Dans la nuit noire (Small)

David Small revient avec un roman graphique tout aussi poignant, témoin d’une adolescence américaine malmenée et livrée à elle-même.

Small © Guy Delcourt Productions – 2021

Le décor de ce récit fictif est une petite ville américaine californienne. Des parents défaillants, totalement absents et absolument englués dans leurs propres problématiques, et c’est un jeune garçon – au seuil de l’adolescence – qui doit apprendre à grandir seul dans un monde où les dangers sont à chaque coin de rue.

Russell a treize ans lorsque sa mère décide de quitter le foyer, le laissant seul avec son père. Tous deux vont déménager en Californie. Ils louent une chambre chez la famille Mah, premier pied-à-terre de cette nouvelle vie. Quand le père de Russell trouve un travail, ils investissent leur nouvelle maison. Elle se trouve non loin de chez les Mah qui resteront un repère pour Russell ; leur maison restera un lieu ressource quand tout va au plus mal et qu’il a besoin de reprendre des forces.

Avec son père, Russell doit très vite apprendre à se débrouiller seul mais ce n’est pas tout. Il doit tout apprendre par lui-même : à se protéger, à créer des alliances (à défaut de se trouver des amis)… apprendre à grandir le moins bancal possible.

Onze ans après « Sutures » , le trait de David Small s’est affiné. Il est moins dépouillé et le propos est moins incisif.

Son premier roman graphique lui a certainement servi de catharsis mais le besoin de parler de l’adolescence reste visiblement présent. La solitude du personnage central est la même. Lui aussi pousse un cri silencieux qui lui permet de supporter son désespoir. On retrouve des thèmes similaires, comme si l’artiste faisait invariablement rimer « adolescence » avec solitude, souffrance, manque d’affection, humiliations et indifférence de l’entourage.

Russell a peu d’estime pour lui-même. Il se déteste et ne voit en lui que ses défauts : la lâcheté, l’absence de pugnacité… tout en lui semble l’exécrer. Il n’a aucune consistance, aucun charisme, aucune passion, aucune conviction. Rien. Tout est à construire. Il s’embourbe dans les mots, ne sait pas comment faire pour attirer l’attention de son père et chacune de ses tentatives est interprétée de manière brutale par un paternel qui semble incapable d’aimer son fils.

Le dessin de Small s’est habillé de discrets apparats… j’ai du moins l’impression qu’il est plus maîtrisé. Il y a de nombreux passages muets qui accentuent l’impression de solitude dont est entouré le héros. Ces silences mettent également en exergue le poids des non-dits et la culpabilité que le personnage principal ressent d’avoir laissé filé des occasions de dire ce qu’il avait sur le cœur. Sans personne à qui faire confiance, il tâtonne, il est effrayé.

Sans aucune figure parentale à laquelle s’amarrer et se rassurer, le personnage se vit en naufragé. S’il parvient à identifier les traits de caractères et les centres d’intérêt de ceux qui l’entoure, il échoue à y parvenir pour lui-même. On a l’impression qu’il est une coquille vide. On observe ainsi la difficile quête identitaire du personnage principal. Il cherche à lier des amitiés qui ne le nourrissent pas ; il imite en silence, il obtempère docilement pour se faire accepter mais ne trouve aucun plaisir, ni aucune gratification à se fourvoyer de la sorte. Il ne trouve tout simplement pas sa place auprès des autres. Ses doutes, son manque de confiance, sa solitude nous sont livrées sans filtre.

Le personnage est touchant mais je n’ai pas été réellement émue par cette lecture où il est question d’une adolescence difficile à vivre du fait d’un contexte familial délétère.

Dans la nuit noire (one shot)

Editeur : Delcourt / Collection : Outsider

Dessinateur & Scénariste : David SMALL

Traduction : Nicolas BERTRAND

Dépôt légal : mars 2021 / 408 pages / 24,95 euros

ISBN : 9782413024125

Trajectoire de femme (Williams)

Williams © Massot éditions – 2021

Metro, boulot, dodo.

Erin Williams vit dans la banlieue new-yorkaise. Chaque jour, elle prend le train pour aller travailler en ville. Pendant les trajets, elle laisse aller ses pensées. Elle voit le regard des hommes se poser sur elle, elle y lit leur désir pour son corps ou leur indifférence… elle y associe ses souvenirs, se rappelle de sa vie passée, des traumatismes qu’elle a vécus et de l’alcool qui était son unique allié.

Sur le tard, elle a rencontré des personnes sur lesquelles elle s’est appuyée. Trouver de nouveaux repères et une autre dynamique de vie était la seule issue pour ne pas sombrer définitivement. Il lui a fallu apprendre à se protéger des hommes et surtout (surtout !) apprendre à s’aimer un peu.

Aujourd’hui, Erin semble vivre de façon mécanique. Elle se lève, déjeune, s’habille, se maquille et sort le chien avant de prendre le train pour aller au travail. Elle a désormais des rituels qui bordent son quotidien. Les frontières d’un espace sécure. Elle est loin, bien loin des prises de risques qu’elle prenait quand elle était plus jeune. Elle a reconstruit sa vie et la maternité lui apporte cette part d’inconnu qui lui permet, pas à pas, de s’apaiser. Dans cette incessante découverte de l’autre qui grandit et s’ouvre à la vie, Erin s’épanouit et mesure le chemin qu’elle a parcouru… elle mesure aussi le décalage avec sa vie d’avant. Plonger son regard dans celui de sa fille est la preuve de toutes les victoires qu’elle a gagné. Elle n’a plus besoin de s’oublier… elle n’a plus besoin d’oublier son corps, elle n’a plus besoin de l’alcool. Le soir, lorsqu’elle rentre chez elle, elle est sereine. Elle a aussi trouvé un emploi où elle s’épanouit… elle s’y investit avec sérieux. Mais durant ses trajets en train ou lorsqu’elle n’est pas occupée, elle est ailleurs… ses pensées cheminent, elle ressasse les souvenirs. Elle repense au passé, elle revoit ces hommes qui l’ont malmenée. Son rapport aux hommes l’a longtemps fait vaciller. Face à eux, elle a été brindille. Avec eux, elle a connu les tourments au point de se détruire et de s’oublier quotidiennement dans l’alcool.

« C’est bizarre qu’on vous rappelle sans cesse ce que vous êtes : « désirable + visible » ou « indésirable + invisible » . Dans le premier cas, vous ressentez une sensation permanente de danger. Dans le second cas, vous vous sentez seule au monde. C’est ça, être une femme dans un lieu public. »

Aujourd’hui encore, leurs regards créent chez elle une sorte de malaise. Erin Williams repense souvent aux expériences qui l’ont fragilisée. Viols, agressions sexuelles… lui ont laissé la sale impression d’être une proie et que les hommes sont des prédateurs.

« Mon esprit aimerait oublier ce que c’est d’être considérée comme un corps inerte, une série de trous. Mais le corps et ses colonies sont dévorés de besoins. Le nier, c’est nier sa propre humanité. »

Alors oui, le dessin est grossier et le parler est direct. Un quotidien en noir et blanc, un décor minimaliste. Il y a quelque chose d’assez factuel dans la façon de relater les fait et de les illustrer. Par moment, surgit une planche en couleurs où l’illustration est travaillée et la voix-off mue en un filet poétique. Sous la carapace, on ressent une grande sensibilité.

Dans ce récit autobiographique, Erin Williams montre toute la difficulté de se construire, en tant que femme, dans une société qui prône la culture du viol. Des policiers qui banalisent des agressions sexuelles, des hommes qui font culpabiliser quand on rejette leurs avances. La honte qui en découle, le réflexe de se replier sur soi. La solitude dans laquelle elle s’est réfugié pour se protéger.

« Les alcooliques, comme les drogués, veulent oublier. Ils recherchent la paix au moyen de l’anéantissement physique, émotionnel et mental. Le sexe permet d’atteindre cet état grâce à l’orgasme. Une perte de soi. »

Elle parle de désir. De son désir qu’elle a trop souvent ignoré pour satisfaire le désir d’un partenaire éphémère. Elle s’est blessée au contact d’autres corps. Elle a été une femme-objet, complice silencieuse de sa chosification.

Elle développe une réflexion de fond sur les rapports hommes-femmes, la perception que chacun peut avoir de son propre corps et sur l’instrumentalisation du corps de la femme par la société.

« On voit des femmes à moitié nues partout dans la rue. C’est comme ça qu’on vend des objets aujourd’hui. »

Ce récit est une catharsis. L’autrice livre un témoignage très personnel, dérangeant sur certains aspects. La réflexion de fond sur la place de la femme dans la société m’a beaucoup plu.

Trajectoire de femme – Journal illustré d’un combat (one shot)

Editeur : Massot éditions

Dessinateur & Scénariste : Erin WILLIAMS

Traduction : Carole DELPORTE

Dépôt légal : mars 2021 / 304 pages / 26 euros

ISBN : 9782380352276

Les Mystères de Hobtown, tome 2 (Bertin & Forbes)

« L’Affaire des Hommes disparus » est le premier tome de l’univers des « Mystères de Hobtown ». Dans le premier tome, l’intrigue portait sur une succession de disparitions dans la petite ville et l’ouverture d’une enquête. Dana Vance dirige une équipe de cinq enquêteurs dont fait notamment partie Sam Fich, le fils d’un des disparus. Un petit rappel des faits nous accueil dans ce second tome.

Bertin – Forbes © Pow Pow – 2020

Nous nous trouvons à Hobtown, une petite bourgade fictive de Nouvelle-Ecosse. Les fêtes de Noël approchent et le vieil ermite du village a été terrassé par une violente crise de panique. Dans la myriade de témoins présents lors du drame, un petit groupe de cinq amis. Ensemble, ils avaient enquêté sur une affaire de disparitions inquiétantes. L’attitude étrange de l’ermite leur met la puce à l’oreille… est-ce un avant-goût de nouveaux événements tragiques à Hobtown ? Ce n’est qu’une intuition et rien, pour le moment, ne leur permet de savoir par où orienter leurs recherches.

Pour l’heure, les vacances de Noël commencent. Dana, Sam, Pauline, Brennan et Dennis ont des projets. Tandis que Dana doit partir en vacances avec son père, Pauline et Brennan sont quant à eux attendus au camp d’hiver de Knotty Pines, une vieille école dont la renommée n’est plus à faire. Il n’en reste pas moins que Knotty Pines est un lieu sordide et mystérieux. Et si Brennan l’accueil qui leur est réservé conforte Brennan dans son exaltation, Pauline observe des choses pour le moins inquiétantes.

Dans l’univers d’Hobtown, une autre affaire s’ouvre avec ce second opus. Quelques références en littérature jeunesse servent à asseoir les bases de cet univers mais la manière dont l’intrigue se déplie est tout à fait originale… atypique… déroutante.

J’ai tout compris, je n’ai rien maîtrisé. Partagée entre la curiosité de savoir ce que nous réserve la page suivante et un désintérêt manifeste pour l’intrigue… et l’envie de refermer l’album régulièrement. On est tenu par des éléments qui nous échappent, une histoire qui échappe à notre compréhension. Le lecteur est balloté pendant la quasi-totalité de l’histoire par les événements et les multiples rebondissements qui ont lieu. Evidemment, le dénouement nous apporte les réponses que nous attendions. Evidemment, sur la fin, les zones obscures sortent de l’ombre et on peut enfin constater la cohérence de cet immense puzzle angoissant. Je reconnais que le scénario de Kris Bertin nous tient en haleine. Le scénariste ménage le suspense avec brio, mêle aux éléments d’une enquête un peu naïve des éléments surnaturels qui épicent le récit. Le dessin d’Alexander Forbes en revanche me plait moins car je l’ai souvent trouvé grossier. L’ensemble quant à lui se tient ; pour une raison que je n’explique pas (ou peut-être est-ce parce que l’histoire pique notre curiosité), je suis parvenue à lire ce récit de la première lettre à son point final. Pourtant, l’envie d’abandonner la lecture a été omniprésente. Etrange contradiction, étrange ambiance de lecture.

Si j’ai pris un petit moment pour écrire ces propos, ma démarche était avant tout une vaine tentative pour border mes impressions de lecture et tenter de comprendre ce qui m’a gênée dans ce titre, au point de n’avoir eu aucun plaisir à sa lecture. L’envie tenace d’avoir des retours d’autres lecteurs qui auraient lus cet ouvrage est également une des raisons qui m’a conduite à publier cette chronique.

Les Mystères de Hobtown / Tome 2 : L’Ermite maudit

Editeur : Pow Pow

Dessinateur : Alexander FORBES / Scénariste : Kris BERTIN

Traduction : Alexandre FONTAINE ROUSSEAU

Dépôt légal : décembre 2020 / 192 pages / 19 euros

ISBN : 9782924049815

La Baie de l’Aquicorne (O’Neill)

O’Neill © Bliss Comics – 2020

Katie O’Neill est une autrice néo-zélandaise primée par les Eisner Awards en 2018 pour son album « Le Cercle du Dragon-thé » ; Bliss Comics l’a traduit en début d’année. Dans la foulée, l’éditeur traduit « Princesse Princesse » qui a fait partie des titres mis en avant à l’occasion du FCBD 2020. Dans la foulée, voilà « La Baie de L’Aquicorne » qui vient enrichir le catalogue jeunesse de Bliss Comics… l’occasion de découvrir l’univers de cette autrice.

« Quand Lana et son père retournent dans leur village natal pour aider à nettoyer les débris d’une grosse tempête, Lana se rend compte à quel point l’océan – et la présence rassurante de sa tante – lui ont manqué.

Alors qu’elle explore la plage, elle découvre quelque chose d’incroyable : une petite créature semblable à un hippocampe. Lana va le secourir et le soigner avec l’aide de sa tante Mae.

Quand une seconde tempête menace le village, Lana va devoir remettre en question le mode de vie des villageois pour protéger le récif corallien et défendre les aquicornes… » (synopsis éditeur).

C’est un dessin tout rond, à l’instar des mangas animés des années 80’s, qui nous accueille. Les teintes douces et colorées donnent un faux-air d’édulcoré à l’ensemble. On fait la connaissance de Lana, petite héroïne en herbe qui s’avère être très altruiste et foncièrement bienveillante avec ceux qui l’entoure. Sa joie de vivre est communicative. En avançant dans la lecture, on est plus sensible aux teintes qui portent une forme de mélancolie. On comprend qu’en revenant sur son île natale, la joie extérieure de Lana cache en réalité une profonde tristesse. La petite fille que l’on se représentait entourée d’amis est en fait un petit être assez solitaire, assez introverti.  

« Parfois, j’ai juste envie d’aller dormir et de me réveiller quand je me sentirai plus forte ou quand les choses seront différentes. »

Katie O’Neill touche plusieurs thèmes de façon délicate. Le deuil, la séparation, les sentiments. De plus, en plaçant au cœur de son récit un animal imaginaire… imaginaire jusqu’à son nom d’aquicorne… l’autrice trouve-là le moyen de parler d’environnement avec les jeunes lecteurs. Elle résume clairement ce qu’est la biodiversité, ce que les activités (commerciales) de l’homme ont comme impacts sur la nature. Katie O’Neill développe un discours clair et qui laisse peu de place au doute : en adaptant ses pratiques et en sortant des logiques mercantiles qui nous imposent leur dogme, il est possible de trouver des solutions qui tiennent compte des besoins nourriciers de l’Homme sans que ces activités ne dégradent outrageusement la nature. Loin d’être moralisateur, le propos se veut avant tout optimiste, philanthrope.

A partir de 10 ans.

La Baie de L’Aquicorne (Récit complet)

Editeur : Bliss Comics / Collection : Jeunesse

Dessinateur & Scénariste : Katie O’NEILL

Traduction : Célia JOSEPH

Dépôt légal : novembre 2020 / 96 pages / 15 euros

ISBN : 9782375782194

La Saveur du Printemps (Panetta & Ganucheau)

Panetta – Ganucheau © Jungle – 2020

Quand il était plus jeune, Ari adorait aller dans l’atelier de la boulangerie de son père. Sentir l’odeur du pain chaud, aider son père à la préparation du pain et des pâtisseries, sentir la chaleur du four… tout cela était sa petite madeleine de Proust. Puis les années ont passé et l’adolescence a pointé le bout de son nez avec tout le cortège des questions existentielles qu’elle traîne dans son sillage. Et maintenant que ses études au lycée touchent à leur fin, Ari a d’autres envies qu’il ne cerne pas réellement. Il voudrait partir habiter en ville et s’installer en colocation avec ses amis. Il veut fuir cette vie toute tracée qui s’offre à lui, quitter ce cocon familial pourtant si harmonieux. Il rêve de vivre de sa musique avec le groupe qu’il a monté avec des amis… mais tout cela est balbutiant. Il n’est si sûr de tout ce qu’il voudrait…

Il sait pourtant que son père souhaite qu’il reprenne le commerce familial. Ari décide donc en premier lieu de trouver quelqu’un capable de le remplacer à la boulangerie pour pouvoir quitter le nid l’esprit tranquille. C’est ainsi qu’il rencontre Hector lorsque ce dernier postule pour travailler à la boulangerie. Peu à peu, une amitié forte naît entre les deux jeunes hommes. Une amitié teinte de sentiments amoureux.

« La saveur du printemps » est récit plein de fraicheur. Pour leur premier roman graphique, Kevin Panetta (scénariste) et Savanna Ganucheau (dessinatrice) mettent les petits plats dans les grands. Loin de nous noyer dans les remous tumultueux de l’adolescence, ils ont su trouver le ton adéquat pour aborder leur sujet de façon douce sans en faire quelque chose de mièvre. On est surpris de découvrir un personnage principal en plein questionnement mais pas en pleine rébellion. Ses relations avec ses parents sont harmonieuses et bourrées de complicité. Quant à son mal-être, même s’il est réel, il ne nous enfonce pas dans un marasme qui colle à la peau et engluerait personnages et lecteurs dans des méandres narratifs stériles.

Alors oui, il est question d’une quête identitaire, de savoir quoi faire de soi et de sa vie. Difficile de ne pas aborder ces questions dans un récit qui place au cœur de son intrigue un personnage adolescent. Les auteurs ont su trouver le La pour pouvoir parler à la fois du « mood » adolescent et des humeurs si versatiles qui le chahutent. Le personnage est dans cet entre-deux ; il n’est plus un enfant mais il n’est pas encore entré pleinement dans l’âge adulte. Ari cherche sa place et souhaite donner un sens à sa vie. Il est au printemps de sa vie. C’est aussi le moment idéal pour laisser éclore de nouvelles amitiés et se laisser surprendre par la fraicheur d’une rencontre amoureuse. Les auteurs manient tout cela avec beaucoup de talent et d’humour.

On pourra s’étonner de la douceur extrême du récit qui évolue dans des teintes vert émeraude. Elles aident à maintenir un sentiment de quiétude durant toute la lecture. Le dessin est d’une grande lisibilité et riche en détails graphiques qui contribuent à rendre cette tranche de vie crédible. Le fait que les auteurs complètent le scénario de références musicales et les mélangent à l’univers culinaire renforcent d’autant le réalisme de l’univers. On salive en permanence. Je me suis facilement laissé porter par l’ambiance. J’ai apprécié le fait que l’intrigue soit si délicate et qu’elle ne nous fait pas faire les montagnes russes avec nos émotions. La réflexion n’en est pas moins dénuée d’intérêt.

En bien des points, cet album m’a fait penser à « Cet été-là » réalisé par les cousines Tamaki. La période de l’adolescence y est traitée avec la même justesse et la même sensibilité. Une lecture qui offre une parenthèse et nous accueille à bras ouverts dans son univers.

La Saveur du Printemps (One shot)

Editeur : Jungle

Dessinateur : Savanna GANUCHEAU / Scénariste : Kevin PANETTA

Traduction : Mathilde TAMAE-BOUHON

Dépôt légal : juin 2020 / 368 pages / 17 euros

ISBN : 978-2-822-23044-5

Le Serment des Lampions (Andrews)

Andrews © Guy Delcourt Productions – 2020

Comme chaque année à la période de la Fête de l’Equinoxe, le village est en fête. Les enfants ont construit des lampions qu’ils déposent dans la rivière afin qu’elle les emporte pour un lieu fantasmé par les enfants. Jusque-là, dès que les lampions se mettaient à flotter, Ben et ses amis enfourchaient leurs vélos pour les suivre jusqu’au pont en bas de la montagne. Leurs parents ne les autorisent pas à aller plus loin.

Cette année pourtant, les amis se sont fait le serment de suivre les lampions jusqu’au bout de leur voyage. Interdiction de faire demi-tour ou de regarder en arrière. Aller aussi loin que les lampions pour savoir, enfin, ce qu’il y a au bout de leur voyage. Certains disent qu’ils vont rejoindre les étoiles. D’autres qu’ils s’enfoncent dans les profondeurs d’une grotte. Il y a tant d’histoires véhiculées par les adultes et les chansons ancestrales !!

C’est le cœur battant et des rêves d’aventure plein la tête que la bande d’amis s’élance. Mais au bout de quelques kilomètres, seuls Ben et Nathaniel ont le courage de ne pas rebrousser chemin. Ils ont soif de nouveaux paysages et une envie furieuse de vivre cette aventure tant rêvée. Celle-ci va pourtant les surprendre à la première occasion. Leur chemin est jalonné d’embûches, de détours à faire, de mille surprises et de surprenantes rencontres : un ours pêcheur, une pharmacienne aussi loufoque que passionnée, des Illuminés…

De quoi nourrir les rêves d’ailleurs de Ben et Nathaniel.

« Le Serment des lampions » est une épopée onirique de deux jeunes garçons à la curiosité débordante. Leur soif de nouveaux horizons, leur curiosité gourmande à découvrir le monde par leurs propres yeux, leur capacité à s’affranchir de l’autorité de leurs parents et à finalement suivre leur rêve viennent épicer cette aventure incroyable. Ryan Andrews nous emporte entre rêve et réalité et nous fait ressentir la peur que tout cela s’arrête en un battement de cil… tourner la page, c’est prendre ce risque que les garçons se réveillent et que tout ce qu’ils ont vécu depuis que l’on a commencé la lecture ne soit qu’illusions. On est proches des univers de Miyazaki, sur cette fine frontière où la vie chahute l’improbable.

Ryan Andrews nous offre-là une belle parenthèse qui fait oublier, le temps de la lecture, ce qui extérieur à elle… et ses relents délicieux reviennent nous titiller longtemps après qu’elle soit terminée. C’est une belle escapade imaginaire, un beau prétexte pris par deux enfants qui veulent s’émanciper et s’affranchir du joug parental. On s’émerveille avec eux de ces rencontres surprenantes qu’ils font, de l’existence d’un monde parallèle au nôtre qui tient compte d’autres codes, de communautés qui parviennent à vivre en harmonie avec leur environnement. On est attentif lorsqu’on découvre comment faire une boussole avec trois fois rien. On est amusé de découvrir les trouvailles pétillantes du scénariste… en veux-tu de « l’extrait d’œil de cartographe » ? Sais-tu que l’on peut nager parmi les étoiles ou qu’il existe des grottes aux étoiles ?

Je me suis régalée. Ça pétille, c’est frais, c’est drôle même quand le héros est bougon, c’est folie douce autant que passionnant. C’est censé car on voudrait croire au possible. C’est le périple d’une nuit d’équinoxe, une fugue surnaturelle, un voyage initiatique qui se teint de tous les dégradés possibles de bleu. Et bien que la palette des teintes utilisées par l’auteur soit limitée, Ryan Andrews nous offre-là un voyage graphique haut en couleurs.

Un album pour petits et grands lecteurs, un ouvrage qui se dévore.

Le Serment des Lampions (one shot)

Editeur : Delcourt / Collection : Outsider

Dessinateur & Scénariste : Ryan ANDREWS

Dépôt légal : mai 2020 / 336 pages / 24,95 euros

ISBN : 978-2-4130-1859-9