Journal d’un corps (Pennac & Larcenet)

Pennac – Larcenet © Futuropolis-Gallimard – 2013
Pennac – Larcenet © Futuropolis-Gallimard – 2013

A l’âge de 12 ans, après s’être souillé durant une activité organisée à l’occasion d’un camp de scout, le narrateur décide d’ouvrir le journal de son corps. Ce sera l’occasion, il l’espère, d’apprivoiser ce corps qui l’encombre.

Très tôt rejeté par sa mère, le narrateur a passé la majeure partie de son enfance en compagnie de son père. Ce dernier, atteint d’une maladie incurable, lui a transmis une somme incalculable de savoirs et une passion certaine pour les études. Après, la mort du père, l’enfant se retrouve livré en pâture à une mère autoritaire, acariâtre et peu aimante. Il fuit alors dans son monde imaginaire et s’inventant « Dodo« , son petit frère imaginaire, qui lui permet de supporter les humeurs maternelles. Il se réfugié également sous l’aile protectrice de la généreuse Violette, sa nourrice, qui lui apportera l’amour que sa mère ne parvient à lui donner.

Pennac – Larcenet © Futuropolis-Gallimard – 2013
Pennac – Larcenet © Futuropolis-Gallimard – 2013

Toute sa vie durant, cet homme a tenté de dompter ce corps si étranger en recourant à son journal. Une émotion, une contrariété… il en consigne les répercussions corporelles dans ses carnets. Ainsi, même si ce corps fut une curiosité de chaque instant, le narrateur est peu à peu parvenu à se l’approprier.

Les cinq sens aux abois, le verbe alerte, il y décrit chaque étape de sa vie, du plaisir de plonger dans les réserves de grain du grenier de Manès, de l’extase procuré par une masturbation, des premiers ébats sexuels avec Mona qui deviendra la femme de sa vie, de la naissance de Lison (son deuxième enfant à qui il destinera ces Mémoires), à l’arrivée des premiers symptômes de la sénilité… Tout y est consigné, sans pudeur, sans mensonges, tantôt de manière crue ou tantôt en recourant à la métaphore.

C’est d’un autre corps que j’ai, moi, tenu le journal quotidien ; notre compagnon de route, notre machine à être. Quotidien, c’est beaucoup dire ; ne t’attends pas à lire un journal exhaustif, il ne s’agit pas d’une recension au jour le jour mais plutôt à la surprise la surprise – notre corps n’est est pas avare – de ma douzième à ma quatre-vingt-huitième et dernière année, et ponctuée de longs silences, tu verras, sur ces plages de la vie où notre corps se laisse oublier. Mais chaque fois que mon corps s’est manifesté à mon esprit, il m’a trouvé la plume à la main, attentif à la surprise du jour. J’ai décrit ces manifestations le plus scrupuleusement possible, avec les moyens du bord, sans prétention scientifique. Mon bel amour de fille, tel est mon héritage : il ne s’agit pas d’un traité de physiologie mais de mon jardin secret, qui est à bien des égards notre territoire le plus commun.

Ce n’est pas aux vieux chroniqueurs que j’apprendrais à faire la grimace, vous ne vous étonnerez donc pas si je vous dis qu’il m’a été extrêmes difficile de rédiger cet article consacré à une lecture que j’ai énormément appréciée.

Pennac – Larcenet © Futuropolis-Gallimard – 2013
Pennac – Larcenet © Futuropolis-Gallimard – 2013

Volumineux album tout d’abord, au format gigantesque (format A3) et au poids conséquent. Une fois ouvert, le lecteur plonge littéralement dedans puisque le livre fait totalement écran à ce qui peut se passer autour de lui. Sa qualité première est de nous offrir le texte originel de Daniel Pennac dans son intégralité. En prime, l’ouvrage est enrichit des illustrations de Manu Larcenet, une réalisation graphique tout à fait subtile, en noir et blanc.

Non content de nous permettre de faire la connaissance d’un homme qui gardera son anonymat de bout en bout (impossible d’accéder à son nom, voire mieux : son prénom !), le narrateur s’approprie son lecteur de manière totalement exclusive – comme un enfant capricieux. qu’il est difficile de poser cet ouvrage en cours de lecture !! Et comme si cela ne suffisait pas, il est tout aussi douloureux d’accepter de terminer cet ouvrage ; j’ai ralentit mon rythme de lecture pour faire durer, je ne voulais quitter cet univers si prenant quand le récit s’envole, si touchant lorsque vient la fin d’un narrateur qui, nous le savions avant même de commencer, ne peut être éternel. L’humour nous emporte quelque soit la gravité des événements faisant ainsi de cette lecture un amusement de tout instant.

On parcourt ainsi soixante-seize années d’histoire (de 1936 à 2010) par le biais d’un corps qui traversera, non sans appréhensions, les années de pensionnat, les affres de la guerre, les mouvements de mai 1968 sans compter le dépaysement d’un voyage de noces à Venise, les joies de la puberté ou celles de la paternité, l’entrée dans la vie active…

PictoOKPictoOKUne fois de plus, j’ai été charmée par le style de Daniel Pennac que les illustrations de Manu Larcenet viennent sublimer.

La chronique de PaKa.

Extraits :

« Notre voix est la musique que fait le vent en traversant notre corps (enfin, quand il ne ressort pas par le bas) » (Journal d’un corps).

« Violette est ma maison. Elle sent la cire, les légumes, le feu de bois, le savon noir, la javel, le vieux vin, le tabac et la pomme. Quand elle me prend sous son châle, j’entre dans ma maison. J’entends bouillonner ses mots au fond de sa poitrine et je m’endors. Au réveil, elle n’est plus là, mais son châle me couvre toujours. C’est pour que tu ne te perdes pas dans tes rêves, mon petit gaillard. Les chiens perdus reviennent toujours au vêtement du chasseur ! » (Journal d’un corps).

« La femme, mon petit, est un mystère pour l’Homme et le contraire n’est malheureusement pas vrai » (Journal d’un corps).

« Éjaculation mon garçon. Si ça t’arrive pendant la nuit n’aie pas peur, ce n’est pas que tu recommences à faire pipi au lit, c’est l’avenir qui s’installe » (Journal d’un corps).

« L’Homme nait dans l’hyperréalisme pour se distendre peu à peu jusqu’à finir en pointillisme très approximatif avant de s’éparpiller en poussières d’abstraction » (Journal d’un corps).

« Au fond, il me plaît de penser que nos habitus laissent plus de souvenirs que notre image dans le cœur de ceux qui nous ont aimé » (Journal d’un corps).

« Il est difficile de discerner ce que nous ôtent, en mourant, ceux que nous avons aimés. Passons sur le nid des affections, passons sur la foi des sentiments et les délices de la connivence, la mort nous prive du réciproque, c’est vrai, mais notre mémoire compense, vaille que vaille » (Journal d’un corps).

« Nous sommes jusqu’au bout l’enfant de notre corps. Un enfant déconcerté » (Journal d’un corps).

Du côté des challenges :

Petit Bac 2013 / Partie du corps : corps

Petit Bac 2013
Petit Bac 2013

Journal d’un corps

Récit complet

Editeurs : Futuropolis/Gallimard

Auteur : Daniel PENNAC

Illustrateur : Manu LARCENET

Dépôt légal : avril 2013

ISBN : 978-2-7548-0950-4

Bulles bulles bulles…

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Journal d’un corps – Pennac – Larcenet © Futuropolis-Gallimard – 2013

Auteur : Mo'

Chroniques BD sur https://chezmo.wordpress.com/

32 réflexions sur « Journal d’un corps (Pennac & Larcenet) »

    1. C’est un album monstrueux oui !! J’ai déjà envie de le relire, j’ai vraiment apprécié et encore, le fait de le dire ainsi est un doux euphémisme… Je rejoints Val sur le retour qu’elle te fait : il faut l’acheter ! 😀

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  1. Ne le cherche pas en bibli, Lystig, tu vas te faire du mal, car après il te le faudra. C’est devenu l’une des pièces maîtresses de ma biliothèque mais il n’est pas facile à ranger (format d’une grosse BD mais ce n’en est pas une; il ne rentre pas dans mes étagères romans, quel casse-tête!).

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    1. Tout à fait le genre d’ouvrage que j’ai envie de mettre en valeur dans ma bibliothèque. Un inclassable effectivement. Pas BD, pas roman… il demande réellement à jouir d’une place privilégiée sur nos étagères. Je n’ai pas encore trouvé le bon compromis mais je garde bon espoir 😆

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      1. Lystig, c’est trop tôt pour que cet ouvrage soit dispo en biblio. Il vient à peine de sortir (avril). En revanche, le roman a été publié en janvier 2012.

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  2. Je lirais bien le roman car j’adore Pennac, et j’avais croisé cet ouvrage à la librairie mais les dessins ne me plaisaient pas beaucoup. Je m’en tiendrai à la version classique. Je suis tout de même contente d’avoir pu lire ton avis sur ce roman graphique 🙂

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    1. Les illustrations de Larcenet aèrent les propos. Je ne suis pas fan, à la base, de ce genre de récit découpé au jour le jour. Du coup, Les interventions de Larcenet m’ont permis de faire des pauses, de ralentir mon rythme de lecture et de profiter pleinement de cette lecture.

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  3. Pennac + Larcenet, tu m’étonnes que ce soit un coup de cœur ! Je me demande si je ne vais pas le cocher sur ma liste pour le père noël. ça fait loin mais mon anniversaire est déjà passé alors je saurai me montrer patient…

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    1. tu ne tiendrais ja-mais jusque Noël. Parce que d’ici là, il y aura d’autres chroniques à lire et que tu vas forcément finir par craquer. Demande à Val, Mango, Canel et j’en oublie ^^ Tu sais que Noël c’est dans… 7 mois ??!! C’est loin ^^
      Et puis j’aimerais bien savoir si toi aussi, les illustrations que Larcenet a réalisées ici te font penser au travail qu’il a réalisé sur Blast :mrgreen:

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  4. J’ai beaucoup aimé ce livre de Pennac, lu en juin dernier mais j’ignorais qu’il y avait aussi une BD. Est-ce que c’est le texte du roman qui est repris à côté des dessins? 35 euros, cependant: aïe, aïe!

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    1. C’est le texte intégral de Pennac qui est illustré par Larcenet. Pas de découpe par cases ou par bandes, juste un récit plus aéré que dans le format roman 😉
      35 euros, c’est une somme mais honnêtement… ça les vaut 😉

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  5. Le roman était dans ma LAL, mais j’ai plutôt envie de me laisser tenter par cette version, même si je ne sais pas du tout où je pourrais trouver à la ranger après…

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    1. Merci pour la confiance 😉
      Côté illustrations, il y a juste ce qu’il faut. J’appréhendais aussi mais les deux « touches » (Pennac / Larcenet) s’équilibrent très bien. Vraiment, un très bon ouvrage. Le seul inconvénient c’est qu’il ne se laisse pas facilement manipuler (lourd et encombrant)

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