Younes est âgé de 10 ans lorsque sa famille décide de quitter leur terre. Jusque-là, son père se tuait la santé aux champs, tentant en vain de sauver ses récoltes pour assurer à sa famille le minimum vital. Mais un drame les contraint à s’installer à Jenane Jato, quartier pauvre d’Oran où malgré l’acharnement du père, la famille ne cesse de s’enfoncer dans la misère.
A l’âge de 11 ans, Younes est confié à son oncle paternel qui l’adopte. Il s’appellera désormais Jonas, découvre le quotidien d’une famille aimante et les joies de l’école où il apprend à lire, à compter…
« Et Jenane Jato me parut plus atroce qu’avant. Ici, le temps tournait en rond. Sans suite dans les idées »
L’enfant s’épanouit et un déménagement à Rio Salado ne viendra pas écorner son bien-être. Il y fait la connaissance de Fabrice, Simon et Jean-Christophe qui deviendront de précieux amis.
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Qu’il est facile de se laisser porter par la plume de Yasmina Khadra. A peine la lecture est-elle engagée que déjà le lecteur s’imprègne de l’univers qui s’offre à lui. Les paysannes s’étirent à perte de vue, les personnages s’animent, la brume qui enveloppait leur visage se dissipe progressivement. Le lecteur trouve naturellement sa place dans ce décor qui lui est pourtant étranger.
L’histoire qui nous est présentée débute dans les années 1930. Elle se referme en 2008. Durant ce laps de temps, nous allons observer la vie d’un homme ; le voir grandir, assumer ses premiers choix, se responsabiliser, se frotter à la question des sentiments et à celle de la sexualité. Au même moment, l’Algérie se transforme profondément. Dans un premier temps, cette colonie française envoie ses hommes au front de la guerre qui gronde en Europe alors même que des hommes commencent à s’élever contre la domination française ; les premières revendications d’indépendance commencent à se faire entendre. Puis vinrent les manifestations où sont exprimées les revendications nationalistes et la Guerre d’Indépendance. Yasmina Khadra a pourtant choisit de ne pas aborder les événements de manière frontale. Alors que l’Algérie s’enfonce de plus en plus dans la lutte armée, les événements sont abordés avec distance : le narrateur y prête peu attention, le conflit ne fait pas partie de son quotidien (la ville où il réside n’est pas un terrain de bataille… elle ne le sera qu’en 1962, année de l’Indépendance). Les pensées du narrateur sont accaparées par une jeune femme et l’auteur a l’art et la manière de décrire le sentiment amoureux, les questions inhérentes à ce dernier… D’un bout à l’autre du roman, on ressent une réelle empathie pour cet homme, on s’agace avec lui de ses hésitations et de ses doutes.
Outre l’histoire amoureuse, l’ouvrage aborde également le thème des origines. Le narrateur est en quête d’identité. Homme double : il est à la fois Younès (enfant naturel d’une famille algérienne pauvre vivant parmi les nécessiteux) et Jonas (enfant adopté d’une famille pluriculturelle aisée vivant parmi la diaspora des générations étrangères qui se sont installées sur le sol algérien). Enfant, on ne lui offre rien d’autre qu’une vision très étriquée du monde ; il ne connaît alors que la petite maison familiale perdue au beau milieu de nulle part et rien n’existe en dehors de ce qu’il peut voir. Le déménagement à Oran lui ouvre les yeux sur de multiples possibles, son adoption puis sa scolarisation lui en offriront bien davantage. Arabe aux yeux bleus, Younès-Jonas se glisse avec aisance dans les différents groupes d’amis qu’il va rencontrer tout au long de son existence. Il se construit autour de cette dualité qui le représente sans qu’il en prenne réellement conscience. Sur le tard, il comprendra comment certains individus peuvent percevoir sa double appartenance et en quoi celle-ci peut éventuellement créer de la jalousie auprès de ses compatriotes qui n’ont d’autre choix que de rester au bas de l’échelle sociale.
La majeure partie du récit est narrée, les dialogues s’immiscent régulièrement et donne un rythme plus cadencé à l’ensemble pourtant, à aucun moment, les longs monologues de la voix-off ne deviennent pesants. S’il est essentiellement question de son quotidien, le narrateur se découvre en permanence par le biais des autres et des regards qu’on lui porte. A aucun moment il ne parviendra à prendre une décision en son âme et conscience… il a besoin de penser l’intérêt de l’autre avant toute chose et fait preuve d’un altruisme en toute circonstance, au point de reléguer son propre bien-être au second plan.
Ce que le jour doit à la nuit est le quatrième roman de Yasmina Khadra qu’il m’ait été donné de lire. Petit bémol me concernant, relatif au contenu du dénouement ; il me semble effectivement que l’auteur réinjecte tardivement un personnage secondaire et ne prend pas la peine d’aider le lecteur à comprendre un des éléments-clé de l’intrigue principale. Il me reste encore un certain nombre de ses œuvres à découvrir mais je pars confiante ; je suis gourmande à l’idée d’explorer encore sa bibliographie. Les expériences de lecture que nous offre cet auteur sont réellement appréciables.
Une nouvelle lecture commune que j’ai le plaisir de partager avec Kikine.
Pour lire sa chronique, cliquez sur ce lien.
Extraits :
[à son arrivée à Oran] « Je n’en revenais pas, ne savais même pas mettre un nom sur les choses qui me sautaient aux yeux comme des flashes. (…) Il émanait, de ces endroits privilégiés, une quiétude et un bien-être que je ne croyais pas possibles – aux antipodes du relent viciant mon bled où les potagers rendaient l’âme sous la poussière, où les enclos à bestiaux étaient moins affligeants que nos taudis. J’étais sur une autre planète » (Ce que le jour doit à la nuit).
« Bien entendu, il est des choses qui nous dépassent, mais, dans la plupart des cas, nous demeurons les principaux artisans de nos malheurs. Nos torts, nous les fabriquons de nos mains, et personne ne peut se vanter d’être moins à plaindre que son voisin. Quant à ce que nous appelons fatalité, ce n’est que notre entêtement à ne pas assumer les conséquences de nos petites et grandes faiblesses » (Ce que le jour doit à la nuit).
« Aime de toutes tes forces, aimes comme si tu ne savais rien faire d’autre, aime à rendre jaloux les princes et les dieux… car c’est en l’amour que toute laideur se découvre une beauté » (Ce que le jour doit à la nuit).
Ce que le jour doit à la nuit
Roman
Editeur : Pocket
Auteur : Yasmina KHADRA
Dépôt légal : septembre 2009
ISBN : 978-2-266-19241-5