Riad Sattouf : Les Cahiers d’Esther #5

Sattouf © Allary – 2020

Billet de Pierre (16 ans)

Les cahiers d’Esther, Histoire de mes 14 ans, est le cinquième opus de la saga des Cahiers d’Esther. Dans ce tome, Esther est en 4ème et nous raconte les nombreux évènements de son année scolaire comme les gilets jaunes ou la mort d’Aznavour mais aussi des évènements qui se sont déroulés dans un cercle plus privé notamment sa vie au collège ou en famille.

J’ai beaucoup aimé ce tome, en effet il ne donne pas l’impression d’être trop court ni trop long. On y retrouve de nouveaux personnages ce qui apporte un peu de fraîcheur ! Et je trouve ça incroyable de poursuivre les aventures de cette héroïne tout en essayant de ne pas s’écarter de la réalité. Cet équilibre est plutôt bien respecté ce qui fait que cette série de BD est peut-être la meilleure que j’ai jamais lu car elle est toujours intéressante à lire et drôle surtout ! Ce tome est aussi, pour moi le meilleur de la série ! La page 46 « Le délire » est ma préférée car je déteste les trottinettes !!! « Bref ceux qui font de la trottinette sur les trottoirs à fond : faites-vous écraser par un camion SVP ». J’ai beaucoup ri !

Avis de Victoria (12 ans)

J’ai beaucoup aimé retrouver Esther et ses histoires. Elle ressemble assez aux élèves de mon collège et elle me fait rire ! Et ça fait drôle que toute sa vie privée (oui je sais que c’est quand même un personnage de BD) soit exposée. Esther dit tout ce qu’elle pense et ça me plait ! Ma page préférée c’est « Pas de pitié », malgré les gros mots ! Je m’y suis trop reconnue avec mes amies ! « Alerte j’adore mes copines MDR »

Avis de la vieille mère

J’aime Riad et Esther. Ils sont très frais tous les deux, très forts également ! Le tome 5 des « Cahiers d’Esther » dépote toutafé. En effet Esther a grandi. Elle a maintenant 14 ans, elle a « décidé de lâcher prise et de confier son sort au destin » ! Esther a changé, elle s’intéresse un peu plus au monde, elle s’affirme, revendique (ahhhh la géniale scène du débat et de l’affrontement avec le père et le frère !) et en même temps elle « s’en bat trop trop les couilles de tout de ouf » ! Elle a du style et du caractère. Elle dit de façon très frontale et légère à la fois ce qu’elle pense et ce qu’elle vit. C’est sans doute le tome qui m’a fait le plus « goleri ». C’est peut-être une histoire de contexte mais c’est surtout parce que la vérité dite par la bouche d’Esther est absolument réjouissante. J’adore « trop mais trop » Esther ! Et puis le voyage en Espagne m’a comme qui dirait rappelé des souvenirs ! Franchement (« sur la vie de ma mère ») :Meilleur tome ! « C’est tout ce que je voulais dire » !

Extrait : Les manteaux

« C’est l’hiver, on se les gèle grave, et je suis sûre que vous vous êtes déjà demandé « Mais pourquoi donc est-ce que les jeunes mettent pas de manteau quand il fait froid ? Avouez ! Alors déjà, une chose : c’est pas tous les jeunes, juste certains. Et c’est pas parce que les manteaux sont sont lourds, gros, moches ou autre. Je suis pas spécialiste mais pour moi la réponse est juste simple et évidente, et on la comprend tout de suite en regardant l’image ci-dessous qui montre la cour de mon collège de gros bourgs… »

Les Cahiers d’Esther, tome 5 – Sattouf © Allary – 2020

Le billet des mioches est aussi à retrouver sur le site de France info « Les enfants des livres » (par ici : https://www.francetvinfo.fr/replay-radio/les-enfants-des-livres/les-enfants-des-livres-hippocampus-la-nouvelle-serie-palpitante-de-bertrand-puard-et-le-chapitre-12_3989129.html)

Au rendez-vous de « La BD de la semaine » qui est posé chez Noukette.

L’Album de l’année (Fabcaro)

Une année. 365 jours. 365 cases… une case pour un jour… une logique implacable…

Juste avant de sortir cet album, Fabcaro avait entrepris de visiter son enfance en la vitriolant de-ci de-là d’absurde, en la saupoudrant d’un sentimentalisme parfois un peu grinçant (mais délicieux) et en l’arrosant d’une grosse louche (que dis-je ! d’une marmite !) d’humour (comme il sait si bien le faire). Cette trilogie de l’enfance est regroupée dans l’intégrale « Steak it easy » [et qui compile donc Le steak haché de Damoclès, Droit dans le mûr et Like a steak machine].

« Semaine 1 – 1er-4 janvier 2009. Janvier sous la neige, gastro en Norvège. »

Fabcaro © La Cafetière – 2011

Changement de registre ici bien qu’il continue à parler d’un sujet qu’il (ne) semble (pas) toujours maitriser : lui-même.

Pour l’occasion, on plonge dans son quotidien (sur lequel il reviendra en 2017 avec « Pause » ).

« Semaine 16 – 13-19 avril 2009. Entre l’arbre et l’écorce va la cruche à l’eau qu’à la fin. »

Voici donc une éphéméride à la sauce Fabcaro. Pas de sensationnel. Du quotidien pur et dur déformé avec une loupe un peu sarcastique, un peu dépitée, un peu ironique. Pour chaque jour, un « temps fort » de la journée est illustré. On y retrouve un brin de jardinage, un apéro chez les voisins, la déprime amoureuse de sa grande fille, un essai de vélo sans les petites roues pour sa cadette, une recherche internet, une drôle de réflexion métaphysique et foison de pensées existentielles d’auteur/de père/de fils/d’homme…, un poil de bricolage, un air de musique, un instant de complicité, une bouffée d’hypocondrie, un tour en voiture, un relent de nostalgie, une virée au supermarché, une séance de dédicace à un festival BD… Du tout, du rien. Du rire… toujours.

« Semaine 32. 3-9 août 2009. En août, fais ce qu’il te plout. »

Chaque semaine est affublée d’un dicton farfelu, d’un autoportrait faisait apparaitre l’auteur à sa table de dessin… en train de réfléchir à la vignette à réaliser pour le jour. Beaucoup d’autodérision dans cet album sans prétention. Les jours s’égrènent, chapelet d’anecdotes banales et loufoques… et toujours cette capacité folle à jouer du comique de situation.

« Semaine 47. 16-22 novembre 2009. Une fois n’est pas coutume, mais elle y contribue. »

Ça détend. C’est plaisant, vraiment divertissant… du moins c’est un humour qui me plaît beaucoup et dans lequel je me retrouve.

Il y a d’autres excellents albums de Fabcaro sur le blog, à vous de les trouver : Carnet du Pérou, Zaï Zaï Zaï Zaï, La Bredoute, -20% sur l’esprit de la forêt, Talk show, Et si l’amour c’était aimer ?, Amour, Passion & CX Diesel, Hey June.

Un petit album déridant que je partage à l’occasion de « La BD de la semaine » ; le rendez-vous est donné aujourd’hui chez Moka.

L’Album de l’année (one shot)

Editeur : La Cafetière

Dessinateur & Scénariste : FABCARO

Dépôt légal : avril 2011 / 56 pages / 10,50 euros

ISBN : 978-2-84774-018-9

Mécanique Céleste (Merwan)

Il y a des albums comme ça, que j’avais repérés… qu’on m’a conseillé mais au fond de moi, je savais très bien qu’il me serait difficile de trouver le temps de les lire…

Puis soudain, nos vies folles sont bousculées. Ce quotidien où habituellement tout se presse, se bouscule, où on se fait happer… soudain… Jupiter imposa le confinement…

Principes de Mécanique céleste :

Premier principe : deux forces, composées chacune de sept affidés, s’opposent.

Deuxième principe : les affidés tentent de toucher leurs opposants à l’aide d’un orbe. Les affidés touchés quittent l’enceinte.

Troisième principe : un cycle s’achève quand tous les affidés d’une force ont quitté l’enceinte. La révolution prend fin quand une force remporte deux cycles.

Merwan © Dargaud – 2019

On est en 2068. Le monde tel qu’on le connait aujourd’hui n’existe plus. Le paysage urbain a été recouvert par les eaux, les populations sont parties. Tout est en friches, en ruines. Nous sommes à Pan, lieu que l’on avait coutume d’appeler « la forêt de Fontainebleau ». C’est désormais un lieu sauvage, une forêt revêche, rebelle. Des hordes de pirates y font la loi. Les rares humains des alentours vivent en solitaires. Wallis et Aster quant à eux font équipe. Lui est rêveur, trouillard et constamment plongé dans ses lectures, elle est nerveuse, tête brûlée et sans cesse sur le qui-vive.   

Le cœur névralgique de la communauté humaine est la Cité agricole de Pan. C’est l’Age de bronze ou presque. D’anciens objets de notre ère se marchandent de façon plus ou moins légale. Cette communauté de Pan s’organise de façon archaïque. Elle est mise à mal lorsqu’une délégation de Fortuna fait irruption dans leur vie. L’ambassadeur de Fortuna ne leur laisse que peu d’alternatives : accepter la protection de la République de Fortuna face aux pirates en échange de quoi, ils devront verser un quatre de leurs récoltes de riz… ou défendre leur indépendance par les armes. Acculé, le représentant de Pan demande l’arbitrage par la Mécanique céleste.

« Selon les termes de la Mécanique céleste, vous serez quittes si vous gagnez. Si vous perdez, vous nous reverserez 50% de votre récolte. »

Une équipe de sept joueurs est alors composée. Quatre garçons et trois filles. Wallis et Aster sont de la partie.

Voilà le postulat de départ qui permet de mettre l’histoire sur les rails. Le sport sert ici de métaphore pour parler des luttes de pouvoir et de la domination que peut (chercher à) exercer une nation face à une autre. Fourberie, coups bas, tentative d’intimidation…

Graphiquement, je reconnais que le travail de Merwan sur cet album ne m’attirait pas outre mesure. La veine graphique et ses couleurs légèrement délavées, l’action visiblement au cœur du récit… autant d’éléments qui ne m’auraient certainement pas conduit à mettre l’album dans ma besace pour un achat. Pourtant, cet album m’a été conseillé à deux reprises… alors forcément, ça méritait réflexion.

Si j’ai mis un peu de temps à trouver mon rythme de lecture, force est de constater que ce n’est en rien la faute au duo de personnages principaux. Un grand échalas, intello et pétochard, donne la réplique à une jeune femme impulsive et prosaïque. Le duo se complète à merveille et permet à l’auteur de jouer d’humour avec les interactions de ces deux personnalités qui sont aux antipodes l’une de l’autre. La palette de personnages secondaires est tout aussi haute en couleurs. Dans l’ensemble, ils font tous preuve d’un furieux sens de la répartie et placent quelques succulentes boutades.

La société telle qu’elle est devenue offre également à Merwan une grande liberté. De-ci de-là, des propos titillent notre curiosité puisqu’on comprend bien vite qu’il s’agit effectivement de la France… mais que la France telle que nous la connaissons a vécu un cataclysme. Tout est laissé à l’abandon. La végétation a déjà recouvert une bonne partie des belles demeures de Fontainebleau, des tanks encore confis des cadavres de militaires gisent au milieu d’une ville fantôme. Les causes de ce désastre, nous les apprendrons au fil de la lecture. Et quand on referme l’album, aucune question reste sans réponse.

Le scénario tolère assez peu de temps morts. La lecture est entrainante et malgré les complications que rencontrent nos héros, ils ne perdent jamais leur bonne humeur et se montrent inventifs pour contrer la situation qui n’est jamais à leur avantage. De bout en bout, le sport est utilisé pour dénoncer les stratégies fourbes qui sont utilisées pour qu’une nation prenne l’ascendant sur une autre. C’est ludique, il y a plusieurs degrés de lecture… un bon album.

Une lecture que je partage pour « La BD de la semaine » et que l’on retrouve aujourd’hui chez Stephie.

Mécanique Céleste (récit complet)

Editeur : Dargaud

Dessinateur & Scénariste : MERWAN

Dépôt légal : septembre 2019 / 200 pages / 25 euros

ISBN : 978-2205-07818-3

Les Oiseaux ne se retournent pas (Nakhlé)

« Les oiseaux ne se retournent pas. Ils partent. »

Nakhlé © Guy Delcourt Productions – 2020

C’est la guerre. Autour d’Amel, tout est dévasté. Le paysage n’est plus qu’un champ de ruines, de gravats. Le sol est émaillé d’énormes trous. Partout. Les maisons sont délabrées. Défigurées. Amputées d’une partie d’elles-mêmes. Leurs fenêtres ont volé en éclats. Elles ne sont plus que des boulevards pour les courants d’air. Les familles s’y confinent pourtant. Les adultes ont peur. Ils n’ont plus de réponses fausses à apporter. S’ils ne savent pas répondre, ils se murent dans leur silence et quand ils attrapent le regard de l’enfant qui se pose sur eux, ils esquissent un sourire maladroit… est-ce de la honte ou de la sagesse ? En attendant qu’un jour peut-être, cesse le bruit assourdissant des bombes, tout le monde se terre.

« On peut tout te prendre mais pas tes rêves. »

Puis un jour, il faut partir. 

« Toute la maison dans mon sac. »

Amel a 12 ans. La guerre a tué ses parents, détruit sa maison. Elle l’a dépossédée de ses amis, de ce qu’elle avait de plus cher. Amel est orpheline et elle doit désormais fuir son pays. Elle doit se débrouiller seule. Elle a peur. Partout, les soldats, les avions et leurs bombes, les murs de barbelés qui cantonnent, cloisonnent, retiennent captifs, étouffent, tétanisent. L’instinct de survie lui donne des forces insoupçonnées. Elle a compris que pour survivre, elle n’a qu’une alternative : mettre de la distance. Sa destination : Paris. Dans sa fuite, elle rencontre Bacem. Il a quitté les rangs de l’armée, incapable de tirer sur des civils, incapable d’être un bourreau, un assassin. Il a fui et a pour seule compagnie son oud.

« Deux oiseaux. Deux petits points perdus au milieu des montagnes silencieuses. L’un porte sa mélancolie. L’autre, l’espoir. Et tous deux avancent vers le même horizon. »

Du noir, du blanc et du gris pour ces illustrations d’une douceur incroyable. Quelques touches de couleurs çà et là. Rouge. Bleu. Vert. Jaune. Orange. Violet. Jamais plus de deux couleurs à la fois pour chaque dessin, pour faire ressortir un détail. La couleur insuffle des poussières de vie dans ce témoignage qui cherche à s’accrocher à l’espoir ténu, à l’infime probabilité que ce voyage réussisse.

Apprendre à s’en sortir seule dans la jungle des camps de réfugiés. Ne pouvoir se fier qu’à soi. Ne jamais savoir si on peut faire confiance ou non à un inconnu. Tenter quand même et avoir peur. Une écriture poétique. Chantante par moment alors que le sujet ne s’y prête pas en apparence. On flotte. Dans cette mer de silence où la majeure partie des échanges sont une voix-off, on avance lentement dans cette lecture qui invite à la réflexion, qui nous campe dans un tête-à-tête touchant. Un univers qui laisse la possibilité à l’onirisme de s’exprimer. La petite héroïne est encore une enfant… aux côtés du soldat, la confiance et le sentiment de sécurité retrouvés, elle ose rêver, partir pour quelques voyages dans son imaginaire. Souffler. S’abandonner. Oublier l’exil forcé et la peur. On accueille les mots, on prend le temps de lire mais surtout, on scrute, on contemple ces magnifiques illustrations. Le dessin nous réconforte et nous permet de mesurer tout ce que nous ne voyons pas. On ne voit pas l’horreur, on ne voit pas les corps, ni les ruines, ni la misère. Mais on les sent.

« Dieu, si tu existes ? Je t’avoue que je ne suis plus sûre… Comment peux-tu accepter tout ce sang versé ? Comment le ciel et la mer parviennent à rester bleus ? »

Des illustrations d’une beauté et d’une richesse folles. Un témoignage magnifique. Un tête-à-tête délicieux avec cet album.

Dans mes oreilles pour écrire cette chronique, la chanson de Pierre Perret « La petite Kurde » interprétée par Idir… et cet extrait que je partage ici :

(...) La pluie qui avait cousu tout l'horizon
Faisait fumer les ruines des maisons
Et tout en m'éloignant
Du Ciel de Babylone
J'ai compris que je n'avais plus personne.

N'écoute pas les fous qui nous ont dit
Qu'la liberté est au bout du fusil
Ceux qui ont cru ces bêtises
Sont morts depuis longtemps
Les marchands d'armes ont tous de beaux enfants.

Depuis la nuit des temps c'est pour l'argent
Que l'on envoie mourir des pauvres gens
Les croyants, la patrie
Prétextes et fariboles !
Combien de vies pour un puits de pétrole ?

Petite si tu es kurde, il faut partir
Les enfants morts ne peuvent plus grandir.
Nous irons en Europe,
Si tel est notre lot
Là-bas ils ne tuent les gens qu'au boulot !

Je partage cette lecture pour « La BD de la semaine » qui s’est aujourd’hui donné rendez-vous chez Moka.

Les Oiseaux ne se retournent pas

Editeur : Delcourt / Collection : Mirages

Dessinateur & Scénariste : Nadia NAKHLE

Dépôt légal : mars 2020 / 224 pages / 25,50 euros

ISBN : 978-2-4130-2765-2

La Mécanique du Sage (Piquet)

Piquet © Atrabile – 2020

En ce début de XXème siècle, Charles Hamilton vit confortablement à Edimbourg. Une jeunesse sans histoire, une vie bourgeoise douillette, des amis, des conquêtes amoureuses à foison depuis que sa femme l’a quitté. Des soirées festives viennent conclure des journées de flâneries. Et une magnifique petite fille qu’il élève seul.

« Le bruit du monde éloigne l’ombre qui viendra bientôt l’accabler. »

Pourtant, malgré tout ce confort, ce luxe, cette douceur de vivre, Charles n’est pas heureux. Souffrant de bipolarité, Charles fait les frais de ses humeurs capricieuses.

« Je suis en alternance. »

Impuissant face à ce mal qui le ronge, Charles tente de trouver un moyen de guérir… de trouver un équilibre de vie qui écartera les périodes sombres. Il culpabilise de laisser sa fille seule durant de longues journées mais il ne peut se résoudre à rester enfermé chez lui ; il a peur de ruminer. Pourtant, il cherche des solutions mais elles se sont toutes révélées inefficaces. Jusqu’à ce qu’il se tourne vers une forme de littérature peu connue à l’époque : celle prônant le développement personnel. Dès lors, il attrape dans ces textes des idées qui ont chez lui un écho particulier et qu’il tente de mettre en pratique. Tiendrait-il enfin la clé de la guérison ?

« La Mécanique du Sage » est, contre toute attente, un album au rythme tout doux. Malgré les fluctuations d’humeurs qui mettent à mal le personnage principal, nous effectuons cette lecture avec un certain entrain et une vraie gourmandise. On y suit le cheminement d’un homme qui cherche un moyen de soigner sa maladie. Il n’a aucune plainte à énoncer à l’égard de ses phases maniaques durant lesquelles il consomme de façon excessive rapports sexuels, nouvelles amitiés, sorties festives et autres délices de l’esprit (il est notamment très sensible à la littérature)… En revanche, il est lassé de ses phases dépressives qui lui laissent une sensation d’abattement. C’est pour lui un vide gigantesque qui le terrifie. Il souhaiterait trouver un moyen de ne plus être confronté à cette terrible tristesse qui l’assaille par périodes.

Gabrielle Piquet – dont je ne connaissais que ses « Idées fixes » – illustre avec beaucoup de délicatesse le quotidien d’un homme que la vie a choyé… en apparences du moins. Le scénario déplie une chronologie logique qui nous permet d’appréhender simplement l’adulte face auquel on se trouve. On sait donc qu’étant jeune, il a hérité de son grand-père. Riches de cet héritage providentiel, ses parents n’ont pas hésité à faire leurs clics et leurs clacs pour découvrir de nouvelles contrées, laissant leur fils adolescent livré à lui-même et privé de leur affection. Charles Hamilton n’y a vu aucun inconvénient. Au contraire, il était libre de tout et à l’abri du besoin. Il ne se pose même pas la question de son avenir professionnel et il opte pour l’oisiveté. Charles occupe son temps à rêvasser, lire et faire la fête. Pourtant l’argent n’est pas suffisant pour faire son bonheur.

En toute simplicité, l’autrice met son dessin au service de ce personnage hésitant, en perpétuelle quête d’équilibre, fuyant la réalité pour trouver un bien-être qui lui sera longtemps inaccessible. Au contact de cet homme brouillé, une petite fille (sa fille) tente de grandir comme elle le peut. Le trait fin contient pourtant foule de petits détails (décoratifs, vestimentaires, expressifs, floraux…) et cela crée finalement une ambiance assez légère. Le lecteur n’est pas balloté par les humeurs changeantes du personnage. Étonnamment, on lit cet album de façon linéaire puisqu’on reste spectateur de la vie de Charles Hamilton mais on est piqué d’une curiosité amusée qui nous accompagnera d’un bout à l’autre de l’album. Finalement, l’originalité de ce personnage tient au fait que ce bourgeois toujours tiré à quatre épingles a un goût prononcé pour la luxure. Ce qui lui donne un côté espiègle assez inattendu.

Beaucoup de sensibilité dans ce bel album.

Les autres « BD de la semaine » sont chez Noukette !

La Mécanique du Sage (one shot)

Editeur : Atrabile

Dessinateur & Scénariste : Gabrielle PIQUET

Dépôt légal : janvier 2020 / 96 pages / 15 euros

ISBN : 978-2-88923-087-7

Billy Symphony (Périmony)

Son baluchon sur l’épaule, Billy est prêt à affronter sa journée. Comme chaque jour, il transporte avec lui les maigres richesses qu’il possède. Il n’a pas le sou mais le sourire aux lèvres. Sa joie de vivre est palpable. D’un coup de crayon charbonneux, David Périmony donne vie à Billy. Son trait est rond et habillé de tons pastels très doux qui mélangent bruns, beiges, verts et bleus. Très vite, on sait que l’on va croquer cette lecture à pleines dents !

Périmony © Editions de la Gouttière – 2020

Au premier coin de rue, Billy suspend son pas assuré et s’arrête devant la vitrine du magasin d’instruments de musique. Ce saxo-là lui fait de l’œil, Billy voudrait le tenir. L’instrument est superbe mais bien trop cher pour son porte-monnaie qui crie famine. Billy doit se résoudre à l’évidence, il n’a pas les moyens de cette passion-là pourtant l’idée le taraude.

Billy cogite, tort la situation dans tous les sens jusqu’à ce qu’une idée lumineuse le frappe. Ni une ni deux, il en parle au gérant et le marché est conclu. Billy sera l’homme à tout faire du magasin de musique. Ce travail lui permet de réaliser son rêve. Le jour où Billy peut enfin s’acheter le saxophone, il est le plus heureux des hommes. Billy reprend alors la route mais c’est une autre vie qui s’offre à lui : celle de musicien !

Je n’arrive pas à l’écrire… cette chronique de « Billy Symphony » et pourtant, j’ai adoré cet album. Il y flotte une atmosphère agréable, douce et poétique. On se laisse réellement porter par le héros qui mène la danse de bout en bout, qui est tour à tour joyeux, euphorique, ému, triste… Il est traversé d’une multitude d’émotions que l’on ressent en écho grâce aux dessins très expressifs de David Périmony. L’auteur fait également preuve d’inventivité dans la manière dont il construit et rythme ses planches.

Avec Billy au cœur de cette histoire, on sait de suite que l’on va se laisser porter. Déjà parce que le héros n’a aucune contrainte et on comprend très vite qu’il n’a rien à perdre. Alors il tente, il ose car après tout, que risque-t-il de trouver au bout de son chemin à part une belle surprise ? L’album repose donc sur les épaules d’un doux-dingue, un rêveur, un passionné au grand cœur. Forcément, avec une bouille comme la sienne, la présence de son balluchon qui ne semble pas peser bien lourd et les airs jazzy qui volent de-ci de-là, je n’ai pu m’empêcher de penser à Abélard.

Cet album muet pétille malgré le sérieux du message de fond qu’il délivre. La malice, la poésie, les rires fusent de toutes parts alors qu’on parle de façon critique des travers de l’industrie du spectacle. Le propos est intéressant d’autant que l’album est aussi un bon support intermédiaire (entre adulte et enfant) pour parler d’Amitié. Ça me plait bien le fait de redire aux plus jeunes que la confiance que quelqu’un nous accorde n’est jamais définitive, que l’amitié se gagne… qu’elle est un bien aussi fragile que précieux.

De jolies trilles, des gazouillis d’oiseaux qui donnent la réplique aux rires de Billy, de sacrées bouilles et de belles trognes qui apparaissent durant le récit… L’auteur a construit une réelle alchimie pour parler d’une passion (celle que Billy voue à la musique) et de cupidité (celle du directeur du club qui emploie le jeune musicien). Les gestes fluides – presque aériens – des personnages nous embarquent dans la danse et on tourne les pages avec beaucoup curiosité. C’est avec autant de surprise que de plaisir qu’on découvre à plusieurs endroits du récit, quelques références à des univers cartoonesques et cinématographiques de la culture pop.

David Périmony offre une réflexion pertinente accessible à un lectorat de 5 à 99 ans. Beaucoup de douceur dans son trait, il nous montre qu’il est capable de créer un univers aussi poétique que musical. A lire ! 😉

Une lecture commune magique partagée avec Sabine et Noukette !!

La chronique de Moka qui m’avait mis l’eau à la bouche et qui accueille aujourd’hui la « BD de la semaine » .

Billy Symphony (récit complet)

Editeur : Editions de La Gouttière

Dessinateur & Scénariste : David PERIMONY

Dépôt légal : janvier 2020 / 104 pages / 16 euros

ISBN : 978-2-35796-001-5