La race humaine est en voie d’extinction. Il ne reste plus que 4000 colons humains vivants aux quatre coins de la galaxie. Le temps leur est compté. Décimés par la Crépine – un virus intelligent – que les humains ne parviennent pas à éradiquer. Ces derniers espèrent trouver une planète habitable où ils pourront se mettre à l’abri de cette terrible épidémie.
An 3797, sur la planète Atabithi. Nika opère. Rattachée à une colonie scientifique, elle tente d’entrer en contact avec des aliens bleus. Elle les pense bienveillants, du moins à son endroit. Pour mener à bien sa mission, elle compte sur l’aide d’Essie – une Intelligence Artificielle – qui l’accompagne dans tous ses déplacements. Essie met notamment au point un programme de traduction qui devrait permettre à Nika de communiquer avec les aliens.
Le temps est compté… Nika souhaite obtenir l’accord des aliens pour accéder à leur champ de Trillium, une plante aux vertus thérapeutiques nécessaire dans la fabrication d’un vaccin efficace (et durable) contre la Crépine. Chose inespérée, la communauté extra-terrestre accepte de l’accueillir et organise un rituel initiatique durant lequel Nika doit manger une fleur de Trillium. C’est alors que les frontières du réel se tordent. Nika est projetée dans une réalité temporelle qui n’est pas la sienne et c’est là, dans ce lieu à la fois étrange et familier, qu’elle rencontre William, un ancien soldat qui ne se remet pas du traumatisme que lui a causé la Première Guerre Mondiale.
Loin de sa zone de confort habituelle, Jeff Lemire s’aventure seul dans le registre de la science-fiction. Avec « Trillium », il développe un thriller futuriste où les personnages flirtent avec la folie. Si jusqu’à présent, son univers d’auteur s’attardait à développer la psychologie de ses personnages (« Essex County », « Jack Joseph, soudeur sous-marin »), ceux-ci évoluaient dans des mondes réalistes. L’histoire d’amour qu’il développe nous permet d’ancrer le lecteur dans des éprouvés concrets, le reste de l’intrigue étant une prolongation de sujets de société actuels que l’auteur a transposé dans un décor futuriste (colonisation de nouveaux territoires, survie d’une espèce, choc de cultures, traditions, technologies, conflits armés, épidémies…).
« Avec « Trillium », j’ai tenté de raconter une toute petite histoire d’amour, profondément humaine, mais noyée dans un décor cosmique gigantesque » explique Jeff Lemire dans les bonus insérés en fin d’album.
Force est de constater qu’il parvient tout à fait à atteindre son objectif. La romance nous sert de fil rouge auquel on se raccroche durant la lecture. Car pour le reste, l’auteur nous emmène aux confins de la galaxie puis nous projette sur Terre l’instant suivant. Il nous fait voyager dans le temps au point que les périodes se confondent et se répondent en écho. Il invente une quête futuriste dans laquelle l’espèce humaine se bat pour sa survie et il met en parallèle cette sombre période avec les ravages causés par la Première Guerre Mondiale, montrant tout le côté dérisoire des conflits armés, mettant en contraste le combat mené par une poignée de survivants et la folie humaine d’une race qui, dans un mouvement haineux, est capable de s’exterminer seule dans une grande guerre planétaire.
J’étais plus habituée aux illustrations en noir et blanc que Jeff Lemire a réalisés sur deux de ses précédents albums (« Jack Joseph » et « Essex County » que j’ai déjà cités plus haut). J’appréhendais donc le passage à la couleur, trouvant son emploi du noir & blanc fort pertinent. Pourtant, je n’ai eu aucun mal à entrer dans l’univers de « Trillium ». Il faut dire que Jeff Lemire propose un scénario mordant, le rythme s’installe immédiatement et sitôt la lecture engagée, le lecteur est déjà dans le feu de l’action aux côtés de Nika.
Malgré la construction complexe de cet album que le lecteur va devoir tourner et retourner, il n’y a aucun moment de doute quant à la cohérence de ce qui nous est donné à lire. En effet, la composition des planches permet de faire le distinguo entre la période principale de l’intrigue (celle de Nika, en 3797) et la période secondaire (celle de William en 1921). Les illustrations de Jeff Lemire nous obligent régulièrement à retourner l’album [d’un point de vue pratico-pratique, il faut le prendre à l’envers] pour lire les passages qui se déroulent dans notre passé proche [de lecteur] et le reprendre « à l’endroit » ou dans notre futur lointain. En tournant le livre, on marque une courte pause dans la lecture, comme si on se préparait à faire un bond dans le temps. On se perd délicieusement entre ces pages, troublés tout comme doivent l’être les personnages de cette fiction, perdant nos repères et la notion du temps qui passe. Qu’est-ce qui appartient au passé ? Qu’est-ce qui appartient au futur ? Et nous, sommes-nous dans le présent ?
A l’aide d’une note insérée en début d’album, l’éditeur avait averti le curieux qui s’apprête à découvrir le récit de Jeff Lemire : « Chères lectrices, chers lecteurs. Vous êtes sur le point d’embarquer pour un voyage inédit et bouleversant, sur le plan émotionnel, mais aussi et surtout graphique. Comme vous allez vous en rendre compte, certaines pages ont été volontairement placées à l’envers par l’auteur. Elles le sont parfois de manière ponctuelle, parfois sur tout un épisode. Vous aurez donc souvent à naviguer selon une trajectoire à première vue chaotique, opérant des retours en arrière et des sauts dans le temps ».
Un album original dans lequel on plonge sans retenue. Un thriller futuriste, une romance intemporelle… de bons ingrédients narratifs qui donnent beaucoup de plaisir au lecteur. Une expérience de lecture à faire.
Les chroniques : José Maniette, Ted, Yvan.
La BD de la semaine est aujourd’hui chez Noukette !
Trillium
One shot
Editeur : Urban Comics
Collection : Vertigo Deluxe
Dessinateur / Scénariste : Jeff LEMIRE
Dépôt légal : octobre 2014
ISBN : 978-2-3657-7429-1
Bulles bulles bulles…
Jeff Lemire m’avait convaincue avec « Essex County ». J’avais ensuite noté « Jack Joseph » (que je n’ai pas encore lu). Comme toi, j’aimais bien son univers en noir et blanc mais la nouveauté m’attire aussi. Et le fait de devoir retourner le livre m’intrigue beaucoup !
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Pour le coup, le lecteur est mis à contribution et on ne peut pas reprocher au livre de nous mettre dans une position passive 🙂
J’ai bien aimé cet album. Moins que « Essex County » mais bien plus que « Jack Joseph » 😉
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L’originalité qui se dégage de ta critique éveille ma curiosité. Je te remercie pour la découverte. Au plaisir de te relire…
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J’essaye toujours de rester dans le ton de l’album quand j’écris une chronique. Sur certains titres, c’est plus facile que d’autres. Ici – et comme souvent – c’est surtout le vocabulaire qui m’a fait défaut mais je crois être parvenue à retranscrire assez justement ce par quoi je suis passée pendant la lecture. J’espère que tu apprécieras ce titre si tu te lances dans l’aventure 😉
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Pas spécialement tentée par ce titre.
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Je comprends Moka. Quoi que, Lemire propose de la SF très originale, au même titre que Lupano avait proposé une quête atypique en héroïc fantasy en réalisant « Alim le tanneur » 😉
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Autant mon passé lupanien (oups, écrit ainsi on dirait presque une maladie vénérienne ^^) me pousserait volontiers vers Alim, autant là, je reste de marbre. 😉
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Alors j’espère que le vent te poussera vers Alim car c’est un beau voyage à faire 😉
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Je suis déjà sortie de ma zone de confort en lisant de la SF en BD, faudrait pas que ça devienne une habitude non plus hein (mais tu es super convaincante dame Mo’, pfffff….)
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Ne sait-on jamais… 😛 Tu pourrais te laisser tenter une fois encore (je dis ça en mettant ma petite auréole sur la tête ^^)
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J’avais beaucoup aimé Jack Joseph mais là, malgré ton enthousiasme, j’ai plutôt envie d’y aller à reculons 🙂
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Mais pourquoi tant de haine ??!! C’est sûr qu’à première vue, son dessin rend moins bien en couleur qu’en N&B. C’est la première réflexion que je me suis faite et la raison pour laquelle j’ai mis un an avant de le lire. Il végétait dans ma PAL depuis sa sortie. Par contre, sitôt ouvert, je l’ai lu d’une traite
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Cette originalité m’attire même si je ne suis pas portée sur la SF…
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J’étais une grosse lectrice de SF avant (le « avant », c’était il y a 20 ans). Maintenant, j’ai du mal à y revenir mais avec ce genre de récit, je veux bien revoir la question de mon positionnement 🙂
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C’est l’originalité qui m’attire !
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Il suffit de trouver un point d’accroche. Que ce soit avec l’auteur, le genre, le fond ou la forme… En tout cas, j’ai très envie de donner envie de lire ce livre 🙂
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Ça a l’air génial ça, je me note la référence, le synopsis me tente carrément 🙂
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Ben oui. Et tu devrais te régaler je pense. Je te vois bien en train de tourner ce bouquin dans tous les sens et de râler en cherchant la sortie 😛 C’est ce qui m’est arrivé. Sur un passage notamment, d’une quinzaine de pages, j’ai retourné le livre trop tôt. Du coup, je me suis retrouvée sur un passage que j’avais déjà lu mais je l’ai lu d’une autre manière finalement (en ayant connaissance de nouveaux éléments). Bref, c’est rudement bien ce « Trillium » 😉
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Ta réponse ne rend cette lecture que plus alléchante encore !
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On pourra en parler de vive-voix bientôt. Ça te laisse trois mois pour lire cet album 😀
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Ah lala, je vais déjà tâcher de reprendre un rythme correct parce qu’en ce moment, c’est pas trop ça…
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Je ne ferais pas de commentaires sur ce point. Côté régularité, disons que je ne suis pas très au point 😛
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malgré ton magnifique billet, un truc me dit que cette BD n’est pas faite pour moi 😉
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Ah zut et flûte ! 🙂 Effectivement, on peut facilement te trouver un album qui te plaira à coup sûr. Tiens d’ailleurs, je pense au dernier Fabcaro sur lequel tu avais commenté (pas certaine que la forme te plaise mais le fond en revanche devrait te convaincre. J’en mettrais ma main au feu… oulà ^^)
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Un ouvrage renversant ! 😉
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Absolument ! J’ai vu que tu l’avais lu pour le RB il y a… un an !.. 🙂
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Je l’ai lu il y a 1 an et j’avais adoré. Le côté original de la lecture avec c’est changement de côté et ce dessin magnifique. Wahou, ça me fait plaisir de le voir resurgir !
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Mince ! Tu as une chronique en ligne ?? 😛 Je vais voir ça de ce pas 😉
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Non j’avais fais de mots pour la librairie dans laquelle je travaille seulement.
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Pas grave. Je suis allée fouiller ton site et je n’ai pas trouvé. Mais j’ai un résumé de ton avis via le précédent commentaire que tu as déposé 😉
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