Bulles (Torres)

Regarder le temps qui passe, c’est comme jouer avec un élastique, tu l’étires, tu le relâches et il finit toujours par te claquer dans les doigts

(Bulles – Daniel Torres).

Torres © La Boîte à bulles – 2014
Torres © La Boîte à bulles – 2014

Ramon ne pouvait pas imaginer les conséquences de son reclassement professionnel. Jusqu’à présent, sa vie filait comme du papier à musique. Un travail qui ne lui posait pas de soucis, les tâches répétitives s’enchaînaient sans qu’il ait à s’en préoccuper. Un couple qui battait de l’aile mais une routine tellement intégrée que là non plus, nul besoin de chercher la remise en question. Des heurts quotidiens avec ses enfants, des ados comme les autres, dont les habitudes et les intérêts lui échappaient totalement et vis-à-vis desquels il s’était résigné à vivre sans chercher à comprendre.

Puis vint l’annonce d’un changement de poste de travail. Pourquoi ? Quel est le message qu’on cherche à lui faire passer ? Doit-il s’en inquiéter ? Alors ce soir-là, lorsqu’il rentre chez lui, il ne s’aperçoit même pas qu’il marque un temps d’arrêt sur le banc d’un parc qu’il traverse tous les jours. Machinalement, ses pas le mènent à un petit bâtiment qui n’avait jamais attiré son attention. A l’intérieur, il découvre un aquarium remplit de poissons. Il est fasciné. Il se met à penser à voix-haute. C’est alors que la douleur le terrasse, celle d’un lumbago. Incapable de rentrer chez lui, il s’allonge face à l’aquarium. Le gardien du parc donne l’alerte, une ambulance vient le chercher. Il est arrêté pour quelques semaines. Durant ce laps de temps, il va revenir chaque jour, fasciné par l’aquarium et subjugué par le voyage intérieur qu’il réalise. L’heure est à la remise en question, il se sent prêt à faire le bilan de sa vie, incapable de percevoir ce qui résultera de tout cela…

Daniel Torres présente ici un homme en pleine crise de conscience. Un moment de lucidité rare, du genre de ceux que l’on fuit habituellement. A quelles conclusions arriverait-on si on prenait le temps de réfléchir à la question… que restent-ils de nos rêves d’enfant ? Lesquels avons-nous atteints ? Quels sont ceux qui sont restés sur le bas-côté ?

Bulles – Torres © La Boîte à bulles – 2014
Bulles – Torres © La Boîte à bulles – 2014

Le sujet est bien amené. En douceur pour être précise car cet homme-là est loin d’imaginer l’importance du changement qui s’opère en lui. Finalement, c’est uniquement par le biais du monologue intérieur qu’il énonce à voix-haute qu’il va cheminer dans sa réflexion et dans ses questionnements. Des doutes et des certitudes dont il ne fera pas part à ses proches (amis, famille). Une introspection fructueuse voire salvatrice.

Le dessin est doux, un peu trop propre, mais il permet finalement au lecteur d’accompagner Ramon dans ses pérégrinations existentielles. L’auteur sait pourtant nous surprendre grâce à quelques apparitions récurrentes de personnages saugrenus qui sont voués à représenter un état d’esprit le personnage principal. Ainsi, il se glisse régulièrement sous les traits d’un âne ou bien encore d’un flic qui ressemble étrangement à Robert Mitchum. Ces alter-ego sont aussi l’occasion de donner le cynisme nécessaire (avec le flic) ou au contraire plus prosaïque (l’âne) au scénario, le temps d’une scène, d’une pensée. Tordre la réflexion, l’amener jusqu’à ses moindres recoins, décaler le regard… Daniel Torres incite le lecteur à suivre cet éveil, une prise de conscience de soi qui – bien que douloureuse – donne au personnage une réelle dynamique et des perspectives inattendues.

PictoOKUn roman graphique qui ne manque pas de faire mouche. Cela semble si simple de faire table rase… si simple et si bénéfique… La lecture a fait écho. Maintenant, ce qui m’intéresserait de savoir, c’est si elle fait écho en vous aussi…

Une lecture que je partage avec Mango :

Logo BD Mango Noir

Extraits :

« Des questions tu te dis… Pourquoi ? Pourquoi toutes ces questions, pourquoi tellement réfléchir, tellement chercher à savoir ? Hein ? Pour arriver à la conclusion que le vrai bonheur, c’est l’ignorance. Et maintenant, tu veux me faire croire que pendant quarante-cinq ans tu as été heureux et qu’un jour, hop ! Voilà que les points d’interrogation viennent flinguer cette idylle que tu avais avec ta vie » (Bulles).

Bulles

One shot

Editeur : La Boîte à Bulles

Collection : Contre-jour

Dessinateur / Scénariste : Daniel TORRES

Dépôt légal : septembre 2014

ISBN : 978-2-84953-208-9

Bulles bulles bulles…

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Bulles – Torres © La Boîte à bulles – 2014

Auteur : Mo'

Chroniques BD sur https://chezmo.wordpress.com/

14 réflexions sur « Bulles (Torres) »

    1. On commence à prendre une habitude amusante toutes les deux, à être sur nos blogs respectifs exactement en même temps 😀
      Bien aimé cet album ! Assez doux finalement, malgré l’importante remise en question du personnage. Bien foutu quoi ! 🙂

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    1. Il y a des périodes comme ça… tant pis. Mais je sais que cette couverture-là attire l’œil… alors un jour, qui sait, si « Bulles » se met sur ton chemin, qui sait… 😀

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    1. Il est lucide mais le pire, c’est qu’il est honnête avec lui-même. Vraiment, je suis entrée très vite dans cette lecture 😉

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    1. Dessin minimaliste et du coup très lisible. Personnage qui perd pied mais qui continue à respirer. Du coup, on ne se noie pas et on suit parfaitement le fil de sa réflexion

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    1. Merci Moka ! J’espère que tu auras l’occasion de le lire. Curieuse de savoir si les réflexions de cet homme font mouche chez d’autres lecteurs !

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