Ce qui est fou en Arabie Saoudite, c’est que les femmes peuvent parfaitement aller à l’étranger y faire des études mais à l’intérieur des frontières, il leur est impossible de faire le moindre de choix. Elles sont placées sous la tutelle d’un homme – leur père puis leur mari – et doivent s’en remettre à leur décision en ce qui concerne leur avenir. Cela fait un an que Nour est rentrée de Londres et elle mesure le décalage entre le mode de vie occidental et le mode de vie oriental.
Rien ne sera jamais plus comme avant. Personne ne se regarde, personne n’ose se parler. Je sens la liberté me quitter pour de bon. Londres m’a déjà oubliée. Sous mon abaya, je me cache et disparais.
Depuis son retour de Londres, elle se heurte à l’autorité paternelle et plus encore, elle rejette cette société qui prive la femme de ses droits, qui la prive de son libre-arbitre. La colère de Nour monte. Elle se sent privée d’une part d’elle-même. Jusqu’à ce qu’elle rencontre d’autres femmes qui, comme elle, aspirent à la liberté. Le 10 novembre 1990, elles bravent l’interdit qui, depuis 1981, « proscrit formellement la conduite aux femmes dans tout le royaume ». Elles sont 47 à prendre le volant pour dénoncer le système rigoriste saoudien. Leur cortège est un cri d’indignation, une révolte.
Un brouhaha de vie. Tout l’énergie de cette assemblée réveillait en moi la fièvre de la révolte. Je me sentais de nouveau forte et capable
Un choc de cultures pour le personnage principal. Chloé Wary signe ici son premier ouvrage et choisit à cette occasion de parler d’identité. Bien que son héroïne soit fictive, celle-ci est inspirée du parcours de plusieurs femmes saoudiennes qui militent pour la reconnaissance des droits des femmes en Arabie Saoudite.
Eh vous, là, femmes ! Couvrez votre visage ! Quelle indécence : Si vous ne savez pas vous couvrir, alors restez chez vous ! Vous n’avez pas honte ?! Vous cherchez la provocation ?! (…) Priez Dieu pour ne pas recroisez mon chemin ! Sinon, c’est moi qui vous apprendrai les bonnes manières !
Parvenir à s’accepter et à accepter les lois en vigueur. Faire profil bas face au diktat des hommes, à leurs interprétations des textes religieux. Accepter d’être reléguée à un rang inférieur.
La vérité c’est qu’ils sont là pour nous humilier, nous rappeler que nous ne sommes rien. Ils sont là pour nous faire peur et décourager toute tentative d’émancipation. Mais malgré ça, il faut trouver la force de sa battre encore et encore.
Chloé Wary construit ici un scénario qui prend le temps d’installer le contexte social que son personnage va devoir accepter. L’auteure s’attarde sur le décalage entre les sociétés occidentales laïques et libertaires et les états islamiques, leurs idéaux religieux et l’impact de ces derniers sur le quotidien. D’ailleurs, chaque chapitre se referme sur une sourate du Coran… le lecteur est laissé libre et peut ainsi mesurer l’amplitude d’interprétations possibles de ces textes. Il n’est pas nécessaire d’être une femme pour constater la violence que ce doit être de passer la frontière et de devoir se plier contre notre volonté à tout ce qui nous caractérise, à toutes ces choses que l’on fait sans même se rendre compte de la chance que l’on a : liberté de choisir les études vers lesquels on se tourne, le métier que l’on souhaite exercer… liberté d’aller et venir, liberté d’expression, liberté de choisir son compagnon… Chloé Wary nous oblige à faire face aux représentations que l’on peut avoir sur le Moyen-Orient. Quand les médias nous montrent souvent la partie émergée de l’iceberg, c’est nier l’invisible, nier tous ces gens qui désapprouvent le système, qui combattent en fonction de leur moyen et prennent des risques, refusant d’accepter l’inacceptable.
Le dessin de Chloé Wary est rond, presque enfantin, parfois maladroit ou tremblant. Rapidement, on se rend compte que la naïveté graphique n’est qu’apparence. Elle s’efface derrière le propos, se fait discrète mais parvient tout de même à retranscrire avec justesse l’expression des visages. La colère, la honte, l’indignation, l’atterrement. La dessinatrice parvient tout à fait à retranscrire ces émotions. Si j’avais beaucoup d’attentes vis-à-vis du scénario, c’est le dessin qui m’a le plus surprise.
Côté récit en revanche, une légère déception. L’auteure prend effectivement le temps d’installer son sujet, son personnage ainsi que les personnages secondaires, le contexte social… mais lorsque l’on rentre dans le vif du sujet, qu’il est question de la rencontre de Nour avec un groupe de femmes militantes, on attaque déjà le dernier tiers de l’album et l’action de ces féministes est finalement vite abordée… pour ne pas dire survolée. Dès le prologue, le lecteur savait pourtant que ces femmes allaient frapper fort et que, pour cela, elles allaient contester l’interdiction qui leur est faite de conduire.
Le récit se situe en 1990 et c’est là la première action de révolte qui conduira plus tard à la création du mouvement « Women to drive ».
Un bon album mais j’aurais apprécié de rester un peu plus longtemps en compagnie de ces femmes, avoir un peu plus d’informations concernant leur quotidien, leur action et les fruits de cette action… Je vous conseille pourtant la lecture de cet ouvrage.
Une page Facebook pour Women2Drive.
Extraits :
« En Arabie Saoudite, il semblait aberrant qu’une fille fasse ses propres choix, mais à Londres, la liberté s’offrait à moi, et en toute légitimité. Je me sentais vivante plus que jamais » (Conduite interdite).
« Fuir en Occident, c’est oublier d’où tu viens, tes racines. Nous devons œuvrer ensemble et ici, en Arabie Saoudite, pour gagner notre liberté. Si nous fuyons toutes, qui se battra pour nos droits ? Nous avons le devoir de nous battre pour nos filles, pour nos sœurs. Mais si on n’a aucun moyen… c’est comme se condamner à une vie de soumission » (Conduite interdite).
Conduite interdite
One shot
Editeur : Steinkis
Dessinateur / Scénariste : Chloé WARY
Dépôt légal : avril 2017
140 pages, 18 euros, ISBN : 978-23-68460-90-0
Bulles bulles bulles…
Conduite interdite – Wary © Steinkis – 2017
La « BD de la semaine » s’invite aussi sur d’autres blogs :
Blandine : Nathalie : LaSardine :
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Un album intéressant semble-t-il, même si l’intrigue n’est pas à la hauteur de ce qu’elle laissait présager… Voilà ma participation du jour : http://bouquinbourg.canalblog.com/archives/2017/03/29/35106412.html
Bon mercredi !
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Oui un album intéressant. Ensuite, je l’aurais apprécié davantage si Chloé Wary avait creusé le cœur du sujet plus longtemps 😉
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Soukee, on ne peut plus laisser de commentaires chez toi !? 😉
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Merci pour le lien (https://enlisantenvoyageant.blogspot.fr/2017/03/ideal-standard.html)
En tout cas je pense parler de la BD que tu présentes à ma bibli, déjà j’ai demandé La différence invisible. Un bibliothécaire et moi, on se donne des idées! ^_^ Les miennes viennent bien souvent des blogs;
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Cet album mérite du moins, il donne une bonne base propices aux échanges. Après, c’est facile d’aller plus loin si on veut davantage d’informations. C’est ce que j’ai fait d’ailleurs en allant chercher un peu sur internet.
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Un sujet intéressant pourtant !
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Un sujet très intéressant. Je pense que j’aurais eu un gros coup de cœur s’il avait été traité plus en profondeur 😉
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ça me plait, ça me plait, ça me plait évidemment !
Je note copine, pis je te bise copine :-p
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Ben oui et j’ai bien pensé à toi en voyant le sujet de l’album et l’action de ces femmes 😉
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Le sujet m’intéresse beaucoup. Malgré tes réserves, il est important de faire connaître ce genre d’ouvrage.
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Je suis d’accord avec toi. C’est un bon album pour sensibiliser les gens au combat des femmes saoudiennes en vue de la reconnaissance de leurs droits
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Sympa. Je note! Une belle journée à toi!
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Belle journée à toi Cat ! J’espère que cette lecture te plaira 😉
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Le sujet m’intéresse énormément!! Et c’est marrant, les dessins me font penser au style de Bagieu dans California Dreamin’, le crayonné noir. Je note ce titre malgré ton petit bémol!
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C’est un crayonné brut oui, sans aucun artifices. Petit sentiment d’inachevé mais pas de quoi dire que cette lecture m’a déçue. Hâte de lire ton avis 😉
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Forcément, vu le sujet, je suis plus que tentée… Je garde en tête ton bémol mais me lancerais peut-être un jour 😉
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S’il croise ta route oui, n’hésite pas 😉
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le sujet m’intéresse mais je dessin me fait douter…
on verra si je tombe dessus. en tout cas, merci pour la découverte
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Avec plaisir Bouma 😉
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le sujet m’intéresse. j’essaierai de le trouver car même s’il ne semble pas assez creusé, il est primordial d’en parler.
j’aime lorsque les livres nous font découvrir, nous questionnent et et donnent envie de les prolonger en faisant des recherches.
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Oui, cela a beaucoup d’avantages 😉
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J’aurais du mal à passer outre par rapport au dessin. Et puis tu as quand même de sérieux bémols 😉
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Oui mais voilà, je souligne tout de même que le propos est intéressant. C’est le problème quand on est mi figue mi raisin. On pèse le pour et le contre en permanence
En tout cas, il ne faut pas écarter trop vite ce titre
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En demi-teinte donc… Le sujet est intéressant cependant.
Ma participation: http://promenadesetmeditations.blogspot.fr/2017/03/ecumes-dingrid-chabbert-et-carole-maurel.html
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J’enregistre ton lien 😉
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Je suis bien tentée par ta découverte même si tu n’as pas à 100% adhéré 🙂
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Je ne suis pas mécontente de te donner envie de découvrir ce titre par toi-même malgré mon bémol 😉
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Elle m’intéresse cette BD surtout pour le regard que peut porter une auteure qui est à mille lieues de ce qu’elle décrit. D’habitude ce genre de récit est souvent autobiographique ! Merci!
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Avec plaisir ! Hâte de lire ton avis 😉
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Un sujet très intéressant et que tu présentes très bien ! Même si tu n’as pas entièrement adhéré, en tout cas tu m’as donné envie d’apprendre le minimum qu’il y a dans ce livre sur les actes de ces femmes 🙂
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Oui, j’aurais bien apprécié quelques pages supplémentaires. Je m’y suis retrouvée en prenant des infos complémentaires sur la toile 😉
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