Le Piano oriental (Abirached)

Abirached © Casterman – 2015
Abirached © Casterman – 2015

« Avoir l’accent enfin, c’est, chaque fois qu’on cause, parler de son pays en parlant d’autre chose ! » (extrait du poème « L’accent » de Miguel Zamacoïs).

Zeina Abirached a deux langues maternelles : l’arabe et le français. Née au Liban, elle fut sensibilisée très tôt au français qui était la langue officielle de cet Etat jusqu’à la guerre civile. Son grand-père paternel était bilingue. Passionné par le français, il en avait fait son métier en devenant traducteur. En parallèle, il a veillé à ce que ses enfants et petits-enfants maîtrisent couramment les deux langues employées au Liban. Zeina fut donc nourrie de culture occidentale tant par les contes traditionnels européens que lui lisait sa mère que par ses enseignements scolaires appris sur les manuels d’enseignement français. De fait, ses pensées s’échappaient régulièrement vers l’Occident :

Mes mots arabes étaient de plus en plus catastrophiques. L’arabe était la langue de la violence du monde dans lequel nous vivions. C’était la langue des miliciens. Celle des barbares armés, celle de la radio. L’arabe était la langue des mauvaises nouvelles. Celle de ce qu’on a envie d’oublier. Les mots en français étaient devenus un refuge

L’auteure a pris appuis sur des racines linguistiques différentes. C’est cela que raconte « Le Piano oriental » : Zeina Abirached parle de ses origines et de sa double culture…

Une double culture que l’on retrouve aussi chez Abdallah, l’arrière-grand-père de Zeina.

En effet, dans cet ouvrage, deux récits s’entrelacent et se répondent en écho. Dans le premier, nous suivons le parcours d’Abdallah Kamanja, inventeur du piano oriental dans les années 1950. Issu d’une famille modeste, Abdallah se découvre une passion pour le piano. Amateur de musique orientale, il rêve de pouvoir un jour jouer les mélodies orientales sur cet instrument occidental. Mais il bute sur une difficulté de taille : l’intervalle minimal entre deux touches de piano est le demi-ton alors que l’intervalle dans les musiques orientales est le quart de ton. Pendant plusieurs années, il s’obstine à trouver la solution à ce problème épineux. S’il y parvient, il aura eu le mérite de créer un instrument unique, passerelle entre deux cultures.

Tandis que la vie d’Abdallah nous est racontée sur des planches au fond blanc, Zeina Abirached témoigne – sur fond noir – de son propre parcours. Née au début des années 1980 à Beyrouth, elle parle de son rapport singulier avec la langue française. Habituée très tôt à employer l’arabe et le français, elle rêvasse sur les photos d’écoliers français vues dans les manuels scolaires et envisage petit à petit de s’installer en France. A 23 ans, son rêve devient réalité. Elle s’installe dans la capitale française.

C’était clair, je pouvais emmener un kilo d’affaires par année vécue. Et chaque fois que j’ajoutais quelque chose dans ma valise, j’avais l’impression de répondre à la question : qu’emporterais-tu si tu devais passer un an sur une île déserte ?

Un bel objet que cet ouvrage à la couverture gaufrée sur laquelle le titre en lettres dorées attrape le regard. A l’intérieur, le lecteur profite de planches où l’espace est entièrement pris par les illustrations. Il y a beaucoup de bruits dans les pages de l’album, un peu comme dans les mangas ; on y entend des chaussures qui crissent, un oiseau qui chante, une valise qui roule sur le trottoir, les bruits de la ville… Le crayon s’envole au moment où il dessine des boucles de cheveux ou des notes sur une partition de musique. Au beau milieu de ces dessins soignés où tout semble bien rangé, bien droit et parfaitement positionné afin que chaque élément vienne séduire l’œil du lecteur, on se laisse surprendre par une envolée graphique, une métaphore visuelle qui injecte de la vie dans ces pages. On imagine aisément cet univers s’animer et ainsi voir les personnages se mouvoir.

Tout au long de l’album, Zeina Abirached met en exergue ce penchant commun qu’elle partage avec Abdallah : tous deux montrent qu’il est possible de construire des passerelles entre deux civilisations souvent décrites comme étant radicalement différentes. Chacune s’enrichit des savoirs de l’autre et réciproquement et l’on peut tout à fait concevoir l’émergence d’une culture transversale qui trouve racines grâce à cette ouverture de pensée. Le piano oriental est une belle métaphore puisque cet objet symbolise parfaitement cette idée… « Le piano oriental – l’histoire d’un piano qui réunit deux cultures : Orient et Occident. » peut-on lire sur le site de l’éditeur.

PictoOKSuperbe récit autobiographique d’une musicalité rare et entraînante. Il nous fait voyager entre passé et présent, entre Orient et Occident et où, malgré les décennies qui les séparent, une jeune femme et son aïeul se répondent en écho. Si vous avez l’occasion de lire cet album, n’hésitez pas un seul instant.

Les chroniques : Damien Canteau (pour Comixtrip), Le Fil du bilingue.

Extraits :

« Je suis partie sur la pointe des pieds, laissant la ville se réveiller sans moi » (Le Piano oriental).

« Je tricote depuis l’enfance une langue faite de deux fils fragiles et précieux » (Le Piano oriental).

Les BD de ce mercredi sont chez Noukette !!

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Le Piano oriental

One shot

Editeur : Casterman

Collection : Univers d’auteurs

Dessinateur / Scénariste : Zeina ABIRACHED

Dépôt légal : septembre 2015

ISBN : 978-2-203-09208-2

Bulles bulles bulles…

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Le Piano oriental – Abirached © Casterman – 2015

Mourir, partir, revenir, le jeu des hirondelles (Abirached)

Mourir partir revenir, Le jeu des hirondelles
Abirached © Cambourakis – 2007

Mourir partir revenir, Le jeu des hirondelles est un témoignage sur ce qu’était la vie à Beyrouth en 1984. L’auteure replonge dans ses souvenirs et décrit le quotidien en temps de guerre : inquiétude, couvre-feu, solidarité de voisinage… Quand les uns se raccrochent à l’idée de pouvoir quitter le pays, d’autres sont dans l’illusion que le confit n’est que passager, les derniers se font une raison.

Dans un contexte social atypique, onze personnages d’âges et d’horizons différents recréent une petite sphère familiale de fortune pour se soutenir les uns les autres et attendre la fin des bombardements. L’histoire dure le temps d’une nuit et se déroule dans l’entrée d’un appartement du premier étage, lieu de la maison qui offre le plus de protection, une sorte d’auberge espagnole.

Voilà un album que j’avais repéré sur un blog et le contenu de la chronique m’avait incité à prendre notes des références de l’ouvrage. J’avais beaucoup d’attentes à l’égard de cette lecture. Quasi certaine d’adhérer, c’est aussi la raison pour laquelle j’ai mentionné cet auteur au moment de mon inscription au Challenge ABC Critiques proposé par Babelio en septembre dernier.

Ce récit d’environ 180 pages nous fait évoluer dans un huis-clos chaleureux où évoluent 11 personnages (dont deux enfants et une vieille dame). Quelques allers-retours dans le passé nous aident à nous familiariser avec eux et à découvrir leurs parcours. Exceptés les flash-back qui rythment le récit, l’intrigue est assez « plate ». Les allées-venues des voisins dans l’appartement, les petites manies de chacun, l’inquiétude de ces heures qui s’étirent, la multiplication de gestes d’attention destinés avant tout à rassurer les deux enfants… ces éléments sont redondants et globalement, ne nous apprennent pas grand chose sur ce que nous aurions déjà pu lire ailleurs. Ailleurs ? Disons-le franchement, le graphisme et le sujet font penser à Persépolis dont je garde en tête de nombreux souvenirs de lecture. Cette excellente série de Marjane Satrapi nous retraçait son parcours depuis son enfance passée à Téhéran et les conséquences du conflit Iran-Irak sur la société iranienne et sur sa vie plus particulièrement. Le fond de l’ouvrage de Zeina Abirached en est pratiquement la copie conforme, transposé à la guerre civile libanaise qui a mit le pays à feu et à sang de 1975 à 1990. Des éléments de compréhension du conflit sont injectés ça et là dans le récit d’Abirached, les conséquences de ce conflit sur la vie quotidienne des habitants de Beyrouth sont au cœur de l’album mais ensuite… l’humour de Persépolis, l’accroche aux personnages, l’immersion dans le récit, l’envie de s’investir auprès des personnages… rien de tout cela ne se produit ici.

Au niveau graphique, idem. Les ambiances graphiques, le trait de Zeina Abirached ne manque pas de nous rappeler Persépolis et je trouve cela dommage. Même si l’ensemble est maîtrisé je dirais qu’au niveau visuel, le voyage a un air de déjà-vu. On se convainc du contraire sur le premier tiers de l’album, moment où l’auteure place les différents éléments du récit. On oscille d’ailleurs un moment entre BD et récit illustré, certaines illustrations en pleine page m’ont malheureusement donné une étrange impression de remplissage plus que de réelle utilité pour le récit. Dans l’ensemble, la mise en page est assez classique et les dessins sont très figés (exceptés bouclettes de cheveux, tentures et quelques motifs éparses qui apportent une impression de mouvement, d’ondulation… moments trop rares dans l’album).

pictobofUn album assez décevant dans l’ensemble, surtout si vous connaissez déjà Persépolis. J’ai parcouru ce livre de manière détachée sans avoir une once d’intérêt pour les différents personnages. On reste spectateur, on découvre ce témoignage de manière disciplinée mais il glisse, il est lisse. On ne se détache pas des faits, on y est extérieur et on y apprend peu de choses.

Sélectionné à Angoulême en 2008.

L’avis de Champi, Percevoir, A_Girl_from_earth, Joelle, une interview de l’auteure, interview sur Bodoï. A consulter également : la fiche auteur qui reprend le projet de Zeina Abirached tel qu’il était avant qu’elle ne se lance dans la réalisation de l’album (le lien est accessible dans les références de l’album, que vous trouverez ci-dessous).

Mourir partir revenir,

Le jeu des hirondelles

One Shot

Éditeur : Cambourakis

Dessinateur / Scénariste : Zeina ABIRACHED

Dépôt légal : octobre 2007

ISBN : 978-2016589039

Bulles bulles bulles..

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Mourir partir revenir, le jeu des hirondelles – Abirached © Cambourakis – 2007