La Gigantesque barbe du mal (Collins)

Il envahit la première de couverture ou plutôt, sa gigantesque barbe sur laquelle trône une tête à la taille ridiculement petite. A quel voyage nous convie cet album ?

Collins © Cambourakis – 2014
Collins © Cambourakis – 2014

Un homme élague un arbre tandis que les badauds disciplinés poursuivent leur chemin en l’ignorant. Non loin, un modeste travailleur solitaire rentre chez lui, dans sa discrète maison située dans un quartier pavillonnaire. Ce soir-là, il mange seul comme à chaque fois. Il avale machinalement ses légumes tout en griffonnant quelques croquis sur son carnet à spirales. Griffonne ? Pas vraiment, car si l’on se penche sur ses dessins, on constate qu’il a pris le temps d’observer l’élagueur ainsi que chaque détail croisé sur son chemin.

Dave est le nom de cet homme. Un homme légèrement dodu et totalement imberbe – à un poil près. Un homme ordonné, méticuleux, ritualisé. Un homme qui est vigilent au fait que toute chose soit exactement à sa place, que tout soit constamment ordonné. Et Dave n’est pas un cas isolé parmi les habitants de l’Ile d’Ici. La maniaquerie excessive est collective.

« Ici, chaque arbre était parfait. Chaque rue était parfaite. La forme même de Ici était parfaite ».

Le problème des gens d’Ici, c’est la mer. Aucun d’entre eux ne l’apprécie. Pire, elle leur fait peur. Car seule la mer les sépare de . Là étant l’exact contraire d’Ici : chaos, désordre et mal.

La Gigantesque barbe du mal – Collins © Cambourakis – 2014
La Gigantesque barbe du mal – Collins © Cambourakis – 2014

Sur le ton du conte et avec pour seul accompagnement une voix-off assez monocorde (les passages dialogués étant rares dans cet ouvrage), le lecteur suit cette lecture presque dépourvue de soubresauts narratifs. A l’instar de ce monde automatique, j’ai eu l’impression d’être moi aussi bien rangée, trop calme face à cette lecture qui glisse et – fait étrange car assez rare – bien assise sur mon siège… agacée par le caractère simpliste du propos. On nous sert un cloisonnement presque enfantin des choses, opposant l’organisé à l’insoumis, le propre au chaos, l’esthétique au mal… Heureusement, le lecteur aguerri et persévérant est d’avance convaincu quant au fait que Dave, malgré son côté « mouton de Panurge » parfaitement assumé, va mettre son grain de sel dans cet agencement policé où rien ne bouge ou plutôt, va laisser un poil au fond de la baignoire parfaitement astiquée. C’est une évidence… charge à l’auteur de nous surprendre vis-à-vis d’une intrigue qui semble cousue de fil blanc.

C’est donc avec une impatience non dissimulée que j’ai guetté le remue-ménage escompté. Car bien évidemment, l’homme de la couverture ne peut-être que Dave, et cela doit signifier qu’un bout de Là est arrivé Ici, et comme Là est associé au Mal, cette barbe devrait faire grand bruit. CQFD. [C’est plat ce que je vous raconte mais je me mets au credo du scenario]. Rassurez-vous, je n’ai pas spoilé, juste supposé. A elle seule, la couverture en a montré plus que ce que je n’en ai dit !

Ainsi, en l’espace d’à peine deux mois, le trajet d’un employé jusqu’à son bureau qui, par exemple, se retrouvait dévié, ne passait plus par le monde connu soigné et maîtrisé d’Ici, mais par un monde méconnaissable.

Progressivement, la simpliste dissociation des choses s’adoucit, tout comme cette désagréable impression que l’intrigue – aussi excentrique soit-elle – n’est pas en mesure de me surprendre. Pour autant, la lecture reste morne et propose une chronique sociale où tout le monde passe au crible. Scientifiques, pseudo-experts, médias, presse people, politiciens, armée… l’auteur montre leur incapacité à raisonner, leur habileté dans l’art de tergiverser et tout simplement, leur incapacité à agir de façon constructive et à réfléchir de manière intelligente. Un peu comme nos sociétés actuelles qui sont chapeautées par des hommes issus du monde de la politique, de la finance (et je vous laisserais compléter la liste). Malheureusement, le scénario de Stephen Collins manque de petites excroissances auxquelles le lecteur pourrait se raccrocher. La narration reste monocorde, son rythme est ennuyeux.

La Gigantesque barbe du mal – Collins © Cambourakis – 2014
La Gigantesque barbe du mal – Collins © Cambourakis – 2014

Stephen Collins déroule avec soin les événements qui ont lentement conduit une société à se désorganiser. Une perte de repères progressive mais totale. Ou comment la survenue d’une barbe peut amener au chaos !  Des illustrations ravageuses apparaissent ponctuellement, promettant au lecteur une suite susceptible de l’accaparer. Il suffit juste d’attendre que « tout change »… pour pouvoir enfin s’immiscer dans cet univers trop bien huilé, trop bien rangé, trop virtuel.

Et si Là était Ici depuis le début ? Et si Là n’était pas un lieu mais une force du chaos et du désordre présente partout, tapie derrière les choses, maintenue à distance par l’ordre et le rangement, une sorte de lave qui chercherait une brèche pour sortir. Et si elle avait trouvé cette brèche, Dave ? Et si cette brèche c’était vous ?

A la moitié de l’album, la transformation est entamée mais bien que l’intérêt pour la lecture se consolide timidement, il ne se concrétise pas entièrement. Il me semble que Stephen Collins effleure son sujet. « La gigantesque Barbe du Mal » est une fable « passe-partout » que tout un chacun pourrait lire. Le récit manque de mordant et s’il dispose d’une quelconque profondeur, cela tient essentiellement à la capacité du lecteur à prolonger une réflexion qui est presque chuchotée.

Ce qu’il y a de frustrant, c’est d’être convaincu du potentiel de cette histoire mais de constater que l’auteur n’a pas pris la peine de lui donner la force qu’elle requérait. Les sourires amusés que l’on compte sur les doigts d’une main et quelques illustrations remarquables [elles nous font immanquablement penser à des planches de Shaun Tan ou de Charles Burns] ne m’ont pas permis d’atténuer la déception provoquée par ce livre.

PictomouiUn ouvrage qui manque de mordant. Une prise de position plus acerbe de la part de l’auteur aurait été la bienvenue.Une lecture qui passe, qui m’a laissée insatisfaite. Pourtant, cela part de sujets sensibles : la peur de l’Autre, la peur de la différence, la peur de ce qui est étranger. Presque 250 pages pour finalement bien peu de plaisir.

La chronique de David Fournol et celle de Caroline.

Lecture mensuelle retenue avec l’équipe k.bd

kbd

Extraits :

« Sous la surface des choses, en-dessous de leur peau, se cache quelque chose que nul ne connaît. Le rôle de la peau, c’est de tout envelopper et de ne rien laisser passer » (La Gigantesque Barbe du mal).

« Car finalement, Ici bas, tout au bout du bout, à la lisière des choses, tout le monde a besoin d’un truc. D’une habitude. Un moyen de faire taire le tumulte. Quelque chose de prévisible et de familier qui empêche de penser à Là. Quelque chose qui, grâce à dieu, fasse barrière au désordre des rêves » (La Gigantesque Barbe du mal).

Du côté des challenges :

Petit Bac 2015 / Taille : gigantesque

La Gigantesque barbe du mal

One shot

Editeur : Cambourakis

Dessinateur / Scénariste : Stephen COLLINS

Dépôt légal : novembre 2014

ISBN : 9782366241136

Bulles bulles bulles…

 

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La Gigantesque barbe du mal – Collins © Cambourakis – 2014

Auteur : Mo'

Chroniques BD sur https://chezmo.wordpress.com/

6 réflexions sur « La Gigantesque barbe du mal (Collins) »

  1. c’est drôle parce que je comprends tout à fait les reproches que tu fait à ce titre, mais à lecture je n’ai pas ressenti la même chose.
    J’ai du lire ce titre au bon moment, j’ai beaucoup apprécié, alors qu’en ouvrant le livre pour la première fois j’étais convaincue que j’allais pas aimer.
    Je me suis finalement laisser porter par les illustration et j’ai souri, j’ai trouvé la gigantesque barbe du mal amusante et même si la réflexion n’est pas poussée, elle est amorcée à nous de vagabonder
    En revanche j’ai été déçue par la conclusion

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    1. Alors que moi c’était l’inverse : j’étais persuadée que ce livre allait me plaire 🙂 Du coup je me suis accrochée, convaincue que le déclic allait se faire.
      Après il y a de beaux passages, quelques illustrations qui valent vraiment le coup d’œil et quelques réflexions intéressantes. Mais bon… je me suis ennuyée et je doute de trouver la curiosité de relire un jour cet album 😦

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    1. Je suis curieuse de lire d’autres avis, histoire de comprendre ce que j’ai raté. J’ai découvert « Ici » grâce à une LC avec kbd… donc les avis des copains ne devraient plus tarder. Pour le moment, il n’y a que Bidib et moi qui avons rendu notre copie 🙂
      Mais malgré tout, je n’ai pas réellement envie d’inciter à la lecture, cet album reste une jolie déception par rapport aux attentes que j’en avais.

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