S’enfuir, récit d’un otage (Delisle)

Delisle © Dargaud – 2016
Delisle © Dargaud – 2016

« En 1997, alors qu’il est responsable d’une ONG médicale dans le Caucase, Christophe André a vu sa vie basculer du jour au lendemain après avoir été enlevé en pleine nuit et emmené vers une destination inconnue. Guy Delisle l’a rencontré des années plus tard et a recueilli le récit de sa captivité – un enfer qui a duré 111 jours. Que peut-il se passer dans la tête d’un otage lorsque tout espoir de libération semble évanoui ? » (synopsis éditeur).

Trois lignes, deux cases. Invariablement sur chaque page. Quatre cent vingt pages. Quelques rares variantes sur une bichromie de bleu, un foncé et un clair, comme si on avait pénétré dans une nuit interminable et morne… la même que celle du narrateur. Pendant presque quatre mois, Christophe André n’a pas eu d’autres alternatives que celle de se fier à la lumière extérieure pour évaluer l’heure de la journée et celle de dormir pour tenter de faire passer plus vite ses longues journées de captivité. Le reste du temps, Guy Delisle s’efforce de mettre en avant l’intérêt de canaliser ses pensées sur d’autres sujets que la peur ou le manque lié à l’absence des proches. Garder en tête qu’il ne faut pas sombrer dans la dépression ou pire, la mélancolie. Le récit est assez linéaire et comprend [logiquement] assez peu de dialogues. Il y a peu de choses à quoi se raccrocher dans cette répétition interminable de journées aussi identiques les unes que les autres.

Un peu de bouillon renversé et une cigarette… les deux événements marquants de ma journée

Les journées sont rythmées par trois temps identiques : les deux hommes qui le gardent entre matin, midi et soir pour lui donner à manger, l’emmener aux toilettes voire, ponctuellement, lui permettre de prendre une douche, lui offrir une cigarette ou un verre d’alcool, de pouvoir manger autre que chose que l’éternel bouillon de légumes agrémenté de pain et d’un bol de thé. Il parvient à garder conscience du jour que l’on est malgré certains doutes, comme celui d’avoir sauté un jour. Malheureusement, on ne peut pas s’empêcher de ressentir un peu de lassitude à certains moments de la lecture. On tourne en rond et l’on a bien conscience que Guy Delisle souhaitait – en quelque sort – amener son lecteur à ressentir cette impression, comme s’il était en phase avec le personnage. Et puis, par moments, les battements s’accélèrent : un cliquetis de serrure à une heure inhabituelle de la journée, un transfert dans un nouveau lieu de confinement, un nouveau gardien… quels sont les changements qui se profilent ?

S’enfuir, récit d’un otage – Delisle © Dargaud – 2016
S’enfuir, récit d’un otage – Delisle © Dargaud – 2016

Mais au final, le scénario a peu de choses à se mettre sous la dent et l’on se demande par quel miracle il parvient à prendre quatre cent vingt pages !!? Beaucoup d’impuissance dans ces pages, quelques stratégies échafaudées pour s’échapper mais finalement, elles sont mortes dans l’œuf, étouffées par la raison. Les souvenirs d’instants passés avec les proches sont eux aussi vite évacués. La colère par moment qui gronde et gonfle comme un soufflé… et retombe, quelques instants plus tard… comme un soufflé. L’humiliation d’être traité comme un chien, attaché à un radiateur dans une pièce vide où il n’y a rien à regarder, pas même à la fenêtre puisque celle-ci est obstruée. Et, de jour en jour, le sommeil qui devient un refuge de plus en plus nécessaire pour échapper à cette angoissante réalité. Le seul palliatif pour penser à autre chose en restant éveillé fut de se réciter les grandes batailles napoléoniennes, seul vestige d’une passion d’amateur d’histoire que cultivait le narrateur.

Il faut être culotté pour raconter 111 jours de captivité où rien ne se passe…. culotté ou s’appeler Delisle. Intéressant, mais un peu long.

Lire un extrait sur le site du Monde.

Extraits :

« Crevé, j’ai essayé de dormir. J’imaginais en avoir pour 24 heures. Le temps qu’une cellule de crise se mette en place et que les contacts s’établissent avec les réseaux qu’on avait dans le pays… Au pire, deux ou trois jours » (S’enfuir, récit d’un otage).

« Une semaine… ça fait une semaine que je suis enfermé ici. Il faut qu’ils se dépêchent de me sortir de là parce que je ne pense pas pouvoir être capable de tenir une autre semaine comme ça. Je vais devenir fou » (S’enfuir, récit d’un otage).

« Ne pas perdre le décompte des jours. Le temps, c’est la seule chose dont je sois certain. Je ne sais pas où je suis… Je ne sais pas pourquoi je suis ici… Je n’ai aucune idée de ce qui se passe à l’extérieur… Ça ne m’avance à rien d’y penser. 10 juillet, jeudi, le 10 juillet. Tout ce que j’ai comme repères, c’est le jour et la date. 10 juillet » (S’enfuir, récit d’un otage).

« Etre otage, c’est pire qu’être en prison. Au moins, en prison, tu sais pourquoi tu es enfermé. Il y a une raison, qu’elle soit fausse ou vraie, mais au moins il y a une raison. Alors qu’otage, c’est juste de la malchance. Au mauvais endroit, au mauvais moment. En prison, tu connais le jour où tu vas sortir, la date précise… De là, tu peux compter combien il t’en reste à tirer. Alors qu’ici, je peux juste compter les jours qui sont passés sans savoir quand ça va s’arrêter » (S’enfuir, récit d’un otage).

S’enfuir, récit d’un otage

One shot

Editeur : Dargaud

Dessinateur / Scénariste : Guy DELISLE

Dépôt légal : septembre 2016

420 pages, 27,50 euros, ISBN : 978-2-205-07547-2

Bulles bulles bulles…

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S’enfuir, récit d’un otage – Delisle © Dargaud – 2016

Auteur : Mo'

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10 réflexions sur « S’enfuir, récit d’un otage (Delisle) »

    1. J’imagine bien. Cela dit, et c’est étonnant, on ne tourne pas en rond. Le personnage réfléchit, examine la situation, agit à sa manière et en cela, c’est intéressant. Par contre, Delisle a eu la main un peu lourde côté dessin et présentation : toujours la même présentation de pages (3 lignes – 2 cases, 3 lignes – 2 cases) et ces couleurs… c’est de là que vient la lassitude en grande partie. Mais ça se lit assez vite, pas mal de passages muets

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  1. Je suis assez d’accord sur cette impression de lenteur mais n’est-ce pas justement pour montrer à quel point on est désarmé quand cela arrive, sans rien à faire, juste penser, rien n’avance si ce n’est la peur de l’otage qui s’élargie ? Mais bon, j’avoue que je ne pensais pas lire ça aussi vite et voir autant de cas quasi similaire.

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    1. Oui c’est tout à fait ça. Delisle a retranscrit la monotonie de ce quotidien via un petit gaufrier et la couleur.
      Et c’est vrai que ça se lit vite. Et fait étrange, je pense que je me rappellerai très bien de cet album alors que je n’ai pas ressenti de plaisir particulier à le lire

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