L’Orchestre des Doigts

L'Orchestre des Doigts, tome 1
Yamamoto © Milan – 2006
L'Orchestre des Doigts, tome 2
Yamamoto © Milan – 2007
L'Orchestre des Doigts, tome 3
Yamamoto © Milan – 2007
L'Orchestre des Doigts, tome 4
Yamamoto © Milan – 2007

Japon, 1913. C’est désillusionné que Kiyoshi TAKAHASHI quitte le milieu rural dont il est originaire. Ses rêves sont brisés, il souhaitait faire de la musique, mais son frère aîné, chargé de famille depuis la mort de leur père, s’y est opposé. A Osaka, il obtient un poste d’enseignant dans une école pour enfants sourds-muets et aveugles. Sur place, il apprend qu’on lui confie un poste de professeur de musique. Pour lui, tout est sujet à découverte : côtoyer des sourds, constater leur difficile voire improbable acceptation dans une société japonaise encore très fortement rurale, découvrir un nouveau mode de communication… Touché par la situation d’Issaku, un jeune sourd au comportement violent, Kiyoshi va rapidement investir sa fonction et protéger farouchement la Langue des Signes.


A vrai dire, passées les frayeurs du premier tome, j’ai une bonne impression de cette série.

Pourquoi des frayeurs me direz-vous ? Parce qu’il y a des redites qui deviennent rapidement pesantes (avant que la 22ème page soit tournée, il nous est dit 7 fois que le récit concerne des jeunes sourds et aveugles), parce que le ton initialement employé sur les deux premiers chapitres est inapproprié car trop romancé (j’y avais adhéré dans Les Fils de la Terre, mais ici je trouve que le style donne la désagréable impression d’être parachuté dans le monde merveilleux de Casimir), parce que l’amitié qui va naître entre ce jeune professeur et un de ses élèves est plus qu’une évidence, que les conflits qui les opposent (la manière dont ils sont racontés) sonnent faux et n’évitent pas des passages assez pathétiques… Sortez les violons, on joue pour vous ce soir : « Quelles que soient les paroles de tendresse qui leurs (enfants sourds) sont prodiguées, elles ne peuvent les atteindre. Ils ne peuvent recevoir ni l’amour ni l’inquiétude ni le chagrin de leurs parents » lira-t-on rapidement. Ah ? une mère ne peut-elle serrer son enfant dans ses bras même s’il est sourd ??? me dis-je en mon fort intérieur.

Bref, un début de premier tome un peu inquiétant quand on sait que la série en compte 4 au total. L’arrivée inespérée dans ce tome de Mr FUKUDA, un enseignant sourd, va fortement influer sur le ton du récit et lui donner un autre rythme. La présence de ce personnage, aux bienfaits certains pour le lecteur, va apaiser le personnage principal, l’ouvrir à la Langue des Signes… et nous de la même manière. Dès lors que la Langue des Signes fait son apparition dans la série, les personnages font tomber leurs œillères et deviennent membres à part entière de la société japonaise. En comprenant ce qui se passe, ils s’approprient leur identité et sortent de la bulle protectrice que leur offrait l’École. Une série intéressante qui permet d’avoir une vision très large de la société japonaise. Les événements marquants comme les émeutes du riz en 1923 sont intégrés au récit.

Notons aussi que L’orchestre des Doigts est une œuvre fictive basée sur des faits réels. Le parcours de Kiyoshi TAKAHASHI, son investissement auprès des Sourds japonais, a aidé à organiser la Communauté Sourde japonaise actuelle. La série s’étend de 1913 à 1989, on voit donc les conséquences de cet investissement dans le temps (la série a été publiée pour la première fois au Japon en 1991). J’ai parcouru avec intérêt l’évolution de la Communauté sourde japonaise qui a suivi un parcours similaire à son homologue français (opposition marquée entre gestualistes et oralistes, une langue vivante qui intègre en permanence de nouveaux signes…).

Techniquement, j’avais des craintes quant à cette série. Je pratique la langue des signes française (LSF) depuis quelques années et j’appréhendais la manière dont les choses seraient abordées. Pourtant, l’ensemble est assez réaliste même si je déplore un manque d’expressivité des visages (habituellement, les sourds marquent les intonations avec des haussements de sourcils, des joues gonflées…) et des expressions corporelles (ici, les corps sont rigides, lourds). Les mains sont donc les seules à s’exprimer dans des mouvements qui sont très amples, très fluides… c’est agréable car on voit le geste (très différent de celui emprunté en LSF). Il y a quelques incohérences (un entendant ouvre un échange avec un sourd alors qu’il s’approche de lui dans son dos), mais elles sont trop peu présentes pour gâcher la lecture.

Un récit intéressant qui nous permet de parcourir les événements marquants qui ont agités le Japon au cours du XXème siècle. Des éléments  trop romancés sur certains passages, des personnages principaux mobilisés corps et âme (cela dépasse les prérogatives du statut d’enseignant, on est face à des personnes mues par une vocation). Une incohérence majeure : on nous laisse entendre qu’on assistera à l’influence bénéfique de la musique sur les sourds et pourtant, ce coté est complètement éludé alors qu’il y a matière à l’exploiter il me semble… la musique reste donc la grande absente de cet ouvrage (quelques apparitions dans la série, mais jamais par le biais d’un support éducatif).

L’énorme avantage d’aborder un thème trop peu présent en BD. Une série très engagée.

Extrait :
« Signer signifie s’identifier comme étant sourd, être pris pour un inférieur, quelqu’un de faible, de déficient  » (L’orchestre des Doigts).

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L’Orchestre des Doigts
Série finie en 4 tomes
Éditeur : Milan / Label : Kankô
Dessinateur / Scénariste : Osamu YAMAMOTO
Dépôt légal de la série en France : octobre 2006 (tome 1), janvier 2007 (tome 2), mars 2007 (tome 3) et mai 2007 (tome 4)

Bulles bulles bulles…

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L’Orchestre des Doigts – Yamamoto © Milan / Label Kankô – 2006 et 2007