Rupestres ! (Prudhomme & Davodeau & Rabaté & Mathieu & Troub’s & Guibert)

Rupestres !
Prudhomme – Davodeau – Guibert – Mathieu – Rabaté – Troubs © Futuropolis – 2011

Pendant deux ans, six auteurs se sont régulièrement retrouvés autour d’un projet qui leur était cher. Le « réseau Clastres », puisque c’est ainsi qu’ils aiment à se nommer, a été impulsé par David Prudhomme. Ce dernier a invité Étienne Davodeau, Emmanuel Guibert, Marc-Antoine Mathieu, Pascal Rabaté et Troub’s à « rencontrer des grottes ornées du Paléolithique, pour observer et dessiner » (précision contenue dans le dossier de presse de Futuropolis).

Au final, ils sont descendus ensemble dans 6 grottes du sud-ouest de la France, ils ont confronté leurs regards. David Prudhomme revient sur cette expérience :

Nous sommes, ensemble, allés dans ces grottes, nous avons exactement marché dans les pas les uns des autres, nous avons observé les mêmes fresques. Nous avons mangé ensemble, nous avons bu ensemble… Et bien sûr, nous n’avons pas vu les mêmes choses !

Tout d’abord, je tiens à remercier les Éditions Futuropolis pour cette découverte.

C’est le fait d’être allée en novembre dernier au Festival BD de Colomiers et d’y avoir visité l’exposition collective « Dessins originaux, dessins originels » qui m’a conduit vers cet album. Voici quelques détails concernant cette exposition :

Ce travail commun était présenté dans une exposition collective « Dessins originaux, dessins originels », mis en scène de manière astucieuse par Marc-Antoine Mathieu. On entre dans une grotte (enfin, une pièce obscure :-)), lampe frontale allumée, à la découverte des dessins qui y sont accrochés. Tel un spéléologue, le visiteur aperçoit, à la lueur de sa lampe, les dessins qui surgissent de l’obscurité ! Sensations garanties ! (un article complet vous attend sur le site de Futuropolis quant à cette manifestation).

Le fait d’avoir vissé sur mon crâne la lampe frontale et de m’être plongée physiquement dans cette l’ambiance originale ne m’a pas permis d’accrocher outre mesure avec Rupestres !. Différents degrés de lecture se côtoient, ce qui offre une réelle richesse à l’album mais l’ensemble fait un peu trop « bourgeois-bohème » à mon goût (et cela me gêne de lier ce terme à Davodeau, Rabaté…). C’est la présence de pseudo-considérations métaphysiques qui crée cette impression, je les ai trouvées pompeuses sur certains passages. Cet échange par exemple :

– Ces dessins rupestres, c’est l’origine, c’est l’innocence du regard.
– Pour comprendre ces dessins, il faudrait recouvrer le regard de l’enfant ! Du nouveau-né !
– C’est ce que nous faisons, non ? Pénétrer la grotte c’est retourner au stade d’avant… d’avant la raison, d’avant l’entendement.
– Le stade du ventre.
– Celui de la présence pure.

Ou encore celui-là :

– C’est peut-être la nostalgie de la vie qu’ils ont peinte. Ces animaux ont dû leur manquer à un moment… C’est pour cela qu’ils les ont représentés, fixés.
– L’image comme une petite éternité contre la mort.
– D’où le mouvement… la farandole, la farandole de la vie.
– On sait que les animaux qu’ils représentaient n’étaient pas ceux qu’ils mangeaient… En les dessinant, peut-être les donnaient-ils en nourriture au ventre (la grotte) de la grande Mère (la nature).

Le mélange de plusieurs regards crée de la confusion dans les dialogues (on ne sait jamais avec certitude qui intervient) et dans les visuels de l’album : des expressions brutes, sauvages… préhistoriques ! certes… mais cela ne m’a pas convaincu. Plusieurs approches artistiques se relayent, de la technique de la carte à gratter à celle du crayonné (je ne les énumérerais pas toutes). Tous les styles se confrontent, se côtoient, se mélangent. Certains dessins, témoins d’une réaction instantanée à une situation donnée, ont une signification obscure (pour moi). De nombreux visuels en pleine page proposent tantôt de magnifiques aplats tantôt des masses informes. Dans l’ensemble, beaucoup de jeux d’ombre et de lumière, de contrastes… un ouvrage que je qualifierais d’expérimental. Pourtant…

… on ne pouvait rêver meilleurs guides dans cette exploration artistique et humaine, mais la manière dont s’imbriquent leurs pensées et leurs réactions complique la lecture.

Avec mon « degré de lecture », j’ai trouvé que l’aspect le plus intéressant de l’album était d’accéder à plusieurs approches créatives. Ces descentes en grottes forcent les auteurs à une remise en question personnelle/artistique. Ils nous livrent leurs réflexions, parfois à la volée ; cela permet au lecteur de percevoir un peu mieux du sens qu’ils donnent à leur démarche. Ce n’est qu’à mi-chemin de ce « grotte-book » de 200 pages que l’idée tenace que cet ouvrage allait me tomber des mains s’est estompée. L’impression d’être face à une sorte de quête artistique est apparue, comme si ces esthètes étaient lancés dans une recherche de filiation avec la volonté de donner une paternité à leur « vocation artistique » : rattacher leur démarche créative à quelque chose d’ancestral, mettre en valeur le rôle du medium au fil des siècles… Mais je n’ai aucune certitude, la question reste donc entière : qu’est-ce que les auteurs souhaitaient au juste nous transmettre ???

Je ne me suis pas saisie (non plus) des réponses données dans cette conférence réalisée lors du Festival BD de Bastia.

pictobofTrop expérimental pour que je puisse apprécier pleinement cet ouvrage. J’ai picoré ça et là, je me suis saisie de certains passages comme « la lettre à Dominique » que je pense pouvoir rattacher à Étienne Davodeau (??) et qui contient un regard très pertinent, très juste, très personnel sur le sens de la vie, le sens qu’on peut donner à une activité artistique, l’évolution des médias et des supports de diffusion des images (dessins rupestres, écriture, télévision, internet)…

L’avis de PlaneteBD et GDGest.

Extraits :

« Je ne dessine pas pour me mettre à l’abri, je dessine pour me mettre en difficulté dans un pré carré que j’ai choisi. Il m’arrive aussi de dessiner sur écorce, sur des concrétions argileuses ou calcaires et sur du sable. J’aime plutôt que mes dessins se conservent, mais ça ne m’ennuie pas de les voir s’abîmer et s’effacer. Je suis très démuni quand mes émotions me chamboulent et que je n’ai pas d’outil en main pour réfléchir et me protéger. Je suis plus rassuré avec mon charbon à dessin que sans mon charbon. Plus assuré en sachant que je peux avoir recours à mon charbon » (Rupestres !).

« J’ai infiniment de choses dans la tête, sans doute, mais très incomplètes, mal rangées, rarement disponibles. Rien à voir entre le choc que je reçois face à une scène et la besogne maladroite à laquelle je me tue plus tard, quand je tâche de la reproduire. Je dessine si bien quand je ne dessine pas, et si mal quand je dessine ! » (Rupestres !).

«  »Pour ma part, j’y vois une des plus belles inventions de l’homo sapiens, au point que j’en ai fait la vocation de l’essentiel de ce que je dessine. Sans bien savoir pourquoi, je me réchauffe à l’idée que mes dessins et ce qu’ils racontent soient accessibles à d’autres êtres humains, ici ou ailleurs, aujourd’hui ou demain. Combien de temps mes livres circuleront-ils ? Je ne leur demande rien, sinon que d’exister. Je n’espère pas grand chose. Au présent, le livre me convient. Au futur, il m’indiffère » (Rupestres !).

Rupestres !

One Shot

Éditeur : Futuropolis

Auteurs : David PRUDHOMME – Étienne DAVODEAU – Emmanuel GUIBERT – Marc-Antoine MATHIEU – Pascal RABATE – TROUBS

Dépôt légal : avril 2001

ISBN : 9782754804325

Bulles bulles bulles…

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Rupestres – Prudhomme – Davodeau – Guibert – Mathieu – Rabaté – Troubs © Futuropolis – 2011

Auteur : Mo'

Chroniques BD sur https://chezmo.wordpress.com/

12 réflexions sur « Rupestres ! (Prudhomme & Davodeau & Rabaté & Mathieu & Troub’s & Guibert) »

  1. Ouh là ! Un pouce vers le bas alors qu’il y a Davodeau, Rabaté, Guibert etc !
    En tous cas, ça a l’air très particulier en effet, les dialogues que tu rapportes ne sont pas très attirants…
    Dommage.

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    1. Oui, un ressenti de lecture assez dérangeant à l’égard de ces auteurs. Je ne m’y attendais pas, d’autant que j’avais réellement apprécié l’exposition qu’ils avaient organisés pour présenter leurs travaux.
      Quant aux dialogues, j’ai eu beaucoup de mal sur les 80 premières pages (les extraits insérés dans mon article en sont issus ; les extraits en bas d’article en revanche, sont issus de la seconde partie de l’album). J’ai trouvé quelques réflexions décalées dans ce contexte d’album… je suis consciente que je n’ai certainement pas compris la démarche des auteurs. Pour l’heure, je cherche des réponses. J’espère les trouver dans d’autres avis de lecture qui seront mis en ligne ou dans les retours que l’on pourrait me faire via les commentaires…

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  2. Ca me fait très envie, surtout de voir si je me trouve dans les mêmes ressentis que toi. Y’a du potentiel de grandeur, des limitations. J’ai vraiment envie de découvrir ça.

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    1. C’est spécial. Je lirais ton avis avec plaisir, ça me permettra (j’espère) de comprendre ce que je n’ai pas saisit. Bizarre, car quand j’avais vissé la lampe frontale pour visiter leur grotte, il y a des planches qui m’avaient vraiment accrochées dans ce contexte… alors que couchées sur papier glacé certaines ne m’ont fait ni chaud, ni froid… plutô froid d’ailleurs ^^

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  3. Lu et finalement bien apprécié. Je ne sais pas si mon avis de lecture est pertinent et si j’ai bien appréhendé la démarche des auteurs. Mais j’ai aimé cette lecture, elle m’a parlé.

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    1. Dans l’ensemble, j’ai le souvenir que les propos ne faisaient écho en moi que de manière sporadique. J’avais trouvé le tout pompeux et métaphysique. Une seconde lecture serait certainement nécessaire me concernant 😉

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