L’Odeur des Garçons affamés (Phang & Peeters)

Phang – Peeters © Casterman – 2016
Phang – Peeters © Casterman – 2016

Début du XXème siècle. Un milliardaire finance une expédition dans le Texas. L’objectif est de ramener une carte détaillée des lieux et, dans la mesure du possible, de recenser les populations indiennes qui y vivent.

Trois hommes ont été recruté pour mener à bien cette mission d’une année. Oscar, un photographe irlandais en cavale, a pour mission de photographier lieux et habitants. A ses côtés, Mr Stingley, géologue acariâtre d’une cinquantaine d’années, mène le groupe à la baguette et impose ses lubies parfois perverses. Milton, un jeune garçon de ferme de 17 ans, gère toute l’intendance de l’expédition. Tous trois vont arpenter les plaines du Rio Grande au péril de leur vie.

Le petit groupe apprend rapidement à vivre en autonomie mais l’ambiance est à la suspicion. Stingley est un homme singulier qui n’a de cesse de questionner de façon intrusive. Oscar est sur ses gardes d’autant que d’étranges événements se produisent autour d’eux à commencer par l’apparition mystérieuse d’un vieux Comanche.

L’Odeur des garçons affamés – Phang – Peeters © Casterman – 2016
L’Odeur des garçons affamés – Phang – Peeters © Casterman – 2016

Les récits de Loo Hui Phang se situent toujours à la jonction entre le réel et l’irréel. A cet endroit précis où l’on sent que les choses échappent. On flotte, sachant qu’il est encore possible de reprendre pieds grâce à des éléments concrets mais l’incrédulité gagne progressivement du terrain. Et l’on s’abandonne à la lecture, incapable de lutter, fasciné par ce que l’on découvre. « Cent mille journées de prières », « Les enfants pâles », « L’Art du Chevalement »… sont quelques exemples d’ouvrages de sa bibliographie qui corroborent mon propos. La scénariste n’a de cesse de démontrer que la réalité est trompeuse, qu’il faut regarder au-delà des apparences car notre perception des choses est souvent erronées. Elle orchestre avec précision les interactions entre ses personnages, créant des personnalités fortes, des individus qui nous marquent, des rapports entre dominants et dominés, des intrigues où le fin mot de l’histoire est  attribué à celui que l’on attendait le moins à cet instant précis. Des petites victoires sur la vie qui n’assurent jamais que tel ou tel est définitivement à l’abri des aléas de parcours. Elle a ce talent pour façonner des souffrances, des émotions. Elle a ce courage pour regarder les échecs et ne jamais prétendre que les choses sont définitivement acquises. La poisse ne sera jamais permanente, la chance finira toujours par tourner.

Elle réalise ici une fiction qui s’appuie sur des faits historiques, au moment où l’homme blanc s’est de nouveau laissé aveuglé par son esprit de conquête. Elle installe son intrigue dans les plaines du Texas à l’époque de la ruée vers l’or. Les colons européens se sont aventurés dans les plaines arides jusque-là considérées comme la propriété des Indiens d’Amérique, étourdis par ces grands espaces, par la magnificence des lieux et appâtés par  les perspectives d’accéder à de nouvelles richesses. Un préalable au génocide des peuples indiens…

Village n°1.
245 chevaux.
36 mâles adultes.
14 mâles enfants.
50 sujets exploitables.
40 femelles adultes.
15 femelles enfants.
Mh… soit 55 sujets à éradiquer

D’autres sujets viennent enrichir l’intrigue principale ; il est notamment question d’identité sexuelle, de choc de cultures, de rapport au monde, de peurs intimes…

Frederik Peeters n’a pas son pareil pour décrire ce genre d’univers. Je n’avais pas encore eu l’occasion de voir à l’œuvre cet auteur suisse sur ce genre de trame narrative (historique) mais le thriller fantastique lui va comme un gant (voir « Aâma », « Château de sable » ou encore « Pachyderme »). L’ambiance graphique et l’atmosphère de l’album sont rapidement en place. Le climat aride, la méfiance des protagonistes les uns vis-à-vis des autres sont des éléments sur lesquels l’auteur s’appuient. A cela s’ajoutent d’autres événements qui viennent tordre et complexifier les choses : la présence des indiens, le fait qu’un homme mystérieux et peu avenant rôde dans les environs, la survenue de faits surprenants d’origine surnaturelle.

PictoOKLes auteurs travaillent leur intrigue au corps et créent un univers fascinant. Ce qui se joue dans cet album met le lecteur mal à l’aise. Loin de nous donner envie de fuir, les différents rebondissements de cette histoire nous ancrent davantage dans la lecture. L’intérêt grandissant que nous portons aux différents protagonistes est réel et va de paire avec les sentiments d’empathie ou de dégoût que nous allons ressentir à leur égard. Superbe album.

La chronique de Noukette, celle d’Yvan.

L’Odeur des Garçons affamés

One Shot

Editeur : Casterman

Dessinateur : Frederik PEETERS

Scénariste : Loo-hui PHANG

Dépôt légal : mars 2016

110 pages, 18,95 euros, ISBN : 978-2-203-09717-9

Bulles bulles bulles…

Ce diaporama nécessite JavaScript.

L’Odeur des garçons affamés – Phang – Peeters © Casterman – 2016

Auteur : Mo'

Chroniques BD sur https://chezmo.wordpress.com/

10 réflexions sur « L’Odeur des Garçons affamés (Phang & Peeters) »

  1. OMG! Et dire que j’avais eu vent de la sortie de cet album et que j’avais ou-bli-é!! Vite, courir à la librairie réparer cette erreur impardonnable! (je lis même pas l’article pour le coup! :p)

    J’aime

    1. La question n’est donc pas de savoir si j’aurais l’occasion de te lire sur ce titre, elle est juste de savoir dans combien de temps je pourrai le faire 😀

      J’aime

  2. J’avoue avoir un peu été désarçonné (logique, vu le thème ! :p) par l’écart entre l’intention des auteurs (interviews lues et vues) et certaines scènes de l’album qui me semblaient aller à contre-courant.
    Une chronique dans ma Tanière très bientôt !

    J’aime

    1. Je lis de moins en moins d’interview d’auteurs du coup, excepté le pitch qui explique rapidement l’intrigue et les protagoniste, je ne savais rien des intentions des auteurs. J’espère que tu mettrais dans ta chronique le lien vers l’interview-qui-va-bien 😉

      J’aime

Laisser un commentaire

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur la façon dont les données de vos commentaires sont traitées.