Jamais (Duhamel)

Duhamel © Grand Angle – 2018

Troumesnil.

Bienvenue dans ce village d’irréductibles normands.

Troumesnil où ses poissonniers s’écharpent sur le marché et critiquent la fraicheur de leurs poissons respectifs en fidèles descendants d’Ordralfabétix

Troumesnil et son maire stressé qui n’a qu’une idée en tête : parvenir à placer en maison de retraite l’une de ses administrées.

Madeleine – l’administrée en question – est veuve et qu’elle continue de vivre comme si son Jules partageait encore sa vie au quotidien. Elle vit au bord d’une falaise. Rien d’alarmant si ce n’est que le réchauffement climatique génère d’importantes dépressions climatiques ; chaque nouvelle rafale de vent fait tomber des pans de la falaise… et Marguerite est aveugle de naissance. Les rosiers de la vieille dame sont au fond du jardin… et le fond du jardin risque de bientôt atterrir plusieurs mètres plus bas.

Madeleine fait la sourde oreille aux propos alarmistes de l’élu. Elle vivante, rien ni personne ne la forcera jamais à quitter sa maison.

Il y a des albums comme ça dont on ne sait rien jusqu’à ce que l’on voie sa couverture. A ce moment-là, on se dit que c’est tout à fait le genre d’album qu’on aimerait avoir dans sa bibliothèque. Le résumé nous confirme la première impression, les quelques planches en ligne nous font saliver et la première chronique (d’autant plus quand elle est signée par Sabine) nous fait saliver. Et puis de Bruno Duhamel, je me rappelle l’excellent « Voyage d’Abel » qui m’avait émue même si le coup de cœur attendu n’était pas au rendez-vous.

Forcément, quand on peut enfin plonger dans la lecture, les attentes sont démesurées… et on sait bien que c’est risqué, que lorsqu’on attend autant d’un album on en sort souvent déçu. On ouvre pourtant avec avidité et curiosité, comme un gosse.

Jamais – Duhamel © Grand Angle – 2018

Me voilà donc plongée dans « Jamais » et quel délice de voir que l’objet et l’histoire qu’il contient vous régalent ! L’auteur nous bichonne, nous fait fondre, nous fait rire. Il y a de cet humour potache des « Vieux fourneaux » qui nous fait éclater de rire pendant la lecture, il y a ces gros clins d’œil à l’univers d’Astérix et puis il y a surtout ce petit bout de femme au caractère bien trempé et qui se sert de l’humour pour clouer le bec des rabat-joie.

L’histoire de Madeleine c’est le quotidien d’une petite dame qui ne paye pas de mine en apparence mais que l’on rêverait de rencontrer. Une vieille dame lucide qui n’est pas prête à avaler des couleuvres, une femme forte qui ne s’est jamais cachée derrière son handicap. Sa franchise fait souffler un vent de bonne humeur sur tout l’album. On envie son courage et sa force de caractère. Une femme que l’on met pourtant un moment à cerner ; en la voyant évoluer chez elle, en la voyant nier totalement l’absence de son défunt époux, en voyant son jardin qui est chaque jour grignoté de quelques mètres (la falaise s’effrite à chaque bourrasque)… tout les petits détails de sa vie qu’elle ne montre à personne et cette grande solitude font que l’on ressent beaucoup d’empathie pour ce petit bout de femme.

De l’éclat de rire à la larme à l’œil, « Jamais » est un album que je vous recommande chaudement !

La chronique de Sabine.

Jamais

One shot
Editeur : Grand Angle
Dessinateur / Scénariste : Bruno DUHAMEL
Dépôt légal : janvier 2018
62 pages, 15.90 euros, ISBN : 978-2-8189-4381-6

Bulles bulles bulles…

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Jamais – Duhamel © Grand Angle – 2018

Le Voyage d’Abel (Belvent & Duhamel)

Belvent – Duhamel © Les Amaranthes – 2014
Belvent – Duhamel © Les Amaranthes – 2014

Abel est un vieux loup solitaire. Sa vie est faite d’une routine harassante. Lui qui a toujours rêvé d’être marin et de voyager, il a finalement passé ses plus belles années à s’occuper de l’exploitation agricole familiale. Soigner les bêtes, s’occuper des champs… les tâches varient finalement assez peu au fil des saisons.

Dernier d’une fratrie de garçons, il s’est retrouvé coincé lorsque, arrivé à l’âge adulte, tous les autres avaient décampé vers d’autres horizons. Il a sacrifié sa vie et écarté ses rêves de jeunesse pour reprendre la ferme de ses parents. Au crépuscule de sa vie, il est aigri. Et c’est bourré d’amertume qu’il rêve d’un ailleurs plus épanouissant et se nourrit des photographies des guides de voyage qui remplissent les étagères de sa bibliothèque.

Moi, ce que je voulais, c’est être marin. Prendre le large. Voyager : Conakry, Singapour, Tahiti… Bombay… A Reclesme, il y a eu un palmier, une fois… un seul… Il a crevé au premier hiver. Je ne pourrais pas en dire autant ! Les hivers, moi, je peux les compter. Y en n’a pas un seul que j’ai raté. Pas un. Depuis que je suis né, j’les ai tous faits, les hivers à Reclesme… C’est la poisse l’hiver. Déjà, rien que parce que j’suis né en hiver ! La mère, elle avait 40 ans quand elle a accouché. Autant dire qu’elle s’en serait bien passé. Ca, elle me l’a dit… et pas qu’une fois.

On entre vite dans le petit monde d’Abel, vieillard ronchon et solitaire. Pourtant, le scénario de Lisa Belvent s’installe doucement, ne posant pas ses mots tout de suite sur les illustrations de Bruno Duhamel. N’ayant pas d’autre choix, on regarde donc ce vieux bonhomme vaquer à ses occupations. Le lecteur est accueilli par la sonnerie du réveil et on voit une tête décatie en haut d’une masse informe de couvertures. On sent le geste machinal pour attraper les vêtements posés sagement sur une chaise, pour préparer le café ou encore pour enfiler une veste chaude et une casquette. Le parcours matinal de cet homme est rodé, du corps de ferme à l’étable, de l’étable à la bergerie, de la bergerie aux pâturages. Durant tout ce temps, il soliloque.

Le récit prend soin de décrire une vie ritualisée mise en images à l’aide d’une bichromie où le bleu règne en maître. Bruno Duhamel installe une ambiance où l’on perçoit rapidement qu’il est question de solitude et d’ennui. Pourtant, il y a quelque chose de léger dans le trait comme dans le propos, une pointe d’humour un peu cynique qui permet au lecteur de décaler le regard et à la narration de ne pas s’appesantir. On s’attendrit pour ce vieux bonhomme qui prend plaisir à donner de sacré coup de pied au cul de son chien, un coup de pied gratuit, presque pour la forme, comme s’il bottait le cul de son égo. Un homme qui, pour ne pas sombrer dans la mélancolie, décroche régulièrement de la réalité et laisse glisser ses pensées dans les paysages de pays qu’il n’a jamais vu de ses propres yeux mais qu’il a eu l’occasion de contempler dans tous les guides de voyage qu’il a consulté. Un vieux qui est ému par la fille de la bouchère. Une jeune femme qui ressemble tant à celle qu’il a aimé autrefois mais là encore, il n’a pas eu le courage de ses sentiments. Un vieux qui a laissé filé sa vie, un vieux qui ne s’avoue pas les choses mais conscient des bénéfices qu’il tire de ses rêves… mieux vaut encore une vie à fantasmer un ailleurs que le fait de ne pas avoir ce petit jardin secret. Et tant pis si les autres se moquent de lui.

De toute façon, le plus beau voyage, c’est celui qu’on ne fera jamais

PictoOKUne lecture douce et sympathique malgré les thèmes abordés. Monde rural, solitude, vieillesse. Un bel album que j’oublierai peut-être trop vite. Je m’attendais cependant à avoir un réel coup de cœur mais il n’a pas été au rendez-vous.

Cet album a été tiré à 1000 exemplaires. Un projet entièrement porté par ses auteurs qui se chargent eux-mêmes de la diffusion. Si vous souhaitez commander cet album, il faut vous rendre sur la boutique en ligne des Amaranthes.

LABEL LectureCommuneUne lecture commune que je partage avec Jérôme (j’en profite pour te remercier d’avoir attendu que je me procure cet ouvrage afin que l’on puisse le découvrir ensemble). Je vous invite à lire sa chronique !

La chronique de Moka et celle de Philippe Belhache.

Le Voyage d’Abel

One shot

Editeur : Les Amaranthes

Dessinateur : Bruno DUHAMEL

Scénariste : Lisa BELVENT

Dépôt légal : septembre 2014

65 pages, 18 euros, ISBN : 979-10-94137-00-0

Bulles bulles bulles…

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Le Voyage d’Abel – Belvent – Duhamel © Les Amaranthes – 2014