Une famille normale – Garance Meillon

 

9782213687469-001-X (1)« Mon réveil sonne à sept heures pile mais je me réveille toujours à six heures cinquante. C’est un automatisme. Je crois que ça fait des années que je n’ai pas entendu la sonnerie de mon réveil. D’habitude Damien dort à mes côtés, sauf s’il est rentré tard la veille, et alors je le trouve au matin sur le canapé du salon. Il met ses chaussures cirées bien parallèles sur le tapis, depuis que je lui ai demandé quand nous avons emménagé ensemble il y a dix-huit ans. « 

C’est par ces mots que nous rentrons dans une vie bien réglée. Bien propre.  Chez des gens bien comme il faut. Un couple, un appartement parfaitement astiqué, deux enfants.

Dans cette famille normale, je demande la mère : Cassiopée. Ça fait des années qu’elle n’a pas pleuré. Ça fait des années qu’elle demeure ainsi dans sa vie rangée, sérieuse, réduite. Cassiopée est une machine faite femme, un être triste, sage, sec, maniaque, froid, un serpent. Frigide ? Qui pense, analyse, prévoit, organise sa vie et celle des autres. Efficace. Elle donne le change. Toujours. Fait illusion. Jusqu’au jour où….

« Même à ton chevet je te disais des banalités, des choses que l’on croit bon de dire aux gens qui meurent. Je te serrais la main comme je l’avais vu dans un film. Mais il n’y avait pas d’étreinte dans mes mains, et je ne savais pas comment te voir mourir. Personne ne m’avait appris, alors je l’ai mal fait, parce que je suis quelqu’un de stupide, quelqu’un de scolaire, qui ne sait apprendre que par cœur. »

Dans cette famille normale, je demande le père : Damien. Un homme amoureux de sa femme-ce-glaçon. Un bon père. Détaché. Effacé. Un peu à côté. Reconnaissant et rempli de bons sentiments. Il essaye. Mais pas trop. Il pourrait être cool. Il pourrait se battre, se révolter, vivre …. « Mais au lieu de ça il mange sagement les petits rôtis qu’elle nous prépare et qui n’ont aucun goût, en disant « oui ma chérie ». Et il se ressert, ben voyons.«  Lâche ? (un peu comme tous les hommes, j’ai presqu’envie d’ajouter, mais ce serait maaaaaaaaaal 😉 ) « Je dessine des immeubles pour ne pas penser à mon propre appartement. Et à l’intérieur ma femme qui est triste. »

Dans cette famille normale, je demande la fille : Lucie. 16 ans. Une tornade. Une ado quoi ! En colère… Surtout contre sa mère, cette « coinços » ! Une demoiselle révoltée car en souffrance… « Ce matin je suis allée en cours. J’avais mis une heure et demie à me préparer tellement j’avais peur. Je me suis aperçue que le maquillage est un allié contre le monde, et par conséquent moins je me sens bien, plus je me maquille. Je ne ferai pas partie de l’armée des femmes au visage nu. Tant pis pour Greenpeace, les petits animaux sauvages et la nourriture bio. Je me suis toujours foutue éperdument des randonnées et des marches en forêt. »

Elle n’a pas sa langue dans sa poche. Douée au lycée. Sexuellement affranchie et libre. Et amoureuse-dingue d’un garçon ! « Je sais que Cassiopée m’a inscrite à la danse pour pouvoir baiser tranquillement avec papa. Et moi je baise tranquillement avec Maxime grâce à la danse. Il habite en face du lycée, c’est pratique. On fait l’amour pendant une demi-heure et pas qu’une seule fois. Ça arrange tout le monde la danse finalement. Je crois que ma mère n’en a rien à foutre, en fait, que j’aille à la danse ou pas…. « 

Dans cette famille normale, je demande le fils (mon préféré !) : Benjamin. 13 ans. Une obsession, l’astronomie. Et Pluton. « Pluton n’est même pas une vraie planète, c’est une planète naine. C’est tout ce à quoi on peut prétendre à treize ans, d’être une planète naine, non ? C’est même plutôt classe. Alors c’est décidé. Moi, c’est Pluton. »

Il est bizarre, angoissé par la mort, alors il dort peu. Très intelligent. Voire toutafé surdoué. En marge. Mène une vie parallèle dans sa tête. Se suffirait presqu’à lui-même. Et il a un plan, un désir fou d’élévation…. « J’ai souvent pensé à m’échapper pour quelques jours, à faire une fugue comme le Grand Meaulnes. Mais j’ai trouvé mieux. »

 

Oui, je vous entends déjà vous écrier « ahhhhhh, encore une histoire de bonne femme, de vie quotidienne,  de crise de couple, de reconstruction, de transmission…. Déjà lu 100 fois ! » Oui, mais pas que ! La force de ce livre, ce sont toutes ces voix mêlées qui se racontent à la 1ère personne et qui nous font entrer dans cet espace intime propre à chacun et que l’on sait si bien  taire. Dans cette vie intérieure qui lentement, se fissure…

Et l’écriture de Garance Meillon est singulière,  sobre, drôle, un poil grinçante…Tout ce que j’aime !

Un 1er roman à découvrir, une auteure à suivre de TRÈS près !

Extraits :

« En général, nous faisons l’amour le mardi, parce que les enfants prennent des cours de danse et de théâtre et rentrent plus tard. Nous avons deux bonnes heures devant nous. J’ai aussi choisi le mardi parce que c’est le jour où je sais si ma semaine va être bonne. Cela ne rate jamais, mes prédictions sont toujours exactes. Parfois je m’effraie moi-même. Par exemple c’est un mardi que j’ai appris que maman était morte. Bien sûr que c’était un mardi. »

«  Tout à l’heure j’étais seule chez maman. J’avais l’impression que chaque objet me reprochait d’être arrivée trop tard. J’ai frôlé les livres du couloir avant de pousser la porte de sa chambre. Maman aimait beaucoup lire. Elle accumulait les livres […]. Ce n’était pas la bibliothèque proprette d’une érudite mais celle d’une passionnée, d’une folle, d’une femme qui n’avait pas voulu s’arrêter. Certains livres avaient été lus plusieurs fois, ils avaient été aimés jusqu’à ce que leurs pages se cornent et jusqu’à ce que leur couverture s’effrite. […] Elle aimait comme dans les films italiens, avec fatalité, avec emphase. Avec le recul, je trouvais ça beau. Quand je suis passée devant, la bibliothèque elle-même semblait recueillie dans un deuil mêlé d’incompréhension. Ma mère, en mourant avait aussi déserté ces livres. Et maintenant, où étaient ces mots qui étaient entrés en elle ? »

 

Troisième livre découvert grâce à la si jolie aventure des  68 premières fois (et pour découvrir cette belle communauté et tous les avis sur ce 1er roman c’est par ici :  68 premières fois )

68 premières fois

 

Une famille normale de Garance Meillon, Fayard, 2016.

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