20 ans ferme (Ricard & Nicoby)

20 ans ferme
Ricrad – Nicoby © Futuropolis – 2012

Ce matin-là, Milan se lève, s’habille, embrasse sa femme, enfile son holster, y place son arme et sort de chez lui. Il part retrouver une connaissance avec qui il a rendez-vous dans une rue peu passante de la ville. Nous sommes en 1985, quelque part dans les Alpes-Maritimes.

L’échange débute, « c’est bon ? ». « Tout est prêt » lui répond son interlocuteur. Ils n’auront pas le temps de poursuivre, les flics sortent de partout, les plaquent au sol, le jeu du chat et de la souris est terminé. Milan doit passer par la case prison, il ne percevra pas les 20.000 euros en passant par la case départ, c’est le moment de payer pour ses méfaits : des braquages de banques. Il plaide coupable à son procès, la décision du Juge tombe : 20 ans ferme… Milan a 20 ans et ses perspectives d’avenir qui n’étaient déjà pas radieuses s’amenuisent à vue d’œil.

Surprenante scène introductive qui nous fait vite réajuster le tir. J’avais fait le choix de ne pas lire le pitch de l’album avant lecture. Je pensais donc partager les presque 100 pages du récit en compagnie d’un flic… changement rapide de programme, ce n’est donc pas un flic véreux que nous accompagnerons mais un petit truand. Truand certes, mais cela ne le prive aucunement d’avoir son mot à dire sur la situation carcérale en France. Certes, ses méthodes pour faire entendre son point de vue ne sont pas celles que l’Administration pénitentiaire entend cotiser (émeute, grève…). Pourtant, le personnage de Sylvain Ricard soulève-là des questions de fond que l’Etat refuse de voir. Mettons de côté le discours hypocrite de dire que si ce protagoniste avait opté pour un mode de communication plus conventionnel (courrier au Juge d’applications des peines, au Procureur…), il aurait plus facilement gain de cause. Non. Ces démarches seraient très certainement restées aussi infructueuses, la seule différence c’est que cela ne lui aurait pas valu plusieurs séjours au mitard et lui aurait peut-être évité bon nombre de bastonnades de la part des matons soucieux de rapatrier les brebis égarées dans le troupeau des moutons de Panurge.

La plume du scénariste est acerbe, dépitée et malheureusement très réaliste sur la situation des détenus. Surpopulation carcérale, irrespect de la dignité humaine, droits bafoués, conditions de vie dégradantes… La liste est longue mais parmi les constats abordés dans l’album, on peut retenir l’engorgement des services sociaux du milieu carcéral qui ne permet pas un suivi satisfaisant (et suffisant) de l’ensemble des détenus qui en font la demande, payes variables pour les détenus qui travaillent en Prison (blanchisserie, mécanique…), fouilles au corps, violences psychologiques… « On veut plus d’humanité » dira Milan lors d’une manifestation pacifique qui se terminera dans un déferlement de violence comme en témoigne le visuel associé à ce paragraphe.

Le discours est peut-être un peu trop caricatural par moment pourtant les conditions de détention sont si variables d’un établissement carcéral à l’autre, les anecdotes sont parfois si proches des témoignages que j’ai déjà eu l’occasion d’entendre lors des entretiens de suivi qu’il me serait difficile d’aller à l’encontre du positionnement de l’auteur. Le ton est posé, le message a une réelle portée comme vous pourrez en juger par les extraits insérés en bas d’article.

J’ai un peu plus de mal avec les choix de Nicoby que j’avais suivi sans sourciller sur Les ensembles contraires. Ici, je pourrais vulgairement résumer en disant que l’ambiance se crée principalement autour des jeux de couleurs : couleurs toniques et chaudes pour l’extérieur, couleurs monotones de marrons/gris/verts pour la vie en milieu carcéral. Je fais la moue sur ce choix trop classique.

PictoOKJe vous conseille cette lecture tout simplement parce que j’ai envie de vous voir taper du poing sur la table et savoir que d’autres dénoncent les conditions de vie dans les établissements pénitentiaires. N’est-ce pas une raison satisfaisante ?

La chronique de PaKa, celle d’Yvan et le dossier de presse de Ban public.

Extraits :

« Franchement dans la merde tu veux dire. Soit il plaide coupable et il est sûr de rester à l’ombre… mais s’il plaide non coupable et que les jurés ne le croient pas, il prend une peine deux fois plus lourde. Quand tu es innocent en prison, tu as plus intérêt à dire que tu es coupable, c’est moins risqué. Etre innocent en prison, c’est avoir le choix entre la peste et le choléra. Dingue non ? Moi, je suis coupable. Alors tu penses que j’en ai rien à foutre ! » (20 ans ferme).

« C’est un monde hermétique ici. Une lente glissade vers le fond. Pour la majorité des gars. Moi, j’apprivoise et je dresse des souris. C’est ma façon de retrouver une certaine humanité et d’éviter de me perdre totalement. La plupart entrent ici pour un simple vol ou une escroquerie et ressortent avec un diplôme de grand banditisme. La prison ne peut pas les aider. Ne compte pas sur eux pour t’en sortir mon gars. Ne compte sur personne, tu seras pas déçu » (20 ans ferme).

« De quelle prison parle-t-on ? Des murs inutiles qui nous entourent ou de l’enfermement de notre esprit duquel vous ne souhaitez pas que l’on sorte ? (…) Vous savez bien que derrière chaque personne qui entre ici il y a une douleur, il y a un besoin, il y a un manque. Rien de tout cela n’est trivial. Nous y arrivons inachevés, en souffrance. Nous en ressortons détruits, déshumanisés. Pensez-vous que ces murs n’y sont pour rien ? Pensez-vous que vous n’avez aucune responsabilité à endosser ? Le régime carcéral est barbare et inutile. Il ne construit rien d’autre que des sentiments de haine et de révolte quand il devrait être un lieu de reconstruction, de soins et d’épanouissement. Au lieu de ça, chacun vit dans son infrontière : un temps suspendu, l’illusion d’une vie qui s’écoule, l’incertitude d’exister » (20 ans ferme).

20 ans ferme

Un récit pour témoigner de l’indignité d’un système –

One Shot

Éditeur : Futuropolis

Dessinateur : NICOBY

Scénariste : Sylvain RICARD

Dépôt légal : Mars 2012

ISBN : 978-2-7548-0586-5

Bulles bulles bulles…

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20 ans ferme – Ricard – Nicoby © Futuropolis – 2012

Auteur : Mo'

Chroniques BD sur https://chezmo.wordpress.com/

22 réflexions sur « 20 ans ferme (Ricard & Nicoby) »

  1. Pour rebondir sur ton excellente chronique, je conseille, et pour une fois ce n’est pas un livre, le magnifique film documentaire « A côté » de Stéphane Mercurio.
    Ça présente la prison et le système carcéral français d’un point de vue singulièrement différent mais tout aussi révoltant… en tout cas qui donne envie de taper du point sur la table comme tu l’écris si bien.
    L’adresse du site http://www.a-cote.eu/
    Et sinon, je suis certain que vous pouvez le trouver dans les bonnes médiathèques.

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  2. C’est une raison satisfaisante et c’est un sujet intéresse mais, pour en avoir une première approche, je pense que je me tournerais spontanément vers un essai plutôt que vers une BD. Il aurait fallu que tu sois plus dithyrambique pour me convaincre!

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    1. Plus dithyrambique ? Non, car si l’album m’a convaincue, ce n’est pas un coup de cœur non plus. Mais tentes tout de même de le feuilleter cet album, ne serait-ce pour prendre la mesure de la tonalité de la narration. Le discours n’est pas acerbe, il n’est pas agressif dans sa forme. Ce récit transmet sans agresser le lecteur. Le sujet est « casse gueule » mais il est très bien traité par Sylvain Ricard je trouve

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      1. OK, j’essaierai. Malheureusement, mon fournisseur habituel de BD vient de fermer et il faut que je me trouve une nouvelle crèmerie. 😦

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        1. Bon courage, car je sais que ce n’est pas facile. Même si les crèmeries ne manquent généralement pas, encore faut-il s’y sentir à l’aise et avoir envie de s’y poser… ce qui n’est pas toujours le cas 😦

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  3. Je ne connais pas l’univers carcéral mais il est évident que c’est un enfer absolu. J’ai vécu plusieurs années en face d’une prison et j’ai souvent été réveillé en pleine nuit par les cris des détenus. Bref tout ça pour dire que quel que ce soit le média utilisé il est toujours bon de faire quelques piquures de rappel dans l’opinion public.

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    1. Oui, ce genre de piqure est nécessaire. Je n’ai jamais habité à côté d’une prison, le fait d’avoir rendu visite à des détenus m’a suffit. Je ne supporte pas cet endroit à commencer par l’accueil que te réservent les matons. Leurs indélicatesse dans le regard qu’ils posent sur ton corps, leurs blagues salaces et graveleuses de mettre trois plombes à t’ouvrir les grilles, te laissant comme une potache dans un couloir… et les mêmes niaiseries sur le chemin du retour. Je n’ai jamais passé plus de 4 heures consécutives dans les murs d’une prison et le fait de ne plus avoir à y aller (j’ai changé d’employeur) ne fait qu’accroitre les représentations que j’ai à l’égard de ces lieux (plus le souvenir est lointain et plus notre mémoire a tendance à le remodeler)

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  4. J’ai longuement hésité sans acheter… à la lecture de ta chronique (comme d’hab, fort bien ^^), je ne regrette pas … même si j’ai envie de la lire et pas dans 20 ans !!!
    Mais je crois surtout que j’ai du mal à taper sur la table … peut être bientôt, et peut être cette lecture m’aiderait … ou pas !

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  5. Je l’avais vu en librairie mais le dessin avait eu du mal à m’accrocher malgré le sujet intéressant. J’ai donc opté pour un emprunt à la biblio quand ils l’auront (il ne faut pas être pressé pour les nouveautés !). J’avoue que je connais mal le milieu carcéral (même si je passe de temps en temps devant la prison du coin, je n’ai aucune idée de l’ambiance qu’il peut y régner … j’ai la sensation que c’est tendu, côté prisonniers mais aussi côté gardiens si je me fie à ce que j’ai entendu !)

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    1. Ça ne doit pas être simple de travail en milieu fermé. Et puis les gardiens doivent être les premiers à entendre la vindicte concernant les conditions de détentions.

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