Noxolo (Morandeau)

Morandeau © La Boîte à Bulles – 2013
Morandeau © La Boîte à Bulles – 2013

2013, province de Johannesburg.

L’agent Nalaxa exerce ses fonctions dans un commissariat de New Tsakane. Un matin, en prenant son poste, elle découvre un tas de dossiers à trier sur son bureau. Les consignes sont claires : même si ces affaires n’ont pas été résolues, il s’agit d’archiver ces documents.

Durant ce travail fastidieux, Nalaxa tombe sur les photos du meurtre de Noxolo Nogwaza qui a eu lieu deux ans plus tôt. Les clichés, d’une violence rare, incitent Nalaxa à se saisir du dossier malgré les avertissements de son supérieur ; il refuse catégoriquement qu’elle enquête. Elle décide d’utiliser son temps libre pour collecter de nouveaux éléments, certaine que l’orientation sexuelle de la victime (qui est lesbienne) a motivé le viol et les tortures dont elle a été l’objet.

En 2013, Amnesty International alerte l’opinion publique en dénonçant le meurtre de Noxolo Nogwaza survenu en avril 2011. Suite à cette publication, Jean-Christophe Morandeau se mobilise pour dénoncer l’homophobie qui prend pour cible les gays et les lesbiennes. Au travers de sa fiction, il rend hommage à Noxolo, militante engagée et membre actif de l’EPOC (Comité d’Organisation de la Marche des fiertés d’Ekurhuleni).

L’auteur décrit un système policier vicié. Il pointe du doigt un système judiciaire à deux vitesses.La contradiction d’une société qui a pourtant crié au grand jour ses valeurs de tolérance mais qui, dans les faits, n’est absolument pas prête à les accepter. La constitution de groupes d’action qui rassemblent des individus qui militent à visage découvert pour que les choix de vie de chacun soient respectés… et d’autres groupes qui œuvrent dans l’ombre, intimident, tabassent et/ou pratiquent le « viol rééducatif ».

Jean-Christophe Morandeau parvient tout à fait à retranscrire ces deux mouvements, comme il parvient parfaitement à faire cohabiter dans cet album le présent (de Nalaxa) et le passé proche (de Noxolo). Nous donner les informations, nous permettre de comprendre le contexte social de cette région d’Afrique du Sud. La réalité telle qu’elle se montre, le sexisme au travail (en toile de fond), la place encore accordée timidement à certaines croyances (superstitions ?). Réel et surnaturel se donnent l’échange et composent un tout. Les transitions nous permettent de glisser naturellement d’une atmosphère à l’autre, sans heurts. Le lecteur n’a aucune difficulté à se situer, les repères spatio-temporels – bien que souvent suggérés – se décodent avec une évidence déroutante.

Côté graphique, la composition d’un univers en noir et blanc convient au récit et lui donne même un peu de douceur. Il y a, dans le traitement fait du sujet, une part d’onirisme appréciable. Nalaxa aurait-elle rêvé à certains moments ? Jean-Christophe Morandeau utilise ce personnage fictif pour dénoncer l’existence d’un système judiciaire défaillant et injecte dans ses propos un discours assez pompeux sur l’émergence et l’activité des mouvements gays à travers le monde : quels sont leurs appuis médiatiques ? Comment sont-ils réprimés et/ou acceptés par l’opinion publique ?

Mais… car il y a réellement un « mais ». Le scénario se veut didactique et ne parvient pas à éviter les lourdeurs inhérentes à ce genre d’exercice. Le rythme narratif met du temps à trouver le bon tempo. Beaucoup trop de temps. Il faudra passer la scène centrale avant de pouvoir profiter d’une lecture moins saccadée… moins survolée. En effet, cette scène [dont je vous parle] témoigne du fait que l’auteur avait à cœur de faire apparaître des informations très précises, on se croirait dans un documentaire. Mais la manière dont les éléments apparaissent donne réellement l’impression que le discours est plaqué. Qu’il a sélectionné des extraits d’articles, d’enquêtes, de colloques… et que le fragile équilibre de ce passage de l’album n’est dû qu’à une habile pirouette d’assemblement de ces différents éléments. Il y aurait certainement eu moyen d’intégrer différemment ces propos (par le biais de coupures d’articles, d’annexes… ?). Ce long passage est verbeux, ennuyeux à souhait et tente de nous faire croire qu’un couple pourrait naturellement avoir ce genre de débat… J’ai eu beaucoup de mal, surtout quand deux sud-africains relatent des faits qui ont eu lieu dans un petit bled français ou ukrainien… A ce moment précis de la lecture, j’ai cru que l’album me tomberait des mains.

Heureusement, après cela, le récit décolle enfin. L’intrigue principale prend de la consistance. Les propos s’articulent enfin, le rythme s’installe… La seconde partie de l’album nous laissera finalement l’impression que l’on a tenu entre nos mains ce genre d’ouvrages que l’on doit absolument lire, eu égard au témoignage qu’il contient.

Noxolo est aux antipodes du Chant du Corbeau, ouvrage que j’avais découvert en couleurs qui plus est, et que Jean-Christophe Morandeau avait signé sous le pseudo de Pol. Artiste aux multiples visages, la palette de style qu’il est capable de réaliser balaye un large panel. Les illustrations ne viendront pas heurter les lecteurs les plus sensibles puisque la violence des sévices subis par Noxolo est suggérée. Il emploie habilement le pinceau et construit deux atmosphères différentes pour dépeindre le quotidien de l’une et l’autre de ces deux femmes.

PictomouiUne cohabitation hasardeuse entre le documentaire et la fiction ne permet pas d’investir totalement le récit. Les propos de l’auteur butent sur la difficulté de l’exercice et cherchent maladroitement à trouver un peu de naturel. J’aurais pourtant aimé croire à la quête du personnage principal mais son instrumentalisation est trop flagrante. Quand la fiction tente de se mettre au service du documentaire… le résultat n’est pas toujours percutant. On se contentera de ressentir de l’indignation quant au sort réservé aux homosexuels en Afrique du Sud. Le « viol rééducatif » dont ils sont victimes ne peut laisser indifférent (et le fait que l’opinion publique ferme les yeux sur ces pratiques l’est tout autant).

Je regrette réellement de n’avoir pas eu l’occasion d’investir ce récit.

La chronique du Blog Picard.

Une lecture que je partage avec Mango :

Logo BD Mango Noir

Noxolo

One shot

Editeur : La Boîte à bulles

(en partenariat avec Amnesty International)

Collection : Contre-jour

Postface de Marc Levy

Dessinateur / Scénariste : Jean-Christophe MORANDEAU (alias POL ou JICEPOL)

Dépôt légal : novembre 2013

ISBN : 978-2-84953-196-9

Bulles bulles bulles…

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Noxolo – Morandeau © La Boîte à Bulles – 2013

Auteur : Mo'

Chroniques BD sur https://chezmo.wordpress.com/

14 réflexions sur « Noxolo (Morandeau) »

    1. C’est un album intéressant, je ne dis pas le contraire. Mais voilà : intéressant mais qui ne m’a pas emballée. Je ne sais pas ce que j’aurais pensé de ce titre si j’avais lu moins de BD-docu. Mais je connais la force que peu avoir ce média et là, ça ne décolle pas. Mon avis me met mal à l’aise en fait… l’idée de savoir que des hommes et des femmes vivent ces drames en raison de leur orientation sexuelle et que cette lecture glisse sur moi comme un fait divers…

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  1. Pas simple du tout comme exercice le docu-fiction, il faut trouver le juste équilibre, ce qui ne semble pas être le cas ici. Mais j’aime beaucoup ce noir et blanc 😉

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    1. Pareil… les illustrations sont superbes. J’aurais dû le souligner davantage. Car sur ce point, j’ai pris beaucoup de plaisir à contempler les planches

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  2. Tu as raison. Je n’ai pas envie de lire cette histoire non plus puisqu’elle ne t’a pas convaincue et que tu as même été à deux doigts de l’abandon! Je ne ferais pas mieux que toi!

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