L’Oiseau de Colette (Arsenault)

Arsenault © La Pastèque – 2017

Comme tous les enfants, Colette rêve d’avoir un animal domestique. Alors elle demande inlassablement à ses parents et essuie inlassablement la même réponse : non !
Ça fait peu de temps que Colette et ses parents viennent d’emménager dans leur nouvelle maison. Alors Colette part découvrir son nouveau quartier mais elle ne sait pas bien par où commencer. Très vite, elle fait la connaissance de deux garçons. Passées les rapides présentations, ils lui demandent ce qu’elle faisait avant de les rencontrer. Colette est prise au dépourvu alors elle ment et raconte qu’elle était en train de chercher son oiseau. Les deux garçons souhaitent aider leur nouvelle amie, alors ils l’emmènent voir Lili ; avec sa grosse paire de jumelles, la tribu devrait retrouver l’oiseau de Colette facilement. Mais Lili a une autre idée… et de fil en aiguilles, Colette va découvrir son nouveau quartier par l’intermédiaire de tous les enfants de son âge qui feront désormais partie de son quotidien.

Avec son nouvel album jeunesse, Isabelle Arsenault nous emmène user nos semelles dans le quartier de Colette, quartier qu’elle découvre en même temps que nous. La balade est ponctuée de haltes de chez les enfants du quartier – fille ou garçon – et c’est autant d’amitiés naissantes auxquelles nous assistons. Le même schéma se reproduit systématiquement : un enfant du groupe raconte ce que l’on sait déjà sur cet oiseau et le nouvel arrivant pose une question sur l’oiseau, « obligeant » Colette à mentir de nouveau et à apporter un détail supplémentaire qui doit permettre au groupe de retrouver l’oiseau. Un tout petit mensonge qui la surprend bien moins que l’effet qu’il produit sur les autres. Sans même avoir le temps de revenir sur ses paroles, la voilà embarquée dans un périple aux quatre coins de son nouveau quartier en compagnie des enfants de son âge. Puis le groupe d’enfants, toujours plus gros, se remet en marche vers la maison d’un autre enfant.

L’imagination de Colette n’a pas de limites. La fillette est complètement dépassée par les conséquences de ce qu’elle a provoqué mais elle enchérit à chaque fois. A cet instant-là, les traits de son visage se contractent un peu comme s’il lui était incapable de revenir en arrière pour dire la vérité, comme si elle avait peur de décevoir et perdre d’un coup tous ces nouveaux amis qu’elle connaît à peine. Elle comme fascinée aussi, prise dans son propre jeu qui lui permet de donner corps à son rêve d’avoir un animal à elle… un oiseau que l’imagination de Colette rend facétieux, fugueur et… fantastique !

Le dessin est assez timide en début d’album. Un peu de jaune, un peu gris et du noir rehaussés d’un sépia délavé servent à illustrer les premiers pas de l’enfant dans son nouvel environnement. A mesure qu’elle apporte des détails à son mensonge, on sent l’euphorie gagner les dessins. Les sourires généreux sur le visage des enfants sont communicatifs. On imagine les étoiles dans les yeux de l’héroïne ; elle ment du bout des lèvres mais à mesure que l’engouement de ses camarades grandit, son imagination invente de nouveau détail.

Un récit drôle, optimiste et plein d’entrain qui donne corps au rêve d’une fillette et lui permet d’entrer en douceur dans son nouveau groupe d’amis.
Un récit tendre qui parle du rêve d’une fillette et de solidarité.
Une histoire qui se construit sur un petit mensonge, un mensonge pas très grave mais un mensonge tout de même. Un livre tout doux qui fait rire les jeunes lecteurs et leur donne envie d’avouer quelques petits mensonges qu’ils ont osé dire de-ci de-là… une belle aubaine pour les parents !

L’Oiseau de Colette

One shot
Editeur : La Pastèque
Dessinateur / Scénariste : Isabelle ARSENAULT
Dépôt légal : août 2017
48 pages, 14 euros, ISBN : 978-2-89777-015-0

Bulles bulles bulles…

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L’Oiseau de Colette – Arsenault © La Pastèque – 2017

Louis parmi les spectres (Britt & Arsenault)

Britt – Arsenault © Editions La Pastèque – 2016
Britt – Arsenault © Editions La Pastèque – 2016

Louis est un petit garçon pas comme les autres. Déjà, parce qu’il vit dans une famille pas tout à fait comme les autres. Son père est alcoolique et l’alcool le fait pleurer pendant des heures. La mère de Louis aussi est triste, mais pas pour les mêmes raisons que son père. Maintenant, elle a peur… d’un peu tout… des microbes, de la saleté, des inconnus, des retards… Enfin, son petit frère, que tout le monde appelle Truffe, est un inconditionnel fan de James Brown et met parfois une cape pour aller à l’école. Avant, la famille de Louis vivait à la campagne. Mais ils ont dû déménager pour s’installer en ville. La vie d’avant leur manque.

Quand on s’assoit sur le balcon arrière, on a une vie (imprenable ! dit ma mère) sur les autos, les camions, les klaxons, les bouchons et le béton. Un jardin automobile au-dessus duquel notre famille est perchée comme une famille d’oiseaux empoussiérés. Elle dit que c’est presque aussi beau que le jardin d’avant, celui de la campagne

Quand Louis était petit, il aimait pêcher des bouteilles dans la rivière. Il les attrapait avec un filet. Aujourd’hui, il ne peut plus le faire, sa mère le lui interdit. Elle lui interdit ça et d’autres choses encore, comme de faire un détour en rentrant de l’école. Il s’inquiète pour son père, pour sa mère mais pas trop pour Truffe. Mais ce qui embête le plus Louis, c’est de ne pas pouvoir dire à Billie qu’il l’aime.

Billie, c’est elle. Une sirène à lunettes, une tempête de pluie, une fontaine à chocolat, une reine muette. (…) Quand elle parle, tout s’illumine. Tout explose en grappes de miel et de feu. Billie ne fait pas des menaces, elle fait des promesses

Heureusement, Louis a son meilleur ami. Il s’appelle Boris. A lui, il peut tout dire.

Entre les crayons de papier ou de couleur, aquarelle, feutres, encre de Chine, graphite… Isabelle Arsenault crée une ambiance unique où le temps semble suspendu et suspend le lecteur aux illustrations comme au récit. Les teintes douces, légèrement délavées, nous font ressentir la quiétude jusqu’à ce que jaillisse, comme par effraction, une couleur primaire. Vive, chaude, stimulante, qui nous permet de ressentir l’émoi du narrateur. Une émotion due à l’inquiétude, au sentiment amoureux, à la peur. Les couleurs peuvent alors être chassées des pages, remplacées par des traines de gris, de noirs, un tourbillon de traits où l’on saisit le trouble du personnage, son incapacité à agir, à dire. Puis, la vague de tristesse passe, la boule au ventre se résorbe, et la couleur revient, ravivant notre gourmandise, nourrissant notre curiosité et nous poussant à tourner la page, loin, toujours plus loin dans la connaissance de cet univers, à la merci des confidences de l’enfant.

Louis parmi les spectres – Britt – Arsenault © Editions La Pastèque – 2016
Louis parmi les spectres – Britt – Arsenault © Editions La Pastèque – 2016

On a l’impression que les mots effleurent les pages, s’y posent avec la douceur d’une plume. A l’instar de « Jane, le renard et moi », le charme opère et cet album, fruit d’une nouvelle collaboration entre Fanny Britt et Isabelle Arsenault, nous fait oublier tout ce qui nous entoure… tout ce qui est extérieur à l’histoire racontée dans ce livre. Il y a chez ces enfants une forme de solitude qui les pousse à se faire violence, qui les poussent à dépasser la difficulté, obstinés à ne pas laisser la situation en l’état. Tandis qu’Hélène se réfugiait dans son monde intérieur, Louis lui s’appuie sur son meilleur ami. Tandis qu’Hélène tentait d’apprivoiser un renard, Louis recueille un jeune raton laveur. Il y a comme un air de famille entre ces deux enfants. Il y a quelque chose qui donne l’impression au lecteur d’être ici chez lui, de côtoyer un environnement familier. Le scénario mêle deux univers. En ce qui concerne le premier, l’enfant peut tout à fait en délimiter les contours : l’école, l’amitié, la présence de sentiments amoureux. L’autre en revanche est plus incertain, il fait appel à un ressenti qu’il connaît peu et qu’il n’ose pas questionner : l’alcoolisme de son père, les angoisses de sa mère, le couple parental qui part à la dérive. Fanny Britt en explore chaque recoin, aidé en cela par le talent graphique d’Isabelle Arsenault.

PictoOKPictoOKUn livre qui émeut, un livre dont on sait qu’on se rappellera, un livre précieux, un livre à la fois tendre et dur. Un coup de cœur.

Je partage cette lecture à l’occasion de la « BD de la semaine ». Allez donc faire un tour chez Noukette qui rassemble aujourd’hui les liens des autres lecteurs.

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Extraits :

« Il pleure pendant des heures, comme pour distraire la douleur » (Louis parmi les spectres).

« Je ne savais pas que l’amour c’est comme une roche qui nous explose le cœur, qui fait mal autant qu’il fait vivre, et qu’il donne envie de fuir en même temps qu’il nous empêche de le faire » (Louis parmi les spectres).

Louis parmi les spectres

One shot
Editeur : Les Éditions de la Pastèque
Dessinateur : Isabelle ARSENAULT
Scénariste : Fanny BRITT
Dépôt légal : novembre 2016
160 pages, 21 euros, ISBN : 978-2-989777-000-6

Bulles bulles bulles…

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Louis parmi les spectres – Britt – Arsenault © Editions La Pastèque – 2016

Jane, le renard et moi (Britt & Arsenault)

Britt – Arsenault © La Pastèque – 2012
Britt – Arsenault © La Pastèque – 2012

« Impossible de se promener aujourd’hui. Ni dans les couloirs de l’école, ni dans la cour, ni même dans les escaliers du fond, ceux qui mènent au local d’arts plastiques et qui sentent le lait caillé. Elles sont partout, comme leurs insultes griffonnées sur les murs. ».

La petite Hélène vit à Montréal. Il y a quelques temps encore, elle était entourée d’amies. Avec Geneviève, Anne-Julie, Chloé et Sarah, elle partageait goulument des conversations sur leurs films cultes, les derniers groupes de musique à la mode ou encore le plaisir de posséder puis porter de vieilles robes à crinoline. Mais ce temps-là est révolu. Aujourd’hui, Hélène est esseulée.

« Ne parlez pas à Hélène, elle n’a plus d’amies »

Ses amies sont devenues ses meilleures ennemies. Toujours à la rabrouer, à l’insulter, à la complexer sur son apparence physique.

« Hélène pèse cent seize »

Depuis un moment, Hélène a le vague à l’âme. Elle fuit, se fait toute petite pour se faire oublier. Espère ne pas croiser les filles dans le bus qu’elle prend tous les jours pour rentrer à la maison et trouve du réconfort dans ses lectures. En ce moment, elle plonge avec délectation dans le roman de Charlotte Brontë : Jane Eyre.

La tristesse d’Hélène nous happe dès les premières pages. En voix-off, on entend ses pensées les plus secrètes, celles dont elle n’ose parler à personne, pas même à sa mère pour qui elle a tant d’affection. Le lecteur est intrigué par cette enfant et par le motif de cette rupture brutale avec ses anciennes amies. Pourquoi s’acharnent-elles autant sur elle ? L’envie d’avoir la réponse à cette question m’a tenu en haleine pendant toute la lecture même s’il l’explication est ailleurs. Avec beaucoup de tact, Fanny Britt développe un scénario qui transcende la souffrance de l’enfant et nous permet de la matérialiser. Chahutée par une période de troubles, elle vit – sans aucun soutien extérieur – les derniers moments de son enfance avant d’entrer de plein pied dans l’adolescence. Elle tente de s’accepter mais le regard que les autres posent sur elle lui donne une image d’elle abîmée, vilaine… épouvantable. Est-ce que je suis grosse ? Est-ce que je sens mauvais ? Est-ce que je suis bête ?… l’enfant est incapable de trouver de réponse fiable à ses questions et sa solitude la contraint à supposer des réponses aussi douloureuses les unes que les autres. La fillette avance ainsi en aveugle sur le chemin de la vie et le lecteur est contraint d’avancer à l’unisson avec elle.

Britt – Arsenault © La Pastèque – 2012
Britt – Arsenault © La Pastèque – 2012

Pour étayer nos hypothèses, on s’appuie sur les dessins d’Isabelle Arsenault. On cherche à comprendre, à relativiser certainement, les propos incisifs des autres jeunes filles. Les traits d’Hélène sont plutôt doux, la fillette semble être jolie. Elle n’est pas obèse, pas « bizarre », pas coquette. A vrai dire, les propos des petites pestes semblent infondés. Est-ce tout simplement une question de jalousie excessive qui les anime ? Sont-elles elles-mêmes prises au piège dans leur jeu moqueur stupide ? C’est difficile à dire et tout ce qui fait le seul de cette lecture est justement le fait que les deux auteures parviennent à tenir le lecteur sur le fil d’un bout à l’autre du récit. Et puis il y a aussi ces passages durant lesquelles la fillette est plongée dans Jane Eyre. De fait, la dessinatrice développe deux ambiances graphiques différentes. Pour décrire le quotidien de la jeune fille, l’atmosphère dominante se développe dans des tons gris tourterelle, le trait est alors proche du croquis, on imagine des dessins réalisés au crayon de papier ou au feutre fin. En revanche, les incursions dans le monde imaginaire de la fillette – et la manière dont elle se représente l’univers de son héroïne – laissent échapper de multiples touches de couleur. Les formes se courbent, le trait s’arrondit et se pare de quelques accessoires (un pendentif, de la dentelle…). On ressent tout le réconfort qu’elle trouve à côtoyer cette femme fictive dans laquelle elle se projette.

« Parce qu’elle est devenue adulte et brillante et mince et sage, Jane Eyre ne se fait plus jamais traiter de menteuse, de voleuse ou de laideron »

PictoOKPictoOKLe dénouement de l’album nous laisse sur une fin ouverte, nous laissant de nouveau supposer le meilleur comme le pire et nous glissant de nouveau à l’oreille que rien n’est figé, tout est en devenir… comme cette très jeune adolescente qui devra encore parcourir un long chemin afin de mener à bien sa quête identitaire. Un ouvrage très touchant dans lequel on ressent beaucoup d’empathie pour cette enfant victime de harcèlement et devenue le souffre-douleur de toute sa classe.

La chronique de Kikine, Theoma, Colimasson et la chronique vidéo de Pénélope Bagieu.

Extrait :

« L’hiver s’étire comme un invité sans manières » (Jane, le renard et moi).

Jane, le renard & moi

One shot

Editeur : La Pastèque

Dessinateur : Isabelle ARSENAULT

Scénariste : Fanny BRITT

Dépôt légal : octobre 2012

ISBN : 978-2-923841-32-8

Bulles bulles bulles…

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Jane, le renard & moi – Britt – Arsenault © La Pastèque – 2012