La petite fille et la cigarette (Sylvain-Moizie)

Sylvain-Moizie © La Boîte à bulles – 2016
Sylvain-Moizie © La Boîte à bulles – 2016

Une société où l’enfant est roi et où il est interdit à l’adulte de faire quoi que ce soit qui puisse nuire à ces charmantes têtes blondes, aucun comportement ne doit leur être nocif ni leur porter préjudice.

Benoît vit dans cette société. Agent administratif, il assiste le Maire dans la politique qui est conduite. Hyper vigilant au fait de ne faire aucune entorse aux règles, Benoît de lâche littéralement en rentrant chez lui. Il baise à s’en faire péter le cœur, fume à tout va et boit. Il nage dans le bonheur avec Latifa, sa compagne depuis 10 ans. Aucun nuage à l’horizon si ce n’est que vu son âge, Latifa commence à avoir un désir d’enfant… Benoît n’aime pas les enfants. Même pas ceux des autres. Et ce ne sont pas ses conditions de travail qui vont l’aider à changer d’avis. Suite à un plan de licenciement, la moitié des effectifs municipaux ont fait le saut. Les bureaux inutilisés ont été reconvertis en garderie et désormais, des mioches circulent en toute liberté et sans aucune surveillance dans les couloirs de la mairie. Et puisque dans cette société l’enfant est roi, l’adulte ne s’autorise pas à faire quoi que ce soit qui puisse contrarier ces charmantes têtes blondes… Benoît n’a plus qu’à prendre sur lui !

Et comme Benoît est hyper stressé, pour décompresser pendant la journée, il va fumer en cachette dans les toilettes de la mairie. C’est un gros risque qu’il prend ; la législation est explicite et les espaces que les fumeurs peuvent utiliser se réduisent comme peau de chagrin. Pour Benoît, fumer est un plaisir réel, un exutoire presque. C’est sa résistance à lui, il n’y renoncerait pour rien au monde.

Jusqu’au jour où, à cause d’un verrou mal enclenché, une petite fille ouvre la porte et le surprend, cigarette au bec et froc baissé. Il est accusé de « crime contre l’enfance », une sale affaire dont il va tenter de s’extraire.

Adaptation du roman de Benoît Duteurtre qui décrit une société assez peu engageante… La France est devenue un état sécuritaire qui fait totalement fi du respect des libertés individuelles (sauf en ce qui concerne les droits de l’enfant), de la protection de l’environnement, de la morale… Du moment que le citoyen consomme et a le sentiment – si l’on en croit les sondages – que la société dans laquelle il vit le rend heureux, les politiques osent… tout ! Le scénario décrit les nombreuses autres facettes de cette société qui s’efforce de gommer les notions de libre-arbitre, d’épanouissement personnel, d’intégrité… On n’a aucun mal à imaginer que ces dérives-là ne se produisent pas un jour… un état où la devise nationale est désormais « Liberté – Transparence – Sécurité » avec un locataire de l’Elysée qui ressemble étrangement à Sarkozy, l’Elysée et son site… elysee-moi.org…

Et en toute logique, les médias font la pluie et le beau temps, diffusent quantité d’émissions aussi futiles qu’idiotes. Une pourtant semble attirer l’attention. Originale. Inédite. Aussi troublante que fascinante… Du jamais vu ! La « Martyre Academy » est une émission de télé-réalité réalisée par des djihadistes qui ont pris en otages une demi-douzaine de pauvres occidentaux et diffusent les le déroulement des épreuves qu’ils leur font subir et demandent aux téléspectateurs de voter. Le perdant du mois aura la tête tranchée.

Un monde fou, irrationnel. On pourrait sortir quantité d’anecdotes de ce scénario pour enfoncer le clou et montrer à quel point on frôle l’hystérie. Mais le citoyen lambda ne bronche pas, gavé d’inepties télévisée et équipé de gadgets dernier cri. Il consomme donc il est heureux. Il est heureux donc il tolère tout et ne manifeste pas. CQFD. Pourtant, des grains de sable il y en a de ci de là. Grinçants. Qui pique. Qui gratte de lecteur de partout mais qui n’agacent pas. Peu d’effort à faire pour croire tout cela crédible… l’homme est capable de tout. Du pire et… du pire… Dérive d’une société. Critique sociale sur fond de roulette de dentiste avec quelques parenthèses rythmées par Bob Marley.

Le dessin satirique de Sylvain-Moizie donne le ton d’entrée de jeu et nous permet de suivre deux intrigues qui vont ponctuellement se croiser. Sylvain-Moizie est plutôt un baroudeur. De ses voyages, il est revenu avec des illustrations qui ont enrichi des collectifs : « Sept mois au Cambodge » (sorti chez Glénat en collaboration avec Lucie Albon, Chan Keu, Lisa Mandel) ou encore « [Carnet de résidences] en Indonésie » (publié à La Boîte à bulles avec Joël Alessandra, Clément Baloup et Simon Hureau). Son trait est plutôt nerveux. D’un coup de crayon, il donne vie à des personnages expressifs et des décors qui fourmillent de détails. On a l’impression qu’un coup de vent passe et, sans bien comprendre comment l’auteur parvient à cette prouesse, que ce laps de temps lui a permis de dessiner une case complète. Du coup, j’ai eu l’impression d’être prise dans cette vitesse alors que les phylactères demandent un peu d’attention pour bien les savourer.

PictoOKJ’ai eu un peu de mal avec le graphisme pour dire vrai et ses couleurs (surtout) qui m’ont fait grogner. Graphiquement, ça m’a piqué, ça m’a gratté à rebrousse-poil mais vu que le scénario me piquait et me grattait (dans le bon sens du poil par contre), j’ai enfilé la lecture sans broncher.

La petite Fille et la cigarette

One Shot
Editeur : La Boîte à bulles
Collection : Contre-Pied
D’après le roman de Benoît DUTEURTRE
Dessinateur / Scénariste : Sylvain-Moizie
Dépôt légal : septembre 2016
224 pages, 24 euros, ISBN : 978-2-84953-265-2

Bulles bulles bulles…

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La petite fille et la cigarette – Sylvain-Moizie © La Boîte à bulles – 2016

 

Auteur : Mo'

Chroniques BD sur https://chezmo.wordpress.com/

8 réflexions sur « La petite fille et la cigarette (Sylvain-Moizie) »

  1. Tu confirmes ma première impression quand je l’ai feuilleté à Angoulême… L’histoire me botte vraiment (le monsieur est charmant…) mais le dessin non vraiment je n’aime pas du tout…

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    1. Je voudrais tenter un de ses carnets de voyage pour voir si le dessin me gratte autant. Mais c’est surprenant oui, un peu agressif tout de même… bien que ça colle bien à l’histoire !

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  2. Aime bien les dessins moa, et la thématique aussi ! Pas lu encore, mais y a plus qu’à !
    Par contre le poilu, lui, l’a lu, et a aimé
    Bisous copine ❤

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    1. Oui, tu me diras tout de même comment tu parviens à faire abstraction de ces tronches grimaçantes. Perso, j’ai bien du mal. Et puis ces couleurs (mais je l’ai déjà dit) je trouve qu’elles sont bien fades en fait.

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  3. Un poilu qui a clairement fait l’unanimité à Angoulême, remportant le titre si convoité de Monsieur Grrraaaou.
    (bon en ce qui me concerne il a « partagé » la première marche du podium avec un autre ^^)
    Comme Nouk, je ne suis pas fan du dessin mais parce que c’est lui je pourrais faire un effort.

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    1. A vrai dire, je n’étais pas partie pour lire cet album. Au moment de sa sortie, j’ai bien regardé les planches qui étaient en ligne puis je l’ai feuilleté plusieurs fois en librairie. Et ça ne me parlait pas. Puis Angoulême et l’occasion de rencontrer avec Sylvain. L’entendre parler de son travail m’a convaincue que je m’étais peut-être trompée. En fait c’est lui qui m’a aidé à me décider. Je ne le regrette pas du tout mais tout de même, ce dessin me fait vraiment sortir de ma zone de confort

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  4. Le monsieur est charmant, je confirme. Mais c’est un argument qui ne devrait pas être pris en compte dans votre jugement de valeur purement littéraire mesdames^^
    (quoique, vous jugez peut-être cette publication dans toute son esthétique, de l’auteur au produit fini :p )

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    1. Tsss tsss tsss 😀 Je n’ai absolument pas parlé de charme dans ma chronique 😛
      Par contre, je pense que ce scénario pourrait te plaire. Pour le dessin, je ne sais pas (tu n’en parles pas, ton commentaire est hors-sujet 😛 )

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