« Où on va, papa ?  » & « Veuf » (Fournier)

Où on va, papa ? – Fournier © Stock – 2008

Où on va, papa ? – Fournier © Stock – 2008
Où on va, papa ? – Fournier © Stock – 2008

« Trente ans plus tard, j’ai retrouvé au fond d’un tiroir les faire-part de naissance de Thomas et de Mathieu. C’étaient des faire-part classiques, nous aimions la simplicité, ni fleurs ni cigognes. Le papier a jauni, mais on arrive très bien à lire, écrit en anglaises, que nous avions la joie de vous annoncer la naissance de Mathieu, puis de Thomas.
Bien sûr, ce fut une joie, un moment rare, une expérience unique, une émotion intense, un bonheur indicible… La déception fut à la hauteur ».

En 2008, Jean-Louis Fournier publie un roman autobiographique dans lequel il témoigne de son quotidien, de ce qu’est sa vie de père… avec deux enfants handicapés. A la naissance, rien ne laissait présager que Thomas et Mathieu seraient handicapés. Puis le diagnostic est tombé comme un couperet. Depuis, suivis médicaux, prise en charge en Institut Médico-Pédagogique (IMP), week-ends en famille… Jean-Louis Fournier revient sur cette relation atypique avec des enfants « pas comme les autres ».

Avec une bonne louche d’humour, beaucoup de cynisme et d’ironie, l’auteur se confie, un témoignage qui a l’apparence d’un exutoire. Le ton est juste – forcément – c’est un témoignage intime, un regard personnel d’un homme qui n’a pas la prétention de généraliser son ressenti à l’ensemble des parents d’enfants handicapés. Tout y passe : les situations absurdes dans lesquelles il se retrouve, l’exercice du droit de vote par les adultes handicapés, les mesures de protection (tutelle), la culpabilité et l’incompréhension, le regard des gens quand ils apprennent le handicap de ses fils, entre gêne, pitié et condescendance.

Marquée par le côté succinct des chapitres, la forme de ce roman offre une grande liberté au lecteur : lire par bribe – une petite pensée par ci par là, un chapitre dévoré à la volée et goulument – ou d’une traite. En apparence, cette forme d’écrit pourrait être comparée à celle d’un journal de bord. Le recueil rassemble des anecdotes de différentes natures.

« Où on va, papa ? », question lancinante et récurrente de Thomas dès qu’il est en présence de son père. Qu’il ait 5 ans ou 30 ans, la même question enfantine à laquelle l’auteur et narrateur doit se confronter, avec plus ou moins de lassitude, et des réponses formulées avec plus ou moins de tact… en fonction de la morosité ou de l’espièglerie de Jean-Louis Fournier.

Mathieu, l’aîné de ses fils, est décédé avant qu’il n’ait atteint l’âge de 30 ans. Une tristesse pour ses parents… un soulagement aussi. Reconnaître les choses, oser le politiquement incorrect… oser ? Assumer.

PictoOKTrès beau témoignage dans lequel cohabitent amertume et tendresse.

LABEL LectureCommuneUne lecture commune que je partage avec Dame Kikine !!!! Quel plaisir ! Je vous invite à lire sa chronique.

Extraits :

« Un jour, Pierre Desproges est venu avec moi chercher Thomas dans son établissement. Il n’avait pas beaucoup envie, j’ai insisté. Comme tous les nouveaux venus, il a été assailli par des enfants titubant et bavant, pas toujours très ragoûtants, qui l’ont embrassé. Lui qui supportait difficilement ses semblables et était souvent réservé devant les manifestations exubérantes de ses groupies, il s’est laissé faire de bonne grâce. Cette visite l’a beaucoup remué. Il a eu envie d’y retourner. Il était fasciné par ce monde étrange où des enfants de vingt ans couvrent de baisers leur ours en peluche, viennent vous prendre par la main ou menacent de vous couper en deux avec des ciseaux. Lui qui adorait l’absurde, il avait trouvé des maîtres » (Où on va, papa ?).

« Oui, mon actualité à moi, ce sont mes enfants handicapés, mais je n’ai pas toujours envie d’en parler. Ce que le maître de maison attend de moi, c’est de faire rire. Exercice périlleux, mais j’ai fait de mon mieux. Je leur ai raconté le dernier Noël à l’IMP où étaient placés mes enfants. Le sapin que les enfants ont fait tomber, la chorale où chacun chantait une chanson différente, le sapin qui ensuite a pris feu, l’appareil de cinéma qui est tombé pendant la projection, le gâteau à la crème qu’on a renversé et les parents à quatre pattes sous les tables pour éviter les boules de pétanque qu’un père imprudent avait offertes à son fils qui les jetait en l’air, tout ça sur fond de « Il est né le divin enfant »… Au début, ils étaient un peu gênés, ils n’osaient pas rire. Puis, petit à petit, ils ont osé. J’ai fait un beau succès. Le maitre de maison était content. Je crois que je serai réinvité » (Où on va, papa ?).

Le lien vers la fiche de présentation de l’ouvrage sur le site de l’éditeur.

Veuf – Fournier © Stock – 2011

Veuf – Fournier © Stock – 2011
Veuf – Fournier © Stock – 2011

« Je suis veuf, Sylvie est morte le 12 novembre. C’est bien triste. Cette année, on n’ira pas faire les soldes ensemble.
Sylvie est partie discrètement sur la pointe des pieds, en faisant un entrechat et le bruit que fait le bonheur en partant. Elle ne voulait pas déranger, elle m’a dérangé au-delà de tout. Cette année, l’hiver a commencé plus tôt, le 12 novembre ».

Trois ans après Où on va, papa ?, Jean-Louis Fournier offre de nouveau à ses lecteurs un récit autobiographique. Il revient cette fois sur le décès de sa femme. Elle était opposée au fait qu’il parle d’elle dans ses romans. Maintenant qu’il est veuf, il peut bien faire ce qu’il veut et laisser échapper ses pensées. Posées à l’écrit, elles prennent la forme d’un hommage touchant à l’attention de cette femme qui a partagé une partie de sa vie. On dirait une héroïne elle qui est partie avec dignité, a supporté les humeurs et la jalousie de cet homme désabusé. Le lecteur n’a aucun effort à faire et c’est avec une facilité déconcertante que l’on s’installe et que l’on profite des confidences qui sont dévoilées. L’émotion affleure à chaque mot. Drôle et nostalgique, on ne vire jamais vers la mélancolie pathétique qui attend pourtant l’auteur au tournant.

PictoOKPictoOKA l’instar de Où on va, papa ?, les chapitres succincts du roman vont à l’essentiel avec une réelle profondeur. Un homme qui va de l’avant comme il peut, un peu de travers d’ailleurs. L’écriture de Jean-Louis Fournier est d’une fluidité incroyable. Quelle claque et quel plaisir de s’abandonner dans les mots d’un autre.

LABEL Lecture AccompagnéeAccompagnée par Kikine pour cette lecture qui, quant à elle, a souhaité découvrir – en sus de « Où on va, papa ? » un roman contenant deux nouvelles de l’auteur : Mon dernier cheveu noir.

La fiche de présentation de l’ouvrage sur le site de l’éditeur.

Extrait :

« Ça me manque de ne pas pouvoir te parler de moi. Je vais devoir apprendre à me parler tout seul » (Veuf).

Auteur : Mo'

Chroniques BD sur https://chezmo.wordpress.com/

8 réflexions sur « « Où on va, papa ?  » & « Veuf » (Fournier) »

  1. « Où on va papa ? » : Le ton est juste … oui c’est vraiment cela que l’on ressent. Et comme tu le mentionnes, il ne généralise pas et on assiste bien à un exutoire. Boudiou que tu es bonne dans tes critiques 😉

    « Veuf » : Ouah, si « où on va papa? » a obtenu un pouce levé et « Veuf », deux pouces levées… je vois mal comment je peux passer à côté !

    Ce fut un plaisir chère Mo’ que cette lecture commune ! J’ai bien hâte à la prochaine (même si avant, je vais me farcir un très lourd pavé)

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    1. Oui et bien j’avais déjà envie de lire « Mon dernier cheveu noir » et ton avis ne fait que la renforcer. Donc on est quitte sur les Fournier 😀
      De mon côté, j’ai attaqué le petit roman dont je t’avais parlé et j’ai du mal à savoir où donner de la tête une fois qu’il sera terminé, d’autant qu’on m’a prêté un nouveau Vargas hier… 😀 J’essaye de canaliser l’embouteillage dans ma PAL et je compte sur toi pour m’aider ^^

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  2. La polémique qui l’avait opposé à son ex-femme m’a refroidie et je n’ai jamais lu cet auteur. Si je le faisais, ce serait avec Veuf.

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    1. Je n’ai pas du tout eu vent de cette polémique. Pour dire vrai, j’ai appris qu’il y avait eu polémique en lisant la chronique de Kikine. Après, je ne vois pas ce qu’il peut y avoir à polémiquer ; il se contente de parler de sa propre expérience, de son propre ressenti de père d’enfants handicapés sans chercher à mettre tous les autres parents [confrontés à la même situation] dans le même panier que lui. Après, oui, ses enfants bavent, ses enfants ont des corsets, ses enfants ne sont autonomes en rien. Il faudrait que je prenne un peu connaissance du discours de son ex-femme. Mais… les polémiques et moi 🙂
      J’espère que tu aimeras « Veuf ». Peut-être te donnera-t-il envie de lire le témoignage sur ses enfants ensuite

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