« Les oiseaux ne se retournent pas. Ils partent. »

C’est la guerre. Autour d’Amel, tout est dévasté. Le paysage n’est plus qu’un champ de ruines, de gravats. Le sol est émaillé d’énormes trous. Partout. Les maisons sont délabrées. Défigurées. Amputées d’une partie d’elles-mêmes. Leurs fenêtres ont volé en éclats. Elles ne sont plus que des boulevards pour les courants d’air. Les familles s’y confinent pourtant. Les adultes ont peur. Ils n’ont plus de réponses fausses à apporter. S’ils ne savent pas répondre, ils se murent dans leur silence et quand ils attrapent le regard de l’enfant qui se pose sur eux, ils esquissent un sourire maladroit… est-ce de la honte ou de la sagesse ? En attendant qu’un jour peut-être, cesse le bruit assourdissant des bombes, tout le monde se terre.
« On peut tout te prendre mais pas tes rêves. »
Puis un jour, il faut partir.
« Toute la maison dans mon sac. »
Amel a 12 ans. La guerre a tué ses parents, détruit sa maison. Elle l’a dépossédée de ses amis, de ce qu’elle avait de plus cher. Amel est orpheline et elle doit désormais fuir son pays. Elle doit se débrouiller seule. Elle a peur. Partout, les soldats, les avions et leurs bombes, les murs de barbelés qui cantonnent, cloisonnent, retiennent captifs, étouffent, tétanisent. L’instinct de survie lui donne des forces insoupçonnées. Elle a compris que pour survivre, elle n’a qu’une alternative : mettre de la distance. Sa destination : Paris. Dans sa fuite, elle rencontre Bacem. Il a quitté les rangs de l’armée, incapable de tirer sur des civils, incapable d’être un bourreau, un assassin. Il a fui et a pour seule compagnie son oud.
« Deux oiseaux. Deux petits points perdus au milieu des montagnes silencieuses. L’un porte sa mélancolie. L’autre, l’espoir. Et tous deux avancent vers le même horizon. »
Du noir, du blanc et du gris pour ces illustrations d’une douceur incroyable. Quelques touches de couleurs çà et là. Rouge. Bleu. Vert. Jaune. Orange. Violet. Jamais plus de deux couleurs à la fois pour chaque dessin, pour faire ressortir un détail. La couleur insuffle des poussières de vie dans ce témoignage qui cherche à s’accrocher à l’espoir ténu, à l’infime probabilité que ce voyage réussisse.




Apprendre à s’en sortir seule dans la jungle des camps de réfugiés. Ne pouvoir se fier qu’à soi. Ne jamais savoir si on peut faire confiance ou non à un inconnu. Tenter quand même et avoir peur. Une écriture poétique. Chantante par moment alors que le sujet ne s’y prête pas en apparence. On flotte. Dans cette mer de silence où la majeure partie des échanges sont une voix-off, on avance lentement dans cette lecture qui invite à la réflexion, qui nous campe dans un tête-à-tête touchant. Un univers qui laisse la possibilité à l’onirisme de s’exprimer. La petite héroïne est encore une enfant… aux côtés du soldat, la confiance et le sentiment de sécurité retrouvés, elle ose rêver, partir pour quelques voyages dans son imaginaire. Souffler. S’abandonner. Oublier l’exil forcé et la peur. On accueille les mots, on prend le temps de lire mais surtout, on scrute, on contemple ces magnifiques illustrations. Le dessin nous réconforte et nous permet de mesurer tout ce que nous ne voyons pas. On ne voit pas l’horreur, on ne voit pas les corps, ni les ruines, ni la misère. Mais on les sent.
« Dieu, si tu existes ? Je t’avoue que je ne suis plus sûre… Comment peux-tu accepter tout ce sang versé ? Comment le ciel et la mer parviennent à rester bleus ? »

Des illustrations d’une beauté et d’une richesse folles. Un témoignage magnifique. Un tête-à-tête délicieux avec cet album.
Dans mes oreilles pour écrire cette chronique, la chanson de Pierre Perret « La petite Kurde » interprétée par Idir… et cet extrait que je partage ici :
(...) La pluie qui avait cousu tout l'horizon Faisait fumer les ruines des maisons Et tout en m'éloignant Du Ciel de Babylone J'ai compris que je n'avais plus personne. N'écoute pas les fous qui nous ont dit Qu'la liberté est au bout du fusil Ceux qui ont cru ces bêtises Sont morts depuis longtemps Les marchands d'armes ont tous de beaux enfants. Depuis la nuit des temps c'est pour l'argent Que l'on envoie mourir des pauvres gens Les croyants, la patrie Prétextes et fariboles ! Combien de vies pour un puits de pétrole ? Petite si tu es kurde, il faut partir Les enfants morts ne peuvent plus grandir. Nous irons en Europe, Si tel est notre lot Là-bas ils ne tuent les gens qu'au boulot !
Je partage cette lecture pour « La BD de la semaine » qui s’est aujourd’hui donné rendez-vous chez Moka.

Les Oiseaux ne se retournent pas
Editeur : Delcourt / Collection : Mirages
Dessinateur & Scénariste : Nadia NAKHLE
Dépôt légal : mars 2020 / 224 pages / 25,50 euros
ISBN : 978-2-4130-2765-2
C’est très beau, le sujet me touche, mon banquier va finir par te haïr. …quand je pourrais aller chez mon dealer de cellulose imprimée.
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Si ton banquier m’appelle, je lui expliquerai que c’est pour ton équilibre (et donc dans son intérêt) 😀
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Tu le vends bien ! Comment veux-tu qu’on résiste ?
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Je ne sais pas. Moi j’ai craqué. C’est beau mais beau !
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C’est extrêmement tentant. Finalement tu n’as pas besoin de collaborer avec d’autres pour me donner envie de lire une BD !
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J’aime bien collaborer avec les copains (car c’est autant d’opportunité de papoter encore plus ! 😀 )
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Effectivement, très très tentant. Merci pour la découverte !
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Avec plaisir Soukee 😉
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ça a l’air très beau. merci pour la découverte. je note.
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C’est beau, doux, d’une finesse incroyable oui 😉
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Il a l’air très touchant cet album, merci pour la découverte
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On s’installe très vite dans la lecture oui 😉
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ça a l’air beau et fort. Les dessins me font penser à M. Satrapi pour les personnages… Très tentée !
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C’est plus léché que le trait de Satrapi. Plus fin. Il y a de magnifiques décorations ornementales qui encadrent certaines planches. Bref, un dessin très fin. J’ai adoré 😉
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J’ai fondu devant la couverture, je refonds devant ton avis… je le mets dans ma wish-list.
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Génial. Parce que cet ouvrage mérite vraiment ! 😉
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Clairement, graphiquement, ça claque. Voilà un titre très inspirant – et une chronique très inspirée – que tu nous proposes là !
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Oui, j’ai totalement craqué. Très beau. Et tellement touchant
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clairement, quand on sera sortis de tout ça, je la commande à la librairie !!
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Je plussoie 🙂
Hâte de lire ton avis !
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je note, ça l’air aussi intéressant que beau, même si le sujet n’est pas de plus facile
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Le sujet est douloureux oui mais Nadia Nakhlé a su poser le ton adéquat sur ce témoignage.
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Pas encore à la bib… Je vais suggérer l’achat quand nos vies reprendront leur cours normal !
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Il vient tout juste de sortir et j’ai eu la chance de pouvoir l’avoir avant que tout… ne s’arrête…
J’espère réellement que d’autres lecteurs pourront le découvrir sans qu’il soit noyé dans une effervescence qui pourrait accompagner le retour « à la normale » (j’espère que nous saurons tirer leçon de cette période, ne pas repartir dans une course folle)
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Le dessin est très noir, mais j’aime beaucoup le trait de cet album que je ne connaissais pas…
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C’est à découvrir 😉
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Woaw comme ça a l’air beau… et dur… ça me dit beaucoup. Merci pour la découverte
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C’est superbe superbe ! A lire oui ! 😉
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Un titre qui m’interpelle! Merci pour la découverte!
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Avec plaisir Azilis ! Il mérite d’être lu cet album 😉
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Je viens de le lire… Qu’est-ce que c’est beau !!!
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