Chroniks Expresss #31

Tandis qu’Antigone tente de limiter l’augmentation de sa P.A.C. (Pile à chroniquer)… je traite le mal à la racine grâce à des chroniques express 😛

Bandes dessinées : Rex et le chien (N. Poupon ; Ed. Scutella, 2017), Smart Monkey (Winshluss ; Ed. Cornélius, 2017).
Jeunesse : Le Grand Incendie (G. Baum & Barroux ; Ed. Les Editions des Eléphants, 2016).
Romans : L’Ours est un écrivain comme les autres (W. Kotzwinkle ; Ed. 10-18, 2016), Otages intimes (J. Benameur ; Ed. Actes Sud, 2015), Petit Pays (G. Faye ; Ed. Grasset, 2016).

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Bandes dessinées

 

Poupon © Scutella – 2017

Rex chien domestique rencontre Le Chien, chien errant. Quand l’un fait de théorise, l’autre voit plutôt le côté pratico-pratique. Passée la première impression, Rex apprend à dominer sa peur et prend l’habitude, lors de sa balade, de faire un détour pour aller saluer Le Chien.

« A votre contact, mon esprit bohème s’est réveillé et il grandit à vitesse grand V ».

Rex avec un beau collier et une médaille marquée d’un « R ». Rex et sa laisse dont on ne verra jamais le bout, le maître est factice, simple présence qui lui permet de sortir du jardin.

Gags d’une page à deux pages à la morale cynique. Les chutes peuvent faire sourire. Dans l’ensemble, c’est un regard acidulé sur notre société, un regard décalé. Nos deux protagonistes se complètent : l’un a totalement intégré les coutumes humaines, l’autre est davantage en accord avec sa nature… et tous les deux tentent de faire un pas de côté pour intégrer le point de vue de l’autre.

Divertissant mais inégal. A lire par petites touches.

 

Winshluss © Cornélius – 2017

Il est assez malingre comparé aux autres membres de sa tribu. Il se débrouille pour se nourrir de petits insectes et de fruits juteux, trouver une bonne branche pour faire la sieste… mais pour le reste, rien n’est vraiment à sa portée. Rouler des mécaniques face aux autres mâles, faire à la cour à une femelle ou tout simplement se sentir bien parmi les siens, il n’est pas doué pour tout cela car il n’a pas le gabarit.

Pourtant il est courageux ce petit singe. Il se débrouille même plutôt bien pour se tirer des mauvais pas et faire régner la justice dans la jungle. Défendre plus faible que soi face aux prédateurs et c’est peu dire qu’ils sont nombreux : tigre à dents de sabre, ptérosaure, crocodiles, tyrannosaures, serpent…

 

Edité pour la première fois en 2003 avant qu’un court métrage soit réalisé un an plus tard, « Smart Monkey » a été réédité en 2009. De nouveau épuisée, Cornélius remet au gout du jour cet album muet déjanté et propose une nouvelle édition qui est agrémentée d’un fascicule contenant la première version de l’histoire.

Winshluss (« Pinocchio », « In God we trust », « Monsieur Ferraille »…) propose ici de revisiter l’histoire de l’espèce humaine de façon totalement originale. Il mélange les ères calendaires, fait se côtoyer dinosaures et primates (et toute la palette des espèces qui ont vécu entre ces deux grandes espèces). Conte cruel où l’on peut voir en chaque animal un prédateur. Lutter pour vivre et pour survivre… une métaphore de la vie non dénuée d’intérêt.

Un album muet à ne pas mettre dans n’importe quelles mains (jeunes lecteurs s’abstenir) car il est des métaphores qui ne sont pas accessibles aux plus jeunes. Drôle pour ceux qui aiment l’humour noir.

 

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Jeunesse

 

Baum – Barroux © Les Editions des Eléphants – 2016

Cela fait si longtemps que les livres ont disparu, nous n’avons plus la moindre histoire à partager. Le jour, il nous faut travailler, nous courber, prier et obéir. Puis attendre le jour suivant. Un matin pourtant, tout a changé, quand elle est tombée du ciel.

Un sultan impose son diktat. Il efface toutes les traces de l’histoire, toutes les histoires. Les écrits doivent bruler, ses soldats s’affairent à cette tâche. C’est leur unique but.

Le sultan jubile. Encore quelques livres et son règne sera infini. Une seule allumette a suffi à effacer toute l’histoire de notre peuple.

Superbe album illustré qui nous plonge dans une société privée de livres, privée d’accès à la culture… privée de sa mémoire. A la tête de cet état, un despote qui n’aspire qu’à une chose : agrandir toujours et encore son pouvoir, son aura, sa domination sur ses sujets. Il les avilit par la peur, leur impose l’ignorance et attend d’eux un respect total à l’égard de sa personne.

Le narrateur est un enfant et décrit son quotidien à hauteur d’enfant. Un texte qui interpelle et qui saisit le jeune lecteur avide de connaître le dénouement, curieux de tout, questionnant et critiquant cette société absurde à ses yeux et pourtant… lui expliquer que c’est la réalité d’autres enfants, ailleurs… bien trop nombreux.

Gilles Baum propose un récit optimiste, plein de vie, porté par les couleurs de Barroux. Les illustrations s’étalent en double page et laissent tout loisir de savourer le coup de pinceaux magistral de l’artiste.

Superbe ! A lire !!

Les chroniques : Noukette, Leiloona, Moka.

Pour aller plus loin : le site des Editions des Eléphants (avec le soutien d’Amnesty International) et les sites des auteurs : BARROUX et Gilles BAUM.

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Romans

 

Kotzwinkle © 10/18 – 2016

Un homme, Arthur Bramhall, professeur d’Université au beau milieu de son congé sabbatique (congé posé dans le but d’écrire un roman) se fait flouer par Dan Flakes, un ours, qui lui vole ledit roman.

Où l’on suit l’homme dans ses pérégrinations, dans sa lutte, cherchant à ne pas sombrer dans la déprime, qui a l’idée saugrenue de se laisser embarquer dans les hallucinantes idées de son voisin, Pinette, qui met tout en branle pour aider Bramhall à écrire son nouveau roman. Et cette connexion particulière, « spéciale » disons, entre cet homme et les animaux.

Où l’on suit l’ours dans le chemin qui le conduira au succès. De l’agent à l’éditeur, de cette femme-colibri (et attachée de presse de surcroît) qui n’ont de cesse que d’imaginer le meilleur moyen de travailler l’image de marque de leur client, leur auteur, et de monter de toutes pièces le plan marketing le plus percutant qui soit afin que le succès soit assuré.

Un regard absurde et hilarant du monde éditorial qui trouve totalement « normal » qu’un ours parviennent à écrire un roman. William Kotzwinkle parvient à réaliser une critique acerbe du paysage éditorial, de ses travers, de ses coups de maître, de son fonctionnement tordu, des réflexions piquantes sur les uns et les autres, « patauger dans la fange, tel est le lot commun des attachés de presse »

On suit en parallèle le parcours de l’ours et celui du romancier et l’on profite du tracé délicat entre ces deux trajectoires et des passerelles qui sont jetées d’un bord à l’autre. Tandis que l’un s’humanise l’autre « s’animalise » . Le premier degré de l’ours contraste avec le côté « bling-bling » du milieu qu’il fréquente (celui des agents littéraires, des coaches, des auteurs, des commerciaux…). L’animal invite inconsciemment ces têtes bien pensantes à écarter un peu les repères consuméristes sur lesquels ils se sont construites.

De rebondissements saugrenus en remarques piquantes à l’égard du monde éditorial, on se plait à s’enfoncer dans cette farce si rondement menée. J’ai pourtant déploré la présence de certains passages. En effet, si on peut s’étonner dans un premier temps du comportement naïf de l’ours qui provoque des réactions inattendues auprès de son auditoire, on ne peut éviter finalement de faire la moue face à cette redondance… ses attitudes originales finissent finalement par nous lasser tant elles en deviennent prévisibles.

Drôle et piquant, j’ai malheureusement terminé la lecture dans une certaine lassitude.

 

Benameur © Actes Sud – 2015

Il était une fois, il était mille et mille fois, un homme arraché à la vie par d’autres hommes. Et il y a cette fois et c’est cet homme-là.

Etienne est photographe de guerre. Alors qu’il couvre un reportage, il est kidnappé par des hommes cagoulés qui vont le retenir en otage pendant plusieurs mois. Quand vient enfin l’heure de la libération et qu’Etienne rentre chez lui, il doit réapprendre à vivre.

Alors que je continue ma découverte de la bibliographie de Jeanne Benameur [sur le blog : « Les Insurrections singulières », « Comme on respire », « Pas assez pour faire une femme »], je me suis laissée une nouvelle fois guider par Noukette et Framboise pour le choix d’une nouvelle lecture. Après les avis dithyrambiques publiés pour ces « Otages intimes », comment ne pas succomber ? Pêle-mêle, de mes notes prises pendant cette lecture (faite mi-février en compagnie de Kikine), me reviennent à l’esprit ces émotions qui nous saisissent. Ces réflexions sur l’intime et l’identité. Ces sensations de peur, ces mots qui ne suffisent pas toujours à exprimer ce que l’on ressent, cette appréhension qui empêche de ressentir un quelconque plaisir. Des moments d’une simplicité désarmante qui suffisent à répondre aux besoins vitaux. Enfouir sa main dans la terre, écouter le clapotis de l’eau, entendre la respiration d’un être proche, se laisser emporter par un souvenir.

Un roman riche, habités par des personnages très forts, très humains. Un homme qui cherche à se reconstruire après un traumatisme important. Une mère qui respire après une attente oppressante. Une amante qui s’épanouit de nouveau après l’échec d’une relation amoureuse. Une femme qui marque un temps d’arrêt nécessaire pour retrouver l’envie d’aller de l’avant…

L’écriture de Jeanne Benameur me transporte ailleurs. Aux côtés de ces personnages. Au milieu de ces lieux dont je ne connais rien et qui me sont pourtant familiers. A appréhender une situation en connaissance de cause alors que je n’ai rien vécu de tel dans mon propre parcours. Des mors qui résonnent et qui raisonnent encore.

Extraits :

« Chaque nuit depuis son retour, il faut qu’il lutte pour ne pas se sentir réduit. Il lutte contre le sentiment d’avoir perdu quelque chose d’essentiel, quelque chose qui le faisait vivant parmi les vivants. Il n’y a pas de mots pour ça. Alors dormir dans la chambre de l’enfance, non. Il a besoin d’un lieu que son corps n’a jamais occupé, comme si ce corps nouveau, qui est le sien ne pouvait plus s’arrimer aux anciens repères. La grande, l’immense joie du retour qu’il n’osait même plus rêver, il n’arrive pas à la vivre. Il est toujours au bord. Sur une lisière. Il n’a pas franchi le seuil de son monde. L’exil, c’est ça ? » (Otages intimes).

« J’étais devenue une drôle de femme. Une femme qui attend ce n’est plus tout à fait une femme » (Otages intimes).

« C’est tout un corps qui résonne de ce qui n’a pas eu lieu. Faute de. Il est devenu labyrinthe plein d’échos. Laisser passer l’air laisser passer la musique ne plus être que ça un pauvre lieu humain traversé » (Otages intimes).

« Elle soupire, pense aux hommes qu’elle a pris dans ses bras depuis des années. Chaque étreinte a compté. Pour chacun, elle a été présente. Vraiment. Dans l’amour elle est toujours totalement présente, elle connaît cette joie et ceux qui l’approchent la partagent. Mais elle ne reste pas. Demeurer, elle ne peut pas. Est-ce qu’ignorer l’embrassement d’une mère voue à passer de bras en bras ? » (Otages intimes).

 

Faye © Grasset – 2016

Gaby est un enfant mais déjà, les vieux griefs entre Hutu et Tutsi ne lui échappent pas. Les uns seraient grands et dotés d’un nez fin, les autres plus râblé et affublés d’un nez épaté. Mais Gaby n’en a que faire. Hutu, Tutsi, ses amis quel que soit le sang qui coule dans leurs veines restent des amis.

Les années passent dans le petit quartier pavillonnaire de Gaby. Aux portes du Burundi, la guerre éclate un jour. C’est une plongée dans l’horreur de cette guerre fratricide. Au début, Gaby ne comprend pas ou du moins, il ne mesure pas la gravité de ce qui se passe. Mais pour sa mère, c’est le début de la dérive. Tutsi, elle voit sa famille massacrée. Les siens tombent les uns après les autres ; pour cette femme, il n’y a plus que la folie comme seul échappatoire.

Il aura fallu que je m’y reprenne à deux fois pour apprécier ce roman qui a reçu nombre de récompenses et de critiques élogieuses (et c’est amplement mérité). Une œuvre qui a beaucoup fait parler d’elle et c’est peut-être à cause de cela que j’avais des attentes démesurées à son endroit. J’imaginais une écriture qui saisit très vite le lecteur mais ce ne fut pas le cas pour moi. Il m’a fallu lutter pour ressentir la force de cet ouvrage et ce n’est qu’à partir de la seconde moitié de l’ouvrage que j’ai senti monter la puissance de l’écriture de Gaël Faye.

J’ai fini par accepter son état, par ne plus chercher en elle la mère que j’avais eue. Le génocide est une marée noire, ceux qui ne s’y sont pas noyés sont mazoutés à vie.

Quoi qu’il en soit, on suit là l’adolescence atypique d’un jeune homme, entre insouciance et prise de conscience, entre bonheur et souffrance. Une identité qu’il peine à son construire et qu’il tente de trouver auprès de ses amis d’enfance. Un enfant qui semble grandir sans se soucier de ses attaches, jusqu’à ce que la réalité le rattrape. Et si je pense garder longtemps ce roman en mémoire, je sais aussi que le plaisir que j’ai eu à le découvrir a été grignoté par deux fois : la première – et j’en parlais plus haut – la déception que j’ai ressentie à la lecture de la première moitié de l’ouvrage ; la seconde quant à elle est une incohérence narrative qui m’a agacée. Le collège du narrateur met en place un programme de correspondants. Chaque élève se voit donc mis en contact avec un élève de France. Gaby (personnage principal de « Petit Pays ») va prendre plaisir à l’échange épistolaire qu’il entretient avec Laure (une collégienne d’Orléans). Ce qui m’a agacé, c’est la qualité des lettres écrites par Gaby ; le ton, l’emploi de la métaphore, le cynisme de ses propos, ce qu’il exprime et la manière dont il l’exprime. En cela, j’ai repensé à une réflexion de Stephie dans sa chronique sur « A l’origine notre père obscur » ; je me sens-là assez proche du ressenti qu’elle a pu avoir… un décalage entre la personnalité du narrateur (que Gaël Faye nous présente comme un garçon immature) et la manière dont il se montre dans ses écrits. Je n’ai pas apprécié même si l’écriture est de toute beauté.

Un roman qui percute malgré tous ces grincements de dents.

Auteur : Mo'

Chroniques BD sur https://chezmo.wordpress.com/

12 réflexions sur « Chroniks Expresss #31 »

    1. Mercii ❤ ❤
      Cela dit, j'ai une petite baisse de forme en ce moment. Je crois qu'il me reste un Jeanne dans ma PAL… de quoi me rebooster

      (ou alors le dernier Ferrante qui me tend les bras ! … j'hésite ^^)

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  1. « Le grand incendie » me fait envie!
    Et je te rejoins à 1000% sur le Benameur… il m’a bouleversée. (Et il résonne encore moi, je le lisais au moment des attentats de Bruxelles et il m’a offert une certaine lumière)

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  2. J’ai beaucoup aimé le Benameur, moins petit pays (bizarrement). Je me rends compte que parfois j’oublie l’histoire racontée (le benameur) mais je sais que j’ai aimé les phrases et que le livre m’a touché !! Très réussies ces chroniques express. Je commence aussi à venir à bout de ma PAC ! Ouf 😉 Et j’ai décidé de ne pas tout chroniquer finalement… J’aime beaucoup ton petit pouce et ta manière de résumer ainsi ton sentiment de lecture !! 😉 Bonne fin de dimanche !!

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    1. J’aime le concept de la PAC mais je lutte fort pour ne pas en voir une fleurir chez moi !!!
      Je ne chronique pas tout non plus ; il y a certains titres pour lesquels je ne prends même pas le temps de rédiger une bafouille express 🙂
      Bonne semaine à toi Antigone 😉

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    1. Jeanne oui. Une vraie belle découverte d’auteur que tu m’as fait faire !!!! ❤ ❤
      Quant à L'Incendie, je ne suis pas la seule à l'avoir apprécié ici 😉
      Merci copine 😉 ❤

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