Dessinateur & Scénariste : Philippe SQUARZONI

Dépôt légal : septembre 2019 / 174 pages / 17,95 euros

ISBN : 978-2-413-01754-7