Joe l’aventure intérieure (Morrison & Murphy)

Morrison – Murphy © Urban Comics – 2012
Morrison – Murphy © Urban Comics – 2012

Joe est un ado pas très à l’aise et solitaire, comme tant d’autres. Il est seul à l’école, seul dans le bus et seul chez lui. Il est aussi le seul à entendre les inquiétudes récurrentes de sa mère à l’égard de leur situation financière catastrophique ; la jeune veuve passe ses journées à se battre pour sauver la maison familiale. En plus, Joe est diabétique. Rien de grave quand on a des sucreries sur soi. Mais aujourd’hui, lors d’une sortie scolaire au cimetière militaire où est enterré son père, les gros bras de sa classe lui chapardent les siennes. Aussi, Joe n’a qu’une idée en tête : retrouver  au plus vite l’abri de sa chambre, où il s’est constitué, sous les combles, un univers secure peuplé de ses jouets.

Tout à ses pensées, il n’appréhende pas la crise d’hypoglycémie qui le guette. Déjà, sa vision se trouble et les hallucinations visuelles et auditives font leur apparition. Lorsqu’il a conscience qu’il lui faut d’urgence ingurgiter un soda qu’il trouvera deux étages plus bas dans la cuisine, Joe est déjà dans un état second. Puis, c’est Jack (son rat domestique) qui se met à parler. Ses jouets s’animent et l’interpellent ; pour eux, Joe est « L’enfant qui meurt », une légende qui sauvera Jouetville de la Mort.

Le chemin vers la cuisine est plus périlleux qu’il n’y paraît et Joe s’engager dans une quête pour sauver l’univers de Jouetville… et peut-être aussi son propre univers ?

Morrison – Murphy © Urban Comics – 2012
Morrison – Murphy © Urban Comics – 2012

Joe l’aventure intérieure est un récit jouant sur la juxtaposition du monde réel du personnage principal et d’un monde onirique en danger dont il peut devenir le sauveur. Il est surement impossible de lire Joe l’aventure intérieure sans avoir en tête deux ou trois références (littéraire, cinématographique…), à l’instar de L’Histoire Sans Fin, de Khatédra…  ce thème est devenu un genre à part entière.

En ce qui me concerne, c’est la première fois que j’ai l’occasion de lire un album dont le sujet principal est le diabète. Loin d’en faire quelque chose de rébarbatif, le scénariste accroche son lecteur de manière ludique et surprenante. Qui aurait imaginé une trame fantastique pour développer les symptômes de l’hypoglycémie ?? Grant Morrison innove totalement dans l’angle d’attaque de son sujet, il parvient à sensibiliser (à minima) autant qu’à divertir ; on reconnaît en cela l’influence qu’Alan Moore a sur ses contemporains.

Ce qui m’a réellement séduite, c’est la mise en images réalisée par Sean Murphy… Ce scénario était-il fait pour ce dessinateur ? Je ne sais pas, mais l’harmonie qui se dégage de l’ensemble est… bluffante. J’ai été fascinée par cet univers mi réel mi onirique dès le moment où j’ai aperçu la chambre de Joe… et tous les détails qui y fourmillent (il y a même un circuit de train en hauteur !!! ^^)… Clic :

Morrison – Murphy © Urban Comics – 2012
Morrison – Murphy © Urban Comics – 2012

L’histoire est haletante et les rares pauses présentes dans le récit renvoient le personnage à son inquiétante réalité et à ses angoisses de mort. Les retours au réel sont furtifs ; ils ont une utilité narrative importante car ils nous permettent de nous repérer dans la maison de Joe et dans le parcours qu’il doit effectuer pour atteindre la cuisine où l’attend le précieux soda. On a une bonne vision du trajet dès le début de l’album puisqu’une scène muette (de quatre pages) décrit la maison (agencement des pièces, détails décoratifs, emplacement des meubles etc). Clic :

Morrison – Murphy © Urban Comics – 2012
Morrison – Murphy © Urban Comics – 2012

L’ouvrage offre cette possibilité d’interactivité mais je l’ai assez peu investie, lui préférant généralement une approche plus boulimique : lire, lire… et en prendre plein les yeux ! Le dessin est si fouillé qu’il est difficile de mémoriser tous les détails… et impossible d’anticiper les événements. Ponctuellement, je me suis prise au jeu et j’ai tenté d’identifier les éléments déclencheurs d’une hallucination.

Lorsque la réalité s’efface de nouveau derrière la fiction, c’est à coups de métaphores et de symboliques que les auteurs maquillent les angoisses de mort de l’adolescent. La Reine Bree n’est autre que l’incarnation de la mère sur-protectrice de Joe, le Chevalier Adamark représentera quant à lui la figure paternelle, le rat Chakk (ou Jack dans la vie réelle) est l’image du fidèle compagnon. Outre ces figures emblématiques, des Nains de mers, des rats guerriers, des chevaliers, des super-héros… mènent tambours battants une lutte impitoyable contre le mal qui ronge leur monde et les menace de sombrer dans l’oubli. Quant à nous, lecteur, on oublie que l’enfant a besoin de secours, on espère honteusement qu’il reste dans son monde imaginaire. Graphiquement, cet album est une invitation au voyage. La puissance et l’expressivité du trait de Sean Murphy m’ont charmée. Ses dessins sont sublimés par les couleurs vives de Dave Stewart. Autant vous dire que je me suis retrouvée comme une enfant face à cette histoire.

En fin d’album, les auteurs nous gratifient d’un superbe cahier graphique qui contient les scripts originels de Grant Morrison, des storyboards et des planches originales que Sean Murphy a annotés (intentions de l’auteur, travail de découpe, recherche de personnages…)… de quoi nous aider à quitter en douceur ce monde fantastique et revenir peu à peu à notre réalité.

Une lecture que je partage avec Mango à l’occasion de ce mercredi BD

Et découvrez les albums présentés par les autres lecteurs !

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PictoOKJ’ai passé un très bon moment en compagnie de Joe. Ce type de récit ne m’aurait certainement pas autant captivé s’il n’avait été accompagné par les magnifiques illustrations de Sean Murphy. Mon attrait pour la partie illustrée est sans commune mesure ce qui a fait pencher la balance au point de me captiver. Ce dessin fouillé, précis, expressif me marquera longtemps.

Ce n’est qu’ensuite que j’ai envie de parler du scénario ingénieux. Avec audace et sans aucune confusion, il aborde de front le combat d’un jeune homme pour sa survie, une quête fantastique et le passage à l’âge adulte. Il n’est pas donné à tout le monde de parvenir à divertir (et à sensibiliser mais c’est secondaire) sur un sujet aussi sérieux que le diabète.

Le plaisir est au rendez-vous.

Une découverte que j’ai faite grâce à Jérôme que je remercie de tout cœur.

Une lecture commune que je partage avec lui, je vous invite à lire sa chronique.

Les chroniques : Yvan, Choco, FredP, Neault, Ginie, Bigorneau.

Joe l’aventure intérieure

One shot

The-reading-Comics-challengeEditeur : Urban Comics

Collection : Vertigo Deluxe

Dessinateur : Sean MURPHY

Scénariste : Grant MORRISON

Dépôt légal : octobre 2012

ISBN : 978-2-3657-7106-1

Bulles bulles bulles…

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Joe l’aventure intérieure – Morrison – Murphy © Urban Comics – 2012

Auteur : Mo'

Chroniques BD sur https://chezmo.wordpress.com/

25 réflexions sur « Joe l’aventure intérieure (Morrison & Murphy) »

  1. J’avoue que je l’ai vu passer mais je ne crois pas l’avoir feuilleté ! Il y a eu tellement de sortie ce mois d’octobre 2012 !! Si je le vois, je le regarde, mais déjà le titre, j’aime, le fait que ça soit un comics en un one-shot, j’aime, que tu en fasse une lecture commune avec jerome, j’aime et voir qu’il y a déjà plusieurs avis, j’aime !
    Et j’allais oublier, de surcroit, tu semble aimer cette aventure intérieure !! 😉

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    1. Oui, j’ai profité du coté ludique de la bete je crois. Comme je le disais chez Jérome (euh… il me semble ^^), cela m’a sorti des thèmes « sérieux » dans lesquels j’étais plongée ces derniers temps et ma foi, ce n’est pas du tout désagréable !! 😀

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  2. Comme toi j’ai été bluffé par le dessin incroyable de Murphy (moins par les couleurs, comme d’hab…). Dommage que je sois passé à coté de l’aventure intérieure de Joe. Je suis ravi en tout cas de découvrir ton avis fort détaillé et fort argumenté (comme d’hab…).

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    1. Comme je le disais chez toi, j’ai surfé sur le coté ludique de l’album. Cette lecture m’a fait du bien !! Merci pour le cadeau 😉

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    1. Avec plaisir ! ^^
      Tu verras, en matière de comics il y a des petites pépites à lire 😉 Ça ne fait pas longtemps que je m’y suis mise non plus ^^

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  3. Je vois que le duo de choc récidive, bande de coquins va ! Et ça me plait bien votre petite balade, j’aime beaucoup cette idée de juxtaposition du monde réel et du monde onirique… Sûrement mon p’tit côté rêveuse ! 😉

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    1. Le duo récidive oui. C’est vrai qu’on a fait fort ces derniers temps en matière de LC ^^ Il faut dire que Jérome est tentant et puis, cet album-là, il s’était arrangé pour me le mettre « de force (rhooo, les gros mots ^^) entre les mains. Je n’avais pas du tout remarqué cet album en librairie et malgré les chro de Choco et Yvan, je ne pensais pas y venir. Je n’avais donc pas d’attentes particulières vis-à-vis de la lecture… juste découvrir. J’ai apprécié ce voyage improvisé 🙂

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  4. Je n’ai eu le temps d’en lire que la moitié, mais j’ai été un peu déçu parce que j’ai parfois eu l’impression que MORRISON, sans doute pour se faire plaisir, en rajoutait dans la complexité. Je suis fan de ses travaux, y compris le presque illisible The Filth, mais là j’avoue qu’il fallait plus que s’accrocher, parfois.

    Dommage…

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    1. Le cahier graphique inséré en fin d’album est intéressant. Sean Murphy explique notamment que le scénariste lui fournissait le script au fur et à mesure et qu’il avait parfois l’impression de Morrison attendait de voir comment il allait illustrer tel ou tel passage pour enrichir son texte. Attend, le plus simple est encore la citation : « Grant avait clairement décrit les photos sur le mur et l’escalier. Je ne suis pas sur que les plantes ai bas de l’escalier étaient dans le script, mais il a fini par les incorporer dans l’histoire. J’ai souvent eu l’impression qu’il ne se lachait pas complètement dans l’écriture avant d’avoir vu ce que j’avais dessiné, et qu’il incorporait certains détails de mes dessins dans le scénario des épisodes suivants. C’était une sorte de match d’improvisation : chacun construisait sur ce que l’autre venait de faire »
      De mon côté, je n’ai pas eu d’impression de lourdeur mais cette technique de travail explique certainement que les éléments se surajoutent les uns aux autres dans la narration. Sur certains passages, ma lecture était saccadée. Je me suis reportée à plusieurs reprises à la scène qui décrit la maison, je voulais me situer « dans » la maison et comprendre quel élément du décor déclenchait une hallucinations. J’ai souvent fait « chou blanc » ^^

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  5. Ouah ! Eh bien ! Quel enthousiasme ! Bien envie de me plonger dans cette histoire à mon tour… et puis ça a l’air original de traiter de l’hypoglycémie sur un mode aussi onirique. Merci pour la découverte 🙂

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    1. Ça y est, tes comm’ passent ! Cool 🙂
      J’ai eu l’occasion de lire sur la schizophrénie, les troubles bipolaires, l’autisme, l’anorexie/boulimie… mais le diabète, c’est la première fois ^^ Généralement, parler de handicap (quelque soit sa forme) donne lieu à des récits beaucoup plus intimistes. J’ai vraiment trouvé le traitement de cet album original. Belle découverte en tout cas, j’espère qu’il te plaira si tu as l’occasion de le lire 😉

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  6. Cette fois vous êtes à l’opposé, Jérôme et toi! Je suis curieuse de voir ce que j’en penserais.. Les délires ne m’attirent pas spécialement mais les dessins, je les trouve beaux. A voir donc!

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    1. On est radicalement à l’opposé. C’était moins tranché sur « Jours de révolution – Jours de révolte » mais déjà, on n’était pas totalement d’accord sur un ouvrage.
      Celui-ci a provoqué moins de papotages que le Sacco ^^
      Coté dessin, je vais radoter mais j’ai vraiment apprécié ^^

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    1. Ben oui, j’avais lu ça cher toi ^^
      C’est parce que je ne connais pas tous les champs possibles des comics alors je surfe de plaisir sur la moindre découverte 😛

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    1. Ah !! ^^ Je suis en train d’essayer de convertir mes collègues à la BD (étonnant non ??!), j’ai parlé de cet album hier soir et un collègue est arrivé à la même conclusion que toi ^^ J’ai bien aimé (surtout l’ambiance graphique) mais ce n’est pas la BD de l’année non plus 😉

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  7. Il faut quand même s’accrocher pour cette lecture ou du moins être dispo … elle prend un peu de temps… Il y a à faire dans le scénario et dans le cadrage des illustrations… Le scénario m’a vraiment étonné, je ne pensais pas que ça irait si loin, je pensais que Joe réussirai à prendre, à trouver son soda plus rapidement… ok , si tel est le cas, cela arrête l’histoire, mais je l’imaginais en plusieurs étape, en plusieurs crise de diabète… il y a en qu’une, elle est poussée à la limite de la limite … Le format comics aide à l’illusion du monde onirique. Et c’est vrai que le cahier graphique permet de capter le regard à avoir. Bon, ça demande une ptite maitrise, je trouve, non !

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    1. Oui, le récit est dense et on a très peu de moments pour reprendre notre souffle. Le personnage a tout de même quelques instants de « lucidité » mais ils sont courts, cela nous permet à peine de nous repérer dans la maison avant de repartir pour le monde imaginaire. Je trouve que les auteurs s’amusent à désorienter le lecteur au même titre qu’ils malmènent leur héros.
      Une petite maitrise je ne sais pas… un peu d’attention ça je suis d’accord ^^

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