L’habitude est désormais prise de vous faire partager ce que j’ai vu et vécu au Festival International de la bande dessinée d’Angoulême. Cette année encore, ce fut un réel plaisir de retrouver des amis que je croise habituellement sur la toile.
Rares sont les dédicaces que j’ai ramenées, mais je voulais remercier les auteurs à qui j’ai volé un peu de leur temps : Nancy Peña (Médée), Cyrille Pomès (Le Printemps des Arabes), Alain Kokor & Sylvain Ricard (La revue dessinée et tant d’autres titres !), Cati Baur & Malika Ferdjoukh (Quatre sœurs), Isabelle Arsenault (Jane, le renard et moi), Patrick Sobral (Les Légendaires), Bannister (Tib et Tatoum), Simon Géliot & Christophe Réveille (Benigno – Mémoires d’un guérillero du Che).
Retour sur ces quatre jours de Festival.
Jour 1
Les Légendaires
Première journée de mise en jambe essentiellement destinée à mener à bien les missions que mes fils n’avaient pas manqués de me confier. Grâce à Louka, j’ai ainsi gouté au sel d’une file d’attente de deux ans heures pour pouvoir rencontrer Patrick Sobral afin qu’il dédicace sur le tome 6 des Légendaires (le « meilleur album de la série » selon Louka) Petit échange sur le travail de Sobral qui poursuit les Légendaires (seul aux commandes) et les Légendaires-Origines (il réalise le scénario et collabore avec Nadou qui travaille à partir des crayonnés de Patrick Sobral). Au passage, j’ai pu remettre à l’auteur la petite lettre que Louka lui avait écrite en échange d’une dédicace représentant Gryf. Et puis au passage, j’ai visité l’Expo des Légendaires qui profitait d’une très belle mise en scène sur le fond du hall (effets sonores, jeux de lumières,…). L’occasion de se replonger dans cet univers grandeur nature où trônaient çà et là des reproductions d’épées, de grimoires, de masques, des planches originales, des parodies (Roméo et Juliette) et la possibilité de découvrir les premières planches du tome 3 des Légendaires-Origines (à paraître en juin prochain). Une très belle expo, idéale pour les fans… malheureusement, je n’avais pas le mien sous la main.
Concert Melvile
Après avoir lu la bande dessinée de Romain Renard, difficile de passer à côté de cette projection. Un film d’environ trois quart d’heure et intitulé « Chroniques de Melvile – Partie 1 » nous permet de nous plonger dans cet univers si particulier créé par l’auteur.
« Sa bande dessinée fait déjà l’objet d’une application iPad qui permet de visualiser un ensemble de bonus visuels et sonores complémentaires, comme des films courts et une bande originale musicale spécialement composée pour accompagner l’histoire. L’auteur, qui est aussi musicien, propose une version « live » de cette bande-son, créée spécialement pour le Festival d’Angoulême. Sur scène, avec Jean-Christophe Carrière (guitare) et Lucas Basty (ingénieur son), Romain Renard (guitare, chant et récitatifs) prolonge une nouvelle fois l’univers envoûtant de Melvile » (extrait présentation FIBD).
Le montage réunit des photos (prises dans l’Arkansas, les Laurentides ou la Californie), des illustrations extraites de l’album et une bande son remarquable qui accompagne l’ensemble. Romain Renard, en voix-off, fait une lecture de son album en prenant soin de ne pas dévoiler l’intrigue principale, chose que j’ai réellement appréciée. Très sympa, malgré quelques notes aiguës à la guitare qui viennent molester les tympans en fin de projection. A voir si cette projection était diffusée près de chez vous. En attendant, vous pouvez vous sensibiliser à l’univers en visitant le site de l’album.
Un premier jour tranquille sur le Festival : exploration en solitaire des bulles et des stands, retrouvailles aux cafés, rigolades et embrassades multiples, resto, mettre enfin un visage sur des prénoms.
Jour 2
Exposition « En chemin elle rencontre »
Située dans le hall d’entrée du Palais de Justice d’Angoulême, j’étais un peu réticence à découvrir cette exposition. En effet, l’année dernière, l’exposition « Au nom de la loi » n’était pas vraiment un must en termes de qualité.
Cette année encore, des affiches grand format étaient proposées. Chacune d’entre elle se consacre à un thème (harcèlement, violences conjugales, excision, lapidation, industrie du sexe…) et contient définition, articles de loi, un visuel extrait d’un des albums de la série, un numéro d’urgence et/ou site à contacter en cas de problème.
J’ai trouvé la présentation générale très austère. On n’est pas là dans une exposition à proprement parler mais on navigue au cœur d’une réelle campagne de sensibilisation. On doit se tordre le coup pour lire le nom des auteurs (en bas à droite). Un événement qui incite peu à se tourner vers les trois albums (édités par Des Ronds dans l’O).
L’Exposition proposait un support documentaire intitulé « dossier pédagogique ».
Etienne Davodeau
Partons à la « Maison des peuples et de la paix » cette fois qui titrait « Carte blanche à Etienne Davodeau ».
Les locaux de l’Association proposaient cette année un focus sur le travail d’Etienne Davodeau, et zoomait plus particulièrement sur quatre albums : Un homme est mort, Les Ignorants, Lulu femme nue, Le chien qui louche.
A défaut de pouvoir contempler des planches originales, le visiteur pouvait découvrir des extraits des albums sus-cités. Pour un lecteur déjà habitué au travail de l’auteur, l’intérêt pouvait éventuellement résider dans le fait d’accéder à une mise en scène sympathique des univers de ces quatre albums. Pour le reste, j’ai déploré l’absence de petits bonus auxquels les expositions nous permettent habituellement d’accéder (anecdote sur la réalisation, regard extérieur sur l’œuvre, propos de l’auteur…) excepté peut-être sur la partie « Un homme est mort » puisque certaines coupures de presse d’époque étaient proposées.
Une Expo à voir quand on ne connait pas le travail de Davodeau pour les autres… un espace dispensable dans les autres cas.
Little Asia
Seul espace consacré aux mangas sur le FIBD là encore, j’ai eu une aigreur en voyant comment l’espace avait été utilisé. Tout le milieu du hall était envahit par différents stands de ventes de goodies et autres produits dérivés (on y trouvait à boire et à manger, au sens propre comme au sens figuré, au point que l’on pouvait aussi bien acheter un mug Angry Birds, un porte-clé Hello Kitty, une statuette Wonder-woman…).
Sur les côtés, coincés entre les murs et l’allée centrale, quelques albums mis en avant mais le gros de la troupe était disposé sur des présentoirs de façon un peu anarchique. Une poignée d’albums seulement étaient mis en avant et bénéficiait, à ce titre, d’un espace dédié plus alléchant. Espérons que l’année prochaine, l’espace Asie sera plus achalandé.
Du Transperceneige à Snowpiercer
« Classique de la bande dessinée, Le Transperceneige de Lob, Rochette et Legrand est devenu un long-métrage, Snowpiercer. Une exposition lève le voile sur les dessins et peintures inédits réalisés par Rochette en écho au tournage du film de Bong Joon-Ho » (présentation du FIBD).
Visible à l’Espace Franquin, cette Exposition permettait de (re)découvrir le travail de Jacques Lob et de Jean-Marc Rochette (premier tome du Transperceneige publié en 1984 chez Casterman). Snowpiercer n’est pas une adaptation de la bande dessinée. En parallèle de sa carrière d’auteur BD, Jean-Marc Rochette a peint. Créations torturées où une étincelle d’espoir s’exprime timidement pourtant ils sont là, des personnages qui s’accrochent à la vie de toutes leurs forces, évoluant dans un environnement qu’on imagine des plus hostiles. Le réalisateur, Bong Joon-Ho, a passé commande à Manchette pour la réalisation de quelques toiles. Il s’est inspiré de ces tableaux pour imposer une ambiance à son film. Manchette s’est pris au jeu, il a finalement peint plus que prévu. Quelques comparaisons fugaces avec certaines toiles d’Enki Bilal, c’est certainement le sujet qui veut ça : une vision inquiétante de ce que notre monde pourrait devenir. Cette exposition nous présente ces toiles, nous livre quelques planches originales de la série Transperceneige. En fond de salle, un espace pour se poser et regarder le making-off du film. Une belle expo. J’espère pouvoir concrétiser cette découverte : lire la série et/ou regarder le film.
Mafalda, une petite fille de 50 ans
Cette Exposition était proposée à l’Espace Franquin et s’étalait sur presque tout le rez-de-chaussée du bâtiment. Difficile de ne pas apprécier les mises en scène, la qualité des décors qui nous immergent complètement dans l’univers de la série. Un léger rappel des faits dans la « première salle », on se rafraichit la mémoire en prenant connaissance du contexte historique dans lequel baignait Quino lorsqu’il a commencé à écrire ses strips. Présentation rapide et amusée des principaux personnages : Mafalda, Susanita, Papa, Maman, Felipe… autant de noms qui surgissent directement de mon enfance. Je n’ai pas ouvert un album de Mafalda depuis une bonne vingtaine d’années… nostalgie, redécouverte de l’univers. Je crois que j’aurais tout intérêt à me replonger dans ces albums car il me semble que la lecture que je pourrais en faire aujourd’hui serait bien différente de celle que je faisais étant enfant. Je n’avais pas conscience de cette finesse dans l’écriture, de cette philosophie naïve et percutante.
Plusieurs petits strips étaient proposés, organisés par thème : les repas, la musique, l’école… les originaux en VO complétés de petites vignettes proposant les traductions en VF. Superbe. A relire. Les quelques clichés que je vous propose parlent d’eux-mêmes me semble-t-il.
Atelier populaire néerlandais
Quitte à squatter l’Espace Franquin, j’ai fait un petit détour à cet atelier déjanté, animé par des auteurs néerlandais.
Ils nous proposaient d’assister à l’impression en sérigraphie d’affiches proposant des dessins de presse.
Quelques affiches étaient ensuite visibles dans les rues d’Angoulême.
Cyniques, mordantes… un humour caustique qui n’était pas pour me déplaire.
« Willem, ça c’est de la bande dessinée ! »
Bon… l’année dernière, j’avais fait l’impasse sur l’Expo du Grand Prix (J-C Denis) car je n’avais pas d’accroche avec l’auteur. Même état d’esprit cette année mais j’essaye de me soigner. Et puis j’aime beaucoup ce petit Hôtel particulier qui avait si bien accueilli l’expo consacrée à Fred il y a deux ans.
La file d’attente était acceptable (1/4 d’heure à la louche)… je me suis donc lancée à la découverte d’un auteur qui me donne de l’urticaire, pensant que cette immersion dans son monde soignerait un peu mes préjugés…
Raté ! Nausées, lassitude, j’ai fini par effleurer la fin de l’expo, trouvant à poser les yeux sur des choses plus vulgaires les unes que les autres. Des propos vitriolés, des dessins réalisés à la hache… ce dessin de presse ne m’inspire rien. Je suis sortie plus convaincue que jamais, difficile d’envisager de tenir un album de Willem en mains.
En complément, Libération a publié un numéro spécial (et gratuit) de 4 pages consacré à cette Exposition.
Jour 3
Sergio Toppi
Avec BibiB, on a réellement pris le chemin des écoliers pour pouvoir visiter cette Expo. Non pas qu’elle n’était pas fléchée dans les rues angoumoises mais… les indications n’étaient pas très explicites.
Heureusement que les mecs sont arrivés en renfort pour nous aider à trouver le Conseil Général de Charente qui organisait cette exposition. Une salle unique accueillait ces reproductions. Des illustrations d’une puissance rare, une force d’autant plus palpable que les illustrations s’échappent ici des planches et s’exposent sur des supports en grand format. Je suis fan… CQFD
Tardi et la Grande Guerre
Direction le « Vaisseau Moebius » cette fois pour visiter glaçante mais superbe, qui nous forçait à suivre un chemin balisé et créé à l’aide de palettes de bois. On s’y déplace comme dans une tranchée, on glisse d’une année à l’autre et la vue de ces morts qui s’amassent à mesure qu’on avance impose un certain silence. D’ailleurs, point d’artifices ici.
La présence de ce bois réchauffe malgré la vue de ces tranchées humides, boueuses, où la lumière du jour perce à peine. Pas de fond sonore comme on aurait pu s’y attendre, pas de déflagrations qui heurtent les tympans, pas de boue qui salit les vêtements, pas de pièces plongées dans une légère obscurité. La mort est ici à visage découvert. On se sent un peu opprimé en fin de visite d’autant que la dernière pièce que l’on visite, clou de l’Exposition, nous met face à des tombes immaculées de blanc, sans réelle possibilité de prendre du recul face à cette vision, on se heurte rapidement au mur de la pièce, comme pris en tenaille entre le côté ludique de notre présence en ce lieu et la gravité de ce que l’on vient de contempler. Etrange et troublant décalage, très belle exposition.
« Gus Bofa, l’adieu aux armes »
Montons à l’étage du « Vaisseau Moebius » pour découvrir cette exposition consacrée à un auteur inconnu… ou presque. Gus Bofa (1883-1968). Un nom qui m’était totalement étranger, des réalisations que je n’avais jamais croisées pourtant, lorsqu’on prête l’oreille, on constate que les amateurs de l’auteur sont nombreux, notamment au sein des rangs des auteurs de bande dessinée.
« Jeune homme sportif, affichiste et publiciste renommé sous le nom de Gus Bofa, Gustave Blanchot est mobilisé, en 1914, à 31 ans comme simple soldat d’infanterie. Il répond sans hésiter à l’appel, poussé par la « curiosité un peu malsaine pour un jeu inconnu, vers quoi s’était tournée toute mon enfance, et une autre curiosité, plus intime, de savoir comment mon bonhomme intérieur allait réagir aux émotions et aux accidents de ce jeu dangereux ». Après cinq mois de campagne, il est très grièvement blessé. Refusant de laisser les chirurgiens lui couper la jambe, il passe un an d’hôpital en hôpital. En 1916, il rentre chez lui réduit « à l’état de mutilé translucide et décoloré ». En 1917, quoique invalide à 65 %, il réapprend à marcher puis, rangeant dans un tiroir la croix de guerre et la médaille militaire que lui a values sa conduite au feu, recommence à boxer et à dessiner. Il se consacrera désormais à la lecture, à l’écriture et au dessin. Décidé à ne plus s’encombrer des conventions sociales et artistiques, il se forge une morale stoïque qu’il résume en une devise, « On verra bien », et une profession de foi : « Libre ? Mais oui, dans les limites exactes de votre petite cage. Et seul ? Bien entendu. » Après avoir vainement tenté d’exorciser le traumatisme de 1914 avec deux pamphlets cinglants, Chez les Toubibs (1917) et Le Livre de la Guerre de Cent Ans (1921), et un roman de guerre, Rollmops, ou le Dieu assis (1919), Bofa continue, en marge des livres qu’il illustre (Le Train de 8 H 47, Don Quichotte, Candide ou les Fables de La Fontaine, parmi beaucoup d’autres), à dessiner les petits malheurs et grandes misères des soldats, improvisés ou professionnels » (extrait conséquent tiré de la présentation du FIBD).
Un dossier de 4 pages écrit par Emmanuel Pollaud-Dulian venait compléter les informations données durant l’exposition.
Expo Ancrages
A la Maison des Auteurs pour découvrir le travail réalisé par les auteurs en résidence. Des artistes connus, d’autres inconnus, pour une expo patchwork où différents univers graphiques se côtoient. Quelques noms retenus pour des découvertes que j’espère heureuses…
Bande dessinée œcuménique
Trois expositions étaient proposées dans ce cadre : à la Cathédrale Saint-Pierre, à l’Eglise Saint-Martial et au Temple de l’Eglise réformée.
Visite à l’E.R.F. qui proposait les travaux de deux auteurs dont j’ai oublié les noms… aïe. Je regrette de ne pas avoir eu la présence d’esprit de noter le nom du jeune artiste qui exposait à l’étage. Ses illustrations m’ont fait forte impression et j’aimerais pouvoir me tenir informée de son actualité. Si jamais quelqu’un pouvait me renseigner… 😉
Malgré tout, je suis sortie dubitative de ce lieu.
Un ressenti en demi-teinte.
Jour 4
Ernest et Rebecca
Au musée d’Angoulême. Très belle exposition, parfaite pour les jeunes lecteurs. Pas de photos en revanche. Une visite faite au pas de course. Je vous renvoie au site du FIBD qui présente l’événement.
Fleurs qui ne se fanent pas
Au sous-sol du Théâtre, cette Exposition rend hommage aux femmes de réconfort. Vibrant témoignage rendu à ces femmes instrumentalisées, réduites au rang de simple objet sexuel, utilisées par des soldats pour passer le temps entre deux combats… esclaves sexuelles d’hommes qui ont perdu la raison sur les champs de bataille, désireux d’afficher leur virilité auprès de leurs compagnons d’armes… soldats factices d’un régime hypocrite et despote. Au fond de l’exposition, un mur était destiné à recevoir les messages de soutien des visiteurs. Emouvant, troublant… les mots m’ont manqué pour manifester mon soutien à ces femmes que la vie n’a pas épargnées.
Un très beau festival, quatre jours bien remplis qui ne m’ont malheureusement pas permis de tout voir et de tout entendre.
Mention spéciale au running-gag de cette année : Georges Clooney !
Une énorme pensée aux amis qui étaient là pendant le Festival 😉