Basquiat (Voloj & Mosdal)

Brillant artiste, Jean-Michel Basquiat a laissé sa trace dans la culture pop américaine. Peintre (graffeur), musicien à ses heures, il jouera aussi son propre rôle dans « Downtown 81 » un film réalisé par Edo Bertoglio, écrit par Glenn O’Brien. Il est décédé d’une overdose en 1988, il avait 27 ans.

Voloj – Mosdal © Soleil Productions – 2020

Son enfance new-yorkaise est tumultueuse. Sa mère est rongée par une pathologie psychiatrique et ses crises d’hystérie terrorisent la cellule familiale. Basquiat est encore un enfant quand elle est internée. Un mal pour un bien ; c’est notamment elle qui avait sensibilisé son fils à l’art et l’avait poussé à dessiner. Son père tente de maintenir la famille à flot mais les fréquentations de son fils et le fait que ce dernier commence très tôt à bédave mettent ses nerfs à rude épreuve. A 15 ans, Basquiat fugue pour échapper à une monumentale raclée. Suite à cela, il erre, squatte dans les bois, aime davantage la défonce, vit de petits larcins jusqu’à ce qu’il se fasse attraper par les flics. Son père le sort d’une garde-à-vue en payant la caution et l’inscrit derechef dans un lycée d’enseignement alternatif. Basquiat abandonnera ses études quelques temps plus tard et quittera définitivement le domicile paternel.

A 16 ans, Basquiat commence à graffer avec un ami du lycée. Ils signent ensemble sous le pseudonyme de SAMO (Same Old shit) :

« Dans les grandes lignes, on fait ce qu’on veut sur cette terre et on s’en remet totalement à la bonté de Dieu en prétendant ne pas avoir conscience de nos actes. »

Très vite, le nom de SAMO circule dans le milieu artistique mais personne ne sait qui se cache derrière la signature. La suite, Basquiat la doit au hasard des rencontres. Il fait parler de lui, se faire un nom, expose. C’est en 1979 qu’il perce dans le milieu artistique, il a 19 ans… A partir de 1980, il peint sur toile. Il dispose d’un atelier. Ses toiles se vendent comme des petits pains.

Mais Basquiat est accro. Il consomme tout ce qui passe à sa portée : stupéfiants, meufs, opportunités professionnelles, amitiés… Durant ces années folles, son chemin croise celui de Klaus Nomi, Madonna (avec qui il aura une courte liaison), Annina Nodei (elle sera son agente artistique pendant plusieurs années) ou encore Andy Warhol avec qui Basquiat se liera d’amitié. La mort de Warhol terrasse Basquiat. Incapable de faire son deuil, il s’enfonce plus encore dans les paradis artificiels. Il entre en cure de désintoxication quelques mois plus tard mais reconsomme à la sortie… il fait une overdose qui lui sera fatale.

La vie de Basquiat est un mouvement permanent. Il s’éparpille, se shoote, peint, s’éclate, baise, crée frénétiquement, court, se drogue, baise comme un fou, crée encore et se défonce de plus belle… Sa personnalité est électrique, son caractère instable. En un battement de cil, il change d’humeur. Il se déprécie ou se gonfle d’orgueil, il est capricieux, déraisonné, fou, impatient, extravagant ou amoureux. Tout est toujours éphémère excepté cette folie furieuse à créer partout, tout le temps. Les produits exacerbent son éparpillement et nourrissent son génie créatif. Il peint de façon boulimique, incarne ses démons pour mieux les dompter… mais il ne maîtrise rien, rien de rien. Ne se satisfait de rien, à commencer par le succès qu’il a auprès du public.

Le scénario de Julian Voloj est très documenté, très énergique aussi. Il y a peu ou prou de repères temporels. Exceptés quelques flash-backs pour permettre au lecteur de comprendre une émotion qui traverse l’artiste – voire ce qui alimente un bad trip [quand de vieux démons viennent le persécuter] -, on suit le parcours de Basquiat. L’absence de transition nous fait faire des sauts de puce mais le propos suit une chronologie parfaite. On perd cependant la notion du temps : y a-t-il eu un jour ? un mois ? un an entre deux scènes ? … Le temps, cette bête malicieuse que les toxico ne maîtrisent plus. Le temps, cet animal fourbe qui renvoie Basquiat à sa phobie de la mort.

Boosté de cocaïne, le personnage est en mouvement permanent. Basquiat s’amourache d’une fille que déjà, dans son lit, une autre lui succède. Basquiat termine un tableau que déjà, il est absorbé par la création du suivant. On a l’impression que le scénariste condense le récit et fait des coupe franche dans la biographie pourtant, à bien y regarder, entre 1977 (période de SAMO) et 1988 (année du décès de Basquiat), l’artiste-peintre américain ne s’est pas arrêté un instant. En seulement 11 ans, c’est à peine si ce gosse de Brooklyn a pu mesurer à quel point il était devenu un mythe. L’argent coulait à flot… une bonne partie est partie en fumée (shit, crack… et speedball les dernières années).

Au dessin, Søren Mosdal sert parfaitement l’agitation. Ce langage visuel est énergique, tempétueux. Des illustrations partent en vrille par moments. Les couleurs adoucissent le trait et le bordent avec générosité. Ça pétille de vie, c’est pop. Le graphisme recrée parfaitement l’ambiance de l’univers artistique underground développé par Basquiat. On se retrouve projetés dans des toiles bariolées et agitées ; on fait face à des visages exagérément grimaçants. On est dans l’excès, le fantasque, l’extravagant et ça colle à merveille à la vie indocile de Basquiat. On entraperçoit des collages, des écritures et ces fameux personnages noirs, masqués et squelettiques qui rappelle l’Afrique. L’un d’eux prend vie et accompagne métaphoriquement Basquiat tout au long de l’ouvrage et endosse plusieurs fonctions : un alter-ego de papier, une conscience, un confident, un ange gardien.

Un album qui nous laisse à bout de souffle, qui essore et nous laisse étourdis. Très très chouette immersion dans le quotidien du génialissime Basquiat.

Basquiat (One shot)

Editeur : Soleil

Dessinateur : Søren MOSDAL / Scénariste : Julian VOLOJ

Dépôt légal : février 2020 / 136 pages / 18,95 euros

ISBN : 978-2-302-08037-9

Holy Wood (Redolfi)

Redolfi © La Boîte à bulles – 2016
Redolfi © La Boîte à bulles – 2016

« Holy wood, le « Bois Sacré », est une sombre forêt de conifères, peuplée de monstres de foire et de vieilles caravanes ; c’est là-bas que naissent les stars de cinéma qui font tant rêver les spectateurs.
Dans l’espoir d’en devenir une à son tour, la fragile Norma vient s’installer dans cette étrange ville-fantôme qui lui permet, malgré l’obscurité ambiante, de se retrouver sous le feu des projecteurs.
Passé les premiers échecs, la frêle jeune femme se retrouve au cœur de l’attention du couple Wilcox, énigmatique fondateur de « Holy wood ».
Grâce à eux, Norma Jeane Baker devient Marilyn. LA Marilyn. Une femme très différente de la véritable Norma. Trop, peut-être ?
Le portrait revisité de Marilyn Monroe dans un Hollywood fantasmagorique, fascinant et inquiétant. » (synopsis éditeur).

Nous avons tous plus ou moins besoin de reconnaissance. Le regard d’un père et d’une mère suffisent à beaucoup. Mais lorsque ceux-ci n’ont jamais été présents, auprès de qui briller ? Combien de regards faut-il pour combler l’absence d’un seul ? Cent ? Deux cents ? Mille ? Jamais suffisamment en tout cas.

C’est avec ces mots que s’ouvre le récit de Tommy Redolfi. Et c’est sur ces mots que l’on fait la connaissance du personnage principal alors même qu’il pose pour la première fois les pieds à Holy Wood, « l’unique endroit qui fait briller un seul visage pour que des millions l’admirent sur écrans géants ». Un personnage effacé, timide, fascinée par le lieux, éblouie par les promesses de carrière qu’il murmure. Jeune femme timide qui peine à parler, butant sur chaque mot, tant elle est impressionnée par tout ce que cela représente et ses ambitions de gloire qu’elle espère atteindre. Le scénariste lui permet de s’appuyer sur la présence rassurante de son propriétaire, un vieil homme reconvertit par la force des choses dans l’industrie cinématographique, mémoire vivante de l’essor de ce lieu et de l’histoire du cinéma.

En s’appuyant sur la lente ascension médiatique de son héroïne, nous passons de la petite prétendante qui va de casting en casting à la charismatique Marilyn Monroe. Le lecteur est aux premières loges pour mesurer les étapes de la métamorphose d’une femme. Tommy Redolfi propose une réflexion sur le monde du cinéma, la manière dont les producteurs façonnent des carrières, modèlent des personnalités pour les rendre conformes aux attentes du public, pour donner du rêve aux spectateurs… Mensonge, profit, vanité, le combat entre ceux qui imposent les règles et les anonymes en quête de gloire est déloyal. Paraître, faux-semblant, séduction sont les rares armes que les prétendants au succès peuvent employer.

– Rien n’est pire que le lieu d’où vous sortez, croyez-moi. De nous, ils ont exploité la laideur… Et ils vont bientôt s’occuper de la vôtre aussi.
– Vous vous trompez. Sauf votre respect, je ne suis pas comme vous.
– Oh, que si ! On a tous un monstre qui sommeille en nous. Et ils ne vont pas tarder à trouver le vôtre

Cet ouvrage aborde aussi les thèmes de la dépression et de la solitude. En effet, la chaleur des projecteurs et la peau dans laquelle se glisse l’acteur ne suffisent pas à panser les maux de l’enfance. Pire encore, elle les exacerbe. Le scénario n’hésite pas à faire appel aux placebos auxquels les uns et les autres ont recourt pour prolonger le vernis dont ils se protègent : médicaments, alcool et autres drogues sont de parfaites prothèses pour écarter les doutes et autres vieux démons trop envahissants. De parfaites béquilles… dont on ne voit les inconvénients que trop tard. L’emploi de métaphore est récurrent, tant dans le récit que dans le dessin. Graphiquement, le trait délicat de Tommy Redolfi caresse les personnages et montre la fragilité de l’héroïne. Son regard, la moue de sa bouche, le léger voutement de ses épaules sont autant d’indications qui accentuent le poids des humiliations dont elle fait l’objet. Les ocres, marrons, jaunes sont les couleurs dominantes, donnant à l’ambiance graphique une chaleur bénéfique tout en faisant ressentir le caractère agressif de ce monde.

PictoOKUn bel album qui, outre le fait de rentre hommage à Marilyn Monroe, ose un clin d’œil à l’album éponyme de Marilyn Manson sorti en 2000 dont l’un des thèmes majeurs était la culture de la célébrité en Amérique. Un voyage surprenant dans un monde impitoyable.

Extrait :

« Je vais te dire où il est, le mal. Le mal, il est dans tout ce fric qu’on perd à cause de tes conneries intellectuelles. Voilà où il est, le mal ! Les gens n’en ont rien à foutre de réfléchir. Ils veulent du cul et de quoi s’marrer ! Il se trouve que t’es bonne là-d’dans, alors contente-toi de faire ce que tu sais faire et laisse les belles phrases aux acteurs ! Et entre nous, je préfère clairement faire rire trois millions de personnes plutôt que d’en faire « réfléchir » quinze ! Et je SAIS qu’t’en penses pas moins ! » (Holy Wood).

Holy Wood

– Portrait fantasmé de Marilyn Monroe –

Editeur : La Boîte à bulles

Collection : Clef des Champs

Dessinateur / Scénariste : Tommy REDOLFI

Dépôt légal : juin 2016

256 pages, 32 euros, ISBN : 978-2-84953-249-2

Bulles bulles bulles…

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Holy Wood – Redolfi © La Boîte à bulles – 2016