« 1975. Peter Bunjevac, serbe nationaliste exilé au Canada, vit à Toronto avec sa femme et leurs trois enfants. Il appartient à une organisation anticommuniste qui milite pour l’indépendance de la Serbie. Sa femme, soupçonnant la nature de ses activités militantes et craignant pour la sécurité des enfants, décide de retourner en Yougoslavie. Elle persuade Peter de la laisser partir avec les enfants pour de prétendues vacances chez ses parents. Peter accepte mais, méfiant quant aux intentions réelles de sa compagne, exige que leur fils aîné, Petey, alors âgé de 7 ans, reste avec lui au Canada. Terrible « choix de Sophie » auquel se trouve alors confrontée la mère : abandonner l’un de ses enfants pour mettre les deux autres en sécurité, ou bien risquer la vie des trois. Elle décide de partir avec ses filles. Ce qui devait être un voyage de quinze jours deviendra un séjour de quinze ans, la famille demeurera séparée à jamais. » (synopsis éditeur)
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Dans cet album autobiographique, Nina Bunjevac revient sur son enfance. Pour elle qui, à l’âge de deux ans, a été amenée malgré elle à quitter son père, elle tente ici de reconstruire l’histoire de sa famille… sa propre histoire. Comprendre les tenants et les aboutissants qui ont motivés des choix importants et définitifs, toutes ces décisions qui ont influencé la dynamique familiale. Il y eu la décision de sa mère bien sûr, celle de partir du Canada pour se soustraire aux risques liés à l’activité militante de son époux. Mais il faut également remonter le temps et revenir sur ce choix pris par le père de Nina Bunjevac lorsqu’en 1959, il déserte l’armée et s’exile au Canada. Il s’intègre assez facilement, trouve un emploi mais ce n’est qu’à la fin des années 1960 – peu après la naissance de son premier enfant – qu’il rejoint un groupuscule anticommuniste et devient membre actif de cette organisation, mettant ainsi sa vie et celle de ses proches sur un fil. Comprendre ensuite le choix de ses grands-parents paternels lorsque dans les années 1940, ils décident de quitter les Etats-Unis pour revenir en Yougoslavie, pensant que le climat du vieux continent serait plus à même d’aider leur fils (Peter Bunjevac) à combattre la tuberculose.
Dans la généalogie de Nina Bunjevac il y a, à chaque génération, un départ. Un aller simple vers le nouveau continent dans l’espoir de trouver du travail et ainsi pouvoir faire vivre sa famille, un aller pour fuir une menace (dictature, guerre…). Un retour, quelques années plus tard, motivé par l’état de santé d’un proche, le mal du pays ou tout simplement l’âge de la retraite qui a sonné l’heure de rentrer auprès des siens.
Ce récit personnel ressemble à une catharsis. L’auteur semble s’être approprié, par le biais de son travail, sa propre histoire de vie et l’histoire de sa famille. Un livre pour asseoir son identité, s’approprier ses propres racines familiales, les ordonner pour mieux se les représenter. On voit durant la lecture de « Fatherland » comment l’auteure, fille d’immigrés, donne du sens aux actes de ses parents. Une quête d’identité que l’on sent nécessaire. Aujourd’hui, elle vit au Canada et reçoit les visites régulières sa mère (c’est presque les seuls éléments que nous apprendrons d’elle et de son quotidien). Entre incompréhension et indignation, elle donne du sens à son histoire et l’intègre à part entière dans l’histoire de l’ex-Yougoslavie. Son exaspération initiale a laissé place à de l’empathie ; ainsi, elle a appris à accepter l’obstination et le refus de sa mère de lui parler de son père.
Maintenant que je suis plus âgée, que j’ai traversé moi aussi des périodes difficiles, je comprends enfin à quel point cette mémoire sélective a été cruciale pour sa survie.
Une remise en cause impressionnante. Mais là où le travail de Nina Bunjevac impressionne davantage, c’est sur la partie graphique. Composé de petits traits et de petits points, le dessin donne l’impression que l’artiste s’est arrêtée des heures sur une illustration. Sans mollir et avec une attention qui relève presque de l’acharnement, ce style pointilliste a un rendu très réaliste, comme s’il s’agissait de photos. D’ailleurs, à plusieurs moments, Nina Bunjevac intègre des reproductions de photos de famille à son récit. Elle indique même l’importance de certaines, notamment lors de sa prime enfance lorsque son grand-père paternel les mitraillait en permanence sa sœur et elle.
L’année qui suivit passa sans qu’il y ait grand-chose à en dire, sans anecdotes qui méritent d’être racontées. S’il n’y avait pas eu mon grand-père et son appareil photo, rien n’aurait témoigné de cette période, qui serait tombée dans l’oubli. Le seul but de ces photos était de montrer à mon père que l’on s’occupait bien de nous, et que nous étions heureuses.
Le dessin maintient une part de tension durant tout l’album. Un mélange d’électricité et de distanciation par rapport aux faits… cela crée une ambiance unique qui porte cette mémoire familiale et invite le lecteur à s’immiscer dans les pages de cette biographie familiale. Michel Rabagliati disait au sujet de cet album : « Fatherland de Nina Bunjevac est ma dernière claque en BD. Elle dessine avec une régularité quasi-militaire. Je cherchais dans son album un dessin moins appliqué qui montrerait qu’elle se lassait. Mais il n’y en a aucun. Ils sont tous patiemment gravés. Elle raconte l’histoire de son père dans l’ancienne Yougoslavie. Elle le fait avec honnêteté. Ça a dû la déchirer de raconter cela » (source : Sceneario).
Chronique familiale retraçant à la fois le passé d’une famille et l’histoire d’un pays qui n’existe plus aujourd’hui : la Yougoslavie. Entre passé et présent, entre l’ancien et le nouveau continent, entre l’intime d’une famille et l’histoire d’un peuple, Nina Bunjevac ne prend pas parti, ne juge pas et ne glisse jamais dans le pathos. Très belle surprise.
Les chroniques : Sophie Gindensperger (sur le site de Libé), Lucie Servin (pour le site Cases d’Histoire).
Les autres participation pour la BD de la semaine sont chez Noukette !
Fatherland
One shot
Editeur : Ici Même
Dessinateur / Scénariste : Nina BUNJEVAC
Traduit de l’anglais par Ludivine Bouton-Kelly
Dépôt légal : novembre 2014
160 pages, 24 euros, ISBN : 978-2-922585-39-1
Bulles bulles bulles…
Voila un album que je lirai. Le scénario, les thématiques me parlent et je suis séduite par le graphisme et la façon dont il semble servir de manière originale le récit. Merci pour ce partage.
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Ce graphisme est impressionnant. Il en impose réellement.
On dirait que l’auteur fait une thérapie familiale. Elle fouille dans son passé, dans ses racines, elle met du lien là où il n’y en avait pas. Très beau travail en tout cas. J’espère que cette lecture te plaira 😉
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Pourquoi pas, tiens. Je ne connais pas du tout l’histoire de ce pays.
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Le scénario est très bien mené en tout cas. C’est didactique (forcément) mais on n’étouffe pas du tout dans ce registre. Le récit est d’une fluidité surprenante. C’est vraiment un album original et très prenant 😉
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Un graphisme un peu trop « conceptuel » pour moi, même si les qualités semblent être là.
Merci
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C’est justement toute l’attention que l’auteur a porté au graphisme qui aide à sentir l’ambiance propre à cet album. C’est vraiment beau. Quelle minutie !
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Purée ma copine quel billet ❤
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J’avais acheté l’album pendant le FIBD. Du coup, je doute de l’avoir sorti pendant le séjour pour que tu puisses le feuilleter (faut dire qu’avec la si jolie tapisserie du gîte, on était un peu gavés le soir ^^ :P)
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Une très belle surprise, je la note forcément !
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Un noir et blanc super bien travaillé. Ça vaut le coup d’œil monsieur 😉
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Oh là là, ça me tente terriblement, tant côté histoire que travail graphique. Je note donc avec grand intérêt !
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Un autre album de cet auteur a également été traduit en français (« Heartless ») et il me semble intéressant aussi (en revanche, j’ai cru comprendre qu’il s’agissait d’un recueil de nouvelles). J’essayerai de me le procurer tantôt ^^
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Sans ton enthousiasme je serai clairement passée à côté…!
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Il faut dire que l’homme que l’on voit sur le visuel de couverture est clairement antipathique !
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j’ai aimé cet album que j’ai trouvé très instructif, mais je me souvient d’une confusion un peu gênante dans les personnages (au niveau du dessin)
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A certains moments effectivement, j’ai été prise au dépourvu pour identifier certains personnages (plutôt des femmes). J’avais mis cela sur le compte de l’inattention 😛
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sur la Yougoslavie? pourquoi pas! Je me souviens d’avoir fait un exposé sur le sujet au collège (mais c’est tout ce dont je me souviens!!!)
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Alors tu vas pouvoir réviser un peu tes connaissances…
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Une histoire, des histoires même, bouleversantes, servies par un trait qui arrive tout à la fois à mettre à distance (le noir et blanc a facilement un côté « archives historiques ») et à faire plonger au coeur de l’intime.
Magistral !
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Il est vrai que l’ambiance graphique de cet album lui donne un côté vintage très appréciable. J’appréhendais un peu la lecture à vrai dire, notamment du fait de son apparence un peu austère (cet homme en couverture nous tient à bonne distance). Mais sitôt la lecture engagée, il est difficile de l’interrompre. Très envie de découvrir d’autres ouvrages de Nina Bunjevac en tout cas !
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Cette froideur était nécessaire au récit mais elle ne met jamais le lecteur à distance.
Je n’ai pas regardé les autres titres de sa biblio, mais si tu as des pistes intéressantes je suis preneur !
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Rien excepté « Heartless » dont je parlais à Véro sur un autre espace (FB). D’ailleurs, Véro se l’est procuré depuis. On va donc savoir rapidement de quoi il en retourne 🙂
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Voilà qui m’intrigue. Clairement.
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Et je suis bien contente !! J’espère que tu tenteras cette lecture 😉
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