Sang noir (Loyer)

Loyer © Futuropolis – 2013
Loyer © Futuropolis – 2013

Courrières, commune du Pas-de-Calais, mars 1906.

L’exploitation du charbon est l’un des principaux enjeux économiques de la France de l’époque. Des milliers d’hommes, de femmes et d’enfants descendent chaque jour dans les mines et creusent sans relâche pour extraire le charbon. Encore et encore, le productivisme dicte sa loi au détriment de la vie des mineurs : coups de poussières, coups de grisou, silicose, éboulements…

Les syndicats tentent de faire avancer les acquis sociaux et réclament aux employeurs qu’ils assurent la sécurité des mineurs. Mais l’entretien des galeries, leur consolidation et la garantie d’accès aux soins a un coût que les patrons ne sont pas prêts à engager. Malgré les nombreuses mises en garde des ouvriers, rien n’avance de ce côté-là. La catastrophe de Courrières du 10 mars 1906 aurait-elle pu être évitée ?

Le 11 juillet 1906, le Tribunal de Béthunes prononça le non-lieu. La Compagnie de Courrière était dégagée de toute responsabilité.

Sang noir est un album très bien documenté. Jean-Luc Loyer s’est appuyé sur de nombreux témoignages et archives d’époque pour construire son récit. Il introduit son propos à l’aide d’un prologue qui nous permet de resituer le contexte social de l’époque : politique intérieure et internationale, milieu artistique, secteur économique et industriel. Un rappel des faits qui n’est pas inutile.

Pour le reste, on ne peut s’empêcher de penser à Germinal en lisant le synopsis de l’album. Et ce n’est certainement pas innocent si l’album s’ouvre sur une citation d’Emile Zola et que ce dernier apparaitra subrepticement dans le récit. Une fois le contexte historique situé, l’histoire se met en place et les principaux protagonistes font leur apparition. Le récit se découpe en six chapitres de longueur variable. Chaque partie de l’intrigue attaque un angle précis des événements :

– la présentation des personnages,
– l’accident,
– la panique suscitée par la catastrophe et la débandade des secours,
– le deuil et l’impact de l’accident sur les proches,
– la réapparition de derniers survivants plus de 15 jours après la catastrophe,
– la colère des mineurs et l’enlisement des débats politiques.

Cette découpe narrative porte le propos de l’auteur et rend compte de la manière dont la tension est peu à peu montée crescendo. On comprend parfaitement l’inquiétude des mineurs ainsi que leurs conditions de travail. L’auteur resserre progressivement son scénario afin qu’il se focalise sur la manière dont l’accident a été vécu et géré dans les galeries. Un long passage sera oppressant, celui qui fait suite à l’accident. Les faits semblent relatés avec objectivité et si le lecteur prend partie pour les mineurs, c’est parce qu’il me semble que l’auteur a su nous retranscrire correctement et sans pathos les différents temps forts de la catastrophe.

Jean-Luc Loyer a construit son ambiance graphique à l’aide de trois couleurs : noir, blanc et marron. Cette sobriété sert parfaitement le scénario et permet au lecteur de se concentrer sur les propos de l’auteur. Placés à des temps stratégiques du récit, les quelques passages muets nous permettent de prendre du recul quant à la teneur des propos tenus, de mesurer la gravité des évènements, de gérer la tension omniprésente dans cet album. Cette tension, c’est avant tout l’inquiétude des mineurs face à leurs conditions de travail dans les jours qui ont précédé ce dramatique 10 mars 1906. Puis, cette tension quotidienne montera progressivement, nous en suivront l’évolution étape par étape. L’accident que l’on ne comprend pas, les secours à mettre en place dans l’urgence, la prise de conscience progressive de l’ampleur et de la gravité du drame. En milieu d’album, le lecteur marque un réel temps d’arrêt dans sa lecture. La raison à cela ? Six pages sur lesquelles figurent les noms des victimes de cet accident ont été insérées par l’auteur.

L’explosion s’est produite à Méricourt, Fosse 3, entre 6h30 et 6h40 du matin. Un coup de poussières d’une violence inouïe, dont les causes demeurent inconnues jusqu’à ce jour. Une tombe de flammes s’est propagée en quelques secondes sur plus de cent kilomètres de galeries, ravageant tout sur son passage. Elle se propagea également dans deux puits communiquant avec elle : la Fosse 2 à Billy-Montigny et la 4 à Sallaumines. 1697 mineurs sont descendus pour travailler ce matin-là. 1099 mourront.

PictoOKOn mesure l’importance des recherches documentaires qu’il a réalisée pour mener à bien ce projet. Un documentaire intéressant qui permet de se pencher sur un drame malheureusement oublié…

Extraits :

« Par arrêté préfectoral, pour éviter toute propagation d’épidémie, il est décrété à partir de ce jour les points suivants applicables immédiatement : dans la mesure du possible, toute reconnaissance de corps se fera de préférence au fond, par les employés. Corps qui seront mis en bière dans la mine puis remontés. Les effets personnels des victimes non identifiées seront désinfectés et présentés au public. Après reconnaissance formelle, les parents pourront avoir accès aux défunts. Par mesure prophylatique, les couvercles des cercueils ne pourront être dévissés et retirés qu’une heure maximum. Les corps non reconnus seront centralisés Fosse 3 avant d’être inhumés à Méricourt. Des obsèques seront organisées ce 13 mars » (Sang noir).

« Pour les patrons la fortune et aux mineurs la fosse commune ! » (Sang noir).

Du côté des challenges :

Petit bac 2013 / couleur : noir

Challenge Histoire : la catastrophe minière de Courrières en 1906

PetitBac Histoire

Sang noir – La catastrophe de Courrières

One shot

Editeur : Futuropolis

Dessinateur / Scénariste : Jean-Luc LOYER

Dépôt légal : mars 2013

ISBN : 978-2-7548-0611-4

Bulles bulles bulles…

La preview sur BDGest.

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Sang noir – Loyer © Futuropolis – 2013

Auteur : Mo'

Chroniques BD sur https://chezmo.wordpress.com/

13 réflexions sur « Sang noir (Loyer) »

  1. Je crois que j’aimerais beaucoup cet album. Je serais tenté de le comparer au Marcinelle de Salma, lui aussi en grande partie consacré à une tragédie minière et qui m’avait énormément plu.

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    1. Oui, je me rappelle de ta chronique sur ce titre. J’ai hésité à l’acheter d’ailleurs. Je savais que je lirais « Sang noir » ce mois-ci et j’ai été quelque peu tentée de faire le parallèle. Mais je crois que ce sont deux parcours trop personnels pour souffrir d’une quelconque comparaison. Peut-être suis-je en train de me tromper en disant cela. Quoiqu’il en soit, je vais attendre un peu avant de me plonger dans Marcinelle. Mais de ton côté, je crois que tu as le recul nécessaire pour ne pas coller les récits l’un à l’autre tout en construisant des passerelles pertinentes entre les deux œuvres.

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    1. Je ne sais pas dans quels délais ta médiathèque parvient à se procurer les sorties récentes. Cet album est dans les bacs depuis jeudi dernier. J’espère en tout cas que tes bibliothécaires le commanderont. Cet album est intéressant en tout cas

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  2. Je viens de le terminer, on est vite cerné par l’ambiance de la mine et le climat social de l’époque. Au milieu du livre, la liste des morts, dont certains encore enfants, nous rappelle que cette BD est une histoire de la vraie vie. C’est très bien fait et les expressions « ch’ti » renforcent la véracité de cette catastrophe.

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    1. Contente d’avoir ton retour sur ce titre. J’ai apprécié le fait que l’auteur n’utilise pas un trait crasseux pour forcer l’ambiance. La justesse de ses propos suffit amplement et oui, le passage central remet les pendules à l’heure…
      Bon… je sens que tu vas te convertir à la BD 😀
      Mais soyons sérieux : il y a « Portugal » qui est vraiment excellent, « Un printemps à Tchernobyl » vaut le détour 😛

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