Demain ? Dans 10 ans ? 100 ans ?
Une guerre ou un cataclysme a changé la donne. La ville est déserte, en ruine. Dans ce paysage désolé, des chiens errants (des hyènes ?) se déchirent les restes d’un vêtement. Nul ne sait lequel d’entre eux remportera ce piteux trophée. Soudain, une pierre vient heurter l’un d’eux. Il meurt sur le coup. Au loin, deux hommes surgissent d’un monticule de gravats. Attirés par les grognements des carnivores, ils s’étaient approchés. Le cadavre de l’animal sera leur repas.
Y a-t-il d’autres hommes qui vivent dans les décombres ? Y en-a-t-il d’autres qui, comme ces deux-là, s’écharpent dans une langue qui nous est inconnue, au prétexte d’un borborygme plus haut que l’autre ? On peut le supposer, d’autant qu’un inconnu apparaît. Il gît inconscient au fond d’un baignoire qui dérive sur un cours d’eau. Le seul vêtement qu’il porte est un maillot de bain où figure l’inscription « Aquaviva ».
–
Immersion dans un monde post-apocalyptique. Le mystère reste entier quant à la nature de la catastrophe qui n’a laissé derrière elle que quelques survivants. Ceux-là savent-ils à quoi servaient les pneus qui s’entassent au milieu de la route ? Ont-ils connu le monde d’avant, celui-là même où l’électricité apportait à la fois chaleur et lumière, où le bruit de la circulation était le flonflon quotidien des citadins, où la vie s’organisait autour d’activités routinières comme le travail, les sorties en familles au parc, au cinéma ? Savent-ils qu’avant, dans les villes, il suffisait de faire un saut au supermarché pour répondre à l’éternelle question de savoir ce que l’on allait manger ?
Guillaume Trouillard jette ces incertitudes dans ses planches d’Aquaviva dont le premier fascicule de la série est sorti en octobre dernier. Les trois premières pages proposent un court préambule en couleurs où l’on voit un jeune homme plonger la tête dans un puits naturel puis, c’est le grand saut dans un univers en noir et blanc, aussi silencieux que l’était la baignade du jeune homme. Tout contraste entre les deux ambiances. Le vert et le bleu si reposants laissent place à des noirs et blancs qui hésitent, qui contrastent, qui se complètent autant qu’ils s’opposent. La végétation disparaît au profond du béton lézardé, de la poussière blanche et sèche, de la saleté des monceaux de détritus. Les restes d’une civilisation hyper-équipée sont devenus les reliefs d’une civilisation en devenir. Tout semble être à reconstruire… à moins que tout soit en cours de destruction ? L’homme est revenu à l’état sauvage, doit ruser pour trouver quelque pitance. La force de l’album est réelle, tant sur le fond que sur la forme.
Cet album muet laisse libre court à l’imagination du lecteur, accepte l’interprétation qu’il peut en faire, nourrit les questions qu’il peut avoir. Quant à la forme, il semble qu’ici Guillaume Trouillard ait utilisé pinceau et feutre pour illustrer ce monde. L’œil s’arrête sur les détails graphiques et remarque cet enchevêtrement de dessin, d’éléments de photographies intégrées dans les dessins, des bouts de mots et des lettres découpées dans des journaux. Autant de métaphores graphiques du monde que nous construisons aujourd’hui, de la quantité faramineuse d’objets que nous accumulons… quel héritage laisserons-nous aux générations futures ? Quel exemple donnons-nous aux plus jeunes en matière de respect de l’environnement ? En regardant dans ce puits naturel, le jeune baigneur du début a-t-il une vision cauchemardesque de ce que l’avenir nous réserve ? Voit-il les vestiges d’une civilisation qui a existé avant lui ?
Edité à 475 exemplaires, cet ouvrage est – pour ne rien gâcher – un objet magnifique. La couverture gaufrée est superbement travaillée. Dans le cadre entourant les entrelacs de feuille, une citation qui prend tout son sens sitôt que le lecteur a fait son premier pas dans l’album : « Quant aux choses de la terre, les hommes en ont la domination toute entière. Nous jouissons des campagnes et des montagnes ; les rivières et les lacs sont à nous, nous semons les blés, nous plantons les arbres, nous donnons aux terres de la fécondité par les eaux que nous y faisons venir. Nous arrêtons les rivières, nous les dressons, nous les détournons ; enfin nous nous efforçons par le travail de nos mains de faire dans la Nature comme une autre Nature » (extrait « De la Nature des Dieux » de Cicéron).
Ça se lit vite, trop vite. Alors on recommence la lecture, on contemple les planches, on scrute les cases. Quarante-six pages pour ce premier volume d’une série qui devrait regrouper une demi-douzaine de fascicule (en vente uniquement via la boutique de l’éditeur). N’hésitez pas à vous le procurer.
Les chroniques d’Elouarn, AlyPaper et Philippe Belhache.
Une lecture que je partage à l’occasion de ce mercredi BD (les liens des participations sont regroupés chez Stephie)
Aquaviva
Premier fascicule
Série en cours
Editeur : La Cerise
Dessinateur / Scénariste : Guillaume TROUILLARD
Dépôt légal : octobre 2015
ISBN : 978-2-918596-10-3
Bulles bulles bulles…
Etonnant cet album… Merci Mo’ pour la découverte.
J’aimeJ’aime
Avec plaisir Jacques 🙂 Belle découverte en tout cas. Elle permet de nous faire sortir un peu des sentiers battus 😉
J’aimeJ’aime
sacrebleu, c’est beau …
merci copine ❤
J’aimeJ’aime
Oui c’est beau ! J’ai commencé à fondre lorsque je suis allée voir l’Expo dédiée à ce travail. C’était à Angoulême et ça reste une des plus belles expos que j’ai vue cette année.
J’aimeJ’aime
Sans doute un peu conceptuel mais j’aime l’idée.
J’aimeJ’aime
bien aimé ce concept 😉 Ça m’a donné envie de découvrir son « Welcome »… et puis j’attends le tome 2 avec impatience 🙂
J’aimeJ’aime
Album muet ? Voilà qui m’interpelle ! Mais ça va pas être facile de mettre la main dessus je pense…
J’aimeJ’aime
Par le biais de la boutique de l’éditeur 😉
J’aimeJ’aime
Waouh. Autant dire qu’il m’intrigue.
Je suis très très tentée.
J’aimeJ’aime
J’espère que tu auras l’occasion de le tenir en mains 😉
J’aimeAimé par 1 personne
Belle couverture, un graphsime sublime, un scénario intéressant… peut-être franchirais-je le cap de l’album muet.
J’aimeJ’aime
Il y a d’autres albums muets qui sont susceptibles de te plaire. Pour n’en citer que deux, je dirais : « Là où vont nos père » (de Shaun Tan) et « Un océan d’amour » (de W. Lupano et G. Panaccione) 😉
J’aimeJ’aime
Tu as lu d’autres ouvrages de cet éditeur?
J’aimeJ’aime
Assez peu. L’année dernière, j’avais découvert (le tome 1 de) « La fille maudite du Capitaine pirate ». Et dans ma PAL, j’ai le premier tome 1 de « Au pays du Cerf blanc » (j’aimerai avoir le tome 2 avant de me lancer dans la lecture). Il me reste pas mal à découvrir chez eux en tout cas 🙂
J’aimeJ’aime
Et du coup tu avais aimé? cette bd m’intrigue (la fille maudite…)
J’aimeJ’aime
« La fille maudite… » ?? Mmh… Nan, j’ai eu beaucoup de mal. Mais visiblement, je suis la seule. J’ai eu l’occasion d’échanger avec des lecteurs qui l’avaient lu et tout le monde attend impatiemment le second tome…
J’aimeJ’aime
Ah tiens? Parce qu’il m’intrigue mais je ne suis pas sure d’accrocher donc je ne me suis pas lancée dans l’achat mais je ne sais as si je vais le trouver à la bib celui-là…
J’aimeJ’aime
Le tome 2 doit sortir bientôt. S’ils ne l’ont pas, c’est peut-être l’occasion de leur suggérer l’achat de la série ?? ^^
J’aimeJ’aime