Les Jours sucrés (Clément & Montel)

Clément – Montel © Dargaud – 2016

Ce n’est pas évident d’avoir une relation affective avec son collègue. Encore moins quand ce collègue… est son patron. C’est pourtant là qu’Eglantine en est, hésitant à prendre cette relation au sérieux ou à s’en détacher. Elle sature de cette ambiguïté mais n’ose pas se l’avouer. Elle cherche aussi à dompter ce fichu stress que lui impose son boulot, les dead-line serrées et les desiderata stupides des clients. Elle ne s’épanouit pas au travail mais là aussi, elle ne se l’avoue pas. Et comme si ce n’était pas assez compliqué, Eglantine apprend que son père – avec qui elle n’a plus de contact depuis 20 ans – est décédé. Seule héritière, elle va devoir aller en Bretagne pour rencontrer le notaire et organiser la succession.

Son avenir immédiat, ce sont donc ces quelques jours désagréables, remplis de formalités dont la vente de la boulangerie, encombrant fonds de commerce de son père dont elle a hérité. Direction Klervi ! Les souvenirs remontent à sa mémoire pendant le trajet. A mesure que le train dévore les kilomètres et la rapproche de son village natal, la colère monte en elle. Arrivée à destination, elle est remontée comme un coucou et bien décidée à faire les démarches au plus vite. Mais c’est sans compter que la vie réserve parfois des surprises. Dans ce village où elle a passé la majeure partie de son enfance, Eglantine est gagnée par un sentiment de bien-être qu’elle n’avait pas ressenti depuis longtemps. La présence de Gaël (un ami d’enfance) et de Marronde (la tante d’Eglantine) n’est pas étrangère à cela.

« Imaginez un coffre-fort verrouillé. Consciemment ou non, Gaël parvenait peu à peu à en retrouver la combinaison… mais avais-je seulement envie de savoir ce qu’il contenait ? »

Ça fait longtemps maintenant que j’ai cet album. Et je ne l’avais jamais lu car c’est tout à fait le genre de petite madeleine [de Proust] que l’on se met de côté en se disant qu’il viendra un jour réchauffer la grisaille d’une période délicate à passer. Le confinement lié au Covid brassant pas mal de grisaille… j’ai sorti « Les Jours sucrés » de ma PAL. J’avais besoin de douceur.

Puis… j’étais conquise d’avance car par le passé, à chaque fois que j’ai lu un album réalisé par le duo d’auteurs formés par Loïc Clément et Anne Montel, cela a été des instants forts et émouvants. Que ce soit « Chaussette » ou « Chroniques de l’île perdue » , c’était pour moi l’occasion de vivre un superbe voyage imaginaire aux côtés de personnages haut en couleurs et capables de porter sur leurs épaules pourtant frêles un récit époustouflant, éprouvant. Tout part généralement d’une séparation douloureuse avec un être cher. Ce deuil difficile à faire, cette promiscuité avec la mort que l’on aurait préféré ne pas avoir à vivre… voilà le point de départ de ces histoires qui, à coup sûr, vont nous émouvoir. Anne Montel et Loïc Clément accompagnent délicatement le lecteur dans cette expérience-là. Ils nous montrent qu’il est possible d’apprivoiser la mort, de la regarder en face et de l’accepter afin que cette fissure au cœur se colmate. Ils racontent avec justesse le processus de deuil en utilisant non pas le pathos mais la poésie ; ils y ajoutent un précieux soupçon de folie douce.

Loïc Clément construit une fois encore un récit bourré d’humanité. Il lui en faut peu pour installer un univers que l’on va avoir envie de dévorer avec gourmandise : de la bonne humeur, des humeurs chiffon, de la complicité, de la fraicheur, des petits moments de bonheur, un peu de mauvaise foi et de malice. Le tour est presque joué. Il y ajoute une lecture plus sociale de l’actualité ; ici, il sera question des problématiques liées à l’exode rural. Son scénario est simple sans être simpliste et, comme à l’accoutumée, bourré d’humour.

Au dessin, Anne Montel installe le décor d’un petit village breton charmant. Elle illustre chaque détail décoratif et chaque personnage avec beaucoup de tendresse. La fraicheur graphique fait un bien fou et nous convie dès la première page à prendre place. L’accueil est chaleureux, bienveillante. Outre le fait qu’elle nous invite à observer cette petite parenthèse enchantée. Elle nous permet aussi de vivre et ressentir pleinement les émotions des différents protagonistes. A chaque nouvelle planche, l’autrice réinvente les codes de l’art séquentiel. Elle ose, s’amuse avec ses pinceaux autant qu’avec les personnages, fait pétiller le tout avec des couleurs qui – à elles seules – sont gorgées de rires et de bonnes ondes. Elle place de-ci de-là sur ses planches à dessin ses personnages, les fait bouger avec une fluidité étonnante. On entend presque le son de leurs voix et l’éclat de leurs rires.

Le récit est agrémenté de quelques recettes de pâtisserie qui nous mettent l’eau à la bouche ainsi que de références artistiques qui donnent faim de se replonger dans les œuvres de Gustave Doré. Enfin, l’album nous donne aussi l’envie d’aller fureter dans nos greniers dans l’espoir d’y trouver de petits trésors : vieilles photos, journaux intimes, objets d’un autre siècle… d’un autre temps.

Pépite que cet album sucré-salé malicieux et absolument succulent. Je recommande vivement.

Les Jours sucrés (récit complet)

Editeur : Dargaud

Dessinateur : Anne MONTEL / Scénariste : Loïc CLEMENT

Dépôt légal : février 2016 / 145 pages / 19,99 euros

ISBN : 978-2205-07384-3

Auteur : Mo'

Chroniques BD sur https://chezmo.wordpress.com/

12 réflexions sur « Les Jours sucrés (Clément & Montel) »

    1. Tu sais, j’ai pris tellement de plaisir avec cet album (et je sais que j’en aurais pris tout autant si je ne l’avais pas lu en période de confinement), que j’ai craqué hier. J’ai acheté un album que j’avais prévu d’acheter mais beaucoup plus tard (parce que c’est le premier tome d’une série et que je voulais pouvoir la lire d’une traite ^^). J’ai donc pris « Miss Charity » parce que Loïc Clément et Anne Montel, parce que les premières chroniques que j’ai lues m’ont mises l’eau à la bouche… Alors ce n’est pas impossible qu’il fasse bientôt son apparition ici cet album. Tu l’as lu ?

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