… à la folie (Ricard & James)

... à la folie
Ricard – James © Futuropolis – 2009

Tout a commencé sur les bancs de la Fac. Une fille repère un gars et cherche à attirer maladroitement son attention. Puis, surprise, lors d’une soirée étudiante : l’un comme l’autre sont invités. L’alcool aidant, les affinités se créent.

Quelques années plus tard, on les découvre mariés et toujours aussi amoureux. L’homme a obtenu une bonne promotion professionnelle qui les met à l’abri du besoin et juge que sa femme n’a pas besoin de travailler. La routine s’installe, elle se cantonne dans ses tâches domestiques et lui se laisse déborder par le stress professionnel. Il ne trouve aucun exutoire. A la suite d’un désaccord conjugal assez anodin, son seul moyen d’obtenir gain de cause sera physique. Il la gifle. Elle lui pardonne… La violence va progressivement s’installer dans leurs relations.

« Convenu ». C’est un peu ce que je me suis dit en sortant de cet album. Je m’attendais effectivement à un traitement plus original des violences conjugales. Mais si la manière de faire est différente, j’ai déjà entendu ce discours-là. Une fois encore, encore, mon regard critique est influencé par le fait que je travaille dans le Social. Étant sensibilisée à ce sujet, j’attendais certainement que les auteurs frappent les esprits à l’aide d’un traitement narratif plus mordant mais surtout, j’en attendais une réflexion constructive. Rien de tout cela ici. La violence s’étale tout au long de l’album. Si les scènes de violences sont suggérées, leurs conséquences physiques le sont moins mais c’est à la partie graphique qu’on doit leur présence (James ne cache pas les stigmates sur le corps de la jeune femme). Sans surprise, Sylvain Ricard s’attarde donc sur l’aspect psychologique de ce mécanisme. Mais l’utilisation de personnages stéréotypés conduit à un dénouement prévisible. La présence de quelques soubresauts narratifs m’a longtemps laissé croire qu’enfin, le récit pouvait conclure de manière innovante. Mais les représentations sur ce sujet ont la peau dure. Si cet ouvrage est une fenêtre ouverte sur le quotidien de milliers de femmes battues en France, il n’apporte rien de nouveau quant à la manière de traiter le sujet en bande dessinée. Le seul ouvrage qui a retenu mon attention sur cette question est En chemin elle rencontre. Les autres titres nous font tourner en rond.

Mais c’est bon, c’est réglé. Il s’est excusé. Il a juré qu’il ne recommencerait pas.

Pour servir les propos du scénariste, James a opté pour un monde anthropomorphique dans des teintes sépia. Un choix pertinent puisqu’il permet de décaler le regard, donne de la force aux textes. Il montre à quel point cette femme vit dans le passé, retenue par ses souvenirs heureux en compagnie de son homme. Le trait est tout en retenue, à l’instar de la victime qui mesure ses propos, anticipe les événements pour éviter tant que possible le courroux du mâle dominant. Pour moi, l’originalité de cet album tient à la partie graphique qui nous force à décaler le regard pour mieux observer le drame qui se déroule.

PictomouiUn album que je trouve trop conventionnel et trop délicat comparé à la réalité. Certes, il montre à quel point cette violence est imprévisible. Certes, il montre qu’aucun couple n’est à l’abri et ce, quelque soit le milieu social. Sans forcément m’attendre à ce que les auteurs livrent en pâture leurs personnages à une violence surajoutée, je venais chercher dans cet album une réflexion constructive, chose qu’Inès et Léa ne se souvient pas comment fonctionne l’aspirateur n’avaient su proposer.

Mais une nouvelle fois, on nous montre la même facette du combat, comme si les femmes étaient d’éternelles victimes et n’avaient pas d’autres alternatives à la soumission… Comme si le silence était le meilleur remède à ses maux… Comme s’il n’y avait pas de combat contre cette fatalité…

L’avis de Choco, de Joëlle, Enna, Catherine, Ys, Yvan, Hop blog, Ginie, Antigone.

Un article de Phylacterium consacré à James.

Extraits :

« Je sais que si je continue à me comporter de la sorte, je vais perdre ma meilleure amie. Mais j’ai l’impression qu’elle vient me voir comme si on va voir un vieux à l’hospice. Par habitude, par devoir, pour soulager une conscience un peu chiffonnée. Et ça me dérange. Je l’imagine assez bien parlant de moi à ses amies, ses collègues… Vous savez, mon amie qui se fait battre par son mari. Et eux, unanimes pour dire que ça ne devrait pas être permis, à y aller de leur fait divers, de leur anecdote. De leur analyse profonde et pleine de bon sens arborant leur costume de justicier ou de professeur de morale » (… à la folie).

« J’aime ma femme et elle le sait. Et je sais qu’elle le sait. D’ailleurs je suis sûr qu’elle aussi a toujours des sentiments pour moi. C’est vrai que je n’ai pas été toujours délicat avec elle. C’est vrai. Mais quand même, je subis énormément de tension au travail et ce n’est pas toujours simple de rester maître de soi. Alors oui, il m’est arrivé de sortir de mes gonds, pas toujours de la bonne manière, mais toujours pour une bonne raison » (… à la folie).

… à la folie

One Shot

Éditeur : Futuropolis

Dessinateur : JAMES

Scénariste : Sylvain RICARD

Dépôt légal : septembre 2009

ISBN : 9782754803021

Bulles bulles bulles…

Les  11 premières pages sur Digibidi.

Ce diaporama nécessite JavaScript.

… à la folie – Ricard – James © Futuropolis – 2009

La mort dans l’âme (Ricard & Wens)

Ma mort dans l'âme
Ricard - Wens © Futuropolis - 2011

Monsieur Vanadris est atteint d’un cancer généralisé. Alors qu’il intègre un Centre de soins palliatifs son fils, Cyril, entre dans une période délicate à gérer. L’état de son père l’inquiète. La prise en charge médicale se met en place. Une à une, les perfusions s’ajoutent et viennent aider le mourant à supporter la douleur. Puis c’est au tour de la sonde gastrique pour fournir un minimum d’apports nutritifs à son corps fatigué… autant de stigmates qui témoignent de l’avancée de la maladie.

Peu à peu, cette période lourdement chargée émotionnellement va permettre aux deux hommes de se rapprocher. Alors que Cyril déconstruit beaucoup de choses autour de lui, incapable de gérer son trouble, le père chemine. Ses rencontres régulières avec un jeune prêtre l’aident à mettre en mots ses doutes, sa foi et sa volonté. Monsieur Vanadris parviendra à demander à son fils de l’aider. Le mot est jeté : euthanasie.

La genèse de cet album est présentée dans le dossier de presse de Futuropolis. Sylvain Ricard y explique le cheminement de son projet : tout est né d’un échange avec son propre père en 2004 :

Subitement, lui qui n’est pourtant pas très loquace, m’a avoué qu’il n’aimerait pas que ses enfants et ses proches le voient dépérir si d’aventure une maladie lourde venait à le toucher. Il préférerait qu’on l’accompagne en douceur vers une mort paisible, qui laisserait un souvenir de lui dans son intégrité physique

L’auteur explique que cette conversation le touchait peu jusqu’à ce que son père le charge de cette responsabilité. « Le fait que ça arrive est passé de conceptuel à possible », cette onde de choc est à l’origine de ce scénario. Les années passent, le travail d’écriture prend forme. Sachant qu’Issac Wens avait vécu une expérience similaire à celle qu’il souhaitait raconter, Sylvain lui propose d’illustrer son récit. Malgré la difficulté, ce dernier accepte de travailler sur le projet.

L’album s’ouvre sur un poème d’Étienne Ricard. Les mots sont justes pour décrire l’émotion et la tristesse liée à la mort imminente d’un proche, tout l’album le sera. Cette fiction réaliste invite le lecteur à vivre les derniers jours entre un fils et son père. Entre déni, peur et volonté d’être présent dans ces derniers instants, le scénario met en valeur la complexité voire la confusion des sentiments des personnages. On passe une bonne partie de cet ouvrage à observer, confortable position sur un tel sujet qui nous permet d’épier les moindres réactions des deux hommes, de nous imaginer in situ mais sans angoisse. Pourtant, force est de constater que le récit nous happe au dernier tiers de l’album. Le ton change, on ne peut plus se contenter de survoler, on doit s’impliquer. L’émotion des personnages est alors palpable, la manière dont elle est retranscrite fait écho auprès du lecteur. On ressent leur désarroi et leur impuissance à gérer la situation, chacun étant dépendant de l’autre. Sylvain Ricard nous propose une réflexion intéressante sur la mort et le sens de la vie. A cela s’ajoute les interventions de trois personnages secondaires, eux aussi utilisés à bon escient. Ils permettent tour à tour d’enrichir la narration de nouveaux éléments : le regard professionnel et compréhensif du médecin, celui du jeune prêtre (plus dans l’écoute du ressenti) et enfin, le regard plus distancié de la compagne de Cyril (qui fait preuve d’empathie). L’ensemble donne une vision réaliste et profondément humaine de ce qu’implique l’euthanasie (humainement parlant). Sans juger, sans prendre parti et sans pathos, Sylvain Ricard a trouvé le bonne équilibre pour traiter intelligemment cette question.

Le trait d’Isaac Wens est sombre. Les couleurs sépia donnent une teinte très juste à l’atmosphère. Du respect, de la pudeur et beaucoup de délicatesse dans le traitement graphique de ce récit.

Je n’ai pas particulièrement cherché à faire de belles images. J’espère avoir réussi de temps en temps une image juste

Pari réussi je trouve. Son dessin donne aux personnages une profondeur adéquate à cet univers. Elle permet au lecteur de se saisir de cette histoire sans avoir l’impression de forcer pour entrer dans l’histoire et de se questionner : que ferait-on dans une telle situation ? Le story-board est au service de la narration. Il recourt à de nombreux passages muets dans lesquels les jeux de regards remplacent des mots trop douloureux à énoncer et ponctuent parfaitement des moments fortement chargés émotionnellement.

La Mort, la Foi, l’euthanasie et une relation père-fils touchante sont les ingrédients de cet album qui n’est pas évident à lire. Il faut trouver le moment opportun pour accueillir cette fiction qui met en scène un processus de deuil douloureux et la lente détérioration physique et psychologique d’un individu. Je sors émue et satisfaite de cette lecture.

Un avis sur Cellules Grises.

Extraits :

Je ne suis qu’une folle envie d’ouvrir une fenêtre sur la vie » (La Mort dans l’âme).

« Tu sais, c’est comme si j’avais visité une maison témoin. Tu passes dans le couloir et tu vois toutes les étapes qui te conduiront jusqu’au bout. Et toutes ces blouses qui s’acharnaient autour de lui… Je veux bien finir ma vie, mais pas comme ça. Je préfère qu’on me laisse mourir tranquille » (La Mort dans l’âme).

« Le suicide est autorisé, mais lorsqu’on en a le plus besoin, qu’on est le plus démuni, que la mort devient un outil de dignité, c’est alors qu’on vous le refuse. Comme si on n’était plus propriétaire de sa propre vie…  » (La Mort dans l’âme).

« Quelques jours de plus ou de moins, quelle importance. On sera soulagé tous les deux » (La Mort dans l’âme).

La Mort dans l’âme

One Shot

Éditeur : Futuropolis

Dessinateur : Isaac WENS

Scénariste : Sylvain RICARD

Dépôt légal : septembre 2011

Bulles bulles bulles…

21 pages en avant-première sur le blog de Futuropolis.

Ce diaporama nécessite JavaScript.

La mort dans l’âme – Ricard – Wens © Futuropolis – 2011

Clichés – Beyrouth 1990 (Ricard & Ricard & Gaultier)

Clichés - Beyrouth 1990
Ricard – Ricard – Gaultier © Les Humanoïdes Associés – 2004

Retour en 1990, au moment où Sylvain et Bruno Ricard partent au Liban. Leur voyage se déroule du 2 au 21 septembre 1990, ils rejoignent leur tante (sœur Thérèse, bénévole à la Croix-Rouge) à Beyrouth. Ils en profitent pour amener du matériel pour la mission humanitaire et espèrent pouvoir profiter de ces quelques semaines à l’étranger pour apporter leur aide aux équipes en place puisqu’ils ont tous les deux le Brevet de Secouriste en poche.

Voici deux frères qui partent assez ignorants (religion, régime politique, etc) et bourrés de représentations sur le Liban et la guerre (représentations influencées par les images que le JT de 20 heures diffuse)… c’est du moins l’impression qu’ils m’ont donnée.

Un album qui se découpe en 5 chapitres (un sur le départ/trajet puis un chapitre par semaine passée là-bas). Un épilogue se consacre au jour du retour en France et aux événements qui ont suivis (événements relatés essentiellement dans des correspondances adressées à Sylvain et Bruno). L’écriture de ce témoignage est très libre et nous permet, dès les premières planches, de ressentir la curiosité et la grande excitation provoquée par ce projet. Les frères Ricard donnent l’impression de partir en colonie de vacances et de faire partie de la famille. Pourtant, voici un ouvrage de 150 pages dont je ne serais certainement pas venu à bout (plus de 6 jours de lecture, pas plus de 10 pages à la fois, concentration impossible…) si je n’avais ressenti cette obligation de le lire dans son intégralité, par respect envers les témoignages qu’il contient.

Je trouve les dessins de Christophe Gaultier assez désagréables. Des jeux de hachures permanents, des dessins que je trouve bâclés, voire gribouillés. C’est laid. On oscille entre des cases très détaillées et d’autres quasiment inachevées, le rendu des expressions des personnages est limite. J’ai moins de griefs à l’égard des décors et paysages. Enfin, la découpe des planches est redondante et crée une réelle lassitude dans la lecture. En apparence donc, une ambiance graphique qui a contribué à ce que je reste extérieure au récit.

Je suis très partagée sur le scénario et la manière dont il nous est livré. Nous oscillons entre trois styles d’écrits :

  • une narration posée, sereine, fouillant et complétant les informations recueillies grâce aux dialogues,
  • des dialogues saccadés : 1/ très ironiques (parfois puériles) quand ils s’agit des échanges entre les deux frères, leurs propos sont en décalage avec le contexte dans lequel ils se trouvent ; 2/ plus posés quand ils concernent les échanges entre la fratrie et les personnages secondaires,
  • des textes écrits (longtemps après les faits je pense) qui concluent chaque chapitre. Ces propos apportent un regard posé sur cette expérience de voyage, on voit le bénéfice de la prise de recul sur les événements. L’écriture y est élaborée, fine, juste… bien plus intéressante (enrichissante) que celle des phylactères, voire de la narration mais dans un moindre degré.

Un ouvrage qui est à ranger du côté des Carnets de voyage. C’est l’occasion de visiter (rapidement) quelques villes libanaises (Beyrouth, Saïda, Tripoli…), de prendre conscience des conséquences de la guerre dans la quotidienneté des libanais et d’entendre leurs opinions sur la situation. Ce recueil aborde les faits de manière chronologique. Jour par jour, il relate une succession d’événements, des anecdotes, des amitiés, des débats et des fous-rires. Les témoignages se font à cœur ouvert, les gens parlent de leurs peurs, de leur abattement et de la difficulté à supporter le conflit. Cette partie-là du récit est convaincante. En revanche,  le bât blesse du côté de l’attitude de Bruno et Sylvain, leurs propos n’apportent pas de réelle valeur ajoutée à l’album. Ce dernier est certainement l’occasion, pour eux et leurs proches, d’immortaliser quelques uns de leurs délires leurs rencontres ou leur état d’esprit pendant ce séjour. De plus, pour atténuer certains moments d’agacement dus à leurs attitudes, j’ai voulu relativiser en me disant que tout Occidental habitué à vivre dans un climat serein aurait aussi tendance à recourir à l’humour et à la dérision/autodérision pour parvenir à atténuer la tension/pression inhérente à un tel séjour ??? Bon… cela n’a pas été opérant… Tous leurs propos ne sont pas à mettre dans le même sac, certains nous percutent réellement.

Au vu du devoir de mémoire qui semblent animer Sylvain et Bruno Ricard, je ne comprends pas pourquoi ils ont attendus 14 années pour publier ces notes !! Sylvain Ricard revient sur cette démarche de publication dans une interview mise en ligne sur le site Le Tour du Liban.net (voici le lien de l’interview).

Pas de pouce pour cette fois-ci, je suis trop partagée. Un album à plusieurs degrés de lecture :  le témoignage historique d’un côté et le travail d’écriture personnel de l’autre. Je trouve que les deux ne font pas bon ménage, rien n’est à sa place. La forme du récit n’est (pour moi) pas pertinente, mais les témoignages et les lettres qu’il contient méritent réellement de trouver des lecteurs.

Roaarrr ChallengeUn album récompensé en 2004 par le Prix de la bande dessinée citoyenne au Festival BD Boum de Blois.

Les chroniques en ligne : BD Paradisio et David.

Extraits :

« Vous êtes mieux ici qu’à Beyrouth ou Saïda, tu sais. Les gens sont las. La guerre est plus lourde ces temps-ci. Mais vous êtes là pour nous prouver que le monde ne nous oublie pas tout à fait ! » (Clichés – Beyrouth 1990).

« A Beyrouth comme à Saïda, les photos font peur. Peut d’être espionnés, dénoncés, enlevés. Tués peut-être » (Clichés – Beyrouth 1990).

« Ça sera passé vite. Et qu’est-ce qu’on aura fait au final ? Presque rien. Au moins, on aura appris des trucs » (Clichés – Beyrouth 1990).

Clichés – Beyrouth 1990

Challenge Carnet de Voyage One Shot

Éditeur : Les Humanoïdes Associés

Collection : Tohu-Bohu

Dessinateur : Christophe GAULTIER

Scénaristes : Sylvain RICARD & Bruno RICARD

Dépôt légal : octobre 2004

ISBN : 9782731615685

Bulles bulles bulles…

Ce diaporama nécessite JavaScript.

Clichés, Beyrouth 1990 – Ricard – Ricard – Gaultier © Les Humanoïdes Associés – 2004