Paul à la maison (Rabagliati)

Difficile pour moi de faire l’impasse sur « Paul à la maison » , neuvième tome de l’univers « Paul » créé par Michel Rabagliati en 1999. Aucune fréquence définie pour la publication d’un nouvel opus de Paul. La surprise toujours. L’impatience dès que l’on sait qu’un autre tome arrive. Puis la lecture dont on se régale souvent… ou, ponctuellement, que l’on range avec une légère pointe de déception en bouche.

La vie de Paul est calme désormais. Son divorce est consommé, Rose (sa fille) vit à temps plein chez sa mère. Il n’y a plus que des bricoles qui rythment le quotidien, souvent des impondérables d’ailleurs. Les semaines se suivent et se ressemblent souvent :  faire les courses pour sa mère et les lui apporter, acheter des petits riens à sa fille, se rendre dans une lointaine école pour y faire une intervention… Le temps est venu de se consacrer à soi, de s’accorder du temps pour les loisirs mais Paul a de goût à bien peu de choses. La cinquantaine est là… à croire que c’est la décennie de la râlerie !

En rendant visite à sa mère, Paul se visionne le film de ces dernières années. De son enfance, des événements marquants qui ont fait date dans la vie de ses parents, leur divorce, le remariage de sa mère puis sa solitude depuis ces dernières années. Il se remémore aussi ce qu’il sait d’elle, la sixième enfant d’une fratrie de treize, son entrée précoce sur le marché du travail, sa rencontre avec celui qui deviendra le père de ses enfants… Ces visites sont aussi l’occasion de mesurer à quel point les choses changent avec l’arrivée des technologies. La cinquantaine est là et le comme « c’était mieux avant » vient ponctuer chaque observation !

Fichtre. Voilà un album bien nostalgique et bien lent. On y retrouve cette tristesse qui avait teinté « Paul à Québec » (le personnage principal y avait enterré son beau-père, mort des suites d’un cancer). Ce neuvième tome est proche d’un arrêt sur image et l’occasion, pour Paul, de faire une grosse introspection. A force de cohabiter avec sa solitude, Paul est devenu morose. A 51 ans, il vit seul et cette situation lui pèse. Paul se replie, ne supporte pas le changement, rumine, devient hypocondriaque, est touché de sinistrose, bref… Paul broie du noir.

Au travers de cette parenthèse moins entraînante que la plupart des albums de la série, Michel Rabagliati montre une nouvelle facette de son personnage… celle des mauvais jours. Bien sûr, on avait déjà perçu que par périodes, Paul pouvait manquer d’entrain. Mais là, le malaise est profond. Pris d’une sévère crise de la cinquantaine, Paul fait du « sur place » . Son entourage semble s’être réduit comme peau de chagrin alors qu’atour de lui, il y a une myriade de choses à attraper. Au-delà de ça, Paul s’englue dans son quotidien, donne des croquettes à son chien chaque matin, va de spécialiste en spécialiste pour qu’ils mettent des mots sur ses maux, esquive son voisin, déserte son jardin, mange en tête-à-tête avec son téléviseur… Si sa vie semble vide, les cases quant à elles regorgent de petits détails : d’une étiquette de boite de conserve, d’une enseigne, d’une forme architecturale. Un monde où finalement, pour ce personnage, la seule source de plaisir semble être visuelle. Alors il dessine…

J’ai finalement peu de choses à dire sur ce tome qui propose un récit assez linéaire. La lecture n’est pas désagréable pour autant. Un tome que j’ai trouvé plus personnel que les précédents ; par l’intermédiaire de son alter-ego de papier, Michel Rabagliati s’y livre de façon plus explicite et couche sur papier quelques confidences :

« Ce soir, on lance Paul au Parc, mon septième. J’espère que les lecteurs l’aimeront. En tout cas, je ne le saurai pas ce soir, puisqu’ils ne l’ont pas encore lu ! on a eu quelques bonnes critiques dans les journaux, ça devrait aller. Pourquoi est-ce si stressant de laisser partir un livre à la rencontre du public ? on se sent si inquiet et vulnérable. Comme dans le cabinet d’un médecin. »

C’est un bout de vie québécoise que Michel Rabagliati raconte au travers de Paul, complété de quelques bouts de sa propre vie et peut-être quelques anecdotes glanées dans son entourage. Car la petite histoire de Paul nous permet de fouler le sol québécois. A travers son héros fictif, « Paul » est une chronique sociale qui ouvre à la culture québécoise (références musicales, télévisées, cinématographiques, littéraires…). On y renifle des odeurs de pâtisseries qu’on ne mangera que là-bas, nos oreilles frétillent au contact de cet accent si chaleureux, on effleure entre-aperçois de nouveaux spots publicitaires… sans être trop dépaysés puisque la course à la consommation est la même, le mantra métro-boulot-dodo est identique et dans les transports en commun, on observe un paysage similaire d’usagers qui ont le nez collé sur leur écran de téléphone.   

Plaisir de retrouver Paul. Parenthèse enchaînée pour une petite heure de lecture. Les amoureux de la série devraient se régaler ; pour les profanes, ce n’est pas la meilleure facette que Paul ait à montrer de lui mais c’est une belle occasion de faire sa connaissance [chaque tome est une porte d’entrée dans l’univers de Paul et chaque tome contient un récit complet que l’on peut lire indépendamment des autres, sans avoir la fâcheuse impression d’avoir raté un wagon].

La chronique de Sabine dans son Petit Carré Jaune et le très bel article de François Lemay (avec de l’interview inside).

Paul à la maison (tome 9)

Editeur : La Pastèque

Dessinateur & Scénariste : Michel RABAGLIATI

Dépôt légal : janvier 2020 / 208 pages / 25 euros

ISBN : 978-2-89777-072-3

Auteur : Mo'

Chroniques BD sur https://chezmo.wordpress.com/

11 réflexions sur « Paul à la maison (Rabagliati) »

    1. Oui, à côté de ce tome, les autres semblent très légers ! J’espère que ce titre n’est pas le dernier de la série en tout cas 😉

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  1. J’ai adoré cette introspection et ce Paul qui broie du noir m’a touché en plein coeur (peut-être à cause de la cinquantaine qui arrive à grands pas… je parie que tu vois très bien ce que je veux dire vu que nous sommes nés la même année toi et moi^^).

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  2. Je ne suis pas allé me le faire dédicacer lors de la venue de Rabagliati à Paris, mais je l’ai tout de même acheté un peu après. J’ai failli le commencer ce week-end, puis comme j’ai vu que je n’aurais pas la possibilité de le finir avent le dimanche soir, je me le suis gardé pour plus tard… (vis ma vie de nolife; intérêt du commentaire 0, mais tant pis, je le laisse)

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    1. oui… effectivement… donc tu l’as lu ? 😛
      Alors de mon côté, j’ai profité d’Angoulême pour l’acheter. Et même si je ne suis pas fan du tout des files de dédicaces… il y a des auteurs (comme Rabagliati par exemple) pour lesquels je fais un pas de côté (même s’il n’est pas très causant ce monsieur toudemême)

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  3. Finalement, j’aurais dû faire l’effort d’aller à la dédicace; s’il n’est pas causant, ça aurait bien fait mon affaire 😀 😀
    Sinon, pour répondre à ta question, oui, je l’ai (enfin) lu. C’est, je crois bien, mon préféré de la série à ce jour.

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    1. Toi ? Pas causant ?? Allons allons… je ne parviens pas à y croire un instant ! 😛
      Beaucoup de maturité dans ce tome. Une réflexion plus profonde aussi de la part du personnage. Je comprends toutafé ton ressenti 😉

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