Ma Vie en Prison (Kim)

Kim © Kana – 2020

Matricule 3876. Prisonnier politique. Yongmin Kim est âgé de 26 ans. Huit mois de détention préventive pour avoir manifesté pour dénoncer le système, ses failles, ses mensonges. On est en 1997, à Séoul. Profondément révolté, il l’est… plus encore depuis qu’il a appris les circonstances du massacre de Gwangju en mai 1980… Yongmin rejoint alors les mouvements de protestation. Son avis de recherche est diffusé par les forces de l’ordre jusqu’à ce qu’il soit arrêté et transféré en Maison d’Arrêt en attendant son jugement. Il passera huit mois dans la même cellule que huit détenus, des gangsters récidivistes. Yongmin parvient à relativiser le fait de devoir côtoyer des criminels et finit par trouver sa place dans le groupe de ses codétenus.

En 2009, Hong-mo Kim (manhwaga) décide de raconter la période qu’il a passée en prison. Il était alors étudiant à la Fac des Beaux-Arts et très investi dans les mouvements étudiants coréens de la fin des années 1990. Revenir sur les événements de 1997 a été l’occasion pour l’auteur de faire le point sur son parcours. Sorte de « bilan intermédiaire » à l’approche de la cinquantaine, il en tire des constats parfois sans appel et déplore d’avoir laissé le confort de sa vie actuelle prendre le pas sur son militantisme. Ce n’est qu’en 2015 qu’il trouve un magazine prêt à le publier. C’est donc sous forme d’épisodes que ce témoignage rencontre ses premiers lecteurs avant d’être édité sous forme d’album en 2018. Du fait de la prépublication du récit dans une revue, on est face à des redites légères au début de chaque chapitre. Cela n’affecte pas la lecture mais nous rappelle régulièrement les étapes franchies par le scénario pour parvenir jusqu’à nous sous la forme d’un récit complet.

Dans ce récit autobiographique, Kim Hong-mo se glisse dans la peau de Kim Yongmin. Son alter ego de papier lui permet de modeler les événements… Il a ainsi fait le tri dans ses souvenirs pour n’en garder que le meilleur et pour pouvoir s’appuyer sur une atmosphère carcérale plutôt joviale qui fait abstraction des moments de tensions, des coups de Trafalgar et des périodes de longue déprime (et elles furent nombreuses à en croire la postface rédigée par Hong-mo Kim en 2018). L’ambiance est bon enfant. Le quotidien est routine et quiétude mais c’est aussi l’occasion de faire état des conditions de détention des prévenus en attendant leur passage au tribunal.

Cet univers d’huis-clos carcéral, nous nous en échappons régulièrement. De nombreux passages, narrés en voix-off, permettent au personnage de se remémorer des faits passés : son militantisme dans le mouvement étudiant mais également des faits antérieurs. Il contextualise ainsi les événements qui ont eu lieu en mai 1980 à Gwangju et brosse de façon plus général le portrait d’une société qui a lutté pour installer un pouvoir démocratique. Le noir et blanc apparent des illustrations impose une forme de sobriété et de dépouillement dans ce quotidien pour autant, le sérieux de l’album n’abruti pas durant la lecture. Les sujets traités sont graves, certes… mais la lecture est facile et prenante.  

Ça faisait longtemps que j’avais délaissé les mangas/manhwas/manhuas au bénéfice d’albums généralement issus des productions européennes. Voilà tout à fait le genre de témoignage qui me plait tant dans le rythme, le traitement graphique que la manière de traiter un sujet. Un album qui mérite qu’on en parle, qu’on le lise et qu’on le fasse découvrir me semble-t-il.

Ma vie en prison – Le récit d’un cri pour la démocratie !

Récit complet

Editeur : Kana / Collection : Made In

Dessinateur & Scénariste : Hong-mo KIM

Traduction : Yeong-hee LIM

Dépôt légal : mars 2020 / 224 pages / 18 euros

ISBN : 978-2-5050-7627-8

Au Pays du Cerf blanc (Chen & Li)

Au Pays du Cerf blanc, à une journée de marche de Xi’an, capitale de la province du Shaanxi, la vie suit son cours et le rythme des saisons. De mariages en récoltes, dans le village de Bailu, les traditions cimentent les rapports entre les villageois. Bai et Lu, les deux familles les plus importantes de la contrée, veillent au grain et aux respects des règles sans toutefois parvenir à éviter quelques frictions.

Au Pays du Cerf blanc, tome 1 –
Chen – Li © Editions de La Cerise – 2015

La vie suit son cours lorsque l’année 1911 se présente à la porte. Rien ne laisser présager les changements à venir mais doucement déjà, les mentalités ont commencé à changer. Certes, dans les campagnes, le vent de la Révolution ne se fait pas sentir… dans un premier temps du moins. Par la suite, les remous provoqués par les révolutionnaires, l’arrivée des soldats dans les villages reculés, la violence et leurs exactions quotidiennes vont profondément changer le visage de la Chine. L’Empereur tombe et les partis politiques s’organisent. Les Chinois ne le savent pas encore mais moins de cinquante ans plus tard, la République de Chine fera ses premiers pas, portant les espoirs de certains et balayant les inquiétudes qu’ont les autres face à ce changement radical.

Adapté du roman de Chen Zhongshi, le diptyque de Li Zhiwu est un petit bijou graphique. Ses illustrations charbonneuses d’un réalisme fou m’ont fait penser à de vieilles photos en noir et blanc. Comme par magie, le temps a été suspendu et il nous est permis de plonger dans le décor d’une époque aujourd’hui révolue. Le format à l’italienne met en valeur ces illustrations ; superbement relié, l’objet-livre que nous tenons en main est magnifique.

Le scénario est lent, factuel, loin de mon registre de prédilection habituel. Et pourtant, on se laisse prendre, on tourne les pages pour parcourir ce pan dramatique de l’histoire de la Chine.

« Au Pays du Cerf blanc » est un lianhuanhua (bande dessinée traditionnelle de la Chine populaire). Avec ce récit, on parcourt trois décennies, de 1911 à 1949. Lorsqu’on referme le second tome, le tumulte qui a agité la Chine, ses villes et ses campagnes, est un peu retombé. Sur cette durée, nous avons suivi trois générations de trois familles originaires d’une même région. Nous avons également vu un pays entre deux identités, abandonnant de force celle qu’elle avait toujours connue et en pleine quête de l’identité qu’elle revêtira un jour. Nous avons vu un peuple partagé par d’incessants va-et-vient entre ses traditions séculaires et sa liberté nouvelle, entre de vieux rituels et un élan nouveau. Les anciens seigneurs sont tombés en disgrâce, leurs vassaux les ont détrônés. Un vent de révolte a soufflé si fort qu’il en a fait tituber tout un peuple ; hommes et femmes, riches et pauvres, tous ont été tancés, ébranlés, affectés. Certains en sont ressortis plus forts mais la grande majorité n’a finalement eu d’autre choix de que subir, de courber l’échine en attendant que leur sort soit décidé. Des familles se sont déchirées puis réconciliées avant de se déchirer à nouveau. Les amertumes se sont renforcées puis assoupies. Les fiertés individuelles se sont endurcies et peu à peu, les coups bas ont été perpétrés.

Un diptyque intéressant, riche en informations et faisant intervenir plus d’une vingtaine de personnages récurrents. On s’y perd parfois, la lecture demande un minimum de concentration mais elle est d’une saveur incroyable.

L’article dédié à cet univers sur kbd.

Au Pays du Cerf blanc (diptyque)

Adapté du roman de Zhongshi CHEN

Editeur : Editions de La Cerise / Collection : La Cerise sur le Gâteau

Dessinateur & Scénariste : Zhiwu LI

Traduction : Grégory MARDAGA

Premier tome : Dépôt légal : janvier 2015 / 424 pages / 29 euros

ISBN : 978-2-918596-07-3

Second tome : Dépôt légal (tome 2) : juin 2015 / 402 pages / 29 euros

ISBN : 978-2-918596-09-7

Bons baisers d’Iran (Vilain)

Vilain © Vraoum – 2015
Vilain © Vraoum – 2015

En 2014, Lénaïc Vilain et sa compagne ont effectué un séjour de quinze jours en Iran. Munis d’un simple guide touristique et de quelques connaissances sur le pays, ils entament un circuit qui leur fera découvrir Téhéran, Ispahan et Chiraz.

Les réservations dans les différents hôtels sont faites pour le reste, ils ne parlent pas un seul mot d’iranien. Et puis autant se plier à l’évidence : le paréo que sa femme utilise en guise de voile doit rapidement être remplacé par un hijab un peu plus fonctionnel.

Pour le reste, c’est l’aventure. Un passage au bureau de change pour convertir les Euros en Rials ne leur évite pas les déconvenues lorsqu’il s’agit de payes une somme énoncée en Tomans. Le Wifi de l’hôtel permet certes de se connecter mais pas d’accéder à sa page Facebook. Choc de cultures au quotidien… heureusement, lorsqu’on a une bonne dose d’humour, on relativise plus vite et on apprend beaucoup au contact des gens du coin.

Les carnets de voyage sont toujours un bon moyen de se sensibiliser au mode de vie d’un pays. A l’instar d’autres auteurs (Simon Hureau, Sarah Glidden, Nicolas Wild, Florent Chavouet, Renaud De Heyn, Baudoin & Troub’s…), Lénaïc Vilain se prête à l’exercice, histoire de casser quelques préjugés sur le pays dans lequel il s’est rendu. Car non, il n’a pas été kidnappé, non il n’a pas été recruté par djihadistes, oui c’est un pays différent et « très sécuritaire » mais « somme toute assez normal »… et c’est toujours intéressant de le dire. En quelques années, le carnet de voyage s’est répandu et il n’est plus rare aujourd’hui de trouver ce type de récit.

Sous son air de ne-rien-y-connaître, Lénaïc Vilain aborde pourtant des sujets essentiels comme l’ambiguïté iranienne à choisir entre la démocratie et un régime autoritaire, le fait que les candidats à la présidentielle doivent avoir l’aval de l’ayatollah pour pouvoir se présenter, le port obligatoire du voile imposé aux femmes alors qu’elles ont acquis des droits essentiels (nombreuses sont inscrites à l’université ou dans un poste à responsabilité politique par exemples).

Bons baisers d’Iran – Vilain © Vraoum – 2015
Bons baisers d’Iran – Vilain © Vraoum – 2015

Et puis l’humour aide grandement à faire cette découverte. Pour avoir déjà lu Lénaïc Vilain sur un autre témoignage (dans « R.A.S. », il partageait quelques anecdotes de l’époque où il était veilleur de nuit dans un hôtel), je m’attendais à retrouver dans « Bons baisers d’Iran » cette autodérision et ce cynisme amusé qui m’avait tant plus dans son premier album. Pour le coup, ce livre a largement répondu à mes attentes. Le scénario quant à lui reprend chronologiquement le circuit qu’ils ont effectué durant leur séjour touristique. Le couple est simplement équipé d’un guide touristique acheté en France et, outre les quelques garanties qu’ils se sont assurées (réservation des hôtels dans les trois villes où ils font étape), le reste donne l’impression qu’ils partent « la fleur au fusil » avec comme seule intention l’envie de découvrir le pays. L’autodérision permet de relativiser certains constats qu’ils font « in situ », des constats qui en auraient certainement découragés plus d’un de poursuivre au-delà. En effet, certaines observations font planer comme un silence durant la lecture, à commencer par les programmes télévisés destinés à la jeunesse qui matraque une forme de propagande antisioniste éhontée. Son regard de non-initié fait mouche et laisse au lecteur la possibilité de réfléchir et de tirer ses propres conclusions. L’auteur quant à lui se permet quelques remarques finement posées qui prête à sourire et incitent à prendre du recul. Enfin, un passage – dans lequel l’auteur retranscrit un échange qu’il a avec un guide – permet de balayer rapidement les principaux points qui caractérisent ce pays : la politique, la religion et l’économie iraniennes sont quelques sujets qu’ils aborderont à cette occasion.

T’as le choix entre une forme de dictature ou une autre…

Les illustrations sont pleines de bonhomie et installent dès la première page une ambiance à la fois propice à la découverte et pleine de bonne humeur. Le trait sape le récit puisqu’il lui retire toute possibilité de plomber le discours d’un trop plein de lourdeurs. Car il est facile, avec un récit sur un pays du Moyen-Orient, de glisser vers le pessimiste voire la paranoïa. Le dessin est beaucoup plus rond que dans ses précédents albums, les personnages sont légèrement plus ratatinés, comme si l’auteur s’était aidé des proportions habituellement réservées pour dessiner les corps des enfants. Cela renforce le fait que le voyage s’est déroulé en toute simplicité et que les rares rencontres fortuites faites avec des indigènes se sont faites tout à fait naturellement.

PictoOKUn album sympathique à découvrir, que vous soyez ou non amateur de carnets de voyages, que vous soyez ou non sensibilisés à la question iranienne.

Extrait :

« – Je me demandais… en France… Est-ce que les gens pensent qu’on est des terroristes ? Est-ce qu’ils croient qu’on brûle des drapeaux américains dans les rues en criant « Allah Akbar » ?
– Ha ! Ha ! Non ! Sinon on ne serait pas venu… Après, il y a quelques a priori, hein. Mais bon, c’est la France. On a toujours un peu tendance à confondre les régimes et les peuples. Et puis notre ministère des Affaires étrangères « déconseille fortement les voyages en Iran » sur son site web. Ça n’aide pas.
– Alors il faut que vous soyez nos ambassadeurs quand vous serez rentrés. Parce que j’ai ouvert cet hôtel avec mes économies, suite à notre récente ouverture au tourisme… et y’a pas foule » (Bons baisers d’Iran).

Bons baisers d’Iran

One shot

Editeur : VRAOUM

Dessinateur / Scénariste : Lénaïc VILAIN

Dépôt légal : octobre 2015

ISBN : 978231650969

Bulles bulles bulles…

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Bons baisers d’Iran – Vilain © Vraoum – 2015