Terre-Neuvas (Chabouté)

Terre-Neuvas
Chabouté © Vents d’Ouest – 2009

Un carnet de bord s’ouvre en février 1913.

C’est la saison de la pêche. L’équipage de la Marie-Jeanne vogue à la recherche des bancs de morue. Parmi eux, Louis, surnommé « Le Boueux » par les autres marins. C’est la dernière recrue des membres de l’équipage et visiblement, il n’est pas de leur monde. Malmené  par le ressac, tourmenté par les hommes, « Le Boueux » semble porter sur ses épaules toute la misère du monde avec ses expressions d’enfant triste accentuées par la présence de ses grands yeux et de ses sourcils tombants. Comment est-il arrivé là ?

Un jour, un des hommes de l’équipage se range de son côté « Les écoute pas! » lui dit-il, « Mange ! Et profite !! Bientôt tu ne mangeras que de la tête de morue bouillie !! Et ça, pendant 6 mois !! ».

Voici un thriller en noir et blanc de Chabouté. L’ambiance est racée, on plonge assez rapidement dans ce monde d’hommes. Un monde dur où les amitiés se sont construites au fil des ans sur la Marie-Jeanne, des personnalités détrempées et des caractères frustres, à l’image des climats que ces hommes doivent essuyer.

Les extraits du carnets de bord du Commandant sert de voix-off qui se matérialise par une écriture manuscrite parfois difficile à déchiffrer. Elle nous donne des repères temporels sans quoi, impossible d’évaluer s’il s’est passé deux heures ou une semaine. La manière dont on rentre progressivement dans ce monde avec la découverte simultanée des différents personnages et de leurs conditions de travail m’a fait faire un parallèle avec A bord de l’Étoile Matutine (une BD sur le monde des pirates publiée en mai 2009, monde dans lequel on rentre progressivement grâce au personnage principal qui, comme Louis dans l’album de Chabouté, doit « faire ses preuves » avant de devenir autre chose qu’un souffre-douleur et progressivement prétendre à un peu d’estime et de respect de la part des autres). Comme dans l’album de Reb’s, le personnage principal, chétif en apparence, s’appuie sur un mentor, une sorte de protecteur qui se chargera de lui transmettre les codes de ce monde et, accessoirement, interviendra ponctuellement pour recadrer les membres de l’équipage quand les propos ou les gestes deviennent trop cruels. Une relation duale privilégiée qui apporte un peu de chaleur à cet huis-clos austère où tout le monde semble hurler en permanence. Des similitudes donc entre Terre-Neuvas et A bord de l’Étoile Matutine : deux albums qui ont pour décor le grand large et font évoluer des personnages parfois bourrus, campés sur leurs positions. Ne peut-il en être autrement pour les albums qui se passent en « huis-clos  marin » ? La construction narrative ne peut-elle s’offrir une autre trame ? Un petit côté « documentaire » également, nous permet de mieux nous rendre compte des difficiles conditions de travail de ces hommes remerciés par un salaire de misère comparé aux risques qu’ils prenaient.

Le fait que Chabouté nous propose un ouvrage en noir et blanc, sans aucun dégradés de gris (excepté sur les rares planches de brume) renforce les contrastes et accentue la violence et la force des ambiances.  Cela n’est pas non plus sans me rappeler le trait de Comès, peut-être est-ce du aussi à l’expressivité des visages  et la présence de ces regards qui nous transpercent par moment, ou à l’attention particulière accordée aux décors… ?? Quoiqu’il en soit, cet univers a quelque chose de familier pour moi et cela renforce l’intérêt que j’ai porté à cette lecture. Les planches présentant ces marins dans leurs petites barques (les doris) au milieu d’une mer démontée sont impressionnantes. Les découpes de planches effectuées par Chabouté cassent la linéarité du visuel et créent réellement une impression de mouvement. La planche semble comme désordonnée, dépourvue de son équilibre habituel, je trouve le rendu très réussi.

PictoOKUn bon album dans lequel la tension monte progressivement. Un univers très prenant et un dénouement inattendu.

L‘avis d’Alain et celui de Choco.

Extraits :

« L’océan ensorcelle et berce les rêves de l’homme !! » (Terre-Neuvas).

« C’est la loi des bancs : Quand la Morue donne, c’est pêche ou crève » (Terre-Neuvas).

Terre-Neuvas

One-Shot

Éditeur : Vents d’Ouest

Collection : Intégra

Dessinateur / Scénariste : CHABOUTE

Dépôt légal : août 2009

ISBN : 9782749304892

Bulles bulles bulles…

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Terre-Neuvas – Chabouté © Vents d’Ouest – 2009

Auteur : Mo'

Chroniques BD sur https://chezmo.wordpress.com/

13 réflexions sur « Terre-Neuvas (Chabouté) »

    1. je découvre seulement cet auteur. Comme pour Rabaté il y a quelques mois, j’avais des appréhensions de longues dates qui se justifiaient à l’époque (graphisme, intérêt pour le sujet…). Je suis bien contente de revenir petit à petit sur mes a priori et élargir un peu mes « références BD »

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  1. J’ai beaucoup aimé cet album aussi d’autant plus que je suis une descendante de ces gens frustes, ayant plusieurs ancêtres terre-neuvas dont un péri en mer là-bas.mais je n’ai jamais encore entendu parler de crimes commis sur les bateaux , encore moins de thrillers. C’était tellement de bons chrétiens, des gens très pieux pour la plupart! N’empêche , c’est un bel album!

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    1. c’est vrai que je n’ai pas de point de comparaison dans mon entourage, pas d’amis marin non plus. J’ai bien aimé l’exercice de style de Chabouté, rajouter du piquant et de la ension à cet huis-clos. Un petit côté « les 10 petits nègres » peut être. Je suis une grande adepte de polars, de thrillers, ceci explique cela. Et puis c’est vrai que la force des dessins de Chabouté a tôt fait de nous embarquer dans cette ambiance

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