Notre Mère la Guerre, tome 2 (Kris & Maël)

Notre mère la guerre, deuxième complainte
Kris – Maël © Futuropolis – 2010

Sur son lit de mort, Roland Vialatte revit les événements qui l’on conduit en Champagne en janvier 1915.

Alors que la guerre bat son plein, le Lieutenant Vialatte doit enquêter sur les meurtres de plusieurs jeunes femmes. Les maigres éléments qu’il a réunis le conduisent sur la ligne de front, au sein d’une Compagnie de jeunes repris de justice.

Un an après le lancement de la série, le tome 2 est dans les bacs, les auteurs ont tenus leurs délais. Il y a peu, je vous avais présenté un avis sur le premier tome de ce triptyque. J’étais restée sceptique, trop d’éléments me manquaient pour pouvoir adhérer ou rejeter ce troublant récit.

Pour commencer, les difficultés à entrer dans cette histoire sont restées cantonnées avec mes impressions sur la « Première complainte ». On replonge rapidement dans l’enfer des tranchées.

Le scénario nous ballotte entre fiction et Histoire. D’un côté, une enquête dont l’objectif semble dérisoire dans ce contexte, vain malgré sa légitimité. On avance à pas de souris. Vialatte est semblable à une marionnette désorientée qui déambule dans l’antichambre de la Mort. Incarne-t-il les souffrances et les peurs des Poilus  ? De l’autre côté, des soldats envoyés à une mort certaine qui amarrent leurs raisons à n’importe quel radeau de passage : camarades, prostituées, journal intime… Pas de « héros » connus, pas de hauts faits d’armes gravés dans la mémoire collective, juste de « simples soldats », des gens du peuple. La guerre vue par ceux qui l’ont faite, voici un choix qui contribue très certainement à nous plonger dans le récit et à nous prendre aux tripes. La Guerre est personnifiée, elle ressert son étau sur chaque personnage et nous oppresse, nous, petit lecteur. Les ambiances graphiques y contribuent largement et confirment le talent de Maël déjà remarqué dans l’album précédent. Le dépaysement graphique est réel, on s’immerge complètement aux côtés des Poilus, on patauge dans la boue et le souffle des explosions nous conduit, instinctivement, à avoir un mouvement de recul. Maël a réussi la prouesse, me semble-t-il, de retranscrire les choses avec réalisme et justesse.

Dans l’ensemble, plus j’avance dans la lecture du triptyque, plus je suis mal à l’aise face à ce fort contraste entre la fiction et la réalité historique. Je trouve que l’instrumentalisation de l’enquête policière se fait trop sentir. Ce prétexte est-il utile pour apporter un témoignage sur la Première Guerre Mondiale ? L’enquête est devenue secondaire, j’ai l’impression qu’elle doit parfois jouer des coudes pour reprendre les rennes de la narration comme si elle trouvait difficilement sa place dans le récit. Même si c’est par elle que nous sommes entrés dans la lecture, elle dénote et fait tache.

Un BD que je partage avec Mango.

Mango

PictoOKA n’en pas douter, on ne pourra que reconnaître la force des textes de Kris. Ils nous percutent malgré la poésie dont ils s’imprègnent parfois et ouvrent en grand la porte de la réflexion sur cette période de l’histoire. La prestation de Maël coupe l’herbe sous le pied aux derniers médisants qui oseraient encore affirmer que ce jeune auteur à tout à prouver.

Étrange impression procurée par cette lecture, car il suffit de refermer l’ouvrage pour que les bruits et les odeurs se taisent d’un coup. Rares sont les albums qui provoquent un tel décalage avec la sécurité de nos douillettes maisons. J’attends cependant le tome 3 qui nous apportera le dénouement de ce récit et légitimera la place d’une enquête policière dans un témoignage historique de cette trempe.

Je remercie les Éditions Futuropolis pour la découverte et vous propose également de lire la chronique de Sébastien Naeco.

Extraits :

« Camarades, oui. C’est le juste mot juste. La camaraderie suppose une loyauté et peut atteindre à une éphémère intensité de sentiments que ne connaîtra jamais l’amitié. Celle-ci demande des conditions plus normales, plus longues, pour pouvoir s’épanouir. Un homme n’est rien pour vous et la minute suivante vous êtes prêt à braver l’enfer pour lui, dans un élan spontané, instinctif… J’ai compris cette nuit-là à quel point l’héroïsme était chose si commune »  (Notre Mère la Guerre, seconde complainte).

« Le front est une ligne mortelle et ensorcelante. La Guerre fait naître un monde de sentiments inconnus, insoupçonnés. Ces heures plus qu’humaines ont le parfum définitif de l’absolu. C’est une fenêtre à laquelle on respire un air chargé de ciel, une région au bord du monde, tout près de Dieu. C’est peut-être là seulement qu’on meurt dans la plus totale liberté. Et je me hais souvent de le ressentir encore aujourd’hui aussi profondément » (Notre Mère la Guerre, seconde complainte).

« C’est terrible, la Guerre mange tout. Jusqu’à nos mots d’amour » (Notre Mère la Guerre, seconde complainte).

« Dans ce gigantesque naufrage de la raison, tous ces soldats courbés, frigorifiés, exténués, réussissaient malgré tout à sauver quelque chose d’essentiel… La fondamentale fraternité des hommes. A la surprise de mon guide, passant devant un Église restée debout par un miracle qu’on ne peut croire que divin, je ressentis l’impérieux besoin de prier. L’intérieur en avait été aménagé en poste de secours provisoire, alignant ses blessés comme autant d’épaves en accalmie, arrimées les unes aux autres en prévision de la prochaine tempête » (Notre Mère la Guerre, seconde complainte).

Notre Mère la Guerre

Deuxième Complainte

Série terminée (4 tomes)

Éditeur : Futuropolis

Dessinateur : MAËL

Scénariste : KRIS

Dépôt légal : septembre 2010

ISBN : 9782754803205

Bulles bulles bulles…

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Notre Mère la guerre, deuxième complainte – Kris – Maël © Futuropolis – 2010

Auteur : Mo'

Chroniques BD sur https://chezmo.wordpress.com/

10 réflexions sur « Notre Mère la Guerre, tome 2 (Kris & Maël) »

  1. Quel choc de voir ces images! Difficile de parler d’une guerre aussi longue et désastreuse pour tous! Je crois comprendre ce que tu ressens à propos du décalage entre la fiction et la réalité. Un tel contraste!…

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    1. oui, d’un autre côté je pense que c’est ce que les auteurs recherchent (enfin, j’imagine). Mais la fiction et ce polar semblent tellement dérisoires !! Pourtant, on ne peut pas non plus balayer du revers de la main des crimes impunis… bref, j’attends le tome 3 qui sera celui du dénouement.

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  2. J’ai lu plusieurs romans policiers qui se déroulaient pendant la première guerre et j’avais aimé. Je suis donc très tentée par cette BD et ne partage pas ta retenue. Mais je pense attendre qu’elle soit terminée.

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    1. Le second tome vient juste de sortir et je ne me suis pas renseignée sur le tome 3. J’entends tout à fait ce que tu me dis. Le tome 1 de cette série était notre lecture collective sur kbd en septembre. On est en train d’en parler et globalement, la majorité des membres de l’équipe adhère complètement au décalage fiction/réalité. C’est peut-être un mauvais choix aussi que de parler des albums de cette série séparément… j’attends le tome 3 en tout cas

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    1. c’était notre lecture de septembre avec les compères de kbd. Je ne sais pas si un avis collectif peut t’aider sur cette série, mais en tout cas nous étions 6 à le lire, l’écrit va synthétiser nos 6 avis… et il est pour bientôt ^^

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  3. Coïncidence, je l’ai feuilletée ce matin en librairie… C’est une BD ambitieuse je trouve même si visuellement ce n’est pas trop ma tasse de thé…

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    1. il doit être assez visible en librairie en ce moment je pense ^^ Ambitieuse oui, et j’ai bien hâte de connaitre cette série dans son ensemble, malgré mes réserves

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