La Tête dans les nuages (Remnant)

C’est la période des remises de diplômes universitaires. L’aboutissement de plusieurs années d’études.

Maintenant qu’il a obtenu son diplôme en Arts, Seth devrait être satisfait. Il devrait être soulagé de ne plus avoir à se pencher sur des projets artistiques insipides, ravi de pouvoir se lancer dans la vie active et de tenter d’imposer son style, content d’aller à cette fête de fin d’études avec les étudiants de sa promotion…

… mais c’est tout l’inverse qui se produit. Malgré les nombreux compliments qu’il reçoit sur la qualité de son travail artistique, Seth nage dans un profond pessimisme. Voilà… il en a donc terminé avec les études. La vie active s’ouvre enfin à lui mais il est morose et tétanisé. Il se sent sans talent, inutile. Pour lui, la fin des études sonne le glas des années d’insouciance bien qu’il ait connu une réalité économique déjà difficile. Pour lui, demain ne peut qu’être pire. La première raison qui s’impose à lui est son prêt étudiant. Avoir le diplôme en poche a pour conséquence directe que la banque va mettre en place l’échéancier qui permettra de le rembourser. Seth est donc acculé par le besoin de trouver rapidement un emploi pour faire face aux prélèvements. Il va devoir se serrer la ceinture encore plus que durant ses années en Fac. Il finit par trouver un boulot payé au lance-pierre dans un fast-food mexicain qui l’éloigne des réseaux artistiques.

Les mois passent. Seth stagne. Il ne peint plus. La seule chose qu’il parvient encore à faire, ce sont des croquis qu’il dessine. Où qu’il aille, il a toujours sur lui son inséparable carnet.

Seth pourrait s’appuyer sur son colocataire – ami qui était avec lui en Fac d’Arts – mais ce dernier consacre de plus en plus son temps à jouer à la console. Et comme l’un ne va pas sans l’autre, la consommation de drogues va également croissant. C’est n’est donc pas sur Jeff que Seth peut s’appuyer car Jeff le renvoie à son propre échec.

De l’autre côté, son amie Allison a saisi l’opportunité à même de sa carrière d’artiste. Elle s’apprête à exposer dans une galerie réputée. En moins d’un an, son nom devrait commencer à sortir de Cincinnati et à tourner à New-York. Elle a eu de la veine… ce qui renvoie Seth à son propre échec.

Quelle que soit la direction dans laquelle il regarde, il ne voit pas comment s’en sortir. Comment se dégager un minimum de temps pour peindre ou dessiner ? Comment se faufiler dans le milieu sans se louvoyer, sans avoir à lécher les bottes d’individus pédants et prétentieux… mais qui offrent l’avantage d’avoir un énorme carnet de contacts auprès desquels Seth pourrait se placer ?

La Tête dans les nuages – Remnant © Guy Delcourt Productions – 2018

Le récit de cet album est inspiré de l’expérience de Joseph Remnant. La galère, l’entrée dans la vie active, les petits boulots, le manque de considération, la trouille de ne pas savoir imposer son propre style… C’est tout cela que le scénariste aborde en donnant un coup d’œil dans le rétro et en prenant – au passage – du recul sur son propre parcours. On suit son alter égo de papier dans cette période délicate et on découvre page à page comment il a pris ce tournant si délicat qui attend tout le monde à la sortie des études. La remise en question est d’autant plus forte qu’il s’oriente vers une carrière d’artiste. Il est donc amené à s’exposer et à prendre des risques pour espérer retenir l’attention d’un public. Il n’est pas certain d’avoir les épaules suffisamment larges pour assumer la critique quand elle se présentera.

La peur d’échouer le met en situation d’échec avant même d’avoir essayé. A partir de là, il s’enfonce dans un immobilisme qui le cloue littéralement sur place. Elle a sur lui l’effet d’un rouleau compresseur. Il perd l’envie, perd l’inspiration. Il devient aigri… La plume de Joseph Remnant détaille cela par le menu et on se lie rapidement de sympathie pour le personnage principal. Le scénario se déplie avec beaucoup de naturel au point que j’étais remplie de curiosité vis-à-vis de ce témoignage semi-fictif qui nous est proposé.

Sans compter que le trait noir et épais de Joseph Remnant a attrapé les émotions justes. Elles collent aux dessins et le rendent vivant, elles donnent du relief aux expressions des personnages. J’ai trouvé qu’elles donnaient la juste touche de pathos au récit avec une petite pointe de désabusement qui donne une jolie crédibilité à l’ensemble. La déprime prend lentement ses quartiers, on ressent sa lourde étreinte envahir jour après jour le narrateur.

« La tête dans les nuages » croque le portrait d’une génération remplie de contradictions. Le groupe initial de quatre étudiants (deux mecs, deux filles) prend des chemins radicalement différents. Pendant que les garçons se laissent dériver (le personnage principal parvient toutefois à garder quelques garde-fous), les filles quant à elles se montrent audacieuses. Leur réussite saute à la gueule des garçons. On perçoit très bien l’écart entre l’état d’esprit des uns et des unes. Cela donne du liant au scénario. Ce dernier trouve l’équilibre entre le piétinement et la soif d’aller de l’avant.

Une belle surprise que cet album. Je croyais à tort qu’il s’agissait d’une pseudo-biographie de Seth, artiste canadien et auteur – notamment – de « La vie est belle malgré tout » (j’avais bien aimé cet album au moment de la lecture mais avec le temps, mes souvenirs ont fait le tri dans mes impressions de lecture, me laissant sur un amer goût d’ennui… ce qui explique certainement pourquoi je n’ai jamais cherché à lire d’autres albums de cet auteur nord-américain). Heureusement, il n’est pas question de biographie mais bien d’un témoignage dans lequel plusieurs personnages ont voix au chapitre. Leurs regards croisés enrichissent l’intrigue et adoucissent les aspects parfois anguleux que peut avoir un témoignage trop centré sur un seul protagoniste.

La Tête dans les Nuages
One shot
Editeur : Delcourt / Collection : Outsider
Dessinateur / Scénariste : Joseph REMNANT
Dépôt légal : septembre 2018 / 160 pages / 18,95 euros
ISBN : 978-2-7560-9092-4

Bastien VIVES – Dans mes yeux

Une proposition (par deux délicieuses bloggeuses), une hésitation (et si je n’étais pas à la hauteur), un grand saut…

Et j’en profite (puisque j’ai un peu de place pour le faire héhé) pour remercier la si charmante hôtesse du Bar à BD qui me plait tant et qui m’a offert cet espace pour me lancer dans l’univers des blogs …. Jamais, oh grand jamais, j’aurai pu me jeter seule dans l’écriture d’un blog ! Steph et Noukette me tiennent la main et m’accompagnent dans ce nouveau chemin, avec bienveillance, gentillesse et folie (inconscience !) et je les remercie infiniment ❤ ….

Ce soir, j’écris mon tout premier petit mot sur une BD ! Je suis toute chose …

Vivès © Casterman – 2009
Vivès © Casterman – 2009

Après avoir feuilleté toutes mes bandes dessinées, rêvé, pensé, réfléchi, point dormi, relu, encore et encore, me suis lancée pour vous conter une très jolie BD Dans mes yeux, de Bastien Vives.

Une histoire toute simple, toute bête, une petite romance, sans prétention, banale, vécue encore et encore ! Oui mais voilà, cette histoire d’amour (car il s’agit d’une histoire d’amour, et ça, ça fait déjà frétiller les p’tits cœurs tous mous !) est vue à travers les yeux d’un jeune homme, raide dingue d’une jolie demoiselle, rousse flamboyante, étudiante en lettres…. Ce garçon, on ne le voit pas, on ne l’entend pas, on ne le connait pas (ou si peu) on est LUI en somme … A travers son regard, on suit, happé par l’histoire, les premiers émois, les premières fois, les balbutiements, les premiers pas, les hésitations, les retournements, les envolées et les déconvenues … Et le lecteur devient l’amoureux (et ça, ma foi, c’est plutôt  sympa !) !

Oui, je sais, j’entends déjà vos remarques : « Cette histoire, c’est du déjà vu et revu… », « On connait la ritournelle ! », « Et puis, elle est un peu cruche cette fille-là ? » blablabla…. C’est vrai ! Mais que voulez-vous, cette BD est remplie d’une infinie tendresse, portée par un dessin remarquable…. Avec ses crayons de couleur, Bastien Vives croque une tranche de vie, avec une justesse d’observation qui m’a fait revivre mes premiers émois ! Et utilise un processus narratif jamais rencontré avant (enfin pour moi !) et qui m’a totalement emporté !

Une petite BD à découvrir, tendre et originale, et par les temps qui courent, un peu de douceur dans ce monde de brutes, ça fait drôlement du bien !

Vous me direz ….

Framboise

Dans mes yeux, Bastien VIVES, Casterman, 2009, 16€.

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