The Grocery, tomes 1 et 2 (Ducoudray & Singelin)

Ducoudray – Singelin © Ankama – 2011
Ducoudray – Singelin © Ankama – 2011
Ducoudray – Singelin © Ankama – 2013
Ducoudray – Singelin © Ankama – 2013

Acte 1 : Elliott est un ado qui vient de s’installer dans le quartier avec son père. Ce dernier est le gérant de la « Grocery », un des rares commerces du coin. L’album s’ouvre sur une scène de vie banale où le père d’Elliott tente de convaincre son fils qu’il a tout intérêt à sortir plutôt que de passer ses journées devant la télé. En musique de fond, le générique d’Arnold et Willy accompagne leur discussion. « Y a des jeunes qui font du vélo et de la planche à roulettes dans la rue d’à côté, ils seront ravis d’avoir un nouvel ami !! » finit par déclarer ce père qui joint le geste à la parole et chasse son fils à coups de balai dans le derrière.

Ces jeunes, ce sont ceux du Corner 16, une bande de petites frappes et de jeunes dealers parmi lesquels on peut trouver Sixteen, Bug & Tiny, Ice, Slim…

Acte 2 : Samuel Washington dit « Wash », ancien Marine qui rentre de la guerre d’Irak. A son retour au pays, la situation est raide. Il découvre rapidement qu’il a été exproprié de sa maison et que sa grand-mère, qui vivait là, a été placée en Maison de retraite. Il verse l’intégralité de sa solde à la Banque mais malgré tout, la somme est insuffisante pour couvrir les frais de remboursement. Wash s’installe alors dans une communauté de sans-abris… des gens qui, comme lui, ont été touchés de plein fouet par la crise des subprimes.

Acte 3 : Ellis One, un caïd local, est amnistié après son passage dans le couloir de la mort. Malgré plusieurs décharges, la chaise électrique n’a pas eu raison de ce violent énergumène. Libéré, il compte bien reprendre la main sur son territoire et faire comprendre aux autres gangs – comme aux services de police – qu’il est de nouveau dans la place.

Le terrain de jeu des auteurs est la ville de Baltimore du moins ses quartiers malfamés où les gangs imposent leur diktat. L’univers de cette série est survitaminé, dopé aux effluves des drogues de synthèse que l’on côtoie tout au long de l’intrigue et au goût acidulé des bonbecs que ces graines de malfrats aiment tant bouloter.

En optant pour un scénario presque dépourvu de temps-mort, Aurélien Ducoudray nous propulse sans ménagement au cœur d’un quartier où les gangs et les lobbies immobiliers font la pluie et le beau temps. Au passage, le scénariste (Championzé, Clichés de Bosnie, La faute aux Chinois, Gueule d’amour…) aborde la violence (sous toutes ses formes : guerre des gangs, violence policière…), la drogue (deal, filière…), la crise des subprimes, les partis extrémistes et les œuvres caritatives. Certes, on se contentera d’aborder les grandes lignes de ces sujets d’actualité mais imaginez tout de même la richesse du scénario qui dépeint parfaitement le tableau d’une société américaine en pleine crise. Cerise sur le gâteau : Aurélien Ducoudray n’a pas oublié de saupoudrer son intrigue d’une généreuse pincée d’humour noir et cynique… on en redemande ! Et finalement, si nos jeunes loubards du Corner 16 imposent leur loi à l’échelle des junkies, ils se battent en permanence pour ne pas se faire broyer par des poissons bien plus gros qu’eux… des pointures qui s’imposent à coup de M16 voire de tanks, effrayant la population et la réduisant au silence. Une violence qui monte crescendo au fil des pages et qui donne lieu à des scènes assez trash.

Pourtant, les premières pages ne laissaient pas présager un récit aussi sombre qui brosse le portrait sans concession de banlieues américaines rongées par le capitalisme et la haine. La recherche du profit est le maître mot et le troupeau des banlieusards n’a qu’à bien se tenir ! La fuite est le meilleur recourt mais elle est rarement choisie par ces gens modestes. Les deux seules portes de sortie : l’expulsion (et son lot de maux : chômage, misère…) ou la mort. Mais comme je le disais plus haut, lorsqu’on déboule dans cette lecture, on est d’abord accueilli par un ado en mal de vivre et un marine un brin pathétique… Pourtant, le lecteur va vite se raviser et ajuster le tir : il va falloir que lui aussi se mette en marche car cette lecture est loin de se vivre passivement. Tout d’abord, on est assailli par des contrastes permanents, le plus marquants fut, pour moi, la présentation de ces corner boys (si vous avez vu la série The Wire, vous voyez à quoi je fais référence) qui négocient leur ration de bubble gum tout en donnant le change à des hommes de mains de la pègre. Ces derniers ne se cachent pas non plus pour afficher leur côté geek à l’égard de certaines productions hollywoodiennes (Ghostbuster en tête). Il y a aussi de jolies trouvailles narratives comme cette battle à coup de théories économiques à laquelle se livre Elliott… ou des clins d’œil non dissimulé à d’autres références BD (Kick-Ass).

Ducoudray – Singelin © Ankama – 2011
Ducoudray – Singelin © Ankama – 2011

Côté dessins, le travail de Guillaume Singelin (DoggyBags, Pills…) est tout aussi atypique. On côtoie des tronches que l’on croirait directement sorties du Muppet show et cette ambiance graphique faussement enfantine désamorce réellement le côté trash du scénario. Ces individus, aux faciès humoristiques, apportent un contraste supplémentaire avec la violence décrite dans le scénario. Le lecteur a ainsi l’impression d’être assis sur une poudrière sans savoir réellement quand celle-ci va exploser. Mais une chose est sûre : elle va exploser. On profite de certains passages où la violence est tout sauf suggérée… âmes sensibles, accrochez vos ceintures. Toutefois, je précise que cette violence n’est pas gratuite. Elle est utile et nécessaire, elle sert parfaitement les propos sans les exagérer. Le dessinateur crée un univers où les personnages, mi-homme mi- animaux, évoluent sur un décor urbain assez réaliste dans lequel on profitera de nombreux détails graphiques (enseignes, accessoires, affiches…).

PictoOKLorsque la violence urbaine monte crescendo et qu’il devient impossible d’enrayer le phénomène. Lorsque des jeunes frappes n’ont plus d’autre choix que celui de survivre dans cette jungle hostile, leur laissant comme seuls échappatoires la mort, la taule… ou celui de monter progressivement les échelons. La série s’achève normalement au prochain tome. Ça risque de mal finir mais on risque d’y prendre beaucoup de plaisir ! On sort de la lecture de ces deux tomes avec satisfaction et une foule de questions en tête : les routes de Wash et d’Elliott vont-elles finir par se croiser ? Les séquelles de la guerre vont-elles surgir soudainement et amener Wash à employer des moyens les plus extrêmes (voir ma chronique sur Revenants) ? Qui va parvenir à endiguer cette montée de violence urbaine ?…

Les chroniques : Tristan (Bulles et Onomatopées), Max Bo, Frédéric Rackay.

The Grocery

Série en cours

Tome 1

Tome 2

Editeur : Ankama

Collection : Label 619

Dessinateur : Guillaume SINGELIN

Scénariste : Aurélien DUCOUDRAY

Dépôt légal : octobre 2011 (tome 1) et février 2013 (tome 2)

ISBN : 978-2-35910-151-5 (tome 1) et 978-2-35910-335-9 (tome 2)

Bulles bulles bulles…

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The Grocery, tomes 1 et 2 – Ducoudray – Singelin © Ankama – 2011 et 2013

Auteur : Mo'

Chroniques BD sur https://chezmo.wordpress.com/

29 réflexions sur « The Grocery, tomes 1 et 2 (Ducoudray & Singelin) »

  1. J’ai feuilleté le 1er tome plusieurs fois sans jamais franchir le pas. Le dessin me rebute, c’est un verrou que je dois faire sauter car à te lire je me dis que rate quelque chose.

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    1. Pourtant, c’est drôle et abordé avec beaucoup de finesse. Mon conjoint avait acheté le tome 1 en début d’année. Je n’étais pas tentée du tout, même impression que toi concernant les dessins. C’est finalement un heureux hasard qui m’a fait découvrir la série : une petite LC entre amis décidée au même moment où mon conjoint est revenu avec le second tome. Je ne regrette pas. J’attends le tome 3 en espérant qu’il ne tardera pas trop 😉

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  2. Ok ok, pourquoi je passe ici moi qui ne lis presque plus de BD, tu réussis à me donner envie (ouiiiiiiiiiiiiiin)

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  3. Je les ai lus hier soir et franchement grosse claque. C’est vraiment génial comme série (vivement le 3 lol) et ça confirme la grande qualité du label 619 de chez Ankama ^^

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            1. Vous avez commencé fort avec Mutafukaz et c’était une quasi unanimité lol (Mitchul est sévère xD). Je me souviens que t’avais d’ailleurs été réticente à te lancer dans la série (si j’ai bonne mémoire ^^)

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            2. Ben écoute, pourquoi rechigner à mettre les petits plats dans les grands ! ^^
              Mutafukaz oui, je pensais que je n’accrocherais pas et puis finalement, on a commencé à acheter les tomes (alors qu’au début, je les avais emprunté). Golgoth est fan… et je ne mâche pas mon plaisir non plus ^^
              Si mes souvenirs sont bons, c’est toi qui m’avait mis la puce à l’oreille concernant cette série

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            3. Il me semble également qu’il est possible que je t’ai tannée pour t’y mettre vu que j’avais beaucoup aimé la série ^^’

              Enfin du coup ça donne hâte d’être à dimanche pour voir la prochaine série du 619 que vous allez décortiquer !!

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