Wake up America, 1960-1963 (Lewis & Aydin & Powell)

Lewis – Aydin – Powell © Rue de Sèvres – 2015
Lewis – Aydin – Powell © Rue de Sèvres – 2015

« Second volet de l’évocation de la lutte pour la conquête des droits civiques dans l’Amérique ségrégationniste, dans un registre vibrant. Ce grand récit naturaliste relate la longue marche des Noirs américains vers l’égalité des droits. À travers le personnage de John Lewis, figure historique du mouvement pour les droits civiques aux côtés de Martin Luther King, les auteurs retracent le combat des militants au tournant des années cinquante et soixante. Le Sud ségrégationniste y est dépeint dans toute sa violence et son injustice » (synopsis éditeur).

John Lewis, le dernier des « Big Six » s’attaque à la tâche titanesque de retranscrire les événements qui ont jalonné le lent processus qui a permis la reconnaissance de droits civiques aux citoyens afro-américains. Militant actif du SNCC (Student Nonviolent Coordinating Committee) depuis les années 1950, il a à ce titre participé à de nombreux sit-in pacifique dans les commerces de Nashville. Mais il a également été un membre du premier « Voyage de la liberté » ; le trajet à parcourir en bus reliait Washington. Ils partent le 4 mai 1961 et suivront ensuite une route qui les conduira vers le sud – « le cœur de la bête », à destination de la Nouvelle-Orléans. Les étapes les ont conduits à Fredericksburg, Richmond, Petersburg, Rock Hill, Birmingham…

Le parcours des voyageurs de la liberté
Le parcours des voyageurs de la liberté

(Source de la carte : Courrier International)

Andrew Aydin, le scénariste, a focalisé sur le parcours de John Lewis, le plaçant au cœur des événements. Afin de permettre au scénario de conserver fluidité et cohérence, de nombreux événements qui ont fait date n’ont pu être consigné dans ce récit. L’histoire ne perd jamais de vue son personnage principale ; tout gravite autour de John Lewis, de ses actions à sa perception qu’il a eu des événements. Depuis les sit-in à Nashville, on avait déjà assisté à l’éveil de conscience de cet homme dont l’action historique a modifié le cours des choses. On le voit s’affirmer, mûrir et prendre sa place dans le Comité étudiant (SNCC) d’autant qu’après sa première incarcération (arrêté dans le cadre d’un sit-in non violent), sa famille – certainement effrayée par les répercussions que ses agissements peuvent avoir sur eux – prend de la distance. Il s’installe dans le mouvement qui devient sa seconde famille et y affûte ses opinions.

En 1961, John Lewis s’inscrit pour participer au premier Voyage de la liberté destiné à « tester » l’application de l’Arrêt Boynton qui « mettait hors-la-loi la ségrégation et la discrimination raciales dans les bus et les gares routières ». L’objectif était donc de défendre la liberté de circuler de tous les citoyens américains. La tension qui découle de ces actions s’était tue lorsque le lecteur avait refermé le premier volume de la trilogie. Mais avec la première réunion des voyageurs de la liberté, elle sera omniprésente dans la narration, piquant sans cesse le rythme du récit de grosses doses d’adrénaline, impossible de ne pas penser à l’issue tragique des événements.

« Ceci est peut-être notre dernier souper ». Nous savions tous qu’il disait la vérité. Nous avions tous établie nos testaments cette semaine-là.

Dès lors, le rythme de la lecture se fait au diapason de la voix-off de John Lewis. Le souffle est coupé sur certains passages, notamment lorsqu’on « assiste » aux violences dont ont été victimes les voyageurs de la liberté lors de leur escale à Birmingham. Le scénario d’Andrew Aydin n’épargnera ni les coups – avec de réels passages à tabac parfois mortels, ni les insultes haineuses, ni les fusillades, ni le contexte des emprisonnements… ni les constats dérangeants nous montrant une police corrompue et de mèche avec le Ku Klux Klan. Ces faits d’un autre siècle… s’était il y a [seulement] 50 ans…

Big Six
Big Six

Les autres actions menées par des figures emblématiques de l’époque (Martin Luther King, Malcolm X…) seront rapidement abordées. Cette rigueur drastique dont fait preuve le scénariste et son attention permanente à ne pas s’écarter de son sujet (on imagine que le choix d’intégrer ou non certains événements historiques a parfois dû être cornélien !) permet au lecteur de rester attentif, de ne pas être confronté à un récit qui l’inonderait d’un surplus d’informations… de ne pas plier sous le poids d’un contenu trop didactique. Un travail pertinent durant lequel il a dû être difficile de ne pas céder à la tentation de placer le pasteur Martin Luther King sur le devant de la scène narrative. Car ce combat n’est pas le fruit d’un seul homme et derrière le nom du pasteur, on a tendance à oublier trop souvent que d’autres hommes ont œuvré en première ligne pour mener cette lutte visant à la reconnaissance sociale pleine et entière des afro-américains.

Le récit est régulièrement ponctué de marqueurs historiques forts comme l’élection de JFK, l’assassinat de Herbert Lee (assassiné en 1961) ou bien encore quelques rappels de faits qui ont scandalisés l’opinion publique (comme le meurtre d’Emmett Till en 1955). Le scénario suit chronologiquement le parcours de Lewis, nous emmène dans les états sud-américains pour le voyage de la liberté, nous fait ensuite remonter à Birmingham en mai 1963 lors de la mobilisation massive des afro-américains où une foule composée de citoyens de tous bords et notamment des enfants et des vieillards ont été repoussés à coups de matraques et de chiens policiers excités par leurs maîtres-chiens, ivres de haine. Une répression sanglante qui a notamment motivé la grande mobilisation du 28 août 1963 à Washington, regroupant des milliers de personnes ; une marche pacifique, point d’orgue du « Mouvement des droits civiques » où chacun des « Big Six » a prononcé un discours dont le plus connu est celui de Martin Luther King qui énonça son « I have de Dream »

Le Dr. King fut le dernier à parler ce jour-là. Il a commencé lentement. Je l’avais souvent entendu parler et sa cadence m’était familière. Mais alors qu’il trouvait sa force, sa puissance, il a transformé les marches du Lincoln Memorial en une chaire des temps modernes. Ses mots fendaient l’air comme des flèches, tendant vers un refrain que le monde n’oubliera jamais. En cet instant-là, le Dr. King exprima pleinement tous nos espoirs, toutes nos aspirations. Tout ce que nous avions recherché en traversant les passages à tabac, dans le sang, dans nos triomphes et nos échecs. Tout ce que nous osions imaginer à propos d’une Amérique nouvelle, d’une Amérique meilleure dans laquelle tous les enfants de Dieu pourraient vivre ensemble au sein d’une société ayant fait de l’amour sa vertu la plus élevée.

PictoOKUn scénario rythmé, ponctué d’arrestations, de passages à tabac, d’emprisonnements. L’ouvrage épargne assez bien le lecteur puisque graphiquement, les illustrations de Nate Powell arrêtent toujours la retranscription des scènes bien avant que la violence ne devienne insoutenable. En revanche, elle gronde dans la voix-off de John Lewis qui, sans entrer dans les détails les plus morbides, ne laisse aucun doute quant à la violence des coups qui ont été portés aux gens de couleur.

Meilleur que le premier volume, cet opus gagne progressivement en force. A lire.

Une lecture commune que j’ai le plaisir de partager avec Jérôme et Noukette.

Wake up América

Volume 2 : 1960-1963
Trilogie terminée
Editeur : Rue de Sèvres
Dessinateur : Nate POWELL
Scénariste : John LEWIS & Andrew AYDIN
Dépôt légal : mai 2015
ISBN : 978-2-36981-038-4

Bulles bulles bulles…

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Wake up America, volume 2 – Lewis – Aydin – Powell © Rue de Sèvres – 2015

Auteur : Mo'

Chroniques BD sur https://chezmo.wordpress.com/

13 réflexions sur « Wake up America, 1960-1963 (Lewis & Aydin & Powell) »

  1. Le souffle coupé, il y a de ça. Et la voix off donne une solennité et une émotion impressionnante au récit de ces événements. Je suis d’accord avec toi, ce tome est encore plus marquant que le premier !

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    1. Ils ont combattu la bêtise humaine… Vivement le tome 3 de cette trilogie ! Le genre de témoignage qu’il me tarde de mettre entre les mains de mes loustics (mais le moment n’est pas encore venu)

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