L’Eté Diabolik (Smolderen & Clérisse)

Smolderen – Clérisse © Dargaud – 2016
Smolderen – Clérisse © Dargaud – 2016

L’été d’Antoine devait être tranquille. Routinier. Sa mère et sa sœur en voyage en Irlande, il se retrouve en tête à tête avec son père. Ce dernier, un ingénieur qui travaille dans une usine fabriquant des turbines, est un homme très investi dans son travail. Souvent absent, il parvient pourtant à se libérer un peu de temps pour assister au tournoi de tennis que son fils remporte haut la main.

Pourtant, un incident émaille la cérémonie de la remise de prix. Le père de l’autre finaliste le prend à parti. Un mauvais perdant, c’est ce que tout le monde conclu. Puis, il y a cette rencontre fortuite le soir-même lorsque, installé à la table d’un prestigieux restaurant local, le père d’Antoine est interpellé par un homme qu’il a croisé lors d’un déplacement professionnel. Puis il y eu cette course poursuite dangereuse en pleine nuit sur les routes sinueuses de la côte. Il y eu la rencontre avec juan, cette fille mystérieuse et si attirante.

Non décidément, cet été 1967 ne ressemblait à aucun autre été. Antoine avait 15 ans. Les événements étranges qui se sont succédés en très peu de temps et qui se sont soldés par la disparition de son père, Antoine ne les a toujours pas digérés au point que 20 ans plus tard, Antoine en ait fait un livre, comme une catharsis… comme une vaine tentative de reconstituer le puzzle de ces quelques jours qui ont fait de sa vie un chaos.

Double-sens, double personnalité, double jeu… les reflets que le miroir de la vie nous renvoient sont parfois trompeurs. A tel point qu’il est nécessaire de prendre le temps de s’arrêter pour les examiner à la loupe. Voir les incohérences, les comprendre ou les gommer. Raisonner. S’apaiser.

L’été Diabolik – Smolderen – Clérisse © Dargaud – 2016
L’été Diabolik – Smolderen – Clérisse © Dargaud – 2016

Double jeu comme cet effet qui nous prend dès qu’on ouvre l’album. Le livre nous force à ouvrir le livre d’un autre, la fiction s’empare du récit. « Antoine Lafargue », son nom s’étale sur cette couverture épurée où apparaît la mention « récit » et indique un nom d’éditeur « Editions Clairville »… Clairville… du nom de cette localité où se déroule l’intrigue de « L’Eté Diabolik », mais ça, on ne le comprend qu’ensuite.

Double personnalité, du moins c’est la question que l’on se pose à force de voir le narrateur empiler les incohérences dans le comportement de son père. Et cet adolescent avec lequel Antoine commence à lier amitié ne semble pas si sincère qu’il en a l’air. En fait, dans ce microcosme, chacun semble tirer des ficelles qu’Antoine n’est pas en mesure de comprendre. Thierry Smolderen jette son jeune héros dans la fosse aux lions. Il dresse le portrait d’un adolescent tranquille qui se retrouve confronté à des événements qui le dépassent, qui se contente de relever les fausses notes dans le comportement de son entourage et qui n’a de cesse de relativiser la situation… car nous savons tous que notre imagination peut être notre pire ennemie. Etape par étape, le scénariste électrise son scénario et nous met – lecteurs – sur le qui-vive. On cherche la petite bête, tendus, à l’affût de l’indice qui nous mettra sur la voie… et on se noie de la même manière que le narrateur. On se noie… mais dans une délicieuse intrigue qui nous aimante. On hésite face à ces faux-semblants qui n’en sont peut-être pas, on se raisonne à l’idée d’être trop suspicieux. Comme on se projette dans ce personnage ! C’est diabolique.

Il faut dire que Thierry Smolderen met le paquet pour semer le trouble. Il est question d’espionnage industriel, de sentiments, de dépucelage, d’absence, de mort, d’étranges coïncidences et de références nombreuses à d’autres littératures. Car ce personnage masqué s’inspire en premier lieu des fumetti des sœurs Angela et Luciana Giussani. Mais la figure du justicier masqué nous renvoie à tant d’autres, à commencer par Fantomas.

« La vérité, c’est que les masques de la fiction ne cessent de se glisser dans la danse macabre de l’actualité. Aujourd’hui, les attentats du 11 septembre et les décapitations postées sur Internet font le bal avec les Avengers d’Hollywood ; hier Diabolik hantait les coulisses de l’assassinat de Kennedy et de ses légendes urbaines ; avant-hier, Fantomas, Nosferatu et le docteur Caligari faisaient la ronde autour de la Grande Guerre… Et si l’on devait remonter toute la généalogie de ces masques, qui nous proposent une interface portable et intime, capable de nous connecter personnellement aux forces globales de l’actualité, on aboutirait au premier d’entre eux, qui en a déjà tous les attributs : Harlequin Faustus, Harlequin Criminel, le super-héros des pantomimes anglaises, qui électrifiait les scènes londoniennes au début du XVIIIe siècle » (extrait de la postface de Thierry Smolderen).

Les illustrations d’Alexandre Clérisse contribuent grandement à nous plonger dans cet univers sixties. Là aussi, les références abondent. Le dessinateur puise généreusement et respectueusement dans le Pop Art. David Hockney, Andy Warhol, James Rosenquist… de l’ambiance graphique où l’auteur pousse son trait jusque dans le moindre accessoire, de la pochette d’un vinyle de Procol Harum jusqu’à la « robe Mondrian » d’Yves Saint-Laurent.

PictoOKPictoOKAprès « Souvenirs de l’Empire de l’atome », le duo d’auteurs formé par Alexandre Clérisse et Thierry Smolderen nous scotche une fois de plus. Un must !

Les chroniques : Noukette, Stephie, Hélène, Pierre Darracq.

Cet album a reçu le Prix des lecteurs Ouest-France (Quai des bulles) et le Prix de la BD Fnac 2017.

L’Eté Diabolik

One Shot
Editeur : Dargaud
Dessinateur : Alexandre CLERISSE
Scénariste : Thierry SMOLDEREN
Dépôt légal : janvier 2016
168 pages, 21 euros, ISBN : 978-2205-07345-4

Bulles bulles bulles…

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L’été Diabolik – Smolderen – Clérisse © Dargaud – 2016

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Hop ! La « BD de la semaine » est ici en ce mercredi 25 janvier 2017.

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Je vous invite à découvrir les autres trouvailles présentées par les bédéphiles embarqués dans l’aventure :

Sabariscon :                               Moka :                                  LaSardine :

Hilde :                                           Karine:) :                                 Saxaoul :

Syl :                                               Blandine :                                Noukette :

Jérôme :                                            Gambadou :                         Mylène :

Leiloona :                                        Bouma :                                 Stephie :

Marguerite :                                   Caro :                                         Mélo :

Soukee :                                          Amandine :                               Nathalie :

Estelle Calim :                                  Sandrine :

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Souvenirs de l’Empire de l’Atome (Smolderen & Clérisse)

Smolderen – Clérisse © Dargaud – 2013
Smolderen – Clérisse © Dargaud – 2013

« (…) Thierry Smolderen et Alexandre Clérisse se plongent avec délectation dans l’imagerie fluide et aérodynamique de la SF des années 50. Très loin des parodies nostalgiques habituelles, ce récit chatoyant prend cependant la période au sérieux, et s’intéresse aussi bien aux sources du Zorglub de Franquin qu’aux techniques de persuasion utilisées dans les milieux publicitaires et militaires. S’inspirant d’un cas psychologique réel (qui a défrayé la chronique au milieu des années 50), l’intrigue tient à la fois de l’énigme psychiatrique et du space opera. (…) Souvenirs de l’Empire de l’Atome joue autant sur ses images brillamment évocatrices que sur son scénario aux zigzags imprévus pour emporter le lecteur dans un autre monde –au cœur d’un Âge de l’Atome, qui tour à tour nous enchante et nous glace d’effroi » (synopsis éditeur).

Mexique, 1964. Shangaï, 1926. Bruxelles, 1958. Empire de l’Atome, à près de 121000 années dans le futur.

Paul navigue entre passé, présent et un lointain futur. Morceaux de mémoire éparpillés dans le temps. Homme intelligent mais égaré qui tente de reconstituer la chronologie des événements, gérer ses angoisses et garder le lien télépathique qu’il a, depuis l’enfance, avec Zarth Arn, héros issu de la mémoire collective terrienne et grand combattant.

Le scénario de Thierry Smolderen est éparpillé entre différentes époques dont nous suivrons les intrigues, le tout formant un ensemble cohérent mais charge au lecteur d’en reconstituer l’unité. Je me suis attachée au personnage principal pourtant, je n’ai pas l’impression de l’avoir investi. J’ai aimé la perception qu’il a des choses, l’analyse qui fait des évènements auxquels il est associé de gré ou de force mais je n’ai ressenti aucune empathie pour sa détresse. Fou ou visionnaire, la question reste entière pour moi.

Le scénario d’une grande richesse est trop foisonnant à mon goût. Image symbolique d’une société utopique qui ressemble à s’en méprendre aux sociétés terriennes de l’Antiquité. Projection lointaine d’une espèce humaine qui sera, tôt ou tard, confrontée à l’obligation de s’exiler de sa planète natale pour tenter de survivre dans l’espace. Suppositions quant au fait que cette même espèce excellera un jour dans la maîtrise de la matière, dominera et s’adaptera aisément à un univers qui lui est pourtant hostile, colons de planète inconnue supposée exister quelque part dans un coin de l’univers… Si l’intrigue m’a captivée, son décor me laisse de marbre. Déjà vu, déjà visité à d’autres occasions, le voyage onirique n’a pas été à la hauteur de mes attentes.

Je reste ambivalente face à l’accueil que j’ai réservé à cet album. Satisfaite par la réflexion qu’il sous-tend, questionnant la présence éventuelle d’une analyse critique que l’auteur aurait également faite de la guerre froide, intéressée par le regard accusateur qu’il pose sur la société de consommation. Sa remarque est d’autant plus pertinente qu’il en revient aux prémices du merchandising.

Smolderen – Clérisse © Dargaud – 2013
Smolderen – Clérisse © Dargaud – 2013

Côté graphique, moins d’accroche malgré le travail de composition d’Alexandre Clérisse qui crée une ambiance intemporelle. On navigue de manière fluide entre des époques qui se matérialisent au travers de différentes teintes colorées. Le futur en revanche s’affranchit d’un noir et blanc doté d’assez peu de dégradés de gris… étrange choix. En revanche, le style de dessin retranscrit à merveille l’atmosphère des années 1950. Ce graphisme a également l’énorme avantage de nous permettre de matérialiser assez facilement les multiples références présentes dans le récit (comics, séries télévisées…). Les corps longilignes des personnages côtoient des courbes rectilignes ou arrondies utilisées tour à tour pour l’architecture, les objets de décoration intérieure, les vaisseaux du futur ou les automobiles d’hier… Un graphisme très racé auquel je n’ai malheureusement pas accroché.

Pas de pouce pour cette fois. J’ai pris beaucoup mais j’ai jeté tout autant.

L’accueil mitigé que j’ai réservé à cet album finira-t-il par pencher en sa faveur ou en sa défaveur… en somme, comment le souvenir de cette lecture évoluera-t-il dans ma mémoire ? J’imagine que les surprises que nous réservent l’intrigue ne peuvent que se bonifier avec le temps…

Tu as encore beaucoup de choses à apprendre, cher papa…

Le site dédié à la série.

La bande annonce de l’album :

Les chroniques le Lunch, Nico, OliV, PaKa, Pierre Darracq, Daniel Muraz, SBM, 7BD, Bulles d’encre, …

Souvenirs de l’Empire de l’Atome

One shot

Editeur : Dargaud

Dessinateur : Alexandre CLERISSE

Scénariste : Thierry SMOLDEREN

Dépôt légal : janvier 2013

ISBN : 978-2205-06930-3

Bulles bulles bulles…

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Souvenirs de l’Empire de l’Atome – Smolderen – Clérisse © Dargaud – 2013