Alcoolique (Ames & Haspiel)

Ames – Haspiel © Monsieur Toussaint Louverture – 2015
Ames – Haspiel © Monsieur Toussaint Louverture – 2015

Il a une petite quarantaine d’années lorsque Jonathan A. se penche sur le parcours qu’il a réalisé jusque-là. C’est un coup d’œil appuyé dans le rétroviseur de la vie qu’il effectue. Quel bilan ? Une vie sentimentale ratée, des parents qu’il a perdu assez tôt consécutivement à un accident de voiture et à qui il n’a pas eu le temps de dire tout l’amour qu’il leur portait, une vie professionnelle plutôt réussie puisqu’il est désormais un romancier de renom. Mais ce bilan mi-figue mi-raisin est écorné par des années d’alcoolisme.

La première beuverie remonte à ses 15 ans. A l’époque, c’est un adolescent qui – sans trop en faire – obtient des très bons résultats scolaires. Idem en sport où, sans trop forcer, son corps élancé et athlétique lui permet de réaliser de bonnes prestations, en escrime notamment. Fine plume, il devient rédacteur en chef du journal de son lycée puis, plus tard, de l’université de Yale où il fera ses études supérieures. L’alcool est sa faiblesse. Incapable de se limiter à un seul verre en soirée, il boit de façon excessive. Chaque week-end, puis plusieurs fois par semaine dès lors qu’il entre à l’université… puis tous les jours.

Jonathan Ames, scénariste de « Alcoolique », signe un récit qui se range directement dans la catégorie « auto-fiction ». Dans cet ouvrage réalisé en 2008, il se met en scène et va jusqu’à reprendre son prénom et la première lettre de son nom de famille. Lors d’une interview qu’il avait donné, il se défend en niant le fait que ce récit est autobiographique et que le nom de son personnage – Jonathan A.- peut tout à fait signifier « Jonathan Anonyme » ou bien encore « Jonathan Alcoolique ». Quoiqu’il en soit, il nourrit généreusement son personnage d’éléments autobiographiques réels, à commencer par les grands moments qui ont marqué sa carrière artistique ou l’impact qu’ont eu sur lui les attentats du 11 septembre 2001.

Dean Haspiel quant à lui collabore pour la première fois avec Jonathan Ames (une seconde collaboration en 2010 sur la série télévisée « Bored to Death »). Lorsqu’il commence le travail d’illustration d’ « Alcoolique », il s’est déjà fait remarquer pour son travail sur « American splendor » (avec Harvey Pekar) et nominé plusieurs fois pour les Eisner Awards. Pour « Alcoolique », il réalise un travail net et sans bavures… si propre que j’en ai eu du mal à n’être autre chose que la simple spectatrice passive de cette vie de débauche. On profite tout de même d’une découpe originale des planches et d’illustrations accrocheuses mais cela reste trop ponctuel.

Le scénario relate en effet la vie d’un homme qui s’échappe à lui-même. S’enivrer jusqu’à en perdre connaissance, boire jusqu’à plus soif, se remplir d’alcool au point de vomir tripes et boyaux à chaque alcoolisation. Est-ce l’habitude (je travaille à mi-temps dans un CSAPA) ou est-ce le fait que ce dessin chirurgical tient le lecteur à bonne distance (à l’instar du narrateur qui est très critique sur ses habitudes de consommation) ? Un peu des deux certainement.

Quoiqu’il en soit, et même si la lecture se fait sans accroc, je me suis ennuyée à mourir face à ce flot d’événements convenus et cet alcoolisme contenu tant bien que mal… mais contenu tout de même. Le personnage parvient à s’étayer un peu. Il n’est pas dans le déni de ses consommations ce qui lui permet, à deux reprises, de demander de l’aide de services de prise en charge adaptés (hôpital, centre de postcure). Il « utilise » sa tante comme un garde-fou et, sans l’énoncer de façon explicite, parvient à se raccrocher à son métier. Il est passionné par ce qu’il fait et saisit toute opportunité pour casser son rythme de vie habituelle (séances de dédicaces, voyages destinés à promouvoir ses romans, anime conférences et débats…).

Cependant, cet homme semi-fictif nous confie sa vie de manière si factuelle que j’ai ressenti de la difficulté pour ressentir une quelconque forme d’empathie à son égard.

Les réflexions que l’on pourrait avoir suite à la lecture de cet ouvrage ? La dépendance à un produit quel qu’il soit et l’incapacité de le mettre à distance. La pulsion de boire, la spirale du mensonge dans lequel chacun peut se perdre, la fragilité de l’individu face à une substance qui lui permet de fuir (temporairement du moins) la réalité / ses responsabilités / …, l’effet dévastateur de ses consommations… Les bonnes résolutions que l’on ne tient pas…

PictomouiLu sans peine, jamais il ne me serait venu à l’idée d’abandonner le livre en cours de lecture. D’autant que nous sommes là en présence d’un objet-livre magnifique et sa couverture rigide en toile y est pour beaucoup. Superbe travail éditorial des Editions Monsieur Toussaint Louverture (maison d’éditions crée en 2004) tout comme le travail de traduction de Fanny Soubiran.

Malheureusement, le récit est ennuyeux, nombriliste et trop factuel. Le rythme narratif manque d’entrain et le dénouement est d’une prévisibilité navrante. Dommage que cela ne sorte pas de l’anecdotique. J’en attendais bien plus d’un ouvrage réalisé par des auteurs de cette trempe.

Les chroniques de Jérôme, de Ted et de Marie Rameau.

Extraits :

« Première gorgée : je trouve ça infect. Mais à la cinquième bière, le goût n’a plus aucune importance. J’aime l’effet que ça fait. Je me sens cool, et ça, c’est tout nouveau pour moi. Je me suis toujours trouvé moche… Pas ce soir-là » (Alcoolique).

« Mon problème, c’est que la vie me fait morfler. Du coup, j’essaie de calmer la douleur avec la dope. Autant réparer un pneu avec du scotch. Si on pouvait rester défoncé tout le temps, ce serait facile. Mais le corps tient pas. Et être sobre, c’est une malédiction » (Alcoolique).

« Au début, je me dis que ce n’est qu’une parenthèse dans ma sobriété. Mais je me mens. J’ai l’alcool dans la tête. J’ai l’alcool chevillé au corps. Ce jour-là, à la première gorgée, une profonde sérénité m’envahit. Celle que l’on ressent quand on oublie tout » (Alcoolique).

Alcoolique

One shot

Editeur : Monsieur Toussaint Louverture

Dessinateur : Dean HASPIEL

Scénariste : Jonathan AMES

Traduit de l’anglais par Fanny SOUBIRAN

Dépôt légal : octobre 2015

ISBN : 9791090724181

Bulles bulles bulles…

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Alcoolique – Ames – Haspiel © Monsieur Toussaint Louverture – 2015

Auteur : Mo'

Chroniques BD sur https://chezmo.wordpress.com/

9 réflexions sur « Alcoolique (Ames & Haspiel) »

    1. Commandes-le tout de même. Tu ne feras certainement pas la même lecture que moi (je suis chiante et hyper critique avec des albums qui touchent à ce genre de sujet 😉 )

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  1. Ah ben zut alors bis ! Je suis étonnée de ton avis en demi teinte. Je l’ai lu avant sa sortie et je l’ai trouvé très fort. (oui, faut que je fasse un billet 🙂 ! ) Au contraire, je ne l’ai pas trouvé nombriliste mais plutôt « universel » et avec du recul sur le mécanisme de son addiction. Ce n’est pas vraiment de l’autofiction. Ames laisse le flou sur ce qui vient de sa vie ou pas, comme dans ses autres oeuvres. Et puis finalement, on s’en fout ! Bref, je suis déçue, je pensais vraiment que tu l’apprécierais. Mais c’est vrai que tu as toujours été dure à convaincre sur ce genre de sujet ! 😉

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    1. Si, nombriliste parce que finalement, même s’il est critique sur ses pratiques et habitudes de consommation, il n’élabore pas. Ça reste stoïque, figé, il est passif. Je veux bien que des personnes réagissent comme ça, mais quitte à faire une fiction, on peut aussi un moment se décoller/décaler du factuel. Bref, cette lecture m’a gonflée. Il faudrait que je me décide à ne plus lire de bouquins qui touchent trop à mon boulot… 🙂
      Après, quant au fait que ce soit fiction, autofiction, autobio, oui… d’accord avec toi que c’est secondaire.

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  2. Je ne partage pas du tout ta vision de cet album, tu le sais, du coup je la trouve d’autant plus intéressante. C’est factuel, oui, sans jugement, on creuse assez peu la psychologie du personnage, c’est « le behaviorism » que j’apprécie tant dans la littérature américaine et que j’ai retrouvé en France dans les romans de Manchette.
    J’avais dit dans mon billet, un peu sur le ton de la plaisanterie, que c’était un album de mec. Qui sait… 😉

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    1. Non non non 🙂 Pas certaine que ce soit un album de mec pour les mecs. Au contraire. Je reconnais qu’il n’y a pas de jugement par rapport à l’addiction. Un plus pour l’album. Par contre, un peu plus de regard critique n’aurait pas fait de mal à une mouche.
      Je suis amère, j’en attendais plus de cet album. Je pensais aimer et ta chronique m’avait conforté dans cette idée. Mais ça ne l’a pas fait, je suis d’autant plus énervée 😀

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    1. Tentes si tu en as l’occasion. De mon côté, je suis peut-être trop sensibilisée à ce sujet pour avoir pu profiter de ce récit. J’ai eu l’impression, au bout de quelques pages, de me retrouver en entretien à écouter un patient… en tout cas, Ames a servi un discours « très classique ». Il déplie son parcours, a quelques moments de lucidité, quelques soubresauts qui lui permette de changer « le fil des choses » et puis ça repart pour un tour. J’ai trop entendu ce discours…

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