Embarqué (Cailleaux)

Cailleaux © Futuropolis – 2015
Cailleaux © Futuropolis – 2015

Voyage en mer. Bateau. Horizon infini. Fascination. Naviguation…

L’ouvrage s’ouvre sur une citation de Bernard Giraudeau, ami de longue date de Christian Cailleaux :

« Les marins ont des rêves que les ports assassinent ».

Dans La Revue Dessinée #1, Christian Cailleaux proposait un reportage de 46 pages sur les mers australes ; ce court reportage n’était qu’un aperçu de l’album « Embarqué ». L’expédition a eu lieu en 2012 mais sept ans plus tôt, il était monté à bord du « Jeanne D’Arc » avec Bernard Giraudeau. C’est ce voyage-là qui a contaminé et amené l’auteur à revenir régulièrement aux côtés des marins.

Dans cet album, il poursuit une réflexion qu’il nourrit de longue date :

« Après avoir côtoyé des recrues de la marine nationale, Christian Cailleaux s’est interrogé sur les motivations des jeunes engagés. Il les a suivis de l’école des Mousses au centre d’instruction navale de Brest, mais aussi en mer à bord de la frégate Floréal et même sous la mer, dans un sous-marin à propulsion nucléaire. Loin d’être militariste, le documentaire intimiste de Christian Cailleaux s’adresse à tous ceux que la mer passionne. Rencontrant militaires, jeunes ou gradés chevronnés, politiciens, marins, scientifiques, il nous apporte quelques réponses sur ces jeunes gens engagés sous pavillon français, mais il lance aussi des pistes de réflexions : qu’est-ce que la dissuasion ? Quels sont les enjeux de demain face aux bouleversements géopolitiques, écologiques et technologiques que notre époque traverse » (synopsis éditeur).

Embarqué – Cailleaux © Futuropolis – 2015
Embarqué – Cailleaux © Futuropolis – 2015

Christian Cailleaux voulait s’engager dans la Marine mais il a suivi un autre sillage. A défaut, il est entré à l’École Nationale d’Art de Cergy et a poursuivi ensuite dans le milieu artistique. Illustrateur (presse enfantine, magazine littéraire, périodiques…) et auteur de bandes dessinées (Piscine Molitor, Prévert inventeur…), il s’est consacré à sa passion pour les voyages via des séjours en Afrique notamment. La mer l’a toujours fasciné ; il en parle d’ailleurs dans les premières pages de cet album avec un relent de nostalgie qu’on attrape en plein vol.

« … et voir une île apparaître lentement dans les brumes… que les odeurs inconnues d’une terre encore humide, de fruits et de fleurs, glissent avec le jour sur une eau calme jusqu’au navire et vous surprennent, rêveur, dans l’air marin d’une aube lointaine… »

Toujours précis, le trait de Christian Cailleaux dessine les formes et les contours en rendant compte du mouvement. Tantôt aérées tantôt chargées et réalisées tantôt au crayon tantôt au pinceau, les illustrations chargées d’iode marine comportent des contrastes saisissants : parfois le blanc domine et permet de profiter d’une respiration. Souvent, le noir envahit les cases, nous laissant songeurs face à la multitude des traits qui viennent parfaire une montagne, une vague ou la coque immense d’un navire… Je me suis demandé combien de temps a été nécessaire pour parfaire certaines illustrations et matérialiser une pensée, une sensation. Toutes ces lignes-là viennent-elles borner les frontières d’un souvenir ? Viennent-elles le contenir et l’empêcher de s’échapper dans les brumes de l’oubli ? Une chose est certaine : toutes ces lignes noires renforcent les reliefs, donnent de la profondeur et permettent au lecteur de se laisser guider dans la découverte de cet univers marin qui est loin de nous être familier.

J’ai rencontré bien des marins. Officiers, matelots, ouvriers de la mer, terriens malmenés par les flots malgré eux ou écumeurs des mers rêveurs qui n’ont jamais quitté le plancher des vaches. Depuis, je m’interroge à propos de ce lien qui nous unit à l’océan. Et Je me demande ce qui peut bien pousser un adolescent du XXIe siècle à s’engager dans la marine française, à l’heure des écrans et d’internet qui offrent à voir le monde en débit constant.

L’auteur tente de dresser un portrait de ces hommes et femmes qui ont choisi d’embarquer. « Arrivant vers l’âge de 16-17 ans, de tous horizons sociaux, souvent une scolarité en chute libre et une appréhension à s’orienter vers une voie de garage en s’engageant dans une filière professionnelle précocement. L’armée les rassure sur le fait qu’ils accèdent à une formation avec métier à la clé ».

Christian Cailleaux a ainsi récolté foule de témoignages comme celui de Julie (en formation à l’école des mousses), de Maître B. (chef de section à l’école des mousses), du « Mousse Arnaud B. – 16 ans. – vient d’Agen – mauvaise année de seconde générale. S’apprêtait à redoubler. Mousse, c’est un grade d’école. Il n’y a pas de mousses embarqués » et de tant d’autres. Pour une bonne partie des engagés, leur choix a été motivé par la recherche d’une discipline que le cadre familial est incapable de leur procurer. Pour nombre d’entre eux, ils chercher à donner un sens à leur vie en s’orientant vers une profession atypique. Tous sont en questionnement, même pour les plus hauts gradés qui font face aux multiples changements de leur réalité professionnelle (arrivée de plus en plus de femmes dans leurs rangs, modification des modes de recrutement,…) et d’un manque de lisibilité de leurs actions. Il est donc question de transmission de savoir, de professionnalisation, de vocation réelle (pour une minorité) et de travail alimentaire (pour beaucoup).

« Nous, on préférerait que les gens comprennent à quoi on sert ».

Au-delà du fonctionnement de la Marine nationale, l’auteur ne se contente pas de brosser les portraits des hommes et des femmes qui la composent. Il aborde également les questions de lien social permit par l’existence de ces bateaux (ralliant et approvisionnant les communautés de scientifiques basées sur les iles australes par exemple), la fonction représentative qu’incarne chaque équipage à l’étranger, l’aspect défensif et dissuasif d’une présence militaire dans les eaux internationales ou le fait de maintenir l’existence d’un commerce maritime dont l’aspect mercantile est le premier enjeu, sans compter l’enjeu environnemental et celui du développement de nouvelles énergies (comme les EMR, « les énergies marines renouvelables).

PictoOKUn pur documentaire. Le plaisir qu’a pris l’auteur à participer à ces expéditions est réel ; concernant le lecteur, j’ai trouvé l’exercice parfois ardu. Un ouvrage didactique qui permet très ponctuellement de profiter de passages durant l’auteur laisse échapper des pensées plus personnelles.

Extraits :

« Un profil type ? 80 % sont en situation d’échec scolaire. Soit parce qu’ils n’ont pas les capacités, soit parce qu’ils sont démotivés et ont lâché le système. (…) c’est simplement des jeunes qu’il faut remotiver et qui ont besoin de mûrir » (Embarqué).

« Mais les îles sont des rêves. Comme Manhattan qui apparaît dans les brumes, en remontant lentement l’Hudson River au mois de décembre. Tiens, comme Gene Kelly ! Finalement, J’y arrive! Vivre un film ou un rêve, c’est la même chose » (Embarqué).

Embarqué

One shot

Editeur : Futuropolis

Dessinateur / Scénariste : Christian CAILLEAUX et le blog « L’Atelier de Cailleaux »

Dépôt légal : mai 2015

ISBN : 978-2-7548-1001-2

Bulles bulles bulles…

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Embarqué – Cailleaux © Futuropolis – 2015

Auteur : Mo'

Chroniques BD sur https://chezmo.wordpress.com/

9 réflexions sur « Embarqué (Cailleaux) »

    1. C’est intéressant oui, à n’en pas douter. Ca manque un peu d’émotions cela dit. On perçoit parfaitement le fait que Christian Cailleaux est un passionné mais on ne peut pas dire qu’il sache transmettre sa passion au lecteur

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    1. Ce n’est pas un seul voyage mais plusieurs, comme si tous ces hommes et ces femmes convergeaient – pour des raisons différentes – vers un objectif commun. Certains ne seront dans le corps de la Marine que pour un an, d’autres y feront carrière. C’est particulier. Il y a la continuité du reportage mais le narrateur s’efface régulièrement derrière les témoignages des personnes qu’il a rencontré. Bref, prends le temps de bien le feuilleter avant d’embarquer 😉

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  1. Rooooh ! Comme d’hab je me motive à lire certaines BD en lisant ta critique, celle-ci en fera partie. A chaque fois que je la vois elle me fait de l’oeil mais il y en a d’autres à lire avant (pour des raisons purement professionnelles) du coup demain je m’y met !

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    1. Hâte de lire ta chronique. J’ai besoin de comprendre pourquoi je suis restée un peu en retrait de cette lecture. Tu verras, le propos est riche et intéressant, pas trop technique mais cela a manqué légèrement de liant me concernant 😉

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