Cent mille journées de prières, livre second (Phang & Sterckeman)

Cent mille journées de prières, livre second
Phang – Sterckeman © Futuropolis – 2012

Louis vit en France avec sa mère. Depuis quelques temps, l’enfant pense à son père qu’il n’a jamais connu.  Qui est-il ? Comment est-il ? Pourquoi n’est-il pas venu en France en même temps que sa mère ? Autant de questions auxquelles Louis souhaite trouver des réponses.

Dans la première partie du diptyque, nous avions découvert les prémices de la relation que l’enfant va construire avec son canari. Peu à peu, l’animal va prendre la place de confident, sa mort soudaine ne va faire qu’accroître l’importance qu’a pris le volatile dans la vie de l’enfant. Contre toutes attentes, Louis va conserver précieusement et secrètement ce petit cadavre dans sa chambre. Durant son sommeil, l’enfant et l’oiseau se retrouvent. Ces rencontres oniriques sont l’occasion, pour Louis, de lever le voile sur le tabou familial, sa mère refusant de lui parler de son père. C’est donc grâce aux échanges qu’il a durant ses rêves que Louis apprend l’histoire de son pays et découvre qui était son père.

La seconde partie de Cent mille journées de prières, la tonalité du récit et la teneur des propos qu’il contient donnent une orientation nouvelle (et attendue) au scénario. Un tome très différent de son prédécesseur : l’ambiance, l’importance que prend le personnage de l’oiseau, la nature des réponses qu’il apporte au narrateur… il était tellement nécessaire que l’histoire s’oriente ainsi ! Cependant, même si le choix des auteurs me semble cohérent, j’étais loin d’imaginer qu’ils allaient s’aventurer sur ce chemin périlleux. Il y a une réelle continuité entre réalité et monde imaginaire, une réelle pertinence à ne pas utiliser le personnage de la mère pour transmettre ce témoignage et l’histoire familiale qu’il contient. L’oiseau fait office de tiers neutre et bienveillant. Les auteurs ont eu à cœur de rendre hommage aux Cambodgiens victimes du régime de Pol Pot. Mais avec la présence de cet enfant, le narrateur, il fallait trouver un moyen de transmettre le juste niveau de savoirs sans le heurter, trouver le vocabulaire adéquat pour que l’échange soit à sa porté ; il fallait également transmettre suffisamment de clés de compréhension pour que l’enfant (et donc le lecteur) puisse accueillir ce témoignage sereinement ; dure tâche d’informer sans enfermer son interlocuteur dans un positionnement voulu. A regarder les auteurs faire, à les lire… j’ai eu l’impression que les mots sont venus naturellement.

Ce diptyque provient, en partie, d’une expérience personnelle et des questionnements qui y sont inhérents. Certains d’entre eux sont inscrits dans le premier tome du diptyque, le second tome est celui des réponses que l’on peut y apporter. Ainsi, ce nouvel ouvrage relate l’épisode douloureux que fut le régime khmers rouges au Cambodge : de leur arrivée au pouvoir à la terreur qu’ils ont instaurée, des conditions de détention à – pour les plus chanceux – l’exode vers un pays d’accueil. Loo Hui Phang ne fait pas l’impasse sur la souffrance des Cambodgiens contraints à vivre dans la terreur, sur les conditions de vie dans les camps, sur le devenir de la diaspora cambodgienne… Un peuple qui ne parvient pas à panser ses plaies et préfère oublier ; depuis peu, le génocide cambodgien a été réintégré dans les programmes scolaires mais une grande majorité de jeunes cambodgiens ignorent totalement cet épisode de leur Histoire. La page ne se tourne pas (même si les procès des criminels de guerre se poursuivent, à l’instar du procès en appel de Douch). Tous ces sujets sont ici traités avec tact et pudeur.

On retrouve les qualités du premier tome, à commencer par la belle plume de Loo Hui Phang. L’auteure ne s’est pas dérobée devant la difficulté de la tâche, celle de dénoncer le génocide cambodgien sans recourir ni au jugement de valeur ni à la polémique. Le récit est intimiste et aborde le sujet sans détours et sans pathos. Pour cela, le scénario s’appuie en grande partie sur le monde onirique né des illustrations de Michaël Sterckeman. Il y a une belle alchimie entre le dessin et l’écriture, les deux modes d’expression se soutiennent l’un et l’autre, ils se répondent et permettent ainsi l’utilisation de métaphore pour soulager le discours (comme celle du Cambodge imaginaire de Louis représenté par un désert de cendres). Le trait est maîtrisé. Son côté torturé colle parfaitement aux propos. Le gris cendré des illustrations permet au lecteur de ressentir toute la mélancolie du narrateur ainsi que les souffrances endurées par les victimes et leurs familles ; il offre également la neutralité nécessaire aux propos de l’oiseau. Enfin, la palette de gris qui est employée m’a permis de gérer sereinement les émotions suscitées lors de la lecture ; j’ai apprécié le fait de ne pas avoir été influencée par l’impact psychologique que peut avoir telle ou telle couleur.

Ce récit nous laisse face à des questions ouvertes : la cicatrice béante laissée par le régime de Pol Pot parviendra-t-elle un jour à se refermer ? Le Cambodge renaitra-t-il de ses cendres ? Par l’intermédiaire de Louis, les auteurs nous montrent aussi le douloureux travail de deuil et d’acceptation que le peuple cambodgien doit réaliser.

Le livre se referme sur une superbe postface d’Ariane Mathieu (Université Concordia) dont voici un extrait :

Cent mille journées de prières, récit à la fois onirique et sensible, informé et pédagogique, dit bien toutes les dimensions du drame cambodgien : les morts continuent de hanter les vivants au-delà des frontières et du temps qui passe. Il dit surtout la difficulté de transmettre la mémoire des événements à la génération suivante, celle qui est née après ou ailleurs, mais dont la vie n’en est pas moins à jamais bouleversée.

PictoOKPictoOKLes mots me manquent tant j’ai été touchée par cette histoire, j’en sors émue. Un témoignage très intéressant, instructif… une très belle collaboration entre deux auteurs. Je ne peux que confirmer mes impressions de lecture du tome 1 et vous inviter à lire ce diptyque.

Les chroniques : Benoit Gaboriaud, PaKa, Jean Loup sur CoinBD.

Extraits :

« Ils nous ont tout pris et nous voilà réduits en bêtes de somme. Chaque jour, je lutte pour ne pas m’effacer » (Cent mille journées de prières, second livre).

« Les mauvais rêves ne disparaissent pas, ils se terrent au fond de nous, et attendent » (Cent mille journées de prières, second livre).

Cent mille journées de prières

Livre second

Diptyque terminé

Éditeur : Futuropolis

Dessinateur : Michaël STERCKEMAN

Scénariste : Loo Hui PHANG

Dépôt légal : avril 2012

ISBN : 9782754803809

Bulles bulles bulles…

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Cent mille journées de prières – Phang – Sterckeman © Futuropolis – 2012

Cent mille journées de prières, livre premier (Phang & Sterckeman)

Cent mille journées de prières, livre premier
Phang – Sterckeman © Futuropolis – 2011

Louis est un petit garçon solitaire. Pas d’amis, pas de frère ni de sœur, il vit seul avec sa mère. Son père ? Il ne sait rien de lui alors il l’imagine et lui donne le visage de ses idoles. Sa mère est infirmière, généralement absente à la maison en raison de ses horaires de travail.

Un jour, elle se rend compte de l’isolement de son fils et décide de lui offrir un compagnon du quotidien. Elle lui achète un canari, l’oiseau meurt rapidement mais un lien fort avait déjà commencé à se tisser entre l’enfant et l’oiseau. Louis fait croire qu’il a enterré l’animal alors qu’il garde en secret son cadavre. Il le sort quand il est seul dans la maison et lui parle. L’oiseau est omniprésent dans sa solitude et dans ses rêves, il rempli ce vide laissé par ce père absent. Qui est-il ? Où vit-il ? Pourquoi n’est-il pas en France avec eux ?

Tout d’abord, je tiens à remercier les Éditions Futuropolis pour cette découverte.

Découverte de deux auteurs pour commencer qui ont ici fait le choix d’un récit intimiste pour raconter cette tranche de vie. On remarquera rapidement la similitude entre le prénom de la scénariste, Loo Hui, et le prénom de l’enfant. D’ailleurs, elle explique en préface que ce récit contient des éléments biographiques. Elle dédie ce livres à ses proches qu’elle n’a jamais connu et qui sont morts suite au génocide cambodgien.

D’une manière abrupte et inattendue, mon père m’apprit que son frère cadet et trois de ses sœurs, ainsi que leurs familles, comptaient parmi les victimes de la tragédie cambodgienne. En quelques minutes, j’ai vu surgir puis disparaitre une partie de ma famille. Ces morts n’avaient jamais été un tabou. Mon père ne les évoquait pas parce que je ne posais pas les bonnes questions. (…) Mes oncles, mes tantes, mes cousins sont morts sans sépulture, enterrés sans cérémonie. Ce livre est pour eux.

Cet ouvrage est un bel objet. Du visuel de couverture incitatif et intriguant, au titre parfumé de nostalgie et la vision de cet enfant, enfin, lové sur un immense oiseau. De même, j’ai pris plaisir à toucher le papier de cet album, un Munken Pur 130g. doux, mat et agréable qui met en valeur les dessins de Michaël Sterckeman. Le trait est minimaliste, parfois grossier, assez lisse en apparence. Totalement au service du scénario, j’en ai réellement apprécié la discrétion, l’émotion et la pudeur qu’il dégage.

Quant aux mots de Loo Hui Phang, ils ont une portée impressionnante. A plusieurs reprises, j’ai eu peur que le récit ne devienne morbide et pathétique, mais la souffrance de cet enfant face à l’inconnu est sincère et formulée avec justesse. Un enfant en quête de lui-même, à la recherche de ses origines. Il est démuni face à la souffrance de sa mère qui pleure lorsqu’il la questionne sur son père. Elle élude, elle évite… elle fuit les réponses qu’elle doit lui donner. Pourquoi ? L’intrigue est ménagée et il faudra attendre le second tome de ce diptyque pour avoir les clés de compréhension. Un récit qui donne lieu à de nombreux monologues de Louis dans lesquels l’oiseau est son unique interlocuteur et des scènes de dialogues montrent l’enfant fuyant face à l’Autre mais, peu à peu, Louis va changer.

Je préfère être seul. En groupe, je me sens stupide.

Un petit garçon touchant qui ne se connait pas et ne se reconnait pas dans l’autre. Une narration qui oscille en permanence entre le monde onirique de Louis et sa réalité qui le dépasse.

Je partage cette lecture avec Mango et les participants aux

MangoPictoOKTouchée par cet album. Le ton est juste, le témoignage sincère, l’auteure se dévoile avec pudeur et crée un personnage-enfant très présent, mature. Une suite de diptyque que j’attends déjà…

Les premières planches sur Digibidi.

Extraits :

« Tu n’es pas obligé de me croire, mais je suis le premier de la classe. Maman n’a pas à se plaindre de moi. Avoir de bonnes notes, c’est comme être absent. On ne fait pas d’histoires. On est sage et silencieux. Il n’y a rien à ajouter » (Cent mille journées de prières).

« – Je sais, c’est pas terrible. Mais quand j’invente l’histoire de papa, j’ai l’impression de mieux le connaitre.
– Ça reste de l’invention.
– Les souvenirs et l’imagination, ça devient la même chose.
– Quand je n’ai plus de graines et que je m’imagine en train d’en manger, ça ne résout rien. J’ai toujours aussi faim (Cent mille journées de prières).

Cent mille journées de prières

Livre premier

Diptyque

Éditeur : Futuropolis

Dessinateur : Michaël STERCKEMAN

Scénariste : Loo Hui PHANG

Dépôt légal : mai 2011

ISBN : 9782754803793

Bulles bulles bulles…

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Cent mille journées de prières, livre 1 – Phang – Sterckeman – Futuropolis – 2011