Entre les lignes (Mermoux)

Mermoux © Rue de Sèvres – 2021

Une histoire de famille.

Un retour aux racines, une plongée dans une histoire familiale via les carnets intimes et les lettres écrites par un homme. Chaque 3 avril pendant quarante-sept ans, il écrit à Anne-Lise Schmidt. Qui est-elle pour lui ? Un amour perdu ? Une correspondante de guerre ? Son enfant ?

Cet homme se nomme Moïse. Il est né en 1910. La Première Guerre Mondiale le prive très tôt de son père et lui laisse comme seul parent une mère distante et incapable de donner de l’affection. Il grandira avec cette douleur d’avoir perdu un être cher et la difficulté d’appartenir à un milieu très modeste.

Au décès de Moïse, Denis (son fils) découvre les écrits que Moïse a rédigé tout au long de sa vie. Trois carnets et des lettres. La première est datée du 3 avril 1960. La seconde du 3 avril 1961… Un rituel s’installe. Chaque 3 avril, Moïse prend sa plume et s’adresse à Anne-Lise. Il lui raconte chronologiquement les événements importants de sa vie. Jusqu’à sa mort, Moïse passe chaque année au peigne fin la suite de son parcours et révèle les secrets qu’il n’a confié à personne. « Anne-Lise » , « Lisette » , « ma petite souris » … toujours une grande bienveillance dans les mots de l’aïeul pour donner forme à ses mémoires. Et toujours ce sentiment que Moïse se justifiait d’une faute inavouée et d’une immense culpabilité qui le ronge. La teneur des propos bouleverse Denis qui découvre le vrai visage de son père. Son sang ne fait qu’un tour et provoque une crise cardiaque. Cloué au lit pour les besoins de sa convalescence, Denis décide de transmettre l’intégralité des documents à son fils Baptiste Beaulieu.    

A la lecture des premières lettres, Baptiste propose à son père d’aller à la rencontre des lieux où a vécu Moïse. Il ambitionne également de retrouver certains protagonistes qui ont côtoyé son grand-père – à défaut leurs descendants. Baptiste souhaite recueillir leurs témoignages pour les partager avec son père. Face à l’ampleur de la tâche et face aux difficultés de la voir se réaliser, Baptiste décide finalement de maquiller la réalité. Il voit dans cette démarche l’opportunité de renouer le dialogue avec son propre père et la possibilité de lui faire passer quelques messages.

Les lettres de Moïse et les répercussions qu’elles ont eues dans la relation entre Baptiste et Denis seront le socle de « Toutes les histoires d’amour du monde » , un roman de Baptiste Beaulieu publié en 2018 aux éditions Mazarine.

Dominique Mermoux s’est saisi du texte du romancier… « Entre les lignes » est son adaptation en bande dessinée. Il crée deux ambiances graphiques propres à chaque facette du récit. Le présent et ses couleurs nous montrent comment le fils reconstruit la relation avec son père grâce aux recherches qu’il entreprend. Le passé et ses tons bleus-sépia très doux reprennent mot pour mot les lettres de Moïse.

Des passerelles se créent entre les deux périodes… autant de faits qui créent des occasions de dire, de se dire, au travers des personnes que Baptiste va rencontrer et interviewer. Il constate vite qu’il est impossible de retrouver les lieux et leur ambiance à l’identique, tout a tellement changé en cinquante ans ! Loin d’abandonner son idée, Baptiste décide de recueillir les témoignages de son entourage dont il est plus ou moins proche. Il y intègre notamment les récits de personnes qui lui sont proches comme celui de son compagnon.   

« Tu sais, quand je suis parti là-bas, à sa demande, dans l’espoir de lui ramener ce qui a survécu de cette époque, je pensais vraiment trouver quelque chose. Mais il ne me reste rien. Juste du neuf ou des ruines. Le neuf n’a rien à raconter et les ruines sont muettes. Vouloir fourrer une âme dans les lieux et croire qu’on peut la capter est une maladie de la pensée. Ce qui survit, ce sont les gens et les histoires qu’ils transmettent. »

Grâce à cette démarche, la parole se remet à circuler entre Baptiste et son père. Les non-dits et les tabous se lèvent, les doutes s’énoncent… les abcès se crèvent. Une catharsis.

Le grand-père de Baptiste aura connu les deux guerres mondiales. Trop jeune pour être appelé sous les drapeaux durant la Der des Der, il en gardera néanmoins une profonde blessure ; son père ne rentrera pas des champs de bataille. La Seconde Guerre Mondiale le changera profondément. D’abord en première ligne, il sera appréhendé par les Allemands et fait prisonnier. Les événements qui se produisent durant sa captivité le marqueront à vie. Ses lettres en témoignent et montrent à quel point la grande Histoire a influencé la petite histoire de sa vie d’homme.  

« Parfois, je pense à ce qui est arrivé, puis à ce qui aurait pu arriver et n’a jamais été, et je mords l’intérieur de mes joues, j’ai honte de cette immense douleur, et je pleure encore comme celui qui sait bien que, finalement, le bonheur est un projet surhumain, sur cette terre. »

Le propos est parfois assez convenu et si l’on hésite un court temps quant à l’identité réelle d’Anne-Lise et les liens qui la relie à Moïse, on comprend très vite de quoi il en retourne. Ce récit explore les tenants et les aboutissants qui ont conduit Moïse à faire un choix qu’il regrettera tout le reste de sa vie. Avec les moyens dont il dispose, Baptiste Beaulieu réalise le désir de son grand-père. L’idée d’en faire un livre est spontanée, sincère… une bouteille à la mer. En partageant les lettres de Moïse et en retraçant les démarches qu’il a réalisées pour mettre ses pas dans ceux de son aïeul, Baptiste confie un message à ses lecteurs et rêve qu’un jour, ce message atterrisse entre les mains de la personne à qui il est destiné : Anne-Lise.

J’ai eu l’occasion de lire, à droite et à gauche, de nombreuses critiques qui n’incitent pas le lecteur à se tourner vers l’ouvrage. Pourtant, même s’il m’a fallu un temps pour trouver ma place dans cette lecture, je l’ai trouvé touchant. Emouvant à certains moments.

Les deux facettes du récit sont intimement liées et se nourrissent réciproquement mais j’ai de loin préféré la partie consacrée aux correspondances épistolaires à celle qui s’attarde sur la démarche actuelle de Baptiste Beaulieu. Je crois que cela tient à la veine graphique qui est associée ; le contenu des lettres et la voix-off de Moïse associés à cette ambiance graphique si particulière créent une atmosphère où le temps est comme suspendu… comme si ces souvenirs laissaient le temps flotter. Les mots, les maux, les bonheurs et les doutes de cet homme sont si universels ! C’est une belle histoire de vie et une très belle occasion que Baptiste Beaulieu a su saisir pour renouer le dialogue avec son père.

En revanche, je n’adhère pas à l’objectif final de la démarche. Je doute qu’il soit bon que cette bouteille à la mer arrive à son destinataire car le temps a passé. Anne-Lise n’est plus l’enfant à qui Moïse adressait ses lettres. C’est une femme d’âge mûr désormais… qui vacillera certainement en découvrant le contenu des lettres de Moïse. Je ne sais pas si d’autres lecteurs partagent mon avis sur ce point.

Un bel album que j’aurais tendance à conseiller.

Entre les lignes

– d’après le roman de Baptiste Beaulieu –

Editeur : Rue de Sèvres

Dessinateur & Scénariste : Dominique MERMOUX

Dépôt légal : mai 2021 / 168 pages / 20 euros

ISBN : 9782810202508

Un léger Bruit dans le moteur (Gaët’s & Munoz)

Gaët’s – Munoz © Petit à Petit – 2021

Sorti en 2012, « Un léger bruit dans le moteur » n’intègre le catalogue Petit à Petit qu’en 2017… et c’est l’occasion d’une première réédition. Et voilà une nouvelle réédition comme une jolie petite mise en bouche pour nous préparer à la sortie du second tome – à paraître l’année prochaine – ! Cette seconde réédition est l’occasion d’intégrer un cahier graphique original qui nous permet de nous glisser dans les coulisses de l’album.

Le scénario de Gaët’s est une adaptation du roman éponyme de Jean-Luc Luciani. C’est un univers grinçant, un récit noir noir noir où il ne fait pas bon tomber en panne, de nuit et sous une pluie battante, dans cette bourgade isolée… Pas bon du tout ! On s’installe dans un petit hameau où vivent une poignée de familles. Dans l’une d’elle, un enfant teigneux et qui déteste sa vie va élaborer un projet machiavélique pour supprimer un à un les habitants de ce minuscule village.

« Parce qu’à force de tuer le temps, on finit par tuer vraiment. »

Il n’y a rien de beau dans le quotidien de cet enfant. Même pas le paysage où, malgré l’acharnement de quelques hommes à labourer leurs parcelles, la terre ne rejette rien d’autre que des patates rachitiques. Des colonies de lézards pullulent joyeusement et larvent sur les cailloux brulants de la route.

Ici, les adultes ont des ambitions limitées. Ils sont avares de bons mots, chiches d’affection à donner aux plus jeunes. Ils tournent en rond dans leur quotidien étriqué. Livrés à eux-mêmes, les enfants s’occupent comme ils peuvent. Ils ont le choix : jouer dans les flaques, courir dans les champs, se faire de vilaines farces. Ce milieu rural est des plus austères et on fantasme de voir ce qui vit au-delà. Gaët’s opte un mode de narration qui nous invite à nicher dans la tête du personnage principal ; la voix-off de l’enfant tueur est notre seul guide dans ce monde hostile… dans ce minuscule village en marge de toute vie sociale. Les intentions malsaines du « héros » nous grattent… pourtant, sa voix silencieuse nous attrape et il est difficile de s’extraire de cet univers. L’idée de faire une pause dans la lecture ne m’a pas titillée une seule seconde. On s’immisce dans son esprit malade, on comprend ses intentions, on anticipe avec lui le prochain assaut assassin qui décimera davantage encore la poignée d’hommes qui peuplent cette petite communauté rurale. Il déplie sa logique méthodiquement, se crée une forme de morale et une forme de priorité dans l’ordre des « exécutions » qu’il opère.

« Moi, je rêve souvent dans ma tête à moi que je tue mes parents avec une hache puis que je les regarde mourir. Bien sûr, ils sont toujours vivants. Mais c’est comme s’ils étaient déjà morts puisqu’ils ne font rien de la journée. »

Au crayon, Jonathan Munoz installe une ambiance macabre qui porte l’intrigue à merveille. L’enfant évolue comme un poisson dans l’eau dans son environnement… un quotidien où l’innocence et l’horreur se marient à merveille. Un frisson glaçant nous parcourt l’échine.

Cela faisait un bout que je voulais lire cet ouvrage et à moins que vous ne l’ayez déjà fait, je vous le conseille vivement !

Un léger bruit dans le moteur (récit complet)

Editeur : Petit à petit

Dessinateur : Jonathan MUNOZ / Scénariste : GAËT’S

Dépôt légal : janvier 2021 / 124 pages / 16,90 euros

ISBN : 9791095670230

Pour la peau (Saint-Marc & Deloupy)

Mathilde et Gabriel ont cette insatiable curiosité l’un pour l’autre qui caractérise les amours passionnels. Ils sont reliés par une envie réciproque du corps de l’autre, de son odeur, ses courbes et recoins. Se prendre, s’aimer, se baiser… Être à l’écoute du moindre tressaillement, percevoir le moindre halètement, être à l’affût du moindre râle de plaisir. Mordre, lécher, caresser… Leur relation n’a pas besoin de mots, leurs corps parlent pour eux.  Ils ressentent ce besoin vital du rapport charnel, cette envie de se perdre dans le plaisir de l’enlacement, de la pénétration, jusqu’au point de rupture, jusqu’à l’orgasme. Et jouir de plaisir.

Une fois par semaine, Mathilde et Gabriel s’aiment et goûtent au plaisir. Ils pensent l’un et l’autre à leurs retrouvailles hebdomadaires qu’ils ne rateraient pour rien au monde.

« Tout ce que je sais de lui tient sur un Post-it. Mais je pourrais reconnaître le goût, l’odeur et la forme de son sexe les yeux fermés… son corps qui se tend, ses râles lorsqu’il éjacule dans mon ventre, ou tout au fond de mon cul… »

Ils ne connaissent rien l’un de l’autre en dehors de cette heure qu’ils passent ensemble une fois par semaine dans le bureau de Gabriel. Leurs alliances respectives disent juste qu’en dehors de cet espace, ils sont mariés. Des enfants, des centres d’intérêt, de leurs conjoints respectifs… ils ne savent rien et ne veulent rien en savoir. Ils préfèrent taire ce qui existe en dehors de ce moment où ils se retrouvent. Ils pensaient se satisfaire de leur relations adultère mais le cœur a ses raisons que la raison ignore. Au fil des semaines, l’envie de l’autre va les dévorer.

Ils nous racontent. Ils se racontent. Tour à tour ils prennent la parole pour mettre des mots sur le lien qui les unit. Une oscillation indocile entre épanouissement et frustration. Une envie de profiter du moment, de prendre ce qu’il y a à prendre… et une gourmandise, une faim de l’autre que rien ne vient apaiser et que le moindre détail va attiser.

« La voir au travers du pare-brise inondé de pluie, cela a été comme voir notre histoire, rythmée par les essuie-glaces… de floue à précise, ou bien l’inverse. »

Une fascination. Une attirance. Comme hypnotisés par l’harmonie parfaite parfait de leurs deux corps, leurs va-et-vient naturels, tantôt bestiaux, tantôt tendres.

Une histoire de couple comme tant d’autres.

Une histoire à la fois si unique et si banale. Un cri, un souffle. L’envie de se sentir vivant. Il y a là comme un délicieux étourdissement à vivre ce qui est interdit. Comme s’il s’agissait de donner du sens à une vie qui en manquait.

Sandrine Saint-Marc et Deloupy offrent un sublime scénario écrit à quatre mains. Brûlant et sensuel. Troublant. Le récit réussit à nous placer dans la tête de chacun des deux amants. Les auteurs décrivent aussi bien la passion dévorante que le manque de l’autre et la difficulté à supporter cette absence. Pour combler le vide, il y a les souvenirs et les fantasmes.

Ce ne sont pas des aveux mais des confidences crues. Parfois, la culpabilité de tromper leurs conjoints les surprend mais ils assument entièrement cette relation trouble, discontinue, sur le fil.

Au dessin, Deloupy lui aussi a choisi de ne rien cacher. Ça sent le stupre, la sueur et le désir. Si le dessinateur omet, s’il suggère graphiquement, s’il choisit un angle de vue plutôt qu’un autre, c’est pour faire ressentir davantage cette excitation qui les réchauffe et les remplit. Par le biais de ses illustrations, on sent cette emprise non voulue qu’ils ont finalement l’un sur l’autre. Comme deux moitiés qui n’aspirent qu’à être recollées l’une à l’autre en permanence.

Des ambiances graphiques propres à chaque personnage guident leurs prises de parole. On vit donc avec chacun d’eux ces instants magiques d’osmose totale où la bulle de l’un se mélange à la bulle de l’autre, créant un tout contenant, coloré, harmonieux. On entre pleinement et avec eux dans dans ces bribes de temps qu’ils s’octroient.

Un album émoustillant dans lequel on croise deux personnages réellement très touchants.

Pour la Peau 
One Shot
Editions Delcourt – Collection : Erotix
Dessinateur : DELOUPY
Scénaristes : Sandrine SAINT-MARC & DELOUPY
Dépôt légal : aout 2018, 110 pages, 71.50 euros
ISBN : 978-2-4131-0164-5

Chroniks Expresss #32

Bandes dessinées : Strange Fruit (M. Waid & J.G. Jones ; Ed. Delcourt, 2017), Une sœur (B. Vivès; Ed. Casterman, 2017), Le Coup de Prague (J-L. Fromental & M. Hyman ; Ed. Dupuis, 2017).

Jeunesse : Le petit Mozart (Augel ; Ed. La Boîte à bulles, 2017).

Romans : Le Monde selon Garp (J. Irving ; Ed. Seuil, 1998), Les Rêves en noir et blanc (H. Vernet ; Is Edition, 2016), Le Roi n’a pas sommeil (C. Coulon ; Ed. Points, 2014), Celle qui fuit et celle qui reste (E. Ferrante ; Ed. Gallimard, 2017).

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Bandes dessinées


Waid – Jones © Guy Delcourt Productions – 2017

1927, état du Mississippi. Le fleuve est en crue. Il s’agit de prendre les mesures nécessaires rapidement, de renforcer les digues et de mettre la population à l’abri. Alors que les Blancs enrôlent les Noirs de force afin de leur prêter main forte, Washington mandate un ingénieur noir pour alerter la population : rien ne sert de consolider les infrastructures… il faut évacuer.
La ville de Chatterlee est en alerte. Au sol c’est le branle-bas de combat, entre les travaux de terrassement et les recherches menées pour retrouver un jeune garçon qui a disparu. Dans les airs, une météorite se rapproche dangereusement vite de la Terre et se crash non loin de la petite ville… dans un champ de coton. Une météorite ? Non. Un vaisseau duquel sort un homme à la peau noire.
Le climat électrique exacerbe les tensions et les animosités. Les propriétaires terriens blancs, pris de panique, tentent d’impressionner les anciens esclaves. Le Klan envoie ses hommes pour intimider ceux qui osent les critiquer.

Le scénario imaginé par Mark Waid a de quoi intriguer. Le programme est alléchant, reste à voir comment, avec tout ces éléments, la mayonnaise peut prendre. Le personnage principal est fascinant et charismatique et l’idée d’un surhomme noir quasi mutique m’a séduite. Pour enrichir le récit, le scénariste utilise un fait historique réel en la présence de la crue de 1927 qui, outre les dégâts matériels qu’elle a provoqué, a été meurtrière. Pourtant, je me suis rapidement lassée de l’album. Je trouve que Mark Waid a voulu en faire trop et traiter trop de sujet à la fois. Il n’y a rien de réellement spectaculaire dans les événements qui ont lieu, ce sur-homme est une caricature parfaite de l’anti-héros – à l’instar de Hancock – ce qui a ici le mérite de donner de la profondeur à l’intrigue. Mais je le disais, on a là trop de sujets (le racisme, l’héroïsme, une société en mutation, l’horreur, l’individualisme, la foi, le ségrégationnisme…) et face à ce côté prolifique… on survole, on voit notre intérêt faiblir à mesure que les pages se tournent. Le personnage principal n’évolue pas, ne chemine pas. Il reste totalement étanche à ce qui se passe autour de lui, comme une mécanique programmée, comme un robot conditionné. Et l’on s’agace de le voir si prévisible. Une force de la nature sans grand intérêt si ce n’est les passions qu’il est capable de déchaîner autour de lui.

La première publication de ce roman graphique américain date de juillet 2015. La version française (parue en avril 2017 chez Delcourt) est augmentée d’un fascicule et d’un cahier graphique (de toute beauté) ; ces bonus viennent agrémenter la lecture, donner des précisions quant à la démarche des auteurs et prolonger l’univers.

Par contre côté graphique, le travail de Jeffrey G.Jones est impressionnant. Ses aquarelles sont sublimes d’un bout à l’autre de l’album et honorent la plastique tout en muscles du héros… Jeunes filles, vous ne devriez pas être déçues 😛

Un album malheureusement dispensable. Des personnages trop vite balayés, leurs personnalités tout juste esquissées, ils jouent un rôle mais ne l’incarnent pas. Ils s’agitent et s’éparpillent à l’image du scénario.

 

Vivès © Casterman – 2017

C’est l’été, le temps des grandes vacances est revenu. Pour Antoine et Titi, l’heure est revenue de retrouver la maison secondaire, à deux pas de la mer. Des semaines doucereuses à passer avec leurs parents. Mais cet été-là a rapidement un goût différent des précédents. Pas forcément pour Titi qui du haut de ses 10 ans nage encore dans l’insouciance. Mais pour Antoine qui a 13 ans, l’arrivée d’Hélène, la fille d’une amie de sa mère, va être un raz-de-marée dans sa vie. Pour lui, c’est l’été des premières fois. Premier flirt, premiers sentiments amoureux, première clope, premier verre, première pipe, … En peu de temps, Antoine va quitter définitivement l’enfance et entrer à pieds joints dans l’adolescence.

Bastien Vivès est revenu avec un album fort et sensible. Le personnage de l’adolescente m’a agréablement surprise. Dévergondée mais sans être vulgaire, forte et fragile à la fois, audacieuse et farouche, le rythme de l’album colle à ses caprices et à ses désirs. On retrouve aussi la même veine graphique que dans « Polina » : un dessin subtil qui caresse les personnages. Noir, blanc et gris suffisent pour poser avec délicatesse les mots et les maux, les pensées et les émotions qui ne trouvent pas le chemin de la parole. Les fonds de cases sont parfois nus, nous laissant ainsi savourer l’intimité d’une scène, nous laissant ainsi mesurer l’ampleur d’une peur ou la force d’un désir.

J’ai été cueillie par cet album, surprise par cette parenthèse. Je suis retournée en arrière et j’ai laissé certains souvenirs de ma propre adolescence remonter à la surface. Beau.

La bande-annonce de l’album (chez Casterman) et le site de Bastien VIVES.

 

Fromental – Hyman © Dupuis – 2017

« Hiver 1948, dans le blizzard de la capitale autrichienne sous occupation des quatre puissances. Dépêché par le studio London Films, G. travaille à l’écriture de son prochain long métrage, assisté par l’énigmatique Elizabeth Montagu. Cette dernière, dont le passé militaire et les relations l’attachent aux services secrets britanniques, découvrira bien vite que le prétexte artistique dissimule de véritables tensions politiques et que les lendemains de guerre ne sont pas toujours chantants. Cette mission en apparence paisible basculera dès lors dans l’atmosphère sournoise d’une révolution fulgurante que l’Histoire retiendra sous le nom de « coup de Prague » » (synopsis éditeur).

Je passerai vite sur cet album qui m’est tombé des mains et donc je ne connaîtrai jamais la fin. Entre romance, intrigue politique, espionnage, courses poursuites, référence littéraire… je me suis égarée dans les rue de Prague pour fuir volontairement ces héros qui m’ont tous été antipathiques.

Bonne nouvelle pour l’album : il fait partie des « 20 indispensables de l’été » de l’ACBD (au même titre que le roman graphique de Bastien Vivès dont je vous parlais plus haut) … et ça dépasse mon entendement !

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Jeunesse

 

Augel © La Boîte à bulles – 2017

Enfant déjà, Mozart n’était intéressé que par la musique. La musique l’accaparait entièrement, à chaque instant. Il composait sans cesse et en tous lieux. Il compose à n’importe quel moment de la journée, écrit ses partitions en tous lieux et sur n’importe quel support ; une barrière, un mur, le sol, des feuilles, du linge… Il joue, virtuose, il fait corps avec sa musique, en totale harmonie avec son instrument. Il fusionne avec la mélodie.

Augel imagine l’enfant que Mozart pouvait être. Un savant fou en herbe, le cheveu ébouriffé, la tête dans les étoiles et dans les portées de musique. Rien d’autre ne copte pour lui. La musique est son oxygène.

Petites scénettes plus ou moins longues (du strip à quelques pages). Petites anecdotes humoristiques au ton malicieux. On sourit souvent sans jamais parvenir au rire franc. Le ton est gentillet, il n’est jamais niais. Un brin de philosophie, un peu de poésie, tous les ingrédients sont là mais il manque un je-ne-sais-quoi pour que l’album soit abouti.

Une lecture qui ne laissera pas un souvenir impérissable.

 

Romans

 

Irving © Seuil – 1998

« Jenny Fields ne veut pas d’homme dans sa vie mais elle désire un enfant. Ainsi naît Garp. Il grandit dans un collège où sa mère est infirmière. Puis ils décident tous deux d’écrire, et Jenny devient une icône du féminisme. Garp, heureux mari et père, vit pourtant dans la peur : dans son univers dominé par les femmes, la violence des hommes n’est jamais loin… » (synopsis éditeur).

Un livre qui m’a été offert. Un romancier que je n’avais jamais lu. Des chroniques sur ses œuvres, je n’en ai gardé aucun souvenir. J’ai donc démarré cette lecture sans aucun apriori, sans attente démesurée… seul le plaisir de découvrir une nouvelle plume, un nouveau regard… un monde, celui de Garp.

Très vite, j’ai été prise au jeu. Très vite, j’ai apprécié Jenny. John Irving ne fait aucun détour superflu pour nous permettre d’appréhender la vision que cette femme a du monde. Elle ne s’encombre pas de sentiments inutiles, elle accorde très rarement son amitié. Elle se fond dans sa fonction d’infirmière, sa blouse blanche sera sa seconde peau et se consacre entièrement à son rôle de mère. Une femme entière.

Au bout de quelques chapitres, son fils – Garp, lui volera peu à peu la vedette. Car c’est bien lui le « héros » du roman d’Irving. Le lecteur est présent lors de sa naissance, le seconde lorsqu’il fait ses premiers pas puis le suivra durant toute sa jeunesse, son adolescence et une partie de sa vie d’adulte. Un personnage qui, très jeune, décide qu’il deviendra écrivain. Autour de lui, un clan se forme au fil des années, au gré des rencontres. Sa personnalité s’affirme, ses choix sont les nôtres, ses passions nous emballent au même titre que les combats qu’il mène.

Le roman s’ouvre sur une préface rédigée par l’auteur lui-même. Vingt ans séparent ces deux écrits (roman et préface). Il met un point d’honneur à expliquer que « Le Monde selon Garp » n’est pas un roman autobiographique mais que, bien évidemment, certains éléments narratifs s’inspirent logiquement d’anecdotes et/ou de rencontres réelles.

Un ouvrage dense mais jamais pompeux. Un récit généreux que l’on dévore. Des personnages haut en couleurs, des situations originales, les œuvres du personnage fictif intégralement (ou presque) reproduite dans le roman d’Irving. Le processus de création, le rapport à l’écriture, à la lecture. La transmission d’une génération à l’autre. Les prises de position. L’altruisme. La jalousie. L’infidélité. L’amitié. La tolérance. La concupiscence… Autant de thèmes traités dans ce riche roman. Prenant, drôle, revêche. Je sors repue et satisfaite de ma découverte d’Irving.

 

Vernet © Is Edition – 2016

Philea a la vie devant elle mais elle vit comme si elle allait s’arrêter demain. Elle a 25 ans, l’amour des livres. Elle en a fait son métier. Elle est libraire. Elle a une peur farouche des hommes du moins, elle a vécu une histoire avec un homme. Mais c’était avant, il y a longtemps. Elle y a laissé des plumes. Désabusée désormais, elle sait que l’amour n’existe pas. Que ce qui est beau n’est qu’éphémère. Elle n’attend plus rien des hommes. Depuis, elle a cumulé les aventures. Elle a séduit et s’est laissé séduire. Mais elle n’a plus ressenti ce qu’elle avait ressenti la première fois. Puis un jour, elle croise Theo dans une soirée. C’est à peine si elle l’a remarqué. Le lendemain, elle reçoit son premier mail. Il contient une vidéo en noir et blanc. Une chanson de Nougaro. D’autres mails viendront jusqu’à ce qu’elle accepte un rendez-vous. Elle appréhende, n’en attend rien juste de pouvoir lui dire qu’ils n’ont rien à faire ensemble. Les rendez-vous se succèdent, il lui dit ses sentiments. Elle a plus de réticences, elle résiste, elle sait que chaque relation est vouée à l’échec. Elle est séduite, amusée, surprise. Il est intelligent, « charmant. Ensorcelant. Atemporel ». Il lui plaît, il est à la fois tendre et indécent. Le désir monte en eux. En sa présence elle est bien. Une osmose. Deux âmes sœurs jusqu’à ce que les premiers doutes surgissent.

Elle étouffe sous le poids d’un bonheur dont elle pressent l’abîme.

Un roman sur le couple et sur chaque individu qui le compose. Homme, femme. Un duo à la recherche d’une harmonie. Une entité composée de deux êtres, une prolongation de chacun d’eux. S’épanouir dans le couple, s’y abandonner pour mieux s’y retrouver. Une quête de sens. Quand les sentiments s’expriment avec autant de naturel, autant de spontanéité, on cherche parfois à en comprendre la raison. Une unité fragile faite des désirs de deux personnes, un équilibre dans lequel on s’épanouit. Lorsque le couple est une telle évidence, on cherche à le préserver puis peut-être qu’on s’y habitue. Alors on n’y fait plus attention, on sent les bases vaciller et, mû par un instinct malsain, on cherche à s’en protéger. Convaincre l’autre que nos doutes sont fondés pour qu’il les démente afin de nous rassurer. Mais lorsque le poison commence à se répandre, l’autre facette du couple se répand comme une trainée de poudre.

Extrait du prologue : « L’histoire en elle-même est tout aussi banale que la fille qui l’a écrite. Pourtant, elle mérite d’être racontée ici pour rendre hommage au courage de cet homme et de cette femme qui ont essayé de s’aimer, sans attache, tout en sachant que c’était perdu d’avance, tout en sachant qu’ils ne pourraient pas se sauver l’un l’autre, ni se soulager, et qu’ils mouraient un jour sans laisser aucune trace de cet amour. Voici l’histoire d’un homme et d’une femme qui ont fait l’expérience de la solitude à deux, sans jamais fléchir sous le poids de l’espoir, pour sauver la seule idée en laquelle ils croyaient : tout est perdu d’avance. Rien ne dure jamais. »

Noir – blanc. Yin – Yang. Homme – Femme. Passion – désamour. Une très belle réflexion induite par cette parenthèse conjugale. Quelle belle plume ! Hanna Vernet signe son premier roman. Je l’ai savouré, je l’ai aimée cette femme. Sa fragilité m’a touchée, ses peurs m’ont émue, ses doutes ont trouvé un écho. Superbe ! Framboise en parle magnifiquement bien dans sa chronique.

Quelques liens pour aller plus loin : la présentation de l’ouvrage sur le site de l’éditeur, la page Facebook de l’auteure.

 

Coulon © Editions Points – 2014

Thomas est l’enfant unique de William et Mary Hogan. Une enfance passée dans un cocon, dans le calme de la maison familiale, entre un père aimant mais absent et mystérieux, et une mère prévenante, protectrice et bienveillante.

Thomas est un solitaire. Comme son père, il économise ses mots, ne parle que quand c’est nécessaire. Il n’a pas d’amis excepté Paul… mais en grandissant, leurs routes vont se séparer. Thomas est un enfant sans histoires… mais en grandissant, l’alcool et les déceptions amoureuses vont l’écarter du droit chemin.

Je découvre doucement l’œuvre de Cécile Coulon. Après la claque que j’avais eue à la lecture du « Rire du grand blessé » [découvert grâce à Noukette], j’ai jeté mon dévolu sur cet autre roman. Je n’ai pu m’empêcher de faire des parallèles entre ces deux hommes blessés, torturés, incapables d’éprouver – par on ne sait quelle force – leurs sentiments, incapables de se laisser aller au plaisir, incapables de s’épanouir. Comme s’ils étaient coincés dans des corps trop grands pour eux, trop forts pour eux et que le seul moyen de vivre était de se protéger derrière une carapace. Ils sont cantonnés dans le rôle d’observateur impuissant, spectateur de leurs vies. L’étincelle de vie est incapable de s’allumer dans leurs yeux. Un monde brut, trop rapide et trop agressif pour eux.

Beau. Superbe. J’aime décidément cette écriture puissante de Cécile Coulon. Une écriture qui n’épargne rien aux personnages qui habitent les univers de la romancière.

Les chroniques de Noukette, Jérôme, Sylire.

 

Ferrante © Gallimard – 2017

Retrouver Elena qui termine son parcours universitaire, déterminée à l’idée de s’émanciper pour ne jamais revenir dans les jupons de sa mère et refusant obstinément de revenir dans son quartier natal. Sa première relation amoureuse est désormais loin derrière elle. Elle est aujourd’hui engagée avec Pietro ; ce dernier incarne pour elle ses rêves d’ascension sociale et de réussite. Elle va se marier. Son roman est désormais publié et la jeune femme, docile, se déplace au travers de l’Italie pour en faire la promotion. C’est à l’occasion d’une séance de dédicace qu’elle retrouve Nino, un amour de jeunesse.

Retrouver Lila qui, après avoir l’opulence, est retournée à la misère. Après le luxe, retrouve l’incurie. Après les belles tenues se vêtit de nouveau de fripes. Son travail à l’usine la nourrit à peine. Elle élève tant bien que mal l’enfant qu’elle a eu de Nino.

Elles ont 25 ans et leurs vies sont aux antipodes. Elena s’installe en couple, enfante à son tour. Leurs vies semblent toutes tracées mais les deux femmes sont encore fortement dépendantes l’une de l’autre et malgré le fossé qui les sépare, leurs destins sont liés. Yin & yang à jamais enchevêtrés malgré leurs différentes. Elena est prévisible, complexée, effacée. Elle range facilement ses idéaux lorsqu’il s’agit d’assumer le rôle de mère au foyer. Lila est affaiblie mais elle reste électrique, vive, douée. Abattue par ses conditions de vie, elle accepte la misère comme si c’était le prix à payer pour ses erreurs de jeunesse.

J’ai découvert cette sage d’Elena Ferrante grâce à un billet de Framboise qui présentait les deux premiers tomes de la tétralogie « L’Amie prodigieuse » . Tentée, j’ai engouffré « L’Amie prodigieuse » puis « Le nouveau nom » … et attendu avec impatience ce troisième tome. Dans un premier temps, il y a une parfaite continuité dans le comportement du personnage principal (Elena) au point qu’on se lasse de la voir s’effacer derrière des compromis et des faux-semblants. De même, on ne s’étonne pas de voir Lila relever ses manches et saisir au vol une opportunité inespérée de sortir de l’incurie dans laquelle elle vivait.

Contre toute attente, Elena Ferrante met le feu aux poudres et nous surprend. La romancière nous montre que rien n’est joué d’avance. Un vent de folie emporte le récit vers de nouvelles perspectives et c’est une énorme claque que l’on prend en refermant cet opus. Ce troisième tome est de loin mon préféré. Il me tarde le suivant !!

Chroniks Expresss #23

Vide-grenier des chroniques restées en rade ce mois-ci…

BD : L’Ours Barnabé, tome 16 (P. Coudray ; La Boîte à Bulles, 2015)

Lectures (Albums/Romans) jeunesse : Les Aventures fantastiques de Sacré-Cœur, tome 3 : La Momie du Louvre (A. Sarn & L. Audouin ; Ed. Le petit Lézard, 2012), Les Aventures fantastiques de Sacré-Cœur, tome 7 : Le Monstre de la Seine (A. Sarn & L. Audouin ; Ed. Le petit Lézard, 2016), Le vieux fou de dessin (F. Place ; Gallimard, 2008)

Romans : Réparer les vivants (M. De Kerangal ; Editions Verticales, 2014), Le Scaphandre et le papillon (J-D Bauby ; Ed. Robert Laffont, 2007), Je, d’un accident ou d’amour (L. Demey ; Ed.Cheyne, 2015)

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Bande dessinée

 

Coudray © La Boîte à Bulles – 2015
Coudray © La Boîte à Bulles – 2015

L’ours à la ronde bedaine est revenu en automne 2015. Animé d’un esprit débonnaire et doté d’un certain esprit pratique, il nous invite une nouvelle fois à le suivre dans un monde anthropomorphe dont les ficelles nous sont désormais bien familières. Et comme disait André Gide, « Il n’y a pas de problème, il n’y a que des solutions ».

A l’occasion de ce seizième opus, Philippe Coudray continue à explorer cet univers de tous les possibles. La qualité des gags est inégale mais l’ensemble est très agréable à lire. Quelques éclats de rires au détour d’une page sont la preuve que Barnabé parvient toujours à nous surprendre.

Simples et efficaces, les gags et leur chute peuvent être entendus différemment en fonction de l’âge du lecteur. On ne pouvait rêver titre d’album plus évocateur que ce « Trucs et astuces »… Un réel plaisir à suivre Barnabé à mesure que les albums sont publiés. J’ai été plus loquace sur les titres précédents (les Index vous aideront à les trouvez sur le blog).

PictoOKUne série qui poursuit son bonhomme de chemin sans perdre son panache. L’éditeur recense les liens des chroniques déjà en ligne.

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Lectures Jeunesse

 

Sarn – Audouin © Le petit Lézard – 2012
Sarn – Audouin © Le petit Lézard – 2012

Sacré-Cœur est un petit garçon débrouillard qui vit à Paris chez sa tante Finelouche. La vieille dame habite en plein cœur de la capitale, au 28 rue du Chemin Vert dans un immeuble haussmannien. Sacré-Cœur s’y est vite fait des amis et, dans la cave de l’immeuble, il s’est aménagé un atelier pour bricoler ses inventions.

Le principe de la série : « Dans chaque album, c’est un des habitants de l’immeuble qui devient le personnage principal de l’histoire ! Sacré-Cœur a donc fort à faire, quand Mademoiselle Mulot tombe amoureuse d’un vampire ou quand Monsieur Parrocchio se transforme en loup-garou » (texte de l’éditeur). Sacré-Cœur est accompagné par Abigaïl (une petite fantôme) et Mimi (une chauve-souris) qui lui prêtent main forte dans ses enquêtes. Dans ce troisième tome, Sacré-Cœur va devoir venir en aide à Mr Droit – le voisin du troisième étage – qui travaille en tant qu’archéologue au Musée du Louvre.

Je ne connaissais pas cet univers jeunesse jusqu’à ce que Julia me fasse marquer un temps d’arrêt sur le stand du Petit Lézard où Laurent Audouin, illustrateur de la série, s’installait pour une séance de dédicaces. L’accueil que m’a réservé l’auteur doublé des avis dithyrambiques de mes collègues et d’une petite fille qui attendait pour une dédicace ont eu raison de moi durant le dernier FIBD. J’ai choisi de faire découvrir deux tomes de « Sacré-Cœur » à mes fils… compte tenu de l’engouement qu’a provoqué cette « Momie du Louvre », j’imagine que les autres tomes de la série vont débarquer prochainement sur nos étagères.

Ce petit roman policier se lit très facilement. Son format (19*26) tient bien en main et propose sur chaque page une alternance de textes et d’illustration. L’ensemble est aéré, ludique et porte bien la dynamique du récit. De plus, chaque histoire se découpe en plusieurs chapitres, ce qui permet de faire des pauses assez facilement, de reprendre, relire… Le suspense est travaillé de telle façon à accrocher le lecteur sans le terroriser. Bien sûr, on est inquiet pour les personnages, mais la tension est vite prise à contre-pied grâce à Sacré-Cœur qui a plus d’un tour dans son sac (ou plutôt, plus d’une invention dans son sac).

PictoOKBelle découverte. Nous devrions plonger rapidement dans le tome 7 qui s’intitule « Le Monstre de la Seine » (dernier tome en date puisqu’il est paru en janvier 2016). Quant au reste de la série… je pense qu’on l’aura dévorée avant la fin de l’année.

 

Sarn – Audouin © Le petit Lézard – 2016
Sarn – Audouin © Le petit Lézard – 2016

Sacré-Cœur a cette fois fort à faire depuis qu’un violent orage a éclaté au-dessus de Paris. La foudre a frappé à différents endroits, ne causant pas de dommages particuliers, mais depuis cette intempérie, les sœurs Picpic (locataires du premier étage de l’immeuble situé 28 rue du Chemin Vert) se comportent bizarrement. Mais ce n’est pas tout, il a tellement plus que la Seine a débordé… et un monstre semble avoir élu domicile dans les eaux troubles du fleuve, au niveau du Pont de l’Alma…

Tremblez dans les chaumières, une sorte de crocodile géant s’est installé au cœur de Paris, il effraye autant qu’il fascine. Mais comment ce monstre a-t-il pu échouer aux pieds du Zouave du Pont de l’Alma ? Voilà bien un mystère que Sacré-Cœur souhaite percer. Amélie Sarn mène le scénario de main de maître et capte l’attention du petit lecteur. Le suspense est préservé d’autant que l’auteur injecte régulièrement quelques éléments qui viennent intriguer davantage et qui renforcent l’envie de continuer la lecture afin de connaître le fin mot de l’histoire. Le rythme est enlevé et le lecteur tourne les pages avec curiosité, pour ne pas dire avec avidité, si je me fie à la trombine de mon petit lutin. Cet album a capté son attention, très vite, il affichait des yeux ronds comme des billes et n’en finissait plus de les écarquiller davantage à chaque rebondissement.

Les illustrations de Laurent Audouin permettent à l’enfant d’avoir un appui visuel durant sa lecture et ont l’avantage de pondérer un peu la représentation mentale que l’enfant peut se faire de ce monstre aux dents acérées comme des couteaux… « Une chose rougeâtre et écailleuse était apparue à la surface. (…) Tandis que la tête effrayante d’un énorme monstre aquatique surgissait des flots, les Parisiens poussèrent tous un grand cri. Et s’enfuirent en courant ».

PictoOKVerdict : on aime. « Les aventures fantastiques de Sacré-Cœur » ont permis à mon cadet de découvrir le polar… et dire qu’il se régale est un doux euphémisme…

 

Place © Gallimard – 2008
Place © Gallimard – 2008

« Il était une fois au Japon, au cœur du XIXe siècle, un petit vendeur des rues, nommé Tojiro. Le jeune garçon rencontre un jour un curieux vieil homme. C’est Katsushika Hokusai, le vieillard fou de dessin, le plus grand artiste japonais, le maître des estampes, l’inventeur des mangas. Fasciné par son talent, Tojiro devient son ami et son apprenti, et le suit dans son atelier… » (synopsis éditeur).

Récit d’une rencontre entre un enfant et un vieil homme. Naissance d’une amitié et transmission de savoirs. Le vieux Katsushika Hokusai ouvre son atelier à l’enfant et lui apprend les secrets de la fabrication d’un livre (la technique de l’estampe, le rôle de l’éditeur, sa passion pour le dessin…). Pour le jeune lecteur, c’est aussi l’occasion de se sensibiliser à l’œuvre et à la démarche de ce grand artiste. En imaginant la rencontre de ces deux personnages, François Place aide l’enfant à imaginer le Japon de cette époque, l’animation des marchés, les combats de sumo, le dédale et la configuration des rues de Tokyo au XIXème siècle. Le langage de François Place est assez élaboré pour les petits curieux qui découvriraient cet ouvrage.

Le récit se découpe en 16 courts chapitres, ce qui permet de faire des pauses assez facilement dans la lecture pour échanger. En fin d’ouvrage, un glossaire reprend différents termes employés çà et là dans le récit (calligraphie, Kabuki, rônin…). Un bon moyen pour permettre à l’enfant d’en apprendre un peu plus sur l’artiste qui a créé « La Grande Vague de Kanagawa » et, plus généralement, sur le processus de création artistique : démarche personnelle, travail de commande, présentation des différents acteurs du monde du livre (artiste, éditeur, imprimeur, assistant…).

Un roman lu à voix-haute pour des petites oreilles très attentives. Kentin (7 ans) a été fasciné par cet univers un peu ardu.

Les chroniques de Présence et de Zazimuth.

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Romans

 

De Kerangal © Editions Verticales – 2014
De Kerangal © Editions Verticales – 2014

Simon Limbres a 20 ans lorsqu’un matin, en rentrant d’une session de surf, il est victime d’un accident de la route avec deux de ses amis. Si ces derniers devront rester quelques temps à l’hôpital suite aux fractures importantes dont ils souffrent, il n’en est rien pour Simon. Arrivé dans un état critique à l’hôpital, il est mis sous assistance respiratoire. Quelques heures après, ses parents devront encaisser le coup de la nouvelle : Simon ne reprendra jamais connaissance. Etat de mort cérébrale… le temps que ses proches se positionnent quant au don d’organe

« ‟ Le cœur de Simon migrait dans un autre endroit du pays, ses reins, son foie et ses poumons gagnaient d’autres provinces, ils filaient vers d’autres corps. ˮ Réparer les vivants est le roman d’une transplantation cardiaque. Telle une chanson de gestes, il tisse les présences et les espaces, les voix et les actes qui vont se relayer en vingt-quatre heures exactement. Roman de tension et de patience, d’accélérations paniques et de pauses méditatives, il trace une aventure métaphysique, à la fois collective et intime, où le cœur, au-delà de sa fonction organique, demeure le siège des affects et le symbole de l’amour » (présentation éditeur).

Plongée immédiate et complète dans ce roman qui nous place tour à tour du côté de Simon, de ses parents et deux trois membres du corps médical amenés à intervenir sur le corps du jeune homme (cette lectrice prend le temps de détailler les protagonistes). Sans pathos, sans excès, j’ai apprécié la manière dont Maylis de Kerangal traite son sujet, l’effleure lorsqu’il est nécessaire de l’effleurer mais toujours, sonde les pensées et les émotions de chacun des personnages. Elle suit silencieusement le processus de deuil que les parents doivent enclencher, les précautions que prennent les intervenants hospitaliers, les questions personnelles que la situation ne manque pas de leur renvoyer. Concernant l’acceptation ou non du don d’organe(s), on sent effectivement que la décision prises par les parents de Simon est une évidence et c’est là, finalement, qu’on peut reprocher à l’auteure d’avoir dévoilé trop tôt une partie de l’intrigue…

PictoOK… Mais qu’à cela ne tienne, j’ai vraiment apprécié sa touche, sa réserve et sa délicatesse, son émotion et son humanité. J’ai savouré cette façon de parler de l’amour, de la mort, de l’empathie…

Un cadeau de Véro (merci ! ;))

Extraits :

« À deux cents mètres du rivage, la mer n’est plus qu’une tension ondulatoire, elle se creuse et se bombe, soulevée comme un drap lancé sur un sommier. Simon Limbres se fond dans son mouvement, il rame vers le line up, cette zone au large où le surfeur attend le départ de la vague, s’assurant de la présence de Chris et John, postés sur la gauche, petits bouchons noirs à peine visibles encore. L’eau est sombre, marbrée, veineuse, la couleur de l’étain. Toujours aucune brillance, aucun éclat, mais ces particules blanches qui poudrent la surface, du sucre, et l’eau est glacée, 9 ou 10 °C pas plus, Simon ne pourra jamais prendre plus de trois ou quatre vagues, il le sait, le surf en eau froide éreinte l’organisme, dans une heure il sera cuit, il faut qu’il sélectionne, choisisse la vague la mieux formée, celle dont la crête sera haute sans être trop pointue, celle dont la volute s’ ouvrira avec assez d’ampleur pour qu’il y prenne place, et qui durera jusqu’au bout, conservant en fin de course la force nécessaire pour bouillonner sur la grève. Il se retourne vers la côte comme il aime toujours le faire avant de s’éloigner davantage : la terre est là, étirée, croûte noire dans des lueurs bleutées, et c’est un autre monde, un monde dont il s’est dissocié » (Réparer les vivants).

« (…) ils se regardent une fraction de seconde, puis un pas et ils s’étreignent, une étreinte d’une force dingue, comme s’ils s’écrasaient l’un dans l’autre, têtes compressées à fendre le crâne, épaules concassées sous la masse des thorax, bras douloureux à force de serrer, ils s’amalgament dans les écharpes, les vestes et les manteaux, le genre d’étreinte que l’on se donne pour faire rocher contre cyclone, pour faire pierre avant de sauter dans le vide, un truc de fin du monde en tout cas quand, dans le même temps, dans le même temps exactement, c’est aussi un geste qui les reconnecte l’un à l’autre, souligne et abolit leur distance, et quand ils se désincarcèrent, quand ils se relâchent enfin, ahuris, exténués, ils sont comme des naufragés » (Réparer les vivants).

« (…) elle suit des yeux leur marche lente vers les hautes portes de verre, s’adosse contre un pilier pour mieux les voir : la verrière est devenue miroir à cette heure, ils s’y reflètent comme se reflètent les fantômes à la surface des étangs les nuits d’hiver ; ils sont l’ombre d’eux-mêmes aurait-on dit pour les décrire, la banalité de l’expression relevant moins la désagrégation intérieure de ce couple que soulignant ce qu’ils étaient encore le matin même, un homme et une femme debout dans le monde, et à les voir marcher côte à côte sur le sol laqué de lumière froide, chacun pouvait saisir que désormais ces deux-là poursuivaient la trajectoire amorcée quelques heures auparavant, ne vivaient déjà plus tout à fait dans le même monde (…) s’en absentaient, et se déplaçaient vers un autre domaine, qui était peut-être celui où survivaient un temps, ensemble et inconsolables, ceux qui avaient perdu un enfant » (Réparer les vivants).

 

Place © Gallimard – 2008
Place © Gallimard – 2008

AVC. Un acronyme lourd de sens.

« Le 8 décembre 1995, brutalement, un accident vasculaire a plongé Jean-Dominique Bauby dans un coma profond. Quand il en est sorti, toutes ses fonctions motrices étaient détériorées. Atteint de ce qu’on appelle le « locked-in syndrome » – littéralement : enfermé à l’intérieur de lui-même -, il ne pouvait plus bouger, manger, parler ou même simplement respirer sans assistance. Dans ce corps inerte, seul un œil bouge. Cet œil – le gauche -, c’est son lien avec le monde, avec les autres, avec la vie.

Avec son œil, il cligne une fois pour dire « oui », deux fois pour dire « non ». Avec son œil, il arrête l’attention de son visiteur sur les lettres de l’alphabet qu’on lui dicte et forme des mots, des phrases, des pages entières… Avec son œil, il a écrit ce livre : chaque matin pendant des semaines, il en a mémorisé les pages avant de les dicter, puis de les corriger.

Sous la bulle de verre de son scaphandre ou volent des papillons, il nous envoie ces cartes postales d’un monde que nous ne pouvons qu’imaginer – un monde où il ne reste rien qu’un esprit à l’œuvre. L’esprit est tour à tour sarcastique et désenchanté, d’une intensité qui serre le cœur. Quand on n’a plus que les mots, aucun mot n’est de trop » (synopsis éditeur).

Superbe roman qui décrit un état angoissant dans lequel un homme est plongé. Incapable du moindre mouvement, seule son intellect est intact… et il observe le monde qu’il entoure et tente – avec sa seule paupière valide – d’interagir avec son environnement. Les courts chapitres qui composent l’ouvrage ont été appris par cœur par leur auteur puis dictés [comme le synopsis l’explique] lettre par lettre à une femme qui patiemment a retranscris patiemment cette pensée. On sent la nécessité d’ordonner ses idées, d’être concis. Les mots sont pesés, remplis de sens, et permettre de traduire la nouvelle réalité de cet homme figé par la force des choses, statique à l’extrême et devenu totalement dépendants des autres.

(…) l’œil gauche, mon seul lien avec l’extérieur, l’unique soupirail de mon cachot, le hublot de mon scaphandre

A 44 ans, c’est une nouvelle vie qu’il doit entamer. « Coincé » à l’Hôpital maritime de Berck, il saisit n’importe quel prétexte pour tuer ces journées qui s’étirent. Il fait fonctionner son imagination ou ouvre un souvenir. Il sollicite constamment sa mémoire (olfactive, gustative, auditive… sensorielle en général), revit une scène qui appartient à « sa vie d’avant ».

Il y avait l’art d’accommoder les restes. Je cultive celui de mitonner les souvenirs

PictoOKJean-Dominique Bauby témoigne de ce qu’est son quotidien, observe le regard si particulier que d’autres posent désormais sur lui (des inconnus, des soignants, des amis). Un cri silencieux, l’effroi de ne plus être soi, l’humour silencieux qu’il ne peut plus exprimer… faute de ne pouvoir parler « normalement », sachant que son interlocuteur est suspendu à son œil gauche pour déchiffrer lettre par lettre ce qu’il souhaite énoncer, Jean-Dominique Bauby économise ses propos, va à l’essentiel… tait son sarcasme ou ses touches d’humour complice pour se faire comprendre facilement et ne pas déstabiliser la personne avec qui il parle. Jean-Dominique Bauby était journaliste devenu rédacteur en chef du magazine Elle. Quinze-mois après son AVC, le 6 mars 1997, son livre « Le Scaphandre et le Papillon » est publié… il décède le 9 mars 1997.

Extraits :

« E S A R I N T U L O M D P C F B V H G J Q Z Y X K W. L’apparent désordre de ce joyeux défilé n’est pas le fruit du hasard mais de savants calculs. Plutôt qu’un alphabet, c’est un hit-parade où chaque lettre est classée en fonction de sa fréquence dans la langue française. Ainsi, le E caracole en tête et le W s’accroche pour ne pas être lâché par le peloton. Le B boude d’avoir été relégué près du V avec lequel on le confond sans cesse. L’orgueilleux J s’étonne d’être situé si loin, lui qui débute tant de phrases. Vexé de s’être fait souffler une place par le H, le gros G fait la gueule et, toujours à tu et à toi, le T et le U savourent le plaisir de ne pas avoir été séparés. » (Le Scaphandre et le Papillon)

« Une onde de chagrin m’a envahi. Théophile, mon fils, est là sagement assis, son visage a cinquante centimètres de mon visage, et moi, son père, je n’ai pas le simple droit de passer la main dans ses cheveux drus, de pincer sa nuque duveteuse, d’étreindre à l’en étouffer son petit corps lisse et tiède. Comment le dire ? Est-ce monstrueux, inique, dégueulasse ou horrible ? Tout d’un coup, j’en crève. » (Le Scaphandre et le Papillon)

« Je m’éloigne. Lentement mais sûrement. Tout comme le marin dans une traversée voit disparaître la côte d’où il s’est lancé, je sens mon passé qui s’estompe. Mon ancienne vie brûle encore en moi mais se réduit de plus en plus aux cendres du souvenir. » (Le Scaphandre et le Papillon)

 

Demey © Cheyne Editeur – 2015
Demey © Cheyne Editeur – 2015

Hadrien partage sa vie avec Delphine. Mais la routine, la lassitude du quotidien…

Et l’on se corps de moins en moins. Notre couple s’usure. Jusqu’à la corde. (…) On se calme plat. Je me morne, elle se plaine

Puis un jour, au jardin du Luxembourg, Hadrien rencontre Adèle. Trouble, coup de foudre et confusion des sens. Hadrien et Adèle prennent l’habitude de se revoir, l’émoi grandit à chaque rencontre. Désir, envie, rires, tendresse. En seize courts chapitres, Loïc Demey conte l’histoire de cette relation adultère dans une langue chantante et saugrenue.

Je me chancelant, je me trac. Elle me chuchotements d’amour à l’oreille.

La rue se nuit, le ciel se lune. Je la nue.

La pièce se sombre, je m’orage. La fermeture éclair. La robe, tonnerre. Sa tunique en l’air et ses dessous à terre. La rue se lune, le ciel se nuit. Je la nue.

Elle me peau, je la pulpe des doigts. On s’épiderme.

PictoOKSurprenant roman où le verbe s’ébroue, frissonne, s’émeut. La construction narrative est absurde. Le déclic qui a conduit Loïc Demey à écrire ce texte s’est opéré après qu’il ait écouté « Prendre corps » d’Arthur H. Un texte où les verbes sont remplacés par des noms, adverbes ou adjectifs… un texte troublant dans lequel les sensations affleurent, caressent et bousculent. Très beau.

Découvert grâce aux articles de Sabine et de Lucie.