Lea ne se souvient pas comment fonctionne l’aspirateur (Corbeyran & Gwangjo)

Lea ne se souvient pas comment fonctionne l'aspirateur
Corbeyran – Gwangjo © Dargaud – 2010

Dans son antre de célibataire, un écrivain cherche l’inspiration. Il vit seul, est profondément aigri et taciturne. Il s’est évertué à se pourrir la vie jusque dans les moindres recoins. « Deux divorces (…). Des enfants lointains qui m’adorent en tant que copain et me détestent en tant que père », sa vie privée n’est que rancœur et amertume.

Au niveau professionnel, il se confronte aux mêmes désillusions. Si par le passé il rêvait de gloire et de reconnaissance, il s’est depuis longtemps résigné à l’idée que les projecteurs ne se tourneront jamais vers lui. Endetté, il rumine ses idées stériles. Ignoré des lecteurs, oublié par son éditeur las d’attendre des travaux qui jamais ne viendront, Louis (l’écrivain) n’a plus qu’une seule alternative : se plaindre de cette poisse qui lui colle au corps et épier la vie des autres par la fenêtre.

Lors d’une ses promenades, il découvre au bas de son immeuble, une poubelle éventrée. Les papiers qu’elle contient sont épars sur le sol. Il se met à fouiller ces détritus et découvre un carnet de notes qu’il enfourne dans sa poche avant de partir. Une fois chez lui, il découvre ce qu’il contient : c’est le journal intime de sa voisine, Léa. Elle y raconte son quotidien, entre mélancolie, amour de son mari et cet étrange maladie qui l’affecte : elle ne se rappelle plus comment utiliser ses appareils électro-ménagers. La première réaction de Louis est de mettre de côté ce flot de stupidités mais son imagination se met en branle à tel point que lui revient l’envie d’écrire.

Eric Corbeyran m’avait marqué avec deux récits engagé : Elle ne pleure pas elle chante (réalisé en collaboration avec Thierry Murat ; une adaptation du roman d’Amélie Sarn traitant de la pédophilie) et sa prestation dans En chemin elle rencontre (collectif sur les violences faites aux femmes dans lequel il adaptait un témoignage de Marie Moinard). Cet album me semblait de la même trempe.

Dans cet ouvrage, la violence ne sera que suggérée, d’autant qu’on en prend la mesure dans la seconde partie de l’ouvrage. On passera donc un temps conséquent de lecture à accompagner le personnage principal dans son besoin de voyeurisme. Plus il lit le journal intime de Léa, plus il nourrit une fascination grandissante pour elle. Interpellé par son amnésie ménagère, il va de supposition en supposition et débute même une enquête auprès du voisinage pour récolter autant d’indices qui viendront entretenir l’image de sa « muse ».

Si la manière dont les violences conjugales sont traitées ici est intéressante, c’est peut-être qu’une nouvelle fois l’auteur évite l’écueil du pathos et du jugement de valeur. Son personnage illustre parfaitement la manière dont la société se positionne à l’égard de ce genre d’actes. Croire dans les bobards que les femmes battues déversent pour excuser un hématome ou une rougeur est bien plus facile que de tenter de comprendre la situation. Il me semble également que l’état d’esprit de la victime est juste (honte, sentiment de culpabilité…)/ Ce genre d’ouvrages m’intéresse pour le sujet engagé qu’il traite et celui-ci tout particulièrement a soigné la psychologie des personnages mais ce n’est pas cet aspect de l’album qui me marque le plus…

… mais la partie graphique. Les illustrations de Gwangjo sont à couper le souffle. Cet auteur sud-coréen a travaillé au crayon de papier. Le rendu est époustouflant. Le dessin est fin, certains portraits sont impressionnants de réalisme, tout est là, précis et minutieux. Les visuels insérés en bas d’articles parlent d’eux-mêmes.

PictoOKUn bon album à découvrir.

L’avis de Joëlle, Manuel F Picaud, Soukee et Cécile.

Extrait :

« Je dois triompher de ce blocage ridicule qui m’empoisonne l’existence et met notre couple en péril  » (Léa ne se souvient pas…).

Lea ne se souvient pas comment fonctionne l’aspirateur

One Shot

Éditeur : Dargaud

Dessinateur : GWANGJO

Scénariste : Éric CORBEYRAN

Dépôt légal : juillet 2010

ISBN : 9782505008613

Bulles bulles bulles…

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Léa ne se souvient pas comment fonctionne l’aspirateur – Corbeyran – Gwangjo © Dargaud – 2010

Auteur : Mo'

Chroniques BD sur https://chezmo.wordpress.com/

20 réflexions sur « Lea ne se souvient pas comment fonctionne l’aspirateur (Corbeyran & Gwangjo) »

    1. La fin de l’album est en effet un peu fade. Trop convenue peut-être ? J’aurais aimé quitter Léa différemment. Non pas que j’attendais une happy-end (cela m’aurait déplu vu le contenu de l’album), mais que le dénouement s’attarde plus sur le devenir de ce personnage

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    1. J’ai savouré les dessins de Gwangjo… ils m’ont plus marqués que l’histoire en elle même. Je retiens cependant l’idée de l’amnésie ménagère qui peut être intéressante à tester 😆

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  1. J’avoue que l’album ne m’a pas conquis : trop facile à mon goût, malgré un réel sujet à traiter.
    Graphiquement, j’ai été très surpris par quelques cases dans un style presque caricatural, alors que tout le reste de l’album est d’un réalisme poussé. Elles m’ont semblé déplacées.
    Dommage…

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    1. La fin est trop convenue, je suis d’accord. Mais ce n’est pas pour le sujet et la manière dont il est traité que je tenais absolument à parler de cet album. Le travail de Gwangjo est superbe. Je n’ai pas souvenir de ces scènes caricaturales dont tu parles. Elles m’ont échappé, je vais reprendre l’album

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  2. C’est vraiment un album spectaculaire visuellement ! C’est superbe et je me rappelle avoir adoré les dessins. Et je trouve que l’histoire est traitée de façon originale … elle ne ressemble pas aux autres albums sur le même sujet 😉

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    1. J’étais plus habituée à un traitement frontal du sujet, comme dans Inès par exemple. C’est vrai que cette approche est originale mais Léa n’est pas assez présente pour moi

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    1. Le dessin relève vraiment le contenu de l’album. La narration est intéressante mais plus convenue (peut-être un peu trop à mon gout sur ce type de sujet)

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  3. Je l’ai pioché au hasard à la médiathèque la semaine dernière : pour le titre qui m’intriguait et le graphisme superbe. Un bel album et une manière originale de traiter ce sujet. Et comme toi, j’ai été un peu « déçue » par la fin. Mais cela reste une bien belle découverte.

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    1. Pfiou ! Ma lecture date et je n’en garde aujourd’hui qu’un souvenir en demi-teinte. Seul le personnage de Léa m’est resté en mémoire… 😦

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