Les belles Personnes (Cruchaudet)

J’ai l’impression – peut-être à tort – que le trait de Chloé Cruchaudet se dépouille et va petit à petit à l’essentiel. Sans être décousu, sans être minimaliste, il gagne en finesse, en minutie… il parvient mieux à toucher nos émotions. De la dentelle s’installe dans son dessin. Au fil des années, l’évolution de son trait est remarquable. Je me rappelle des planches d’ « Ida » qui étaient pleines, parfois capiteuses au point de ne laisser presque aucun espace blanc si ce n’est les interstices entre chaque case. Puis il y eu « Mauvais genre » en 2013 qui fut une grosse claque pour moi et une petite révolution en soi dans son univers artistique. Pour illustrer cette romance passionnée entre un soldat et son amante, Chloé Cruchaudet avait fait voler les contours de cases… elle avait laissé respirer ses illustrations, trouvant par là-même de la légèreté, jouant sur les non-dits et sollicitant nos sens. En 2018, l’autrice nous embarquait dans sa « Croisade des Innocents », un récit d’aventure moyenâgeux où nous partagions l’épopée d’une floppée d’orphelins livrés à eux-mêmes. Un récit d’apprentissage où l’ambiance graphique se dépouillait encore, le trait se faisait plus fin, plus délicat, plus profond…

Cruchaudet © Guy Delcourt Productions – 2020

Et voilà 2020 qui voit débarquer ces « Belles personnes » ! « Faire des portraits d’anonymes » est une idée qui avait été impulsée par le Festival Lyon BD … Chloé Cruchaudet l’a remaniée pour la rendre interactive. Un appel à contributions lui permet de recueillir des témoignages… l’autrice en retient treize pour composer cet album.

Le principe est donc simple. Des inconnus rendent hommage à d’autres inconnus. Un frère, une voisine, une infirmière qui travaille dans un service de néonat, une prof de philo, une amante, leur enfant… Des textes mis en forme et illustrés par l’autrice. Un recueil de treize témoignages auxquels Chloé Cruchaudet a ajouté sa propre contribution, « parce qu’au final, c’est pour cette raison que j’ai accepté de faire ce livre » explique-t-elle avant de se plier elle aussi à l’exercice. Quatorze personnes qui rendent hommage à quatorze inconnus.

« Petite et trapue, quelques quatre-vingt kilos et plus, la peau ridée, tannée au maximum par le soleil, Denise est ma voisine. Tout est sourire dans son visage de soixante-douze ans. Ses petits yeux se perdent dans ses rides lorsqu’elle sourit, et ses belles dents blanches bien plantées prennent toute la place qui reste. »

Des témoignages spontanés, posés sur papier et qui s’arrêtent le temps de quelques lignes – une page tout au plus – sur des individus [un proche ou une simple connaissance] qui ont ce don pour nous faire voir les choses autrement, pour nous aider à relativiser, décaler contrariétés et tristesse, rendre le beau pétillant, énergisant… Cette capacité à changer la vie de leur entourage, la rendre plus légère et à diffuser des ondes positives qui rendent le quotidien moins pataud.

« Si un jour elle venait à disparaître, elle laisserait mille orphelins, mais aussi mille souvenirs. »

Des mots frais, souvent émus. Des mots bruts, souvent nostalgiques. Des mots vibrants remplis de métaphores ingénieuses. Des mots beaux pour ces lettres écrites avec le cœur. Des mots pour former ces parenthèses dans la vie de ces individus qui témoignent. Et c’est bon de se frotter à ces vibration. Un album patchwork constitué d’initiatives spontanées, de gestes d’amour gratuits qui n’attendent rien en retour. Mises à nu d’hommes et de femmes qui ont su profiter pleinement d’un instant éphémère ou de la présence plus durable d’un être dans leur vie. Qu’il soit fortuit ou permanent, Chloé Cruchaudet attrape le fil qui relie une personne à une autre.

« Qu’est-ce qu’on garde des belles personnes qu’on a connues ? Des impressions, des fragments, des souvenirs des autres qui deviennent les nôtres. Un petit bagage précieux qu’on transporte. »

Un album en trois temps.

Au premier temps de l’album, l’autrice nous parle de sa démarche.

Au second temps de l’album, les lettres prennent vie sous ses crayons. Le coup de crayon et/ou de pinceau change au besoin des personnalités racontées. Les coloris s’adaptent aux traits de caractères. Tout ici veille à attraper l’empathie et les émotions qui étaient contenus dans les témoignages reçus pour les retranscrire le plus justement possible.

Un troisième temps enfin. Une partie qui contient les textes originaux des contributeurs. Chaque récit est posé. Une page suffit. La page en regard contient quant à elle le portrait de la « belle personne » décrite.

Beau. Simple. Une lecture qui suspend un peu le temps.

Les belles personnes (récit complet)

Editeur : Soleil / Collection : Noctambule

Dessinateur & Scénariste : Chloé CRUCHAUDET

Dépôt légal : octobre 2020 / 144 pages / 17,95 euros

ISBN : 9782302081765

Auteur : Mo'

Chroniques BD sur https://chezmo.wordpress.com/

11 réflexions sur « Les belles Personnes (Cruchaudet) »

    1. Oui. Un ouvrage qui fait du bien, ce n’est pas si souvent. Il fait tellement de bien que je l’ai offert à ma « belle personne » ce Noël 😀

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